Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la radio "National Public Radio" le 20 septembre 2007 à Washington, sur la perspective de nouvelles sanctions à l'ONU et l'éventualité d'une guerre contre l'Iran concernant son programme nucléaire, et la nouvelle approche française du dossier irakien.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner aux Etats-Unis du 19 au 21 septembre 2007

Texte intégral

Q - (A propos du programme nucléaire de l'Iran)
R - Les sanctions ont marché, si je puis dire, mais pas assez. Nous devons aussi parler et reparler avec les Iraniens, et négocier avec eux. C'est la marche que nous suivons actuellement. Nous voulons négocier. Mais dans l'intervalle, nous devons réfléchir à une forme de sanctions plus pointue et plus efficace. J'espère qu'il sera possible d'obtenir au Conseil de sécurité une troisième résolution prévoyant des sanctions.

Q - Les Etats-Unis ont dit qu'il est inacceptable que l'Iran obtienne des armes nucléaires. D'un point de vue français - et comme vous l'avez suggéré en début de semaine - peut-on envisager la guerre comme une possibilité, au cas où les négociations ne parviendraient pas à empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire ?
R - Pas du tout. La guerre ne doit pas être une possibilité. Je le répète : la guerre ne doit pas être une possibilité. Mais le risque existe. C'est pourquoi nous devons travailler encore et encore pour éviter la guerre, et pour ne pas présenter la guerre comme si elle était une sorte de garden-party. Parce que ce n'est pas le cas.

Q - Est-ce vrai que l'armée française est actuellement en train de développer des plans d'urgence dans l'éventualité d'une guerre avec l'Iran ?
R - Non, pas du tout. Aucun plan n'est prévu allant dans cette direction. Non.

Q - Revenons, si vous le voulez bien, à votre activisme de jeunesse, lorsque vous étiez jeune docteur.
R - Oh, c'était il y a bien longtemps.

Q - Et bien, c'était au début des années 1970. Vous avez contribué à la création du groupe humanitaire Médecins sans Frontières. A cette époque, vous auriez dit vouloir fonder le droit moral d'ingérence. Je crois que la plupart des gens pensent à cela en termes de crises humanitaires, comme la crise au Darfour par exemple. Est-ce la même philosophie qui a animé votre pensée lorsque vous vous êtes prononcé en faveur de l'invasion de l'Irak, qui aurait été impopulaire en France ?
R - Que l'on ne s'y trompe pas, je n'ai pas soutenu votre invasion de l'Irak. J'ai seulement écrit un article, en première page d'un journal sérieux, Le Monde. J'ai dit, écrit et signé : "Ni la guerre, ni Saddam". Et j'étais en faveur de la destitution de Saddam Hussein, un horrible dictateur. Mais cela par la voie multilatérale, en passant par le Conseil de sécurité de l'ONU, pas en envahissant le pays. Et malheureusement, j'avais raison. Parfois, et je le sais, il faut se battre pour la démocratie. Mais là, ce n'était pas le cas.

Q - Vous êtes allé en Irak le mois dernier. Vous étiez le premier ministre des Affaires étrangères français à le faire depuis vingt ans. Pensez-vous que la France peut faire quelque chose à ce stade du conflit pour aider à arranger la situation ?
R - En effet, nous devons aider les Irakiens, et bien-sûr vous aider vous, si je puis dire, et si c'est possible. C'est pourquoi j'ai voulu ouvrir la porte et écouter les Irakiens. C'est ce que j'ai fait.

Q - A votre avis, de quelle partie du fardeau la France pourrait-elle désormais se charger en Irak ?
R - Pas de soldats, c'est évident. Pas de soldats. Pas d'armée à la place de la vôtre, certainement pas. On ne va pas remplacer vos soldats par des soldats européens. Mais regardez dans le domaine de la santé par exemple, on a besoin d'impliquer les Irakiens dans une sorte de réseau de dispensaires de santé et de soins médicaux. Il faudrait aussi investir dans le domaine économique pour développer la production.

Q - Vous savez, l'Amérique s'est tellement habituée, ces dernières années, à ce que la France ait une image négative des Etats-Unis. Est-ce que cela a changé depuis l'arrivée au pouvoir de Sarkozy ? Est-ce que votre gouvernement ressent une certaine affinité avec les Etats-Unis, qui n'existait pas auparavant ?
R - Oui, cela a changé. Mais c'est un peu enfantin de dire qu'il y a des bonnes personnes, et des mauvaises, des bons et des méchants. Cela a changé parce que nous ne basons pas notre politique étrangère sur l'anti-américanisme. Nous sommes amis, alors travaillons ensemble.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2007