Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense et président du Nouveau Centre, au site internet Isubway le 25 septembre 2007, sur les relations entre la France et l'Iran, le budget 2008 de la défense, la nouvelle doctrine de défense et les priorités politiques du parti.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q- Bernard Kouchner, le ministre des Affaires Etrangères, a déclaré, dimanche 16 septembre, que, dans le dossier nucléaire iranien, "il fallait se préparer au pire", c'est-à-dire à l'hypothèse d'une guerre. Vous vous êtes désolidarisé du côté va-t-en guerre de Bernard Kouchner. Estimez-vous qu'il y a eu de la précipitation sur le sujet ?
R- Aujourd'hui, nous ne sommes absolument pas en train de préparer des plans militaires contre l'Iran. C'est un sujet sur lequel il n'y a pas de travaux de cet ordre qui soient menés dans les états-majors. La priorité doit être donnée aux moyens politiques, c'est-à-dire à la diplomatie et au dialogue.
Q- "Personne ne peut penser un seul instant que nous sommes en train d'imaginer et de préparer des plans contre l'Iran". Etant donné l'attitude agressive de l'Iran, ne faut-il pas néanmoins que vous travailliez les modalités d'une intervention ?
R- Les militaires élaborent constamment des notes d'analyse sur un grand nombre de sujets, et par ailleurs notre outil de défense est toujours opérationnel. C'est le contrat opérationnel qui le prévoit. La vigilance est permanente.
Q- En 2008, 6.037 emplois dans la Défense vont être supprimés. Est-ce la rigueur au ministère de la Défense ?
R- Non ! Le ministère de la Défense, en ne remplaçant que la moitié des agents partant à la retraite, participera pleinement à l'action engagée dans l'ensemble des ministères pour maîtriser les déficits publics. Nous sommes soumis aux mêmes règles que tous les autres ministères : pas plus, pas moins. Au ministère de la défense, les 6 037 postes concernés seront en totalité des départs naturels, et non des départs provoqués. Ces 6000 postes non remplacés nous permettent un plan sans précédent de 102 millions d'euros consacrés à l'amélioration de la condition militaire et au traitement des personnels civils.
Q- Pour réaliser des économies, pourriez-vous toucher aux JAPD qui ne servent à rien ?
R- Pourquoi dites-vous la Journée d'Appel de Préparation à la Défense ne sert à rien ? C'est un élément important du lien entre l'armée et la nation. Cette journée permet d'avoir une photographie de l'état d'une classe d'âge. Elle est l'occasion de proposer aux jeunes Français et aux jeunes Françaises en grande difficulté de lecture et d'écriture, des solutions pour rattraper leur retard, je pense en particulier au dispositif défense deuxième chance. C'est un moyen d'informer les jeunes sur la défense, sur les enjeux internationaux.
Q- Un des problèmes de la défense, c'est le sous-équipement matériel. Avec un budget proche des 2% - soit assez faible -, tous les engagements en programmation matérielle sont-ils gelés ?
R- En ce qui concerne les équipements, les crédits sont maintenus. Il n'y aura aucune baisse sérieuse des crédits d'équipement en 2008, le budget de défense est, en volume, conforme à la loi de programmation militaire, nous continuerons à consacrer environ 16 milliards d'euros par an à l'équipement de nos forces armées. Je souhaite une armée qui a rationalisé ses éléments de soutien, ses implantations, et qui est mieux payée, plus opérationnelle et mieux équipée.
Q- Allez-vous participer à l'élaboration du Livre Blanc et quelles doivent en être les grandes lignes selon vous ?
R- Le ministère de la Défense va jouer un rôle essentiel dans l'élaboration du Livre Blanc. Je vois deux préalables à l'élaboration de notre nouvelle doctrine de défense. D'abord, la nécessité de notre autonomie de décision. La France ne doit pas se contenter de déléguer son pouvoir de décision à un allié de référence ou à une grande organisation internationale. D'autre part, nous devons confirmer le choix qu'a fait notre pays de rester une puissance militaire crédible, qui possède la panoplie complète des capacités militaires.
J'indiquerai quelques grandes lignes. D'abord, contribuer activement au développement de la stabilité et de la sécurité hors de nos frontières, avec deux priorités : la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de nos approvisionnements énergétiques. Ensuite, privilégier la prévention des crises, par des actions précoces et pertinentes, menées entre alliés. Enfin, assurer l'indispensable continuité entre défense et sécurité pour la protection de tous les Français. Il me paraît indispensable de poursuivre la modernisation et la rationalisation de notre outil de défense, mais aussi de préserver un outil industriel de défense puissant.
Q- Qu'en est-il du projet de second porte-avion ?
R- Nous y travaillons. La décision finale sera prise en fonction des travaux du livre Blanc et de la revue des programmes.
Q- Jeudi 20 septembre Nicolas Sarkozy s'est exprimé dans les 20 Heures de TF1 et France 2. Il a dit que vous aviez été "imprudent" d'avoir évoqué un possible remaniement ministériel en janvier prochain...
R- Dans le cadre de la préparation d'un portrait au mois de juillet, j'ai fait part d'une discussion qui avait eu lieu entre Nicolas Sarkozy et moi, cela avait été publié dans Le Figaro mais personne n'en avait parlé. C'était de l'ordre de l'anecdote. Deux mois plus tard, elle a été reprise, car elle venait alors donner corps à une rumeur médiatique.
Q- En cas de remaniement, vous a-t-il dit que vous quitteriez le ministère de la Défense ?
R- Nous n'avons pas évoqué la question un seul instant, cette discussion a eu lieu en juillet et nous n'en avons pas reparlé.
Q- Vous répétez souvent qu'il y a une vie après la politique et que vous pourriez ouvrir un hôtel restaurant en Normandie. ça se précise ?
R- (rires) Non !
Q- Il semble difficile pour les ministres d'exister aux cotés d'un Nicolas Sarkozy omniprésent...
R- C'est votre sentiment, ce n'est pas le mien. Je n'ai pas le sentiment de souffrir de l'omniprésence de Nicolas Sarkozy.
Q- Comment se sentent les troupes du Nouveau Centre en 'Sarkozie' ?
R- Posez-leur la question mais j'ai le sentiment que les députés se sentent bien. Nous avons clairement un objectif : arriver à recréer une formation qui reprenne le flambeau de l'UDF. Créer un nouveau parti est un objectif lourd mais enthousiasmant ! Ca ne va pas être compliqué de recruter les militants, nous avons beaucoup d'élus, il faut juste avoir l'énergie et la capacité de s'organiser. Les municipales vont nous aider car tous les anciens élus UDF qui sont dans des majorités UMP ne se sont pas retrouvés dans la démarche du MoDem.
Q- Avez-vous repris contact avec François Bayrou ?
R- Absolument pas. Nous avons pris des chemins différents, les retrouvailles ne sont vraiment pas envisageables pour le moment.
Q- Aux municipales, présenterez-vous des listes indépendantes ?
R- Sauf impossibilité de trouver des accords, nous chercherons à établir des listes communes avec l'UMP.
Q- En tant que ministre lié par la solidarité gouvernementale, êtes-vous vraiment le mieux placé pour présider le Nouveau Centre et y êtes-vous candidat ? Il se murmure que Christian Blanc pourrait l'être...
R- Je suis Président du Nouveau Centre. Lors d'un congrès constitutif, probablement en janvier 2008, les militants éliront le président du Nouveau Centre. Je ne sais pas si Christian Blanc sera candidat mais pour ma part, nous verrons bien où nous en serons début 2008. Nicolas Sarkozy a dirigé l'UMP tout en étant ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Borloo préside le Parti Radical tout en étant membre du gouvernement. Je n'ai pas le sentiment que cela soit gênant...
Q- La Journée Parlementaire du Nouveau Centre se tient le 27 septembre, qu'en attendez-vous ?
R- Nous allons exprimer nos priorités et notre axe politique pour les mois qui viennent. On doit être capable de proposer, voire de s'opposer. Mais on ne va pas s'opposer par principe ! On va défendre nos idées et nos valeurs. Par exemple, dans le débat institutionnel qui va avoir lieu, nous proposerons toute une série de mesures auxquelles nous tenons.
Q- Avez-vous justement négocié votre ralliement à Nicolas Sarkozy contre l'institution d'une dose de proportionnelle lors des législatives ?
R- Oui, cela fait partie des éléments du contrat de législature, avec la réduction de la dette ou le small business act, en discussion à Bruxelles. Ces deux derniers points ont été fixés comme des priorités par Nicolas Sarkozy. Je suis favorable au renforcement du pouvoir du Président, nous étions pour la fusion de l'article 5 et de l'article 20 : on ne fait pas élire un président par 43 millions de Français pour qu'il se cache derrière les rideaux ! Comme dans toutes les démocraties modernes, le chef de l'Etat est là pour fixer constamment le cap, montrer dans quelle direction il souhaite orienter la politique menée. J'ai toujours pensé que le Premier Ministre devait être un coordinateur de l'action gouvernementale. Par contre, à un exécutif fort doit correspondre un législatif fort. Aujourd'hui, le Parlement a démissionné d'une grande partie de ses attributions depuis longtemps ! Nous sommes favorables à l'interdiction du cumul des mandats, qui est la règle dans la quasi totalité des pays européens, pour que le député se consacre totalement à sa fonction.
Q- Le député Thierry Mariani avait justement déposé un amendement sur les tests ADN qui a été adopté mercredi à l'Assemblée Nationale. Les députés du Nouveau Centre se sont abstenus, dénoncez-vous cet amendement ?
R- Nous sommes sur un sujet de conscience et d'éthique, il est logique que chaque parlementaire vote comme il l'entend. Douze pays européens ont adopté des procédures similaires, même ceux chez qui les libertés individuelles sont aussi sacrées que chez nous sinon plus (en Grande Bretagne, ou en Allemagne par exemple). La phase d'expérimentation pour voir comment cet amendement pourra effectivement être mis en oeuvre me paraît très utile.
Q- Et la loi sur l'immigration, en tant que telle, vous l'approuvez ?
R- Oui, il y a des choses qui sont de toute évidence positives comme le contrat d'intégration. Exiger l'apprentissage du français me plaît. Il est assez cohérent d'imposer aux candidats à l'immigration de connaître la langue du pays dans lequel ils veulent vivre. Par ailleurs, l'idée de regrouper l'ensemble des administrations sous une même tutelle me semble enfin une bonne chose, cela faisait des années que nous le réclamions.
Q- La défense du co-développement, que vous affichiez pendant la campagne, n'a-t-elle pas été oubliée ?
R- Le co-développement fait partie des discussions que nous avons avec les Etats. Cela ne relève pas de la loi, et devrait faire partie des discussions au niveau européen. Car l'Europe est clairement l'ensemble politique qui consacre le plus d'argent pour le co-développement.. Nous avons un rôle majeur à jouer !
Q- Vous êtes très favorable à la réforme des régimes spéciaux...
R- Nous l'avons toujours été. En 2003, lors de la réforme des régimes de retraite, les députés centristes étaient les seuls à avoir défendu des amendements prônant l'extinction progressive des régimes spéciaux. A travers ceci, l'idée est que les français soient traités de la même façon à l'égard de la retraite. C'est pourquoi nous sommes partisans d'un régime unique par points. Les salariés seraient libres de cotiser plus ou moins longtemps, et ce système prendrait en compte la pénibilité du travail et l'espérance de vie. On sait bien par exemple, que les maçons ont une espérance de vie moins longue que les cadres.
Q- Et approuvez-vous la méthode et le calendrier de Nicolas Sarkozy sur ce dossier ?
R- Oui. Il ne faut pas se focaliser sur les quinze jours. Il s'agit d'un délai pour définir les principes communs de l'harmonisation. Puis ceux-ci feront l'objet de négociations, entreprise par entreprise, pour tenir compte de la spécificité de chaque régime. La réforme se fait progressivement, par la concertation avec l'ensemble des organisations syndicales, et la représentation nationale durant trois mois et demi. Cette réforme doit être menée à terme, car les électeurs ne comprendraient pas que la majorité qu'ils ont choisie ne tienne pas cet engagement.
Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 26 septembre 2007