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« Super Dupont qui change la France en six mois, ça n'existe pas »
La Tribune. Le président de la République vient d'annoncer une salve de réformes pour « refonder le modèle social » et moderniser la fonction publique. Qu'en avez-vous pensé ?
François Chérèque. Les chantiers ouverts par le président de la République sont utiles. Trois sont particulièrement importants à nos yeux : le financement de la protection sociale, le service public de l'emploi et la réforme de l'État. Pour autant, nous sommes surpris par les délais très courts proposés pour mener à bien ces réformes. Le risque est de bâcler le travail, de ne pas faire la pédagogie de la réforme et de donner le sentiment qu'elle se fait contre les personnes directement concernées. Je m'interroge sur la méthode, et je me demande si, pour le chef de l'État, le dialogue social n'est pas un passage obligé dont il veut se débarrasser rapidement, les résultats apparaissant prédéterminés. Nous notons aussi que Nicolas Sarkozy a une conception très libérale des relations sociales et de la protection sociale. Que ce soit dans la fonction publique ou dans le privé, il privilégie la relation de gré à gré entre le salarié et son employeur, sans possibilité de médiation syndicale. C'est frappant aussi s'agissant de la dépendance, pour laquelle il propose la constitution d'une assurance personnelle, en utilisant les marchés financiers.
La Tribune. Que demandez-vous au chef de l'État ?
François Chérèque. La meilleure façon de sortir du procès d'intention, dans lequel je ne veux pas tomber, est de répondre à ma demande de construire un agenda social. Ce n'est pas un outil pour empêcher les réformes, mais au contraire pour les faire dans la clarté. On peut aborder la réforme des retraites en même temps que celle du marché du travail, mais il faut éviter les sujets qui se chevauchent. Je me demande si le fait que le chef de l'Etat soit obligé de nous laisser négocier sur le marché du travail ne le gêne pas dans sa volonté de décider vite et seul sur tous les sujets.
La Tribune. Vous trouvez le président trop interventionniste ?
François Chérèque. Dans ce pays, nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord entre ce qui relève du contrat et ce qui est du ressort de la loi. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui encore, malgré les leçons du contrat première embauche, les responsables politiques pensent que si les choses sont faites par d'autres, elles auront moins de valeur que si ce sont eux qui les font. Honnêtement, nous ne pouvons pas continuer à prendre pour exemples des réformes menées à l'étranger, et refuser de comprendre que si ces systèmes sociaux fonctionnent, c'est parce que, dans ces pays là, tout s'est fait grâce à la négociation entre les partenaires sociaux.
La Tribune. Ce processus de réformes mené tambour battant va-t-il se heurter à un blocage ?
François Chérèque. Il faut sortir un jour de cette mécanique infernale dans nos relations sociales. Mais je me demande si le président de la République ne cherche pas l'affrontement pour ensuite prendre l'opinion publique à témoin et masquer les vraies difficultés du gouvernement à répondre aux attentes de la population dans le domaine de la lutte contre le chômage et la création d'emploi, ainsi que sur l'augmentation du pouvoir d'achat.
La Tribune. La réforme des régimes spéciaux peut-elle allumer cet incendie social ?
François Chérèque. Pour la CFDT, ces réformes sont nécessaires. Nous ne voulons pas faire l'amalgame entre les sujets. Celui des régimes spéciaux n'est pas le même que celui de la réforme de l'État. En même temps, il est normal que les salariés concernés expriment leur inquiétude parce qu'il y a une volonté d'aller vite. Je ne connais pas de pays où des réformes aussi importantes se font sans réactions.
La Tribune. Quelles sont les conditions d'une réforme réussie ?
François Chérèque. Faire en sorte que le cadrage national soit suffisamment souple pour ensuite permettre une marge de manoeuvre dans chaque entreprise ou dans chaque régime sur tous les sujets : déroulement de carrière, pénibilité, niveau des pensions. Nous savons très bien que dans certaines entreprises, tout est organisé autour du départ à la retraite.
La Tribune. En 2008, va-t-il falloir repousser l'âge légal du départ à la retraite à 60 ans ?
François Chérèque. Il y a trois paramètres essentiels dans un régime par répartition : la durée de cotisation, le montant des pensions et le montant des cotisations. Donc, nous n'aborderons pas l'un sans l'autre. Le président de la République a reconnu qu'il existe des situations de pénibilité qui doivent faire l'objet de traitements particuliers. Il faut que le patronat sorte de son hypocrisie en réclamant un départ plus tardif à la retraite alors que je n'entends aucune critique de la part du Medef sur l'attitude scandaleuse des entreprises qui se débarrassent de leurs salariés de plus de 55 ans.
La Tribune. Vous applaudissez donc Nicolas Sarkozy quand il annonce la fin des cessations anticipées d'activité ?
François Chérèque. Des deux mains. Il y a plusieurs sujets : la mise à la retraite d'office, que le patronat a obtenue par un amendement en totale contradiction avec l'engagement sur les retraites en 2003. Et les préretraites qu'il faut conserver pour les plans sociaux dramatiques. Il faut être plus coercitif sinon ce sont les salariés des petites entreprises qui compensent, par leurs cotisations, les gaspillages des grandes entreprises
La Tribune. Qu'attendez vous de la conférence sur le pouvoir d'achat ?
François Chérèque. Il ne faut pas créer d'illusions sur ce sujet. La seule façon d'augmenter le pouvoir d'achat est de créer de la croissance. Le gouvernement a préféré des cadeaux fiscaux à un investissement sur la recherche, l'innovation, la formation. C'est une erreur de stratégie. La CFDT propose de regarder les effets induits par les allègements de charges sur les carrières et les salaires et de réfléchir sur les contreparties à demander aux entreprises en termes de déroulements de carrière, de formation, et éventuellement de recherche et d'innovation.
La Tribune. Du donnant donnant...
François Chérèque. Oui. Aujourd'hui une entreprise n'a pas intérêt à augmenter les bas salaires parce qu'elle perd les aides. Il faut sortir de ce cercle vicieux. Mais pour donner du pouvoir d'achat, il faut aussi s'attaquer aux problèmes du logement, de la protection sociale complémentaire et du transport. Au risque de heurter les plus libéraux, il faut oser prendre des mesures de blocage des prix des loyers.
La Tribune. Qu'attendez-vous des conférences sociales de l'automne ?
François Chérèque. Nous craignons surtout beaucoup de déceptions et peu de réponses concrètes. La conférence sur le pouvoir d'achat va surtout ouvrir des chantiers pour 2008, après la négociation sur le marché du travail. Sur les deux autres conférences, le gouvernement s'attache plus aux effets des dysfonctionnements sur les conditions de travail ou sur l'égalité professionnelle qu'aux causes réelles.
La Tribune. Êtes-vous favorable à une fusion ANPE/Unédic ?
François Chérèque. Nous sommes d'accord le président de la République lorsqu'il affirme qu'il faut remettre le chômeur au centre du système. Je rappelle que nous avons mis en place depuis un an un groupement d'intérêt économique qui regroupe une partie des activités de l'ANPE et une partie de l'Unédic pour créer des guichets et un dossier uniques, et faire en sorte qu'il y ait un interlocuteur unique pour les chômeurs. Allons plus loin en mettant en commun des moyens des deux structures, mais arrêtons de dire que cela fait vingt ans que l'on attend.
La Tribune. La pression que le gouvernement met sur les partenaires sociaux pour qu'ils trouvent un accord dans le cadre de la négociation sur le marché du travail avant fin 2007 est-elle forte ?
François Chérèque. Tous les jours, le gouvernement nous rappelle que nous devons aboutir avant la fin de l'année, mais tous les jours, il intervient sur les thèmes de la négociation. Nous devons jouer des coudes pour garder notre espace. Mais si la négociation se déroule bien, j'espère que le gouvernement sera suffisamment intelligent pour ne pas arrêter une négociation qui avance.
La Tribune. Un bon accord, c'est quoi, pour vous ?
François Chérèque. Notre fil rouge dans cette négociation c'est la sécurisation des parcours professionnels. Nous démarrons avec l'entrée dans l'emploi, qui passe par une simplification du nombre de contrats l'utilisation à bon escient de la période d'essai. Ensuite, nous voulons que les ruptures individuelles du contrat de travail s'inscrivent dans un cadre collectif. Il faut sécuriser le salarié et l'entreprise, afin de limiter le nombre de recours juridiques. Il faut aussi améliorer l'accès à la formation continue, dans et hors l'entreprise, mieux accompagner les chômeurs, et enfin, rendre certains droits - comme la formation ou l'assurance complémentaire - transférables d'une entreprise à l'autre.
La Tribune. Le discours de Nicolas Sarkozy aux fonctionnaires est-il moderne ?
François Chérèque. Le président de la République s'appuie sur un constat juste : cloisonnement trop fort, rigidité du statut, mobilité restreinte, faible évolution professionnelle... En revanche, on ne va pas régler les problèmes de fond avec les remèdes proposés comme, par exemple, verser un pécule aux agents qui souhaitent quitter la fonction publique. Nous sommes prêts à aborder la question du statut. Pour cela, il convient de revoir les lieux de pouvoir et de négociation. Sur ce sujet, le président de la République reste sur une vision très classique de la relation sociale : tout est centralisé et l'État ne négocie pas.
La Tribune. Dans un débat ouvert sur le financement de la protection sociale sur l'assiette des cotisations que préconisez-vous ?
François Chérèque. Sur les retraites, nous sommes favorables à un système par répartition, dont le financement repose sur le travail. Pour l'assurance maladie, la CFDT a soutenu l'évolution du financement qui est maintenant basé sur les revenus. Il faut garder et approfondir cette orientation. Cela peut aussi concerner les revenus annexes comme les stock options qui permettent à des entreprises d'augmenter certains salariés sans payer la protection sociale.
La Tribune. Et la piste de la TVA sociale ?
François Chérèque. La TVA sociale est contraire au principe de solidarité qui est le socle de notre système : « je paie en fonction de mes revenus, et je suis soigné en fonction de mes besoins ». En créant un bouclier fiscal qui intègre la CSG et en mettant en place des franchises, le gouvernement est en train de mettre à bas ce principe-là. La TVA sociale ne ferait que renforcer cela.
La Tribune. Que pensez-vous des réformes de Nicolas Sarkozy ?
François Chérèque. Les éléments que j'ai soulevés sur sa conception de la relation sociale et du gré à gré montrent qu'il n'est pas sur l'écume des problèmes mais sur un changement de fond de la relation sociale dans notre pays. Je ne lui ferai pas l'affront de dire qu'il fait les choses à moitié, je pense qu'il a une conception très personnelle et précise de la réforme. Mais on n'est pas obligé d'être d'accord.
La Tribune. Et sur la méthode ?
François Chérèque. C'est original. J'ai rencontré le chef de l'État à quatre reprises depuis son élection. Les années précédentes, il y avait des rencontres habituelles entre le président et les leaders syndicaux. Mais cela se faisait par la petite porte de derrière. Je pense qu'il est plus naturel et plus sain que les choses se passent au grand jour.
La Tribune. Tout cela va-t-il dans le bon sens ?
François Chérèque. Il est trop tôt pour le dire. Super Dupont qui change la France en six mois, cela n'a jamais existé. Aucun pays au monde ne s'est transformé aussi vite.
La Tribune. Quel dessein poursuit Nicolas Sarkozy sur les 35 heures ?
François Chérèque. Tous les anti-35 heures, et pas seulement le président de la République, ont une approche totalement idéologique. Soyons pragmatiques ! Beaucoup d'assouplissements existent. La loi Fillon a donné des espaces de négociation dans les entreprises. Dans l'industrie, les entreprises ne veulent pas remettre en cause l'organisation du travail. Cette dénonciation des 35 heures masque l'échec du « travailler plus pour gagner plus ». Car on a oublié que, pour augmenter le volume horaire dans notre pays, il faut d'abord relancer la production.
La Tribune. La détaxation des heures supplémentaires se met en place le 1er octobre. Cela sera-t-il efficace ?
François Chérèque. D'abord, soyons clairs, la CFDT n'est pas contre les heures supplémentaires. Mais n'oublions pas que la majorité des salariés est exclue de ce nouveau dispositif : les chômeurs, les temps partiel imposés, les salariés qui ont un temps de travail annualisé ou sont au forfait jours. Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises commencent à nous dire que les heures sup ne sont pas si rentables financièrement et qu'elles vont désorganiser le travail. C'est pourquoi certaines exercent des pressions sur leurs salariés pour qu'ils passent au forfait. Enfin les quotas d'heures supplémentaires existent mais ne sont pas utilisés.
Propos recueillis par Isabelle Moreau et Philippe Mabille Source http://www.cfdt.fr, le 25 septembre 2007