Texte intégral
La question des retraites est une question qui nous concerne tous.
Les Français sont très attachés à leur système de retraite. C'est pour en assurer la pérennité que nous devons, comme l'ensemble des pays qui nous entourent, régulièrement le moderniser.
Voilà pourquoi il y a eu différentes étapes dans la réforme des retraites : 1993, 2003. Voilà aussi pourquoi il y aura un nouveau rendez-vous en 2008 sur ce sujet, comme annoncé en 2003. Mais s'il y a différentes étapes, c'est aussi qu'il n'existe pas en France une retraite, mais des retraites.
Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles : le plus ancien est le régime des marins, créé par Colbert en 1670 ; celui de l'Opéra de Paris date de 1698 ; le régime de retraite de la SNCF est issu des différents régimes particuliers qui furent mis en place au XIXème siècle dans les compagnies de chemin de fer privées, et furent unifiés au début du siècle dernier.
C'est en 1909 qu'ont été définies les caractéristiques fondamentales du régime des cheminots, telles que l'âge d'ouverture des droits à la retraite à 50 ou 55 ans. Le meilleur moyen de relever les défis de demain, ce n'est certainement pas l'immobilisme ni le statu quo.
C'est de regarder avec lucidité vers l'avenir et faire le choix de la responsabilité. C'est de faire évoluer les régimes spéciaux sans remettre en cause leur identité ni le statut des agents concernés.
Sur un tel sujet, le Gouvernement a donc fait le choix d'avancer sans idéologie aucune. Il ne s'agit certainement pas de stigmatiser qui que ce soit, ni d'assurer la victoire d'un tel sur un tel : cela n'intéresse pas les Français, et pour être clair, cela ne m'intéresse pas non plus. La seule chose qui intéresse le Gouvernement et le Président de la République, c'est d'assurer la justice et la pérennité de notre système de retraite dans son ensemble.
Car les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou plus récemment des fonctionnaires.
Or, ces ajustements, opérés par la loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale, puis celle du 21 août 2003 portant réforme des retraites, n'ont concerné aucun des régimes spéciaux. Cette situation accentue leur singularité et suscite bien des interrogations. Avant d'ouvrir le rendez-vous de 2008 sur les retraites, il nous faut donc veiller à ce que l'ensemble des Français soient sur un pied d'égalité, et cela commence par la durée de cotisation. Notre régime de retraite par répartition doit faire face à un déséquilibre de son financement qui est le résultat à la fois du vieillissement et de l'allongement de l'espérance de vie. Cette évolution est d'abord une formidable bonne nouvelle pour l'ensemble des Français ; mais c'est aussi un formidable défi collectif à relever, si nous voulons sauvegarder notre système par répartition.
Ce système, nous sommes déterminés à en assurer la pérennité, et pour cela, nous le savons tous, il n'existe que trois solutions : soit réduire les pensions de retraite - et les Français n'en veulent pas - soit augmenter les cotisations - ce qui pénaliserait le pouvoir d'achat - soit enfin allonger la durée de cotisation. C'est cette dernière solution que nous avons retenue, comme d'ailleurs l'ensemble des pays européens, car c'est la réponse la plus cohérente à l'allongement de l'espérance de vie : si nous vivons plus longtemps, nous devons aussi travailler plus longtemps pour voir nos pensions garanties.
S'agissant des régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques propres à ces régimes qui rassemblent aujourd'hui plus de 1.100.000 retraités pour environ 500.000 cotisants, représentant ainsi cette année plus de 5 milliards d'euros de subventions d'équilibre seront inscrites au budget de l'Etat.
Soyons précis : Le principe de ces subventions est tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C'est là tout simplement l'expression de la solidarité nationale, et il n'est pas question de la remettre en cause.
Mais attention : je ne veux faire croire à personne qu'en trouvant une solution aux régimes spéciaux, nous trouverons aussitôt une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble. Les enjeux ne sont pas les mêmes.
N'est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Je suis convaincu que la solidarité sera d'autant plus acceptée par chacun de nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.
Cette harmonisation de la durée de cotisation, c'est un point essentiel, et ce n'est une révélation aujourd'hui pour personne, puisque c'est un engagement fort que le Président de la République a pris devant les Français durant la campagne.
D'ailleurs, la nécessité de faire évoluer les règles des régimes spéciaux fait aujourd'hui, me semble t-il, l'objet d'un consensus large dépassant les clivages traditionnels, tant dans l'opinion que dans les différentes analyses faites à ce sujet.
Ainsi, les régimes spéciaux ont fait l'objet de plusieurs rapports récents, dont les conclusions sont concordantes : ainsi, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2006, la Cour des comptes se livre à une analyse approfondie des régimes de trois entreprises publiques : les industries électriques et gazières, la RATP et la SNCF.
Mais je voudrais aussi citer les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR). Le Conseil avait déjà noté dans son rapport de mars 2006, que « dans une perspective d'équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d'assurance prévue en 2008 ne s'accompagne pas de questions sur l'évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques, dont la réglementation n'a jusqu'ici pas évolué ». Dans son rapport de janvier 2007, le Conseil souligne également que si l'approche concernant les régimes spéciaux ne peut être que différenciée compte tenu de leur diversité, des orientations générales répondant au principe d'équité peuvent être envisagées, au premier rang desquelles figurent l'allongement des durées d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie, mais aussi les logiques d'indexation des pensions. Vous connaissez tous ici la qualité des travaux du COR, et vous connaissez la richesse et la diversité de sa composition, qui inclut des membres de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, les chiffres publiés par le COR montrent que l'espérance de vie dans les régimes spéciaux se situe au même niveau que celle de l'ensemble des Français - à l'exception des marins et des mineurs, dont les régimes de retraite ne seront d'ailleurs pas réformés, compte tenu d'une pénibilité qui ne fait pas débat et compte tenu aussi d'une espérance de vie plus faible que les autres salariés. Je rappelle que les règles actuelles des régimes spéciaux remontent à 1946 pour les gaziers et les électriciens, à 1948 pour la RATP, et à 1966 pour la SNCF - c'est-à-dire à une période où l'espérance de vie des salariés de ces régimes était très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Nous l'avons dit très clairement, notre objectif est d'harmoniser les règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique.
Pourquoi les règles de la fonction publique ?
Je voudrais d'abord souligner que, depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres - à commencer par la durée de cotisation et le mode d'indexation des pensions, que je viens d'évoquer - sont communs au régime général et à la fonction publique, et sont amenés à évoluer de manière identique à l'avenir.
Mais fondamentalement, le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s'explique par les exigences de service public auxquelles se trouvent soumis l'ensemble des agents des entreprises concernées. Il n'est pas non plus question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public, ni la pénibilité de certains métiers.
Comme l'a indiqué le Président de la République, tous les sujets sont sur la table. Il s'agit en premier lieu de la durée de cotisation, que nous souhaitons harmoniser avec celle de la fonction publique, soit actuellement 40 années. Nous voulons aussi mettre en place un système de décote, de surcote aussi, pour inciter à la prolongation d'activité, et indexer les pensions sur les prix, parce que sauvegarder notre régime de retraite, c'est aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités et des futurs retraités. Nous devons revoir aussi les pratiques de certaines entreprises qui mettent à la retraite automatiquement leurs salariés dès qu'ils remplissent les conditions pour bénéficier d'une pension. Il faut mettre fin à ces pratiques-couperet, d'autant que, vous le savez, nous préparons de nouvelles initiatives pour favoriser l'emploi des seniors. C'est une attente très forte qu'ont exprimée les syndicats de salariés sur ce point. Cela serait d'ailleurs en cohérence avec les mesures que le Gouvernement va vous proposer dans le cadre du PLFSS pour 2008, visant à empêcher les mises à la retraite d'office.
Il s'agit de donner un vrai choix aux agents qui souhaitent poursuivre leur activité. Je connais par exemple, chez moi dans le Saint-Quentinois, un agent de conduite de la SNCF dont les enfants vont entrer à l'université ; lui a 48 ans, et bientôt il sera obligé de s'arrêter de travailler, alors qu'il préférerait continuer pour pouvoir payer leurs études.
La concertation, qui est aujourd'hui toujours en cours, porte aussi sur les clauses qui empêchent les salariés de ces entreprises de bénéficier du régime spécial s'ils n'ont pas une ancienneté minimale dans l'entreprise, généralement fixée à quinze ans. Dans un contexte de mobilité des salariés, ces « durées de stage » peuvent parfois poser de vraies difficultés aux agents concernés.
Nous discutons également des bonifications, qui sont souvent très différentes d'un régime à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, et même d'un salarié à l'autre. En outre, la pénibilité des métiers a évolué. Et ce n'est pas forcément à travers le système de retraite qu'il faut en tenir compte : il faut jouer sur d'autres paramètres que la durée de cotisation ou les bonifications, et je pense à la prévention, aux conditions de travail, à la rémunération, l'organisation du travail ou encore la gestion des parcours professionnels, notamment dans les seconde et troisième parties de carrière.
Mais en toute hypothèse, les droits acquis, ça compte, et ça doit être pris en compte.
D'autres points sont sur la table : ainsi, lors de la réforme de 2003, un dispositif de retraite additionnelle a été mis en place pour les agents de la fonction publique. Ne convient-il pas de définir un mécanisme similaire dans les régimes spéciaux, ou d'introduire un dispositif d'épargne-retraite pour tenir compte d'une partie des primes, qui n'entrent pas aujourd'hui dans le calcul de la pension ?
Naturellement, les autres volets de la réforme de la fonction publique de 2003 ont vocation à être discutés sans tabou, qu'il s'agisse du rachat des années d'études ou des avantages familiaux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, parmi les sujets ouverts à la concertation, un des plus importants concerne le rythme de la convergence avec le régime de la fonction publique. J'ai entendu à ce sujet les interrogations des salariés des régimes spéciaux, qu'ils soient gaziers, agents de la RATP, cheminots ou clercs de notaire. Je leur ai dit à tous, et je veux le répéter ici avec force, que cette réforme ne se fera pas brutalement.
Ce ne sera pas une réforme-couperet, et une chose est claire : nous n'harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain, pas plus que nous n'introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l'avons pas fait pour les autres régimes, avec les réformes précédentes de 1993 et 2003. Nous ne le ferons pas davantage pour les régimes spéciaux.
Nous allons donc agir progressivement, car cette progressivité, c'est aussi une question de respect et de considération pour les agents : nous ne pouvons pas dire à un gazier, à un roulant qui est à deux mois de la retraite, qu'il devra, du jour au lendemain, travailler deux ans et demi de plus. Ce respect, nous le devons aux agents, et à travers eux, au service public qu'ils assurent.
Pour conduire cette réforme, nous avons fait le choix d'une méthode, celle du pragmatisme et de la plus large concertation possible. Cette concertation concerne au premier chef les partenaires sociaux : je le dis à l'ensemble des agents des régimes spéciaux, cette réforme est nécessaire et la meilleure façon de la réussir, c'est de la mener avec eux. Je ne sais pas réformer sans concertation, voilà pourquoi j'ai conduit depuis 15 jours, à la demande du Président de la République, une première concertation pour faire un état des lieux du dossier.
J'ai reçu l'ensemble des organisations syndicales représentées dans les branches et entreprises concernées et celles qui en ont fait la demande ainsi que les employeurs et les directions des entreprises concernées : la SNCF, la RATP, les représentants de la branche des industries électriques et gazières, d'EDF et de GDF, l'Opéra de Paris, la Comédie Française et le Conseil supérieur du notariat.
Toutes les organisations ont participé à cette concertation - ce qui est déjà important en soi - et tous ont pu constater que la réforme n'était pas bouclée, mais que nous jouions cartes sur table et qu'il existait de vrais espaces de concertation. Sur tous les points, j'ai demandé à l'ensemble des acteurs, fédérations comme entreprises, de me faire part de leurs propositions. Des réunions techniques approfondies sont organisées aujourd'hui encore par mes collaborateurs avec tous ceux qui souhaitent construire et discuter avec nous des modalités pratiques de la réforme. Et d'autres organisations m'ont fait savoir qu'elles me transmettraient des propositions par écrit.
Mais ce sens de l'ouverture, je veux aussi l'exprimer vis-à-vis du Parlement : si j'ai souhaité m'exprimer devant vous, après avoir reçu avant-hier au ministère les représentants de l'ensemble des groupes et des commissions concernées, c'est pour rendre compte de notre action à la Représentation nationale, et montrer que sur un sujet aussi important, le Gouvernement entend avancer dans la transparence et le dialogue. C'est tout le sens du débat que nous allons avoir aujourd'hui, et si ce débat ne donne pas lieu à un vote, c'est tout simplement parce que les règles et les paramètres des régimes spéciaux ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s'agit en effet de dispositions statutaires qui relèvent du domaine du décret.
J'ai pu entendre des commentaires sur ce passage par la voie réglementaire. Nul besoin de se lancer dans des polémiques en disant que prendre un décret, ce serait passer en force et refuser le dialogue. Je voudrais simplement rappeler que la loi n'est pas à elle seule la garantie de la concertation, qu'on a déjà vu voter des lois qui faisaient fi du dialogue, et qu'a contrario l'on peut tout à fait avancer par la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres pour trouver les bonnes solutions. Je pense à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, qui s'est faite par un décret, et à cette occasion il y a eu du dialogue, il y a eu de la concertation, et nous avons associé le Parlement. Et c'est pour associer le Parlement qu'a lieu aujourd'hui ce débat, alors que les options ne sont pas encore arrêtées. Ce doit être un débat de fond. Ce que j'attends, c'est de connaître vos positions et que vous me fassiez part de vos propositions sur ces sujets. Quelle est à vos yeux la bonne durée de convergence ? Quel est à vos yeux le bon rythme de montée en charge du système de décote ? Faut-il mettre un terme aux mises à la retraite d'office ? Si oui, immédiatement ou progressivement ? Sur tous ces points, il est important de connaître votre position et vos propositions.
Devant vous, je veux aussi annoncer le calendrier à venir : à la suite du débat que nous allons avoir aujourd'hui, j'engagerai dans le courant du mois d'octobre un second tour de discussions, avec les mêmes acteurs. A cette occasion, je leur présenterai un document d'orientation qui précisera, parmi les différents sujets mis sur la table, ce qui relève de la responsabilité gouvernementale - à savoir les principes généraux d'harmonisation - et ce qui relève de la négociation dans les entreprises. Car l'objectif des concertations que je mène avec les partenaires sociaux et les entreprises concernées est de dégager les principes communs de l'harmonisation des régimes spéciaux avec le régime de la fonction publique. Ensuite, ces principes seront mis en oeuvre entreprise par entreprise, pour tenir compte des spécificités et de l'identité de chaque régime, et des négociations s'ouvriront sans délai sur un certain nombre de sujets au sein des branches ou des entreprises concernées. La réforme devra être prête pour la fin de l'année, nous avons donc le devoir d'expliquer, le plus rapidement et le plus précisément possible, à chaque agent relevant des régimes spéciaux, les objectifs et le contenu de cette réforme, afin qu'il en mesure les enjeux et les conséquences pour lui-même.
Mesdames et Messieurs les Députés, voilà ce que je voulais vous dire dans un premier temps, en ouvrant ce débat. Mesdames et Messieurs les Députés, la réforme des régimes spéciaux est nécessaire. Voilà pourquoi nous devons la réussir. Nous avons même la possibilité de nous retrouver sur l'essentiel : sur l'idée de justice, et sur la nécessité de garantir l'avenir des retraites des salariés concernés par ces régimes spéciaux. J'ai le sentiment que ce débat n'est ni de droite ni de gauche. J'ai le sentiment que sur un débat comme celui-ci, il est essentiel de bien comprendre les positions et les propositions de chacun. J'ai le sentiment que chacun peut apporter un regard serein sur ce dossier ; que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social : franc bien sûr, mais forcément constructif. Et j'ai, enfin, le sentiment que sur ce dossier, avec de la détermination et de la méthode, nous pouvons faire la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée.Source http://www.travail.gouv.fr, le 9 octobre 2007