Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à France-Inter le 10 septembre 2007, sur les régimes de retraite, le pouvoir d'achat et le marché de l'emploi.

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Média : France Inter

Texte intégral

 
 
 
N. Demorand.- F. Chérèque, bonjour à vous et bienvenue chez nous. "Le décret réformant les régimes spéciaux de retraite est prêt, a déclaré le Premier ministre F. Fillon hier ; c'est le Président qui déterminera le moment opportun pour mettre les choses en oeuvre". Votre réaction a une accélération visiblement du calendrier.
 
R.- Oui. Sur ce sujet il faut être clair : la CFDT est favorable de discuter d'une évolution du régime de retraite des régimes spéciaux. Pour une raison simple : si on ne fait pas évoluer ces régimes, ils seront en faillite et les retraites des personnels ne seront pas versées. D'ailleurs, les cheminots CFDT l'ont dit également. Mais si le Gouvernement a déjà tout décidé et a décidé de passer en force, il y aura un conflit majeur y compris avec la CFDT. On ne pourra pas accepter qu'une telle réforme se fasse sans dialogue et sans concertation.
 
Q.- Vous redoutez cette perspective ?
 
R.- A écouter le Premier ministre, on peut la redouter. Mais quand on écoute le Premier ministre, il dit tout et tout son contraire : il dit "tout est prêt, j'attends le feu vert du Président et puis on négociera avec les syndicats". Donc, il faut vite qu'il précise sa pensée, qui est contradictoire avec ce que dit le ministre du Travail qui est en charge de ce sujet-là, où on nous dit : "rien n'est prêt, on va ouvrir le débat". Donc, je pense qu'il faut sortir de ces cacophonies et décider d'une méthode. Et le dialogue est la meilleure des méthodes.
 
Q.- Mais qui est votre interlocuteur sur ce sujet ?
 
R.- Normalement, c'est le ministre du Travail Monsieur Bertrand.
 
Q.- Et lui vous a dit donc que rien n'était prêt ?
 
R.- Je l'ai vu la semaine dernière. Il m'a dit que les choses n'étaient pas décidées, qu'il réfléchissait sur la méthode, sur les délais et qu'il allait rencontrer les fédérations concernées, et en particulier les entreprises publiques concernées, mais il n'a rien dit sur le fond. Donc, je pense qu'il faut éclaircir très vite la méthode du Gouvernement et savoir comment on fait. Mais je le répète, il faut être clair, nous sommes prêts à en débattre mais si les choses se font d'une façon autoritaire, il y aura conflit, y compris, avec la CFDT.
 
Q.- Certains syndicats parlent aujourd'hui, d'une déclaration de guerre. Vous reprenez cette rhétorique à votre compte ?
 
R.- Non. Les régimes spéciaux ce n'est pas la guerre. Je crois qu'on a des réflexes pavloviens dans notre pays : on a un Gouvernement qui visiblement a dit difficultés avec le dialogue social...
 
Q.- Il ne fait que cela pourtant ! Vous êtes convoqués tous les matins quasiment, pour ouvrir une conférence.
 
R.- Je suis d'accord avec vous, mais on est convoqués. Mais, on le voit bien par exemple dans la négociation que l'on entame avec le patronat sur le marché du travail : on a une pression terrible de la part du Président pour faire la fusion ANPE-UNEDIC, vite. Donc, il me semble que les délais de la négociation du social ne semblent pas être le rythme du politique actuellement. Donc, une difficulté habituelle dans notre pays avec le dialogue social, ce qui veut dire qu'on veut précipiter d'un côté, et puis parfois aussi des syndicats qui ne pensent aussi que vouloir en découdre. Je pense que la meilleure façon de faire c'est d'ouvrir le dialogue sur ces sujets-là. Mais, je le dis bien pour une raison essentielle : pour financer ces régimes, il faut aussi les faire évoluer, sinon les premières victimes ce seront les agents des services publics eux-mêmes.
 
Q.- Le verbe est important, F. Chérèque, vous dites "faire évoluer". J'ai plutôt le sentiment que le Gouvernement dit supprimer les régimes spéciaux.
 
R.- Mais, on ne peut pas supprimer des régimes qui ont été faits dans l'histoire en fonction de l'organisation des entreprises. Tout est lié dans certaines entreprises à ces régimes : le déroulement de carrière, l'évolution professionnelle, la gestion des effectifs... Tout est lié au régime. Donc, si vous supprimez le régime, vous mettez le management de l'entreprise à terre. Donc, c'est un débat beaucoup plus profond. On ne fait pas cela dans un claquement de doigts, on fait cela dans une évolution et aussi dans un objectif. Quelle est la vision de l'état de ces entreprises-là et bien évidemment de l'organisation du travail ? Ces sujets là sont liés. Donc, on ne peut pas faire cela de façon précipitée.
 
Q.- L'argument qui consiste à dire que ces régimes sont inéquitables vous séduit-il ?
 
R.- Je pense qu'il y a deux sujets. Effectivement, il y a un sujet d'équité, et on en a débattu au Congrès de la CFDT, on a un mandat d'harmonisation des régimes, parce qu'il y a un lien de financement entre tous ces régimes. Mais, il y a aussi un problème, et c'est le problème central d'avenir. Quand on a moins de contributeurs que de retraités, inévitablement le régime est en déficit. Donc, il faut trouver des solutions. Je pense que demain, les agents des services publics, qui ne sont pas je le rappelle que des cheminots ; il faut arrêter de se fixer sur une entreprise, parce que là on a l'impression qu'on est dans une démarche de vengeance, lesquelles ? On ne sait pas. Toutes les entreprises publiques dans cette situation là, c'est l'avenir. Les agents des services publics veulent toucher leur retraite demain. Donc, ils seront à même de comprendre l'évolution.
 
Q.- P. Devedjian dit ce matin, UMP, qu'il ne craint pas la réaction de la rue. Vous F. Chérèque ?
 
R.- Là, je parlais de réflexe pavlovien, c'est qu'on n'en n'est déjà à se battre avant d'avoir commencé à discuter. Alors que Monsieur Devedjian a voté, puisqu'il est député, une loi sur l'anticipation des conflits, alors on fait voté une loi sur l'anticipation de conflits, et puis on dit : on retrousse nos manches et on va à la bagarre dans la rue. Il faut être sérieux. Quand est-ce que la France commencera à sérieusement aborder le dialogue social d'une façon saine ? En tout cas, je pense que la CFDT est un syndicat qui peut aller vers ce dialogue. Mais s'il n'y a pas dialogue, il y aura donc conflit, évidemment.
 
Q.- Encore une question sur les retraites, sachant qu'il y en a énormément sur le sujet ce matin au standard de France Inter. Est-ce que vous pensez que c'est l'étape un d'une réforme plus vaste cette remise à plat des régimes spéciaux ?
 
R.- Je suis incapable de le dire. Parce qu'on n'a pas de visibilité. Ce que l'on dit à la CFDT, depuis longtemps, on ne peut pas faire de copié-collé. C'est-à-dire on ne peut pas prendre un exemple et coller tout le monde sur le même système. Parce que, je le répète, le niveau des salaires, le fonctionnement des carrières, l'organisation du travail n'est pas la même. Donc, il faut tenir compte des spécificités des uns et des autres avec je pense des objectifs communs, qui sont les objectifs, effectivement, d'équité.
 
Q.- Mais vous pensez que la méthode mise en place, très rapide, effectivement, d'ouverture de chantiers quasi quotidiens sur les salaires, le pouvoir d'achat, la réforme du contrat de travail, est-ce que tout cela c'est une bonne méthode ?
 
R.- Je pense qu'on est en train de confondre volontarisme et activisme. On veut donner l'impression qu'on est actif sur tout, et on en fait trop. Et je me demande à quoi est due cette précipitation ? C'est-à-dire donner l'impression aux Français qu'on aborde tout en même temps et qu'on trouvera des solutions à tout. Est-ce que cela veut cacher une certaine difficulté, et on le voit bien au niveau économique, où on sait qu'on n'aura pas certains résultats, où on a déjà brûlé certaines cartouches financières sur le budget de l'Etat, je pense aux all??gements d'impôts. On ne voit pas toujours la cohérence et le sens de ces évolutions. Donc, là, il me semble que le président de la République doit replacer un discours de cohérence sur ces différents chantiers, je crois que c'est important.
 
Q.- C'est lui votre interlocuteur ?
 
R.- C'est visible que le fonctionnement de l'Etat a changé et que le président de la République est plus présent. Mais cela je n'ai pas à juger cette démarche-là.
 
Q.- Vendredi dernier, a démarré, F. Chérèque, votre première rencontre. Cela va durée quatre mois de modernisation du marché de l'emploi, réunions entre les partenaires sociaux. Un mot de l'atmosphère. Elle était bonne, constructive ?
 
R.- L'atmosphère était très bonne et très constructive : c'est-à-dire qu'on s'est mis d'accord, j'y étais pas mais les négociateurs, très rapidement sur une méthode de travail. La négociation va commencer sur les jeunes et l'accès à l'emploi des jeunes, qui, inévitablement, débouchera sur une réflexion sur les types de contrats qui sont mis en oeuvre pour embaucher ces jeunes.
 
Q.- Tout est sur la table, rien de tabou ?
 
R.- Pour le moment, tout est sur la table. Je répète, c'est la sortie du système scolaire et l'accès à l'emploi, le type de contrat, le déroulement des carrières, la situation en cas rupture, et la rupture du contrat de travail, et la fin de carrière avant de partir à la retraite. Donc, il me semble qu'il y a beaucoup de sujets, c'est une négociation historique. C'est la première fois que les partenaires sociaux utilisent, je dirais, leur droit à négocier dans un sujet aussi vaste, et qui a tant d'importance pour les salariés.
 
Q.- Modernisation du marché de l'emploi. Est-ce qu'il est obsolète ce marché en France ?
 
R.- Quand, on regarde la réalité, on se rend compte que ce code du travail qui est soit disant hyper protecteur pour les salariés, il provoque une précarité de plus en plus grandissante. Aujourd'hui, 70 % des embauches se font à contrat à durée déterminée. Donc, on voit bien que d'un côté on a les salariés qui ont commencé à avoir de l'ancienneté qui sont protégés dans les entreprises, et puis ceux qui sont à l'extérieur qui veulent y rentrer, en particulier les jeunes, qui eux doivent passer par un, deux, trois, quatre contrats à durée déterminée. Donc, pourquoi cette situation ? Et comment on peut faire en sorte que les salariés soient plus protégés, et bien évidemment, éventuellement, voir quelle est la situation des entreprises dans l'économie face à cette situation du marché du travail.
 
Q.- Dernière question : comment sentez-vous, F. Chérèque, je dirais l'état psychologique et moral du pays ?
 
R.- Il y a une tension. Il y a des tensions parce qu'on voit bien que l'économie n'est pas favorable. Ce qui c'est passé cet été, même si les gens ne sont pas directement concernés-je pense aux problèmes boursiers aux Etats-Unis- amène une tension. Et on voit bien que la France est à l'aube de décisions importantes pour relancer la machine, mais on ne les voit pas ces décisions. Donc, bien évidemment, on voit ce qu'on a aujourd'hui, on ne voit pas ce qu'on va nous proposer demain. Donc, il y a de l'inquiétude.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2007