Texte intégral
F. Laborde.- ...Avec F. Chérèque, ce matin, nous allons évoquer les rendez-vous de cette semaine sociale, qui s'annonce chargée, à commencer par le discours que le président de la République doit prononcer cet après midi, où il évoquera peut-être le sort qu'il entend réserver aux régimes spéciaux. Bonjour F. Chérèque. Bonjour. Alors, justement, N. Sarkozy, vous a reçu ce week-end, à la Lanterne, qui est la résidence qu'il occupe - qui était la résidence du Premier ministre et qui est désormais celle du Chef de l'Etat - pendant les fins de semaines. Que vous a-t-il dit ?
R.- Il nous a surtout écoutés, enfin, j'espère qu'il va nous entendre sur la méthode, la méthode pour réformer les régimes spéciaux de retraite. Ce que je lui ai dit, c'est très simple : la CFDT a toujours pensé qu'il fallait faire évoluer les régimes de retraite, tout simplement pour, globalement, financer toutes nos retraites de demain, donc aussi les régimes spéciaux, mais que nous souhaitions que l'on négocie, entreprise par entreprise, ou régime par régime, et que l'on tienne compte de la réalité des entreprises et je pense en particulier à la réalité professionnelle, à la pénibilité qui est réelle pour certains des agents de ces entreprises, mais qu'on le fasse bien sûr dans ces entreprises, mais aussi dans le privé, parce qu'il y a aussi des emplois pénibles dans le privé.
Q.- Alors, l'idée c'est qu'on peut tout remettre à plat, c'est-à-dire tout le monde cotise de la même façon, au même titre, sauf certains postes bien particuliers, qui sont particulièrement pénibles ?
R.- Tout d'abord, il n'est pas question de faire la même chose partout. Pour des raisons simples : s'il y a des régimes différents, c'est que d'une part il y a des métiers différents, donc il faut tenir compte du contenu des métiers, je pense en particulier à la pénibilité, mais il y a aussi parce que l'on a un système de salaires, de rémunération, qui est différent. Le niveau de pension par exemple pour un cheminot est bien différent d'un niveau de pension de quelqu'un dans le privé, parce qu'elle est beaucoup plus basse. Donc, on ne peut pas revoir ces systèmes-là, sans revoir aussi ces problèmes-là et en particulier du niveau des retraites.
Q.- Mais on a entendu quelques témoignages, ici ou là, où on entendait une employée de la SNCF qui, sous couvert d'anonymat, disait : « Moi, franchement, je viens du privé, je travaille dans un bureau ; honnêtement, ce n'est pas très différent de ce que je faisais dans le privé ». On entend des conducteurs de train, à la retraite, qui vont dans une entreprise privée et qui disent : « Moi, j'ai 50 ans, je suis encore en forme et j'ai repris un boulot, ailleurs dans le privé, tout va bien, la vie est belle ».
R.- On a, là, la preuve que les choses doivent évoluer. Si cette personne dit : « ce n'est pas un métier pénible, à la SNCF », par contre, je suis sûr qu'il y a des salariés du privé, des maçons, des gens qui travaillent debout, à la chaîne...
Q.- Des caissières de supermarchés.
R.-... qui ont des métiers pénibles et qui ont une espérance de vie plus faible, du fait de ces métiers-là.
Q.- C'est ça qu'il faut regarder, l'espérance de vie, par catégorie ?
R.- Il me semble que c'est le critère le plus juste. On sait, globalement, par profession, par grand secteur de professions, ceux qui ont une espérance de vie plus ou moins longue, en fonction de leur situation professionnelle. Donc il faut l'intégrer. Pour l'histoire du conducteur de train qui retravaille après 50 ans, mais là, on est face au problème qui est le leur, c'est-à-dire, ils ont un niveau de pension faible, parce qu'ils ont un niveau de salaire qui est plus bas, qui fait qu'ils ne peuvent pas vivre à 50 ans, pour certains, lorsqu'ils ont les études à payer, lorsqu'ils ont la maison à payer. Donc il faut aussi tenir compte de ces problèmes-là.
Q.- Et parfois ils sont aussi en pleine forme. A 50 ans on n'est pas forcément fatigué, en chaise longue.
R.- Ces sujets-là sont à regarder, je le dis bien, en regardant les problèmes de la pénibilité, en regardant les problèmes de déroulement de carrière et de niveau de retraite. C'est la raison pour laquelle on veut, profession par profession... on a des régimes, je pense... on parle beaucoup des marins, les marins ils ont des métiers pénibles, personne ne le conteste... Oui. Donc, on ne va pas régler le problème des marins...
Q.- C'est sûrement plus pénible d'être marin, en effet, que de travailler dans un bureau à la SNCF.
R.- On ne va pas régler le problème des marins, de la même façon que le problème de la secrétaire, effectivement, d'une grande entreprise publique.
Q.- Rappelons que les régimes spéciaux, c'est 6 milliards d'euros par an. Il y a 1.100.000 retraités, c'est ça ?
R.- Oui.
Q.- Ça coûte cher à la collectivité, c'est quand même ça le problème.
R.- Toutes les retraites coûtent cher à la collectivité. Mais on a dans ces entreprises, parce qu'il y a eu des évolutions, moins de cotisants que de retraités. Donc ils ne peuvent plus, eux-mêmes, tout seuls, assumer ce financement. Donc il y a une solidarité nationale qui se fait, par l'impôt, ou par un transfert d'autres régimes de retraite vis-à-vis des leurs. C'est la raison pour laquelle il faut que tout le monde évolue, mais je le répète, tout le monde évolue ne veut pas dire copier/coller, ne veut pas dire même système. Il faut tenir compte de la réalité de chaque système.
Q.- F. Chérèque, on a le sentiment, quand même, que ce qui change dans le discours, et des syndicats, et de la gauche en général, c'est que tout le monde admet aujourd'hui qu'il faut quand même remettre un peu à plat toutes ces affaires de régimes spéciaux, de différences, etc. même si on prend son temps, même si on fait ça sur plusieurs années, etc.
R.- La CFDT le dit depuis longtemps. Rappelez-vous 2003...
Q.- Oui. ...
R.- ce que l'on n'a pas dit à la CFDT, y compris la gauche, d'ailleurs, sur la réforme des retraites. Donc 5 ans après...
Q.- C'est vrai, que n'a-t-on dit sur la position de la CFDT.
R.- Voilà, que 5 ans après certains fassent le même chemin, je m'en félicite, mais ça nous aidera aussi à faire comprendre qu'il faut faire évoluer. Mais je le répète, ne fustigeons pas telle ou telle profession, regardons les réalités qui sont beaucoup plus complexes que beaucoup de démagogie telle que certains le font.
Q.- Alors, autre sujet sensible, le nombre de fonctionnaires. Là encore, l'idée c'est plutôt de les diminuer. On pensait ne pas renouveler la moitié de ceux qui partent à la retraite, sans doute on sera en dessous. Est-ce que ça vous semble être en tout cas la bonne façon de fonctionner ?
R.- Là aussi, j'ai dit au président de la République : « Vous êtes sur un système totalement comptable ; on regarde le nombre de fonctionnaires qui partent à la retraite et on supprime la moitié ». Avant de se poser cette question-là, qu'est-ce qu'on veut faire de la fonction publique ? Est-ce qu'on a besoin de plus de personnes dans les hôpitaux, est-ce qu'on a besoin de plus de personnes dans les prisons, dans la justice, la police, les impôts ? Il faut regarder ce dont on a besoin et en fonction du service que l'on veut rendre à la population, on débattra après du nombre de fonctionnaires.
Q.- Oui, mais la modernisation de l'Etat, théoriquement, c'est fait aussi pour ça...
R.- Bien évidemment.
Q.- Avec tous les instruments de communication, on n'ait plus besoin de papiers.
R.- Attendez, on n'a pas d'opposition à regarder le nombre de fonctionnaires, mais on voudrait le faire en fonction d'un certain objectif. Autrement, comment voulez-vous que les fonctionnaires s'investissent correctement dans leur travail, quand on estime qu'on peut supprimer leurs postes, indépendamment du service qu'ils rendent à la population. Regardons ce dont on a besoin pour la population et on regardera le nombre de fonctionnaires, y compris dans l'Education nationale. Mais faisons les choses par le bon bout.
Q.- Est-ce que ça veut dire qu'il faut aussi remettre sur la table le pouvoir d'achat et que l'on ne peut pas réformer ni les retraites, ni le nombre de fonctionnaires, sans revoir l'évolution, et du pouvoir d'achat et des carrières, que ce soit dans le privé ou dans le public ?
R.- D'abord, le pouvoir d'achat, vous avez raison, c'est public et privé, mais là, pour les fonctionnaires, parce que c'est un élément important, qu'est-ce que l'on constate ? C'est que souvent les fonctionnaires ont une carrière que j'appelle linéaire, c'est-à-dire qu'ils sont sur un poste et ils font tout leur déroulement de carrière dans le même poste, et parfois à 40 ou 45 ans, ils sont enfin de carrière et ils attendent 20 ans ou 15 ans sans aucune augmentation parce qu'ils sont en fin de carrière. Il faut revoir toutes ces carrières professionnelles, les faire évoluer...
Q.- C'est pour ça d'ailleurs que certains partent dans le privé, d'ailleurs.
R.- Mais bien évidemment, parce que, quelle est la motivation que vous avez si à 40 ou 45 ans, vous n'avez plus d'évolution ?
Q.- Aucune !
R.- Aucune raison. Donc il faut que ces personnes-là puissent avoir des formations, changer de métier, pourquoi pas aller dans le privé et revenir dans le public ? Donc on peut avancer, inventer plein de choses, mais pour ça il faut un vrai dialogue social pour pouvoir le faire.
Q.- Et sur le pouvoir d'achat, qu'est-ce qu'il faut faire ?
R.- Alors, dans le privé, nous, on propose, et ça va être un débat que l'on va avoir dans une conférence, c'est que les 25 milliards, qui vont augmenter les prochaines années, d'aides aux entreprises, qui ne sont donnés que sur les bas salaires, entre 1.000 et 1.500 euros...
Q.- Il y a un effet de seuil en fait.
R.- Oui, au-dessus de 1.500 euros, les entreprises n'ont plus d'aide.
Q.- Il n'y a plus d'aide.
R.- Donc on a 50 % des salariés en dessous de 1.500 euros, c'est énorme. Donc on réfléchit sur les engagements des entreprises en terme de formation et de déroulement de carrière. Eh bien, c'est le même débat que dans le public : déroulement de carrière, motivation au travail, pour faire que les gens soient heureux au travail et puis soient mieux au niveau de leur capacité de dépenser de l'argent, c'est-à-dire le pouvoir d'achat.
Q.- Merci d'être venu nous voir ce matin, F. Chérèque.
R.- Merci.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2007