Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec CNN le 20 septembre 2007 à Washington, sur la politique nucléaire de l'Iran, l'efficacité de nouvelles sanctions à l'ONU et l'éventualité de la guerre en cas d'échec des négociations.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner aux Etats-Unis du 19 au 21 septembre 2007

Média : CNN

Texte intégral

Q - (A propos de la politique nucléaire de l'Iran)
R - C'est difficile, mais en même temps nous devons discuter avec l'Iran, discuter et discuter sans nous interrompre. Ensuite, bien sûr, c'est mieux de passer par le Conseil de sécurité des Nations unies pour une quatrième résolution, avec des sanctions, des sanctions efficaces.
Pendant ce temps, nous discutons, négocions avec l'Iran et poursuivons ce que nous avons commencé, il y a des années, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France, puis les Américains, les Russes et les Chinois. Et nous continuons, mais dans le même temps nous devons travailler sur des sanctions nationales, pour être pris au sérieux.

Q - Si je puis me permettre, l'Iran a déjà dit que de nouvelles sanctions ne seraient pas efficaces et pourraient amener l'interruption de sa coopération avec l'AIEA ; donc, peut-on dire que des sanctions plus dures sont vraiment la réponse ? Est-ce que cela ne va pas encourager un possible affrontement ?
R - Je comprends et je suis d'accord avec Mohamed El Baradeï, le chef de l'Agence internationale de l'Energie atomique. Il a besoin d'assez de temps pour mener des investigations sur la période passée. On lui a proposé de revenir avec ses inspecteurs et de poursuivre ses investigations. Je suis d'accord avec cela.
Nous ne développons pas de sanctions immédiatement. Nous travaillons sur des sanctions que nous pourrons proposer si nous ne pouvons pas passer par le Conseil de sécurité - dans ce cas nous aurons une sorte d'obligation de sanctionner.
Je comprends, bien sûr, la réponse venue de l'Iran : "les sanctions ne seront pas efficaces", si, pour le moment, les résolutions de sanctions n'ont pas été efficaces. C'est donc qu'il faut que nous soyons pris au sérieux, et faire pression non sur le peuple iranien, mais sur le gouvernement et les circuits de l'économie et des finances.

Q - D'accord. Laissez-moi vous demander - je suis sûr qu'on vous l'a déjà demandé de nombreuses fois - de clarifier votre position au sujet des commentaires que vous avez fait dimanche, lorsque vous avez effectivement dit que le monde devait se préparer à la guerre si les négociations échouaient. Maintenant, ce que je comprends c'est que vous avez dit que les négociations devaient se poursuivre...
R - Oui, bien sûr, parce que je n'ai pas été du tout compris. Le mot "guerre" est un mot très lourd et très menaçant, mais c'était pour dire : "préparez-vous au pire". Qu'est-ce que c'est que le pire ? Le pire, c'est la guerre. Je ne suis pas en faveur du pire, je suis en faveur du meilleur. J'ai donc expliqué que c'était une situation dans laquelle nous avions, dans cette région, des tensions, des drames en Irak, en Syrie et au Liban et, en plus, ce problème nucléaire en Iran. Et nous devons être prêts, pas à préparer la guerre, mais aux tensions, au débat, à beaucoup de problèmes.

Q - Votre président a dit dans une interview ce soir en France qu'il n'aurait pas utilisé le mot "guerre", mais que vous vous en étiez vous-mêmes expliqué. Mais à quel point considérez-vous que les négociations devraient s'arrêter ? Est-ce que ce sera lorsque vous estimerez que l'Iran a la capacité d'avoir l'arme nucléaire ou lorsqu'il l'aura vraiment ?
R - C'est une question difficile parce qu'ils ont les capacités. Le problème c'est que nous n'avons pas les faits. Nous n'avons rien pour prouver qu'ils ont choisi la voie de l'utilisation militaire de l'énergie nucléaire. Mais ils ont le droit d'utiliser la voie des usages pacifiques. Ils sont donc au milieu, mais selon tous les experts - et ceci est très, très difficile à accepter -, ils sont maintenant capables, en poursuivant l'enrichissement de l'uranium, d'aller vers la bombe atomique. Et qu'est-ce que les résolutions des Nations unies et la communauté internationale leur demandaient ? "Arrêtez l'enrichissement de l'uranium". Ils refusent, malheureusement, ils refusent.

Q - Une dernière question. La France est de retour, après une période d'isolement sur la scène internationale, avec le président Nicolas Sarkozy. L'engagement de la France à haut niveau sur la question iranienne est juste un exemple de là où la France essaie de laisser sa marque ? Croyez-vous ou non que la France se retrouve en situation d'acteur global sur la scène internationale ? Tout va pour le mieux avec les Etats-Unis ? Où se trouve la France maintenant ?
R - Près de vous, près du reste du monde, nous avons toujours été vivants et nous revenons à notre amitié. Mais vous étiez isolés sur la scène internationale ; nous ne l'étions pas, nous les Français, pas du tout. Mais nous devons oublier la manière dont vous vous y êtes pris sur l'Irak et nous devons ensemble, tous ensemble, essayer d'aider le peuple iraquien à résoudre la situation. C'est le retour de l'amitié, je ne suis pas obligé d'être d'accord avec toutes les positions américaines - certainement pas -, mais je suis obligé d'être sincère avec mes amis américains.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2007