Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la nécessité du renforcement du dialogue stratégique entre l'Europe et les Etats-Unis pour la résolution des crises et la défense de la paix dans le monde, Washington le 20 septembre 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner aux Etats-Unis du 19 au 21 septembre 2007 : intervention au Center for strategic and international studies (CSIS) le 20 à Washington

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est bien entendu un plaisir pour moi que de pouvoir m'adresser aujourd'hui à un auditoire aussi distingué. Je tiens à remercier le CSIS, et tout particulièrement son président John Hamre, de cette aimable invitation. La qualité de vos analyses et le prestige de vos recherches font du CSIS un acteur de référence dans le débat passionné qui anime Washington sur les questions de politique étrangère. Ici comme en France et partout dans le monde, votre réputation n'est plus à faire. 
La mienne non plus, paraît-il.
Alors, quitte à conforter les clichés, je vous propose aujourd'hui que nous restions chacun fidèle à notre réputation, vous par la qualité de vos propos, moi par la franchise des miens. Et je vous propose aussi que nous fassions chacun un effort d'harmonisation, moi en visant la qualité, et vous la franchise.
Car cette franchise est aujourd'hui nécessaire entre nos deux pays, de même qu'elle l'a été par le passé. 
Nous connaissons le contexte. Nous savons que la France, l'Europe et les Etats-Unis ont récemment traversé l'une des périodes les plus tendues de l'histoire de leurs relations. Je pense évidemment à la crise irakienne. Les mots ont été durs, souvent blessants. L'amitié a souvent été oubliée. 
Nous avons tourné la page. L'occasion est donc belle, pour nous tous, de vérifier ici concrètement ce qu'il en est, de revenir sur les grands enjeux du monde avec à l'esprit cette amitié et cette sincérité retrouvées. En partant d'une question simple : qu'allons-nous faire de cette amitié retrouvée ? 
C'est ce dont j'aimerais que nous nous parlions aujourd'hui.
Je sais que la France est attendue ici ; je sais que les espoirs sont grands. Mais je veux vous dire, car l'amitié autorise la franchise, je veux vous dire que l'avenir nous réservera inévitablement de nouveaux désaccords. Car c'est bien la manière la plus saine de travailler ensemble, d'accepter que les alliés puissent avoir des visions différentes et des intérêts propres.
Quant nos politiques divergent, on parle trop souvent aux Etats-Unis d'anti-américanisme. Quand elles convergent, on parle trop souvent en France d'alignement. Soyons adultes : nous définissons nos positions sur telle ou telle question en fonction de nos intérêts et de nos analyses. Hier, comme aujourd'hui, et sans doute comme demain, ces intérêts et ces analyses seront le plus souvent proches, mais parfois ils seront différents, voire opposés. 
Ces éventuelles divergences devront faire l'objet d'un débat de fond, ne pas s'abîmer dans la rhétorique belliqueuse. Elles devront se faire sur la base d'une confrontation d'idées, non de slogans ; de positions réfléchies, non de postures réflexes.
C'est pourquoi, au-delà des interrogations un peu introverties sur notre relation, il est impératif que nous renforcions notre capacité commune à agir, pour "apporter" ensemble plus de paix et de stabilité au monde. 
Car l'onde de choc de la crise irakienne est puissante et sans doute durable : sur les équilibres, au Moyen-Orient et dans d'autres régions; sur l'image des Etats-Unis et plus généralement de l'Occident partout dans le monde ; sur notre capacité à affronter ensemble les crises en conciliant légitimité et efficacité.
Qu'on le veuille ou non, et certains en Europe ou en France ont du mal à s'y faire, votre problème est aussi le nôtre. Il serait donc illusoire pour les Européens de s'en désintéresser ; tout comme il serait dangereux, pour les Etats-Unis, d'ignorer les conséquences de leurs choix sur les Européens. 
Pour se ressourcer, notre dialogue devra s'appuyer sur la profondeur des liens qui nous unissent. Il s'appuiera sur tout ce que la France, l'Europe et les Etats-Unis ont en commun : une histoire partagée depuis les révolutions du XVIIIème siècle ; des valeurs communes enracinées dans la liberté individuelle et l'universalisme ; des échanges importants, enfin, qu'ils soient commerciaux ou financiers, culturels ou scientifiques. 
Notre dialogue devra aussi se souvenir des moments intenses qui nous ont réunis, pendant les deux guerres mondiales, lorsque notre existence était en cause, puis pendant la guerre froide. Et je n'oublie pas non plus le soutien américain, dès ses débuts, à l'entreprise européenne, qui fut le moteur de la paix et de la renaissance de notre continent après 1945. 
Mesdames et Messieurs, cette richesse qui doit fonder notre dialogue est aussi ce qui explique la perception aiguë de nos difficultés quand elles se présentent, l'importance donnée aux malentendus, l'affectivité qui les accompagne. Je crois que, depuis longtemps, plutôt que nos différences, ce sont justement nos similitudes qui nous ont agacés. 
Gardons également à l'esprit que malgré quelques indéniables éclats, rien ne fut jamais réellement rompu entre nous. Au plus fort de la crise irakienne, alors que le dialogue politique était paralysé, nous coopérions avec efficacité et discrétion dans la lutte contre le terrorisme et contre la prolifération des armes de destruction massive. Dans les Balkans, également, nous avons toujours su faire preuve d'une grande unité, quels que soient les hauts et les bas de notre relation.
Et je pourrais ainsi multiplier les exemples, en commençant par notre défense d'un monde respectueux des différences de cultures, de religions, de croyances ; un monde où l'on est ouvert à l'autre car sûr des valeurs des Droits de l'Homme et de démocratie. Des deux côtés de l'Atlantique, nous avons toujours cru à la supériorité absolue de la dignité humaine.
Alors, après ce constat d'une relation qui n'a en fait jamais été rompue, après ce rappel d'une amitié fondée sur l'histoire et les valeurs profondes de deux peuples souvent jumeaux, après cette affirmation répétée d'une constante exigence de franchise, comment incarnerons-nous ensemble le renouveau tant annoncé de nos relations ? Si nous devons rester francs, y compris dans les désaccords, et si nous n'avons jamais cessé d'être amis, quelle sera donc cette nouvelle ère qu'ensemble nous souhaitons ouvrir ?
Les pires crises de la relation transatlantique en général, et de la relation franco-américaine en particulier, n'ont jamais porté sur les relations transatlantiques, mais sur le reste du monde. Je vous propose donc de porter notre regard au-delà de l'Atlantique. 
Je commencerai en évoquant les crises les plus immédiates, avant de parler tout à l'heure des défis plus globaux que nous avons à relever.
En évoquant les crises, je pense d'abord au Moyen-Orient. Comme vous le savez, la diplomatie française est engagée activement dans la région. Je suis moi-même allé il y a un mois à Bagdad, première visite depuis vingt ans d'un ministre français des Affaires étrangères et première visite d'un officiel français depuis la destitution de Saddam Hussein. Et j'étais la semaine dernière en Israël, en Palestine, au Liban, en Jordanie et en Egypte. Ces questions figurent bien sûr à l'ordre du jour de tous mes entretiens avec Condoleezza Rice, que je rencontrerai demain.
Au Moyen-Orient, le paysage est aujourd'hui caractérisé par une interdépendance croissante des crises. Les tensions se sont aggravées, voire généralisées sur un "arc de crise" qui s'étend de l'Iran et l'Afghanistan au Liban, en traversant l'Irak, la Syrie et les Territoires palestiniens. 
Au-delà de ce phénomène, je vois beaucoup d'éléments communs à ces foyers de tensions et de conflits. Ils indiquent autant de défis auxquels nous sommes confrontés. 
Le plus frappant c'est l'érosion de la puissance militaire, comme le montrent aujourd'hui la situation en Irak, des résultats incertains de la guerre d'Israël au sud Liban à l'été 2006, et des difficultés de l'OTAN en Afghanistan. Ces problèmes tiennent à la prédominance des conflits asymétriques et surtout, j'en suis convaincu, de la difficulté à intégrer l'outil militaire dans une stratégie politique.
Que l'on me comprenne bien : je ne dis pas que la puissance militaire n'est plus nécessaire ou efficace. Mais je sais que, sans dimension politique, l'expression de la puissance est, paradoxalement, fragile. Plus que jamais, le diplomate et le soldat, les deux figures symboliques des relations internationales identifiées par Raymond Aron, doivent travailler ensemble.
Gagner la paix après la guerre est désormais le défi majeur, qui nous force à définir une nouvelle approche de la puissance : "hard power et soft power", pour reprendre la distinction de Josef Nye, doivent être conjugués de façon adéquate pendant et après un conflit pour aider les pays à reconstruire ou établir des institutions solides, et leur gouvernance : des Etats à reconstruire comme l'Irak, à consolider comme le Liban, à construire comme l'Afghanistan, ou à créer de toutes pièces, comme en Palestine. Avec souvent, reconnaissons-le, des limites notre efficacité. 
C'est pourquoi, pour démêler cet écheveau de crises, il nous faut traiter chacune avec lucidité et détermination.
Je souhaite d'abord évoquer l'Iran. Non pas tant parce que ce sujet est âprement débattu, à Washington, à Paris et ailleurs - il l'est. Mais surtout parce qu'il s'agit à mon sens de la crise la plus lourde de menaces pour l'avenir. Sans exagérer, je dirais que les réponses que nous y apporterons aujourd'hui façonneront le monde dans lequel nous vivrons demain, bien au-delà de la région elle-même.
Devant les ambassadeurs de France réunis à Paris fin août, le président Sarkozy s'est clairement exprimé. Sa fermeté et sa détermination ne vous ont pas échappé : je les partage depuis longtemps. Un Iran doté de la capacité nucléaire militaire est une perspective pour nous inacceptable.
Inacceptable pour la sécurité de la région, pour celle d'Israël - mais pas seulement-, pour notre sécurité en tant qu'Européens, pour la crédibilité du régime de non-prolifération nucléaire et pour celle du Conseil de sécurité, en d'autres mots pour l'avenir de l'ordre multilatéral -et nous sommes en faveur d'un ordre multilatéral. Et n'oubliez pas le risque que représenterait un Iran doté de l'arme nucléaire en termes de prolifération régionale. Ses voisins seraient tentés de suivre le même chemin. 
C'est pourquoi les Européens, d'abord à travers l'action de l'Allemagne, de la France et de la Grande Bretagne, avec mon cher ami Javier Solana, puis soutenus et rejoints par les Etats-Unis ainsi que par la Chine et la Russie, ont engagé un processus visant une issue politique. Et c'est dans cette voie que nous continuons d'avancer : la solution politique. Les trois Européens n'ont pas ménagé leurs efforts pour négocier après l'accord de Téhéran d'octobre 2003. Et ils y ont mis toute leur énergie. 
Quelle a été la réponse de l'Iran ? L'Iran a repris la conversion, et ensuite, l'enrichissement. Malgré cela, les Six ont présenté, en juin 2006, une offre ambitieuse et substantielle avec le soutien américain. Je sais que cela a nécessité un geste courageux de la diplomatie américaine, qui acceptait ainsi de revenir sur une politique vieille de près de trois décennies. 
Malgré cela, les autorités iraniennes ont voulu gagner du temps, refusant tout compromis et rejetant nos offres.
Après trois résolutions du Conseil de sécurité, dont deux résolutions de sanctions, après des propositions ambitieuses et généreuses, l'Iran a choisi de continuer dans la voie du fait accompli et de poursuivre l'enrichissement d'uranium. En d'autres termes, l'Iran a choisi la confrontation avec la communauté internationale, en ignorant sa demande principale : suspendez vos activités liées à l'enrichissement et au retraitement. Ce choix nous contraint à accroître la pression.
A ceux qui prétendent que nous devrions ménager l'Iran, car il pourrait déstabiliser la région, je dis au contraire : voyez son aventurisme aujourd'hui, et imaginez ce qu'il serait si Téhéran se croyait un jour protégé par un parapluie nucléaire. Dans une région qui connaît déjà des tensions si fortes et qui fait face à de nombreux dangers, il serait irresponsable d'autoriser un pays à se rapprocher de l'arme nucléaire. Et n'oubliez pas surtout que, tandis que le monde entier se concentre sur le nucléaire, ses programmes de missiles avancent à grand pas.
Avec ses partenaires européens, les Etats-Unis, la Russie et la Chine, la France est donc déterminée à explorer toutes les voies pour éviter le pire. C'est la phrase que j'ai prononcée. On m'a demandé : "Que serait le pire ?" Le pire serait la guerre. Ce n'est pas ce que je recherche. Nous devons calmer les tensions dans la région. Dialogue, dialogue, et encore du dialogue, et ce, en dépit des rebuffades et en gardant notre sang-froid. Autant que possible, et le plus longtemps possible. En sachant que, si les sanctions sans dialogue ne conduisent qu'à l'affrontement, le dialogue sans sanctions n'est hélas que faiblesse.
Inutile de dire que ma priorité, mon plus grand espoir serait d'obtenir des sanctions robustes au Conseil de Sécurité des Nations Unies, une quatrième résolution. Je vais voir mes collègues des E3+3 à New York la semaine prochaine. Nous verrons. Mais l'heure tourne. Et nous ne pouvons pas nous permettre, vu le risque, d'exclure d'autres possibilités, y compris celle de sanctions supplémentaires de l'Union européenne. 
Au niveau national, le gouvernement français a demandé aux entreprises françaises de faire preuve de la plus grande retenue dans leurs investissements en Iran, notamment dans le secteur des hydrocarbures. Il est ici important de préserver autant que possible une approche commune : soyons conscients que l'Iran sortirait vainqueur d'une division transatlantique. C'est pourquoi les propositions de loi en préparation au Congrès sur le désinvestissement me semblent particulièrement malvenues. Leur effet serait exactement contraire à ce que nous recherchons ensemble. 
Pour autant, nous n'entendons surtout pas renoncer au dialogue. La porte reste ouverte. Jour après jour, nous devons expliquer au régime iranien que sa politique actuelle ne peut le mener qu'à l'isolement, à l'insécurité et à la stagnation économique. Que s'il peut saisir l'opportunité qui lui est offerte par la communauté internationale, l'Iran et son peuple auront la chance de trouver la place qui leur revient dans la région et au sein de la communauté internationale, qui soit conforme à la grandeur de leur histoire, à leur civilisation unique, et à leur potentiel. Et que, dans ce cas, la jeunesse iranienne pourra profiter de l'avenir qu'elle mérite. 
Pour résumer, nous ne ménagerons pas nos efforts pour échapper à la terrible alternative énoncée par le Président Sarkozy : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran. Nous ferons tout pour cela.
Après le dossier iranien, je voudrais évoquer le processus de paix israélo-palestinien. J'étais dans la région la semaine dernière. Sur place, j'ai pu prendre la mesure de l'urgence d'ouvrir un horizon politique, en même temps que de la détermination du Premier ministre Ehud Olmert et du président Abou Mazen, à avancer, malgré leur situation politique fragile... ou peut-être devrais-je dire à cause de cette fragilité, tant ils sont conscients du gouffre qui s'ouvrira sous leurs pieds si la situation reste bloquée.
Nous savons qu'un consensus est aujourd'hui possible sur le point d'arrivée, fondé sur la formule des deux Etats, avec des paramètres identifiés c'est à dire, essentiellement, les paramètres Clinton. Il y a donc une lueur d'espoir au bout du tunnel. Reste à savoir comment reconstruire le tunnel, pour reprendre la formule de mon ami Shimon Pérès.
En effet, ?? tout moment le processus de paix court le risque d'être l'otage de la violence et des radicaux, avec une cause palestinienne instrumentalisée par des manipulations extérieures. A Gaza, le Hamas a pris la place du Fatah par la force : si nous voulons éviter que le Hamas soit un jour remplacé par un mouvement plus radical, comme Al Qaïda, aidons Israël et l'Autorité palestinienne à saisir le moment et à aller de l'avant. 
Il y a donc urgence à isoler le conflit israélo-palestinien du tourbillon des crises régionales, à couper les liens qui se sont tissés ces derniers mois entre Téhéran et Gaza. Il ne s'agit pas uniquement d'un impératif de justice pour un peuple, mais aussi de sécurité pour tous les peuples qui refusent la violence et l'extrémisme.
La conférence internationale prévue en novembre prochain ici aux Etats-Unis marquera je l'espère une étape décisive, avec un calendrier engageant. La France est prête à apporter tout son concours à cette initiative américaine. Avec l'espoir qui renaîtrait en Palestine, c'est l'ensemble du camp de la paix, dans les monarchies du Golfe, en Jordanie et en Egypte qui se trouverait renforcé. Cela ne veut pas dire que nous devons abandonner la population de Gaza, qui a le soutien de la France et de l'Europe, pas du tout. Nous ne devons pas les laisser seuls sans soutien, sans assistance ni espoir. 
Je voudrais vous parler également du Liban, où nos deux pays partagent le même objectif, et travaillent ensemble pour y parvenir : des élections présidentielles dans le respect de la constitution. Où nos deux pays ne se laisseront pas détourner de cet objectif par une violence abominable qui hier encore a entraîné la disparition d'une autre personnalité politique qui avait choisi la voix du dialogue, et que j'avais accueillie personnellement à Paris, à la Celle Saint-Cloud. Antoine Ghanem est mort dans cet attentat, avec quatre autres Libanais. Voilà comment ils sapent le processus de paix. 
Je pourrais aussi vous parler de l'Irak, où j'ai passé trois jours le mois dernier. Et je pourrais vous parler de l'Afghanistan, où nos deux pays travaillent ensemble sur le terrain. Mais je préfère garder ces sujets pour notre discussion et profiter du temps qu'il me reste pour élargir la perspective et en revenir à mon point de départ : la relation fructueuse et complexe qui unit nos pays.
Mesdames et Messieurs, je le disais en commençant : nous avons tendance à débattre de la relation transatlantique comme si nous étions coupés du monde. Or, le monde bouillonne autour de nous. Des puissances émergentes s'affirment, des visions révisionnistes de l'ordre actuel se font jour. La vraie question c'est comment joindre nos efforts pour peser sur le monde dans un sens conforme à nos intérêts et à nos valeurs. C'est là qu'il faut chercher les signes de cette amitié renouvelée que j'évoquais tout à l'heure.
Nous devons ici introduire la dimension européenne. La France est de retour en Europe. Nous comptons nous investir pleinement dans l'intégration européenne. C'est la vocation de la France et son horizon, en particulier dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008.
Faire de l'Union un acteur global sur la scène internationale sera au coeur de nos priorités. Peut-être le savez-vous déjà. Cela signifie développer la Politique européenne de sécurité et de défense. Je pense plus largement à l'exercice de révision de la Stratégie européenne de sécurité approuvée par le Conseil européen en décembre 2003 et que nous allons engager, si nos partenaires européens en sont d'accord.
Bien sûr, ce document n'est pas comparable à la stratégie de sécurité d'un Etat nation comme les Etats-Unis ou la France. Mais il constitue le début d'un corps de doctrine pour la politique étrangère de l'Union européenne et contribuera à créer une culture commune de sécurité. 
Faut-il encore le répéter ? Une montée en puissance de l'Europe n'est en rien incompatible avec la relation transatlantique. Toutes deux, au contraire, se renforcent et se complètent. Autant que les Européens eux-mêmes, les Américains ont besoin - et personne n'en doute ici - d'une Europe forte. 
L'Europe, comprenez-le bien, a une vocation évidente à renforcer son unité politique et militaire. Première puissance économique du monde, son poids stratégique reste faible. Pour défendre nos valeurs et nos intérêts, nous avons besoin de créer une défense européenne crédible. Ce qui est en jeu, c'est tout simplement une certaine idée de l'Europe. 
Nous n'empêcherons pas certains, ici ou en Europe, de croire que cette entreprise est bâtie en opposition à la puissance américaine. Cela n'aurait pas de sens. 
Comme pour le marché unique il y a quinze ans, comme pour l'euro il y a moins de dix ans, l'Amérique est passée à propos de la défense européenne de l'hostilité au scepticisme, puis du scepticisme à l'acceptation - la prochaine étape doit être le soutien. 
Grâce à cela, nous, les Européens, sommes aujourd'hui les seuls, parmi vos alliés, à disposer d'une capacité de projection de stabilité à l'extérieur, par une combinaison de moyens, qu'ils soient financiers et commerciaux, positifs (l'aide au développement, l'assistance économique) ou négatifs (les sanctions), ou encore, bien-sûr, les outils diplomatique et militaire. 
En ce moment même, nous sommes en train de préparer une mission militaire européenne autonome dans l'Est du Tchad et dans le Nord-Est de la République de Centrafrique, pour répondre à l'appel des Nations unies et traiter la crise du Darfour dans toutes ses composantes. 
Parmi les leviers dont dispose l'Europe, n'oublions pas l'influence et l'attraction qu'elle exerce sur son voisinage. Grâce à la réussite de notre intégration et grâce à notre volonté politique commune, nous sommes aujourd'hui en mesure, bien plus qu'il y a une dizaine d'années, d'agir sur notre environnement immédiat.
Je voudrais ici dire un mot du Kosovo.
Là aussi, nos visions convergent, même si notre point de vue est naturellement plus aigu, car le Kosovo est à nos portes. Il l'est au sens géographique, mais il l'est surtout au sens politique du terme. Le Kosovo est en Europe. La perspective européenne des Balkans a été réaffirmée au sommet de Zagreb en 2000, sous présidence française, puis au Conseil européen de Thessalonique. C'est pour ces deux raisons, géographique et politique, que le Kosovo est d'abord une question européenne.
Il y avait des risques à maintenir le statu quo ; il y en avait aussi à agir. Ensemble, en soutenant les conclusions du plan Ahtisaari et le principe d'une indépendance supervisée du Kosovo, nous avons considéré que le premier point l'emportait sur le second. A notre initiative, le Groupe de contact et la Troïka poursuivent actuellement leurs efforts pour renouer le dialogue entre Serbes, Albanais, et Kosovars.
Je voudrais dire ici combien nous comptons sur l'appui des Etats-Unis à une solution européenne. L'enjeu, je le répète, c'est pour les Européens, leur crédibilité à stabiliser leur environnement, et notre identité dans une Union ouverte aux Balkans. Il est donc essentiel que nous restions unis si nous voulons éviter que ne se reproduisent les terribles dérapages du passé. 
La politique extérieure de l'Union européenne est née dans les Balkans, elle ne doit pas périr dans les Balkans.
Vous, Américains, avez tout à gagner au développement de la politique européenne de sécurité et de défense. Nous avons bien conscience que vous ne pouvez pas, que vous ne souhaitez pas intervenir partout dans le monde, à chaque nouvelle crise. Il est donc de votre intérêt que nous puissions le faire. Je ne vois pas de situation dans laquelle nous agirions de façon contradictoire avec vos intérêts ou avec ceux de l'OTAN.
L'OTAN qui reste un pilier de notre politique de défense, au coeur de la relation transatlantique. 
L'OTAN qui, c'est vrai, fait l'objet de discussions en France, s'agissant de notre relation avec l'organisation et de notre place en son sein. 
N'exagérons pas cependant l'enjeu concret qui s'attache à ces discussions. Beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Notre place à l'OTAN, notre rôle au service des objectifs poursuivis en commun, nous les tenons déjà par notre contribution, tant financière qu'opérationnelle. Nous avons été constamment présents, pendant l'opération aérienne au Kosovo en 1999 à laquelle nous étions le premier contributeur aérien, puis au sein de la KFOR, force que nous commandons aujourd'hui, et en Afghanistan depuis la mise en place de la FIAS. 
Mais soyons clairs : ce n'est que dans le cadre du renforcement de la défense européenne que nous examinerons comment notre place au sein de l'OTAN pourrait évoluer. Deux Livres blancs sont en préparation en France, l'un sur la défense et la sécurité, l'autre sur la politique étrangère et européenne. Le débat sur l'OTAN sera mené calmement, avec sérieux et exhaustivité, sans tabou ni précipitation, en y associant les parlementaires et l'opinion publique française. 
Dans cet esprit, il importe aussi de renforcer le contenu stratégique de la relation bilatérale entre l'Union européenne et les Etats-Unis. On voit bien aujourd'hui, face au terrorisme et aux crises de prolifération, la vraie raison d'être de cette relation. Le CSIS avait vu juste lorsqu'il a lancé, en 2004, un dialogue transatlantique de haut niveau sur le terrorisme. Renforçons et élargissons ce dialogue, tout en replaçant notre coopération opérationnelle au jour le jour dans une approche stratégique plus large.
Un tel dialogue stratégique viendra enrichir la relation transatlantique et compléter ce que nous faisons à l'OTAN, sans bien-sûr s'y substituer. Tout le monde y gagnerait.
Mesdames et Messieurs, après cette rapide évocation de quelques-unes unes des crises qui menacent notre monde, après ces quelques considérations sur l'Union européenne et nos liens avec les Etats-Unis, je voudrais pour finir vous parler des défis globaux qui touchent à l'ordre du monde. Car je crois qu'il y a là, aussi, bon nombre des clés qui détermineront la nature et l'ambition des relations transatlantiques.
Je commencerai par un sujet sur lequel nous voulons, vous le savez, "discuter" avec les Etats-Unis de manière constructive. Le réchauffement climatique est un sujet qui tient au coeur des Européens et de nombreux peuples à travers la planète.
Le président Sarkozy l'a rappelé dès le soir de son élection. Une grande nation comme les Etats-Unis a le devoir de ne pas faire obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique, qui est l'un des enjeux majeurs de notre siècle. Une grande nation comme les Etats-Unis a, au contraire, le devoir de prendre la tête de ce combat, parce qu'il détermine le sort de l'humanité tout entière.
C'est pourquoi nous tenons à vous rappeler à vos responsabilités, à souligner que la lutte contre l'émission des gaz à effets de serre et l'investissement dans les énergies renouvelables ne se feront pas sans Washington. La conférence que vous accueillerez la semaine prochaine à Washington est un premier pas dans cette direction. La communauté internationale tout entière réclame votre engagement dans ce combat qui est l'un des plus déterminants de notre époque. Le monde a besoin de vous. Comme souvent par le passé, je ne doute pas que vous finirez par l'entendre.
Mesdames et Messieurs, toutes ces questions nous renvoient aux principes qui doivent guider l'ordre mondial, cet ordre que les Etats-Unis et l'Europe entendent rénover. 
L'environnement international est aujourd'hui façonné par deux séries de forces.
D'un côté, il y a la logique de la mondialisation, avec ses réseaux qui fabriquent de l'interdépendance, mutualisent les opportunités, les risques et les crises. Il y a l'émergence d'acteurs nouveaux, la montée en puissance d'une conscience politique transnationale avec tout ce qu'elle implique de possibilités pacifistes ou belliqueuses.
De l'autre, il y a la logique de la géopolitique et le retour ces dernières années des politiques de puissance : il semble que chaque semaine la Russie annonce un nouveau système d'armes, et nous n'avons pas encore tiré toutes les implications pour notre sécurité de l'essai antisatellite chinois du 11 janvier dernier. 
Alors, quelles règles du jeu mettre en place pour faire face à ces évolutions ? Après la Seconde Guerre mondiale, nous avions ensemble réussi à configurer le monde en environ dix ans, entre 1945 et 1955. Ce fut la mise en place du système multilatéral autour de l'ONU, la création des blocs, les débuts de la construction européenne, les alliances - OTAN, Pacte de Varsovie.
Les bouleversements entamés dans les années 1989-1990 ont remis en cause la plupart de ces constructions. Mais nous n'avons pas encore réussi, comme après 1945, à créer un nouvel ordre international, ni même à adapter de manière satisfaisante le précédent. 
C'est là que nous avons entre nos mains une responsabilité majeure : faire en sorte que la multipolarité de fait favorise la stabilité, ce qui est loin d'être acquis. Pour cela, il s'agira surtout de la transformer en un multilatéralisme efficace, dans lequel nos grands partenaires -la Russie, la Chine et les grands pays émergents comme le Brésil, l'Inde, l'Afrique du sud -assumeraient leur part de responsabilité. 
Travailler à donner du sens au monde d'aujourd'hui, c'est nous projeter dans celui de demain. Serons-nous capables de développer et d'inscrire dans la réalité une vision commune ? J'en suis sûr. C'est l'une des clés de la paix. 
Les Etats-Unis et l'Union européenne sont aujourd'hui les deux acteurs mondiaux qui travaillent ensemble à un monde meilleur, plus juste et plus sûr. Un monde dans lequel nos enfants et nos petits-enfants seront heureux de grandir. 
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2007