Texte intégral
Q- F. Chérèque, bonjour... Nous allons d'abord regarder ensemble l'actualité : la TVA sociale elle reste sur l'étagère, si j'ai bien compris. Est-ce une bonne chose ?
R- Pour la CFDT, c'est une bonne chose, parce que le principe de la TVA sociale pèse plus sur les bas revenus. Quand vous avez le SMIC, par exemple, vous dépensez beaucoup plus d'argent en consommation, pour manger, pour vous habiller, et la TVA pèse beaucoup plus fort parce que quand vous avez un haut revenu, vous pouvez épargner, acheter une maison, et là, il n'y a pas de TVA. Donc, on voit bien que cela désavantage les plus modestes. Donc, il vaut mieux pour le moment laisser de côté.
Q- Parlons rugby, un instant. Je sais que vous avez joué, et vous avez même joué un match d'ouverture avant France-Galles, un match de tournois.
R- Je n'étais pas bien grand. J'avais bien la même taille mais j'étais plus jeune. C'était en Cadets, un match France-Galles.
Q- Est-ce que vous avez vu les déclarations de G. Roux qui dit : "on utilise les stades de foot pour des matchs de rugby qui ne sont pas des matchs, pour faire jouer l'équipe des postiers et des avocats portugais. Si c'était du foot, ça ferait 25 à zéro. Avec le rugby, on est dans le politiquement correct". Est-ce qu'il aurait dû se taire ?
R- Oui, je pense que c'est inutile de faire ces déclarations. En plus, je pense que c'est bien que des équipes qui sont dits mineurs dans le niveau du concert mondial puissent participer à une fête et puis relever le niveau du rugby. Le rugby c'était quand même un sport qui était réservé à une certaine élite, à une époque. Et si on veut démocratiser le rugby, comme ça a été fait dans d'autres sports, il faut aussi que d'autres populations puissent y jouer. C'est la raison pour laquelle je pense que c'est bien. Hier soir, la Georgie, eh bien c'était fantastique.
Q- C'est vrai, hier soir, c'était fantastique. La lettre de G. Môquet, lue quelques heures avant le match contre l'Argentine, c'était utile, franchement ? Franchement !
R- Je ne pense pas que ce soit utile. Ce qui m'a posé plus une interrogation, c'est l'utilisation de cette lettre à des moments qui ne sont pas utiles. Le rugby ce n'est pas la guerre, donc quand on rentre sur un terrain de rugby, on ne compare pas un match de rugby à un jeune qui va être exécuté. Et donc je ne pense que ce n'était pas le bon moment.
Q- Les régimes spéciaux de retraite, voilà une mesure populaire, vous êtes d'accord ? Elle est populaire ou pas ?
R- Il est évident qu'on voit les sondages, que les Français attendent une réforme de ces régimes-là.
Q- Donc, il faut une réforme.
R- Il faut une réforme, pour deux raisons. Un, pour une question de sauvegarde de ces régimes, parce qu'ils sont en total déficit. Deuxièmement, pour une question aussi d'équité. Mais il faut tout mettre sur la table. On ne peut pas se donner... D'une part, on ne peut pas faire haro sur une entreprise publique. On est en train de nous faire croire que c'est une entreprise publique uniquement : on crie beaucoup sur la SNCF. C'est d'autres entreprises publiques, c'est d'autres professions ; il y a les marins, il y a les notaires, il y a d'autres professions libérales. Il y a les députés !
Q- Mais c'est indigne qu'il y ait en France des régimes spéciaux de retraite ? Est-ce indigne ou pas ? C'est N. Sarkozy qui a employé le mot hier. Est-ce que c'est indigne ou pas ?
R- Non, ce n'est pas indigne, parce que là on est en train de monter les Français les uns contre les autres.
Q- Est-ce à dire que le président de la République est en train de monter les Français les uns contre les autres ?
R- Là, hier, c'était un petit peu ça. On s'adresse aux agriculteurs...
Q- C'est un petit peu ça, ou c'est ça ?
R- Hier, globalement, on explique aux agriculteurs - certains ont des retraites de 400, 500 euros : "On va régler votre problème aussi parce qu'on va régler le problème des autres". Or il ne faut pas faire croire aux Français qu'en faisant évoluer les régimes spéciaux de retraite on va régler le problème des basses pensions. Cela n'a rien à voir, parce que les systèmes financiers ne sont pas les mêmes, mais surtout l'enjeu financier n'est pas le même. Donc, je crois qu'il faut faire évoluer les régimes de retraite, tous les régimes de retraite, simplement pour des raisons d'équité et d'avenir de notre régime par répartition. Autrement ce sont nos enfants qui vont payer ; mais faisons pas croire qu'on fait cela, en quelque sorte qu'on sanctionne une profession, de faire plaisir aux autres pour régler le problème des autres ; non c'est faux.
Q- Alors, que faire ? On intègre les primes dans le calcul de la retraite, par exemple ?
R- Il faut tout mettre sur la table. Parce qu'effectivement, on regarde l'âge de départ. C'est vrai que là, on peut estimer qu'il y a des problèmes. Il faut regarder le niveau des pensions. Dans le système privé, le niveau moyen des pensions par rapport au salaire de référence, c'est à peu près 74 %. A la SNCF, c'est entre 61, 62, 63 %. Il y a 10 % d'écart du niveau des retraites. Donc, on ne peut pas regarder ce problème-là sans regarder l'ensemble. Alors, pourquoi 10 % d'écart ? Parce que d'une part les carrières sont courtes, c'est une évidence ; deuxièmement, parce que les salaires sont plus bas, puis ensuite, il y a une grosse partie des primes, pour certains, qui ne sont pas incluses dans le calcul des retraites. C'était le cas des fonctionnaires. Les fonctionnaires, on a inclus une partie des primes dans le calcul. Mais tout cela a un coût. Donc, je pense qu'il faut cesser de dire : il n'y a qu'un problème à voir. Il faut prendre l'ensemble. Et puis, il y a des travaux pénibles. Il faut aborder, comme vous l'avez fait ce matin sur RMC, aborder le problème de la pénibilité au travail qui existe aussi dans ces entreprises. Mais poser le problème de la pénibilité au travail pour tous ceux, du public comme du privé, qui ont une durée d'espérance de vie plus faible, parce qu'ils ont un certain travail. Il y a 8 ans d'écart entre l'espérance de vie d'un cadre et d'un ouvrier à la chaîne. Donc, il faut aussi régler le problème-là.
Q- Vous avez promis un conflit majeur si cette réforme se faisait sans dialogue et sans concertation. Vous attendez quoi ? Et qu'est-ce que vous dites ce matin au Premier ministre et surtout au président de la République ?
R- Je dis que l'évolution des régimes de retraite est nécessaire, pour des raisons évidentes de démographie et d'équilibre financier et d'équité. Cela doit se faire par la négociation, dans les entreprises publiques, et qu'il faut tenir compte en particulier de ces professions.
Q- Il faut tenir compte du calendrier prévu ?
R- Il faut faire un calendrier.
Q- On ne fait pas ça avant ?
R- On peut commencer à discuter maintenant des régimes spéciaux...
Q- On est prêt à discuter maintenant des régimes spéciaux de retraite ?
R- Attendez ! Je ne vois pas la différence de discuter maintenant et de discuter après. De toute façon il faut en discuter.
Q- Donc, vous dites : engageons la discussion ?
R- Bien évidemment. Je souhaite que le 18 septembre, quand le Président, paraît-il, va parler, un, qu'il ne caricature pas les systèmes, qu'il ne monte pas les salariés les uns contre les autres, qu'il nous donne un calendrier et une méthode, c'est-à-dire la méthode de concertation, et en particulier les espaces de négociations dans les entreprises.
Q- Ce n'est pas la méthode Fillon, si j'ai bien compris ?
R- J'ai cru comprendre qu'il y avait dans l'expression de monsieur Fillon une volonté d'aller plus vite. Mais je pense qu'il est en train de se remettre sur ce calendrier-là.
Q- Vous pensez que ça a pu énerver le président de la République ?
Non ?
R- Joker.
Q- Joker, d'accord. Vous ave dîné avec la présidente du Medef lundi soir, en tête à tête. Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
R- Tout d'abord, cela me semble tout à fait normal que les responsables, les partenaires sociaux se rencontrent.
Q- Tout à fait.
R- On a parlé surtout d'une négociation qui est importante, qui est fondamentale pour l'avenir de l'organisation du travail : c'est celle sur le marché du travail, c'est-à-dire comment faisons-nous, par exemple, pour que les jeunes aient plus vite un emploi ? Comment traitons-nous le problème du licenciement et l'accompagnement des chômeurs ? On a trop de précarités qui se développent dans notre pays. A l'inverse de ce qu'on pense, le code du travail qui est soi disant hyper protecteur, il crée actuellement de la précarité : 70 % des embauches se font à contrat à durée déterminée. Donc, comment on amène de nouvelles protections pour les salariés ?
Q- Vous avez trois mois pour conclure.
R- On a jusqu'à la fin décembre. Cela fait quatre mois.
Q- Oui, jusqu'à fin décembre. Alors, je sais que vous êtes un ardent partisan de la sécurisation du parcours professionnel. C'est la position que vous défendez à la CFDT. Pour les chômeurs, pour les chercheurs d'emploi, vous faites aussi des propositions, vous dites : les périodes de chômage doivent devenir une chance de rebondir.
R- Bien évidemment. On a en France, lorsque quelqu'un est au chômage, souvent c'est l'exclusion. Donc, on a un problème d'accompagnement, on n'arrive pas à mettre en cohérence les emplois qui se libèrent avec les personnes qui sont au chômage. Mais derrière, on a un problème de formation. Un exemple : par exemple, quand vous êtes dans une entreprise, vous cotisez sur votre salaire à la formation continue. Eh bien, souvent, cette formation, si vous avez une qualification plus basse dans l'échelle hiérarchique, vous n'en profitez pratiquement pas. Mais au moment où vous êtes au chômage, que vous avez besoin de cette formation pour vous requalifier et trouver un emploi, vous n'avez plus droit à l'argent auquel vous avez cotisé, puisque vous n'êtes plus dans l'entreprise. Donc, nous on souhaite que le salarié quand il quitte l'entreprise, il garde son bénéfice à la formation, pour profiter d'une formation pour retrouver plus vite un emploi. C'est une des propositions que l'on fait.
Q- Est-ce qu'il faut accélérer la chasse aux salariés fraudeurs ?
R- Là, je pense qu'il faut mettre les choses au point. Le président de la République nous a parlé d'un grand plan de chasse aux fraudeurs. La fraude, il faut condamner, c'est quelques petits réseaux mafieux qui détournent l'argent de l'Unedic. Cela représente en 2006 49 millions d'euros. L'Unedic en a déjà récupéré 26 millions, donc il reste à peu près 19 millions d'euros à récupérer, sur 24 milliards d'euros d'indemnisations ! Donc, c'est peu. Donc, il faut distinguer ces réseaux mafieux, qui utilisent l'Unedic pour se faire de l'argent, du chômeur qui soit disant frauderait l'Unedic. Il y a des sanctions, il y en a quelques milliers par an, mais c'est... Le problème du chômeur, c'est de retrouver un emploi. Il faut arrêter de penser que le chômeur, systématiquement, fraude l'Unedic. Non, c'est marginal. L'Unedic met des moyens pour contrôler ces problèmes-là, et je pense qu'on est en capacité de régler le problème.
Q- Je rappelle que la CFDT préside l'Unedic.
R- En particulier, oui.
Q- En particulier, en ce moment.
[2ème partie]
Q- Je reviens quand même sur les régimes spéciaux de retraite, la réforme, vous êtes pour une réforme, vous l'avez dit. Vous savez bien qu'aujourd'hui, dans la rue, on ne fera pas plier le Gouvernement. Vous ne pouvez, vous, syndicats, faire descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes, franchement ? Ce n'est pas possible, si ?
R- D'une part, je précise, je suis pour une évolution.
Q- Une évolution, oui.
R- C'est important, parce qu'on va nous faire croire qu'au bout du compte, tout le monde aura le même régime, non ! On n'est pas dans les mêmes situations, on n'est pas dans les mêmes entreprises, on n'a pas la même carrière, on n'a pas le même régime de retraite.
Q- Donc, c'est là-dessus qu'il faut...
R- Donc, il faut évoluer vers plus d'équité, et cela doit passer par la négociation. Après ce rapport de forces...Il faut toujours se méfier de ce qui se passe. Il y a du mécontentement qui s'installe dans notre pays, c'est-à-dire qu'il y a une énorme attente, et on voit bien aujourd'hui, que les promesses qui ont été faites par le Gouvernement, y compris par le président de la République dans sa campagne électorale - "je vais pouvoir vous faire travailler plus pour gagner plus, je vais je vais aller chercher 1 point de croissance et je vais régler tous vos problèmes"... Il y a actuellement une difficulté économique ; je ne m'en réjouis pas, c'est un problème. Et il va y avoir, bien évidemment devant ces promesses, un risque de déception. On fait des conférences sur conférences, on en a quatre qui sont prévues...
Q- De tous les côtés, oui...
R- Donc, dans le cadre d'un conflit social, même s'il est circonscrit à une entreprise, il peut y avoir un élément de sympathie qui se développe dans la population, parce que les promesses qu'on a faites ne sont pas respectées. Donc, cela, c'est un élément qu'il ne faut pas oublier.
Q- Vous dites au président de la République : "Attention !" ?
R- Oui, parce que j'ai toujours remarqué dans mon expérience syndicale que, quand on veut faire deux ou trois choses en même temps, on a un risque de conflit important. A la SNCF, on fait trois choses en même temps : on dit qu'il faut régler le problème des régimes spéciaux ; on a un problème sur le fret ; on va supprimer des emplois (importants ?) ; on est en train d'expliquer aux cheminots que l'emploi peut disparaître. C'est une révolution culturelle.
Q- Combien d'emplois supprimés ?
R- On ne sait pas, justement l'angoisse est là, on ne sait pas ! On est en train
de réformer le dialogue social, et on sait très bien que ce n'est pas facile
dans une entreprise comme cela. On fait trois choses en même temps.
Attention, danger !
Q- Et le pouvoir d'achat ?
R- Et derrière, vous avez globalement le problème du pouvoir d'achat qui se pose dans toutes les entreprises, bien évidemment publiques, mais aussi dans le privé.
Q- On fait quoi ? On augmente les salaires, on fait quoi ? C'est facile à dire "on augmente les salaires", mais encore faut-il pouvoir !
R- Comme vous dites ! Encore faut-il pouvoir. Mais on a dit aux gens que ce serait quand même d'augmenter ce pouvoir d'achat en travaillant plus. Or, aujourd'hui, l'économie, et c'est ce que j'avais dit régulièrement, l'économie, si elle ne produit pas plus, elle ne produit pas d'heures supplémentaires, et il n'y a pas de travail en plus. Et puis, on sait très bien qu'il y a 70 % des salariés qui ne font pas d'heures supplémentaires. Donc, je dis...
Q- Que fait-on ? Comment revaloriser les traitements des fonctionnaires alors que l'Etat est de plus en plus endetté, alors que la croissance est molle, alors que les entreprises dans le privé éprouvent les pires difficultés. Alors, comment faire ?
R- Les fonctionnaires, déjà. On ne va pas faire croire aux fonctionnaires qu'en supprimant des emplois, on va augmenter les salaires, ce n'est pas du même niveau financier.
Q- Le "donnant-donnant", là, vous n'y croyez pas ?
R- Attendez ! Le donnant-donnant, il n'est pas possible ! Vous avez 23.000 postes supprimés, si la moitié c'est pour augmenter les fonctionnaires, il y a 5 millions de fonctionnaires, vous voyez bien qu'il y a une disproportion entre le nombre qui, en fait, est assez réduit par rapport au nombre de fonctionnaires, et la possibilité de les augmenter. Nous, ce que l'on souhaite, c'est que l'on se pose enfin la question dans notre pays : qu'attend-t-on de la fonction publique ? De quoi les Français ont-ils besoin, en termes de fonctionnaires ? Et ensuite, on définit le nombre de fonctionnaires dont on a besoin pour répondre aux missions et leur rémunération. Et faire en sorte qu'un fonctionnaire ne reste pas coincé toute sa vie dans le même emploi. C'est-à-dire qu'il ait la possibilité d'évoluer...
Q- Mobilité, évolution de carrière...
R- En changeant de fonction publique, éventuellement s'il le peut, aller dans le privé, mais en lui donnant la possibilité de revenir. On donne un peu d'air aux fonctionnaires pour qu'ils aient une carrière plus positive...
Q- On change la grille indiciaire aussi pour les traitements ?
R- Il faut donner de la souplesse aux statuts et faire en sorte que...
Q- Les primes au rendement aussi, on installe cela ?
R- Nous, on est pour. Mais tout cela, en fonction des objectifs qu'on a dans la fonction publique et qu'on donne de l'air aux statuts, de l'air aux fonctionnaires, pour qu'ils ne soient pas bloqués. Vous savez, parfois, vous avez des fonctionnaires qui, à 40 ans ou 45 ans, ont fini leur carrière ; ils sont au même salaire jusqu'à la fin. Ce n'est pas quand même acceptable pour eux. Et des fois on leur donne une prime parce qu'ils n'ont pas été augmentés depuis trois ans. Ce n'est pas dynamique, ce n'est pas très réjouissant, en termes d'intérêt au travail. Donc, il faut donner de l'air à tout cela, et faire en sorte qu'on puisse avoir des carrières plus dynamiques. Dans le privé, on a une conférence sur les revenus, nous on veut débattre...
Q- Qu'allez-vous dire ?
R- Il y a 25 milliards d'euros qui sont donnés aux entreprises en allégements
de charges. On parle de la TVA sociale pour alléger le coût du travail...
Q- C'est fini la TVA sociale...
R- Ecoutez ! On donne 25 milliards déjà aux entreprises. Donc, le débat c'est de dire : ces 25 milliards ne doivent-ils pas inciter les entreprises à faire plus de formation, à faire en sorte qu'il y ait des déroulements de carrière, et faire en sorte qu'eh bien il y ait du donnant-donnant aux entreprises ? Certes, on vous aide, mais il faut que ce soit plus dynamique, en particulier sur la formation et l'évolution de carrières des salariés.
[...]Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 septembre 2007