Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, à LCI le 3 octobre 2007, sur EADS, les régimes spéciaux de retraite et les test ADN.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- Vous étiez déjà ministre au printemps 2006. Est-ce que les difficultés à venir, à l'époque, d'EADS, ont été évoquées en Conseil des ministres par T. Breton ?
 
R.- Je n'ai pas ce souvenir, et puis, cela n'était pas à l'époque mon domaine ministériel, cela ne l'est pas non plus aujourd'hui. Vous faites allusion à ce qu'a indiqué la presse aujourd'hui ?
 
Q.- Eh oui ! "Délit d'initiés".
 
R.- Je n'ai pas d'informations là-dessus...
 
Q.- L'Etat n'avait-il pas envisagé de vendre ses propres parts ?
 
R.- Je n'ai aucune information là-dessus, qui plus est, visiblement, un dossier qui est en cours. Donc, vous comprenez bien que je ne vais pas faire de commentaires sur ce dossier-là.
 
Q.- Alors, commentaire en revanche sur la majorité qui est au bord de la crise de nerfs, avec l'ouverture. Est-il vrai que le Président prépare l'entrée ou la nomination à de hautes responsabilités de nouvelles personnalités de gauche ? On parle de M. Valls, J. Dray, J. Lang... ?
 
R.- On ne doit pas parler de la même majorité, parce que celle que je connais, que je côtoie, que j'ai vue aux Journées parlementaires à Strasbourg, j'étais hier au Sénat, le matin, au Sénat, l'après-midi, à l'Assemblée nationale, non, on n'est pas du tout dans cette logique-là. Il y a une majorité qui est soudée, qui a une envie : c'est qu'on aille au bout des réformes, et surtout, que ces réformes produisent le plus rapidement possible des résultats. Maintenant, sur la question de l'ouverture, je crois qu'elle est importante, et qu'il faut continuer la logique de l'ouverture. Pourquoi ? Parce que quand on a pratiqué cette ouverture, qu'a voulue le président de la République, on n'a rien changé à nos convictions, on n'a rien modifié à notre projet. Des personnalités différentes sont venues travailler avec nous. Et je crois que les Français aiment cette idée, où on peut avoir les meilleurs talents, qui se rassemblent autour d'un projet, mais ce projet a été discuté au grand jour, dans l'élection présidentielle, c'est cela qui est important. Il n'y a pas de renoncement à nos idées, on est sur la même logique du projet présenté aux Français pendant la présidentielle.
 
Q.- Ce soir, en réunissant les parlementaires, le Président veut "recadrer" tout le monde dans cette ligne-là ?
 
R.- Je ne sais pas ce qui sera dit ce soir, j'y serai présent aussi, en tant que ministre. Mais une chose est certaine, c'est que le Président veut vraiment montrer quelle est sa logique. Et encore une fois, quand on pratique aujourd'hui l'ouverture, c'est l'ouverture justement à des talents différents, mais ça n'est certainement pas renoncer à nos convictions, et cela je crois que c'est un point essentiel. Ce qui fait la différence entre des pratiques du passé - notamment avec F. Mitterrand à l'époque - et aujourd'hui, la construction justement d'une nouvelle politique. Et puis, c'est aussi une nouvelle page politique qui se tourne.
 
Q.- Y a-t-il des parlementaires qui jouent contre leur camp pour exister, pour marquer des points, pour, éventuellement, faire parler d'eux ?
 
R.- Soyons précis, à quoi pensez-vous ?
 
Q.- Par exemple, quand J.-F. Copé essaye de faire exister son groupe en critiquant ou en laissant critiquer. Quand J. de Rohan vient dire que l'ouverture ce n'est pas bien. Quand J.-P. Raffarin part en guerre contre l'ADN ?
 
R.- Sur ces sujets-là, il y a une liberté de ton, je l'ai toujours dit. Un Gouvernement n'est pas un régiment, une majorité parlementaire non plus. Je crois qu'il faut aussi qu'il y ait de la liberté d'expression. Maintenant, il ne faut pas non plus avoir vocation à tout grossir ou à tout grandir, cela a toujours été comme ça, il y a eu des expressions libres dans des majorités. Mais une chose est certaine, à des moments décisifs, quand il y a des choix qui sont des choix importants, chacun sait justement se retrouver, et chacun sait être soudé, cela, je crois que c'est important, la leçon de l'unité. S'il n'y a pas d'unité en politique, vous perdez forcément.
 
Q.- Sur le test ADN, il n'y a pas eu unité, il y a eu division au sein de la majorité. Alors, maintenant, recours à un juge, filiation vérifiée uniquement envers la mère, gratuité... Que reste-t-il de l'idée de départ ?
 
R.- Moi, quand j'ai entendu cette idée de départ, je me suis dit, très franchement : il faut des garanties ; il faut des garanties complémentaires pour les personnes concernées. Ces garanties ont été apportées, notamment par B. Hortefeux, dans les débats, à l'Assemblée et au Sénat. Voilà. Ce que je sais aujourd'hui, c'est qu'il ne faut pas résumer ce texte sur l'immigration, qui est important, à l'amendement ADN. Parce que ce texte sur l'immigration a été aussi au coeur de la campagne présidentielle. Les Français souhaitaient qu'on modifie aussi un certain nombre de règles sur le regroupement familial. C'est fait, aujourd'hui, dans ce texte. Donc, voilà pourquoi il est important de bien le remettre en perspective, de montrer qu'il correspond à ce qu'attendaient les Français, et que nous sommes aussi dans la logique des engagements pris.
 
Q.- Comme ministre en charge du Travail, vous vous inquiétez de ne pas pouvoir faire venir des immigrés de très, très haut niveau économique parce que leur famille ne parle pas français ? On a évoqué le cas, par exemple, de Japonais ?
 
R.- Mais vous ne croyez pas qu'il faut réussir l'intégration ? Vous ne croyez pas qu'il faut être en mesure de pouvoir accueillir sa famille avec un logement, qui soit capable de les accueillir ? Avec aussi un revenu, un revenu d'activité ? Et de pouvoir parler le Français ? Si vous ne parlez pas le français, comment peut se faire l'intégration ? Elle est impossible. D'autres pays l'ont fait avant nous : l'Angleterre, avec un Gouvernement socialiste. Cela a posé des problèmes là-bas ? Bien sûr que non.
 
Q.- D. de Villepin a signé la pétition anti-test ADN. Etes-vous surpris, choqué par cette attitude ?
 
R.- De l'attitude de D. de Villepin en général ou sur ce point ?
 
Q.- Les deux.
 
R.- Vous savez, je crois que D. de Villepin, pour moi, je le dis, c'est le Premier ministre qui m'a aidé à mettre en place l'interdiction de fumer dans les lieux publics, et je n'ai pas la mémoire courte. Maintenant, aujourd'hui, concernant son attitude, je crois que quand on veut être audible en politique, c'est bien de se présenter aux élections, cela donne une légitimité supplémentaire. Visiblement, il n'a pas voulu le faire.
 
Q.- Cette interdiction de fumer, un député propose de renoncer au 1er janvier prochain à son application dans les lieux où l'on vend du tabac.
 
R.- Oui... Je trouve que ce n'est certainement pas une bonne idée, surtout qu'en plus cette mesure est acceptée, comprise par les Français. L'interdiction de fumer dans les lieux publics, d'une certaine façon, est déjà en vigueur dans les esprits. Donc, il est impensable de revenir en arrière, surtout qu'en plus il y a vraiment cette logique pour aller vers l'interdiction de fumer qui est attendue. Et puis, si on allait justement dans cette logique présentée par un député, on créerait une sacrée disparité. Parce que, du jour au lendemain, on signerait d'une certaine façon la disparition, notamment des bars qui ne vendent pas de tabac. Donc, il faut faire très attention. J'avais beaucoup concerté sur ce décret, il s'est appliqué à partir du 1er février, l'autre étape, c'est au 1er janvier. Je crois que les Français dans leur esprit sont déjà dans l'après- 1er janvier. Il ne faut surtout pas revenir en arrière.
 
Q.- Régimes spéciaux de retraites, vous allez procéder par décret pour les réformer. Donc, vos rencontres avec les syndicats n'ont servi à rien ?
 
R.- Et pourquoi ? Pourquoi, dites-vous cela ? Moi j'ai vu des exemples de loi par le passé qui n'ont pas été des modèles de concertation et de dialogue social...
 
Q.- Vous pensez au CPE ?
 
R.- Je pense aussi aux 35 heures. Donc, à gauche comme à droite. Et puis, j'ai des exemples, notamment, de décrets, comme le tabac, où on a vraiment pris le temps de la concertation, et on a trouvé la bonne solution. Donc, vous voyez, il n'y a jamais de règle écrite. Cela dépend de l'attitude notamment, des responsables politiques. Moi je ne sais pas réformer sans concertation. Et le Président est dans cette logique du dialogue social. Alors, au final, ce seront des mesures d'ordre règlementaire, je ne l'invente pas, ce n'est pas une commodité, c'est comme cela. Mais en attendant, ce que je mettrai sur la table dès le mois d'octobre, c'est un document d'orientation, qui sera discuté avec les partenaires sociaux, dans lequel on mettra les principes de la réforme, l'harmonisation de la durée de cotisations, le passage de 37,5 à 40 ans...
 
Q.- Cela, ce n'est pas négociable, c'est décidé ?
 
R.- Attendez ! Comment expliquez-vous autrement aux Français que certains sont à 40 ans, et que d'autres resteraient à 37,5 !
 
Q.- Alors, qu'est-ce qui est négociable ?
 
R.- Et d'autre part, il y aura des discussions dans les entreprises pour savoir, notamment, à quel rythme on doit y passer. On ne va pas passer de 37,5 années à 40 ans du jour au lendemain. Quel est le bon rythme ? Quelle est l'application de la décote ? La décote, cela semble être un sujet technique, mais si je demande justement aux agents de ces régimes spéciaux, de travailler à terme deux ans et demi de plus, on ne peut pas en plus baisser leur pension de retraite. Donc, il faut être très vigilants là-dessus. Je suis attentif aussi au niveau de leur retraite.
 
Q.- Vous pourriez limiter cela aux nouveaux entrants dans ces régimes spéciaux ?
 
R.- C'est-à-dire, la durée de cotisations ?
 
Q.- Oui.
 
R.- Non, autrement cela s'appliquerait dans 40 ans. Que cela ne s'applique pas brutalement, c'est un fait, et je ne veux pas que cela s'applique brutalement. Mais pour le reste, vous devez avoir aussi une réforme qui produise des effets, pas dans 40 ans.
 
Q.- Le régime spécial des députés et des sénateurs est-il concerné ? Sera-t-il réformé ?
 
R.- Ce n'est pas de la compétence du Gouvernement, mais j'ai vraiment le sentiment que les choses ont bougé déjà en 2003, et que les choses vont continuer à bouger. J'ai eu des échanges avec des sénateurs, avec des députés. Je crois en plus que certains députés vont prendre des initiatives, et c'est aussi une bonne chose.
 
Q.- Il y aura une grande manifestation, des grèves le 18 octobre contre cette réforme. Est-ce qu'il n'aurait pas fallu, avant, boucler la loi sur le service minimum pour être sûr qu'elle s'applique, avant ces grèves ?
 
R.- Non, je ne suis pas à confondre vitesse et précipitation. Le texte sur le service minimum - les choses ont toujours été claires - il s'appliquera à partir du 1er janvier 2008. Pourquoi ? Parce qu'il y a des discussions dans les entreprises et dans les régions pour amener à discuter, à chaque fois qu'il y a une grève qui est prévue, pour essayer de l'éviter. Et surtout, pour définir, région par région, quels sont justement les services prioritaires. Alors, la grève du 18 c'est un droit. Certains se mobilisent pour la grève, moi je propose la mobilisation pour le dialogue, et il y aura du dialogue avant le 18. Mais le texte sur le service minimum ne sera effectif qu'au 1er janvier 2008, comme je l'ai dit pendant l'été.
 
Q.- En 2008, vous allez réviser le régime général des retraites. La réforme sera bouclée avant les municipales ou après ?
 
R.- Ce n'est pas une question de municipales.
 
Q.- Un petit peu quand même, ça joue ?
 
R.- Pas du tout. En 2003, quand on a dit qu'il y aurait le dossier sur la table en 2008, on n'avait pas pensé à la date exacte des municipales, surtout qu'en plus, vous le savez...
 
Q.- Elles ont été bouclées...
 
R.-...ça a quand même bougé. Donc, on n'avait pas cela en tête. La seule chose, c'est qu'il y a des rendez-vous qui sont prévus. Il y a un rendez-vous à partir d'aujourd'hui, la commission de garantie des retraites. Nous aurons le Conseil d'orientation des retraites qui va faire un rapport. Et j'aurai à présenter, avant le 1er janvier, un rapport du Gouvernement pour déterminer les bases de discussions du rendez-vous des retraites. Alors, cela va se faire ensuite avant la fin du premier semestre 2008, mais la question n'est pas liée aux municipales. C'est une question de concertation et aussi de calendrier parlementaire. On mettra beaucoup de choses sur la table : la question des petites pensions, des petites retraites, les pensions de réversion aujourd'hui sont trop basses dans notre pays, le minimum vieillesse est trop bas pour de nombreuses personnes ; la question de la pénibilité, je veux effectivement la mettre au coeur également du rendez-vous de 2008. Je sais que ce n'est pas facile, mais il faut absolument qu'on prenne en compte la différence d'espérance de vie qui existe en France, entre un ouvrier et un cadre supérieur. 7,5 ans de différence d'espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur ! Je n'ai pas envie qu'on détourne le regard de ces réalités-là.
 
Q.- B. Thibault, le leader de la CGT, vous accuse de vouloir passer à 42 ans de cotisations dès 2008, est-ce vrai ?
 
R.- Je l'ai entendu, je n'ai pas le sentiment qu'il était "en accusation" face à moi.
 
Q.- Il vous soupçonne quand même...
 
R.- Non, non. Le sujet est simple : si un jour, nous passons au-delà de 40 ans, va-t-on reproduire une différence entre certains salariés et les autres ? Bien sûr que non. Si vous êtes dans une logique de justice sociale, et si vous voulez mettre les Français sur un pied d'égalité, il n'est pas pensable de reproduire des inégalités sur la durée de cotisations. Mais seulement, là aussi, on est aujourd'hui dans cette logique de 37,5 années à 40 ans, je ne raconterai de mensonges à personne. Si certains passent à 41 jours, il n'est pas pensable que les autres restent à 40. Mais là aussi, ces modalités, on va les discuter. Mais sur les principes, c'est simple, c'est mettre les Français sur un pied d'égalité sur la durée de cotisations, et aussi, en réformant les régimes spéciaux, c'est garantir aux agents concernés le paiement de leur retraite. Si on n'aime pas cette réforme, personne ne peut leur garantir dans 10 ans ou dans 15 ans, qu'on pourrait leur payer leur retraite. Et j'ai envie de leur donner cette garantie-là.
 
Q.- Faut-il ponctionner les stock-options pour financer la Sécurité sociale, qui est en déficit ?
 
R.- C'est un débat qui m'intéresse, parce que je suis à la fois ministre du Travail, et je suis ministre de la Solidarité. Ce débat va venir au Parlement. P. Méhaignerie a décidé de le porter. Moi il m'intéresse beaucoup, parce qu'il faut bien prendre en compte aussi la logique du pouvoir d'achat, et faire aussi la différence entre les stock-options, l'intéressement, et la participation. Toucher à l'intéressement et à la participation, cela pénaliserait le pouvoir d'achat, je n'y suis pas favorable. Pour le reste, oui, cela m'intéresse vraiment.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2007