Texte intégral
R. Duchemin.- Bonjour X. Bertrand.
R.- Bonjour.
Q.- Merci de vous être levé tôt pour nous rejoindre dans les studios de France Info. Ça fait deux jours de suite d'ailleurs, parce que, hier matin, vous étiez sur le pont dès 7h30 au ministère, avec les partenaires sociaux pour l'explication de texte sur la réforme.
R.- Franchement, je suis matinal, et pas seulement hier et aujourd'hui.
Q.- Eh bien ça tombe bien, alors, les réactions sont assez mitigées ce matin côté syndicats. Vous, vous êtes plutôt satisfait de l'accueil qu'ils ont réservé à votre réforme ?
R.- Ecoutez, je note déjà que tout le monde est venu, et c'est important en soi, parce que je suis vraiment dans une logique de dialogue, depuis le début, et je vais continuer dans le même esprit. Le document de travail que j'ai remis hier aux syndicats, vous savez, c'est le fruit de près de 80 heures de discussions avec les organisations syndicales, avec les dirigeants d'entreprises et aussi avec les parlementaires. Il y a eu deux débats. Et je continue dans la même logique : dialoguer, pour moi, c'est réformer, et la réforme se fait forcément dans le dialogue. Et puis, j'écoute beaucoup. Hier soir, j'ai passé une très grande partie de la soirée, notamment avec des cheminots, pour les écouter, voir comment ils réagissaient justement à ce texte, voir quelles sont leurs inquiétudes, leurs questions, et pour moi, c'est très important aussi.
Q.- Mais alors quelles sont leurs inquiétudes et leurs questions, qu'est-ce qu'ils vous ont dit hier soir ?
R.- Ils ont compris que nous voulions augmenter la durée de cotisations parce qu'il était important de mettre les Français sur un pied d'égalité, notamment pour la durée de cotisations.
Q.- On rappelle : 40 ans pour tout le monde, ça, ce sera non négociable...
R.- 40 ans. Mais au même rythme de progression que la Fonction publique. Si on a pris le même rythme que la Fonction publique, c'est parce que j'ai écouté, avant. Bon, maintenant, ils ont aussi compris que si on ne faisait rien, il y aurait, à terme, un problème de financement de leurs régimes spéciaux de retraite, parce que si on n'augmente pas la durée de cotisations, personne ne peut leur garantir, par exemple dans dix ans, qu'on saura leur payer les pensions de retraite. Et ils sentent bien qu'il y a un problème, et que là, c'est aussi une forme de solution. Ce qu'ils nous disent, c'est que : si on travaille plus longtemps - Monsieur le ministre, ce qu'ils m'ont dit hier - est-ce que notre pouvoir d'achat va être maintenu ? Et ce que je leur ai dit, ce que je leur garantis, c'est que s'ils font une carrière complète, ils auront une pension de retraite complète. Mais vous savez comment c'est, ils veulent être sûrs, ils veulent que ce soit concret. Et puis, il y a d'autres questions qu'ils me posent : mais si on travaille plus longtemps, est-ce qu'on va aménager nos postes ? Parce que, un contrôleur me disait : travailler jusqu'à 55 ans aujourd'hui, c'est déjà pas toujours facile, ce n'est pas facile les relations, on se fait parfois agresser verbalement, des fois physiquement. Qu'est-ce que vous prévoyez pour la fin de notre carrière ? C'est très concret, et c'est très important pour eux.
Q.- Vous parliez du pouvoir d'achat, c'est une des préoccupations notamment, de la CGT qui dit, entre autre, qu'on va perdre du pouvoir d'achat, en tout cas les salariés concernés...
R.- Non...
Q.- Et qu'on est en train d'aligner par le bas ; vous leur répondez quoi ?
R.- Non. Si on fait une carrière complète, je le répète, et ce ne sont pas des mots, c'est vraiment quelque chose que l'on peut vérifier, si l'on fait une carrière complète, il y aura une pension de retraite complète. La vérité, c'est qu'aujourd'hui, il y a beaucoup notamment de cheminots, mais dans cette réforme, il y a aussi les gaziers, les électriciens, les agents de la RATP, même les agents de l'Opéra de Paris ou de la Comédie française, ce qu'il faut savoir, c'est que, aujourd'hui, ils partent souvent à la retraite sans avoir une pension complète. Voilà pourquoi, bien souvent, même si leurs revenus sont à peu près au même niveau que la Fonction publique, leurs pensions de retraite, pour beaucoup, sont inférieures. Il y a beaucoup d'agents qui partent à la retraite avec moins de 1.000 euros. Pourquoi ? Eh bien parce qu'on les oblige parfois à partir à la retraite. Et je veux notamment faire sauter, supprimer ce qu'on appelle des clauses couperets. Aujourd'hui, à 50 ans, un conducteur qui voudrait rester ne le peut pas. Et moi, j'ai un exemple concret : quelqu'un qui a 48 ans, deux enfants qui vont rentrer à la fac, et qui m'a dit : moi, dans deux ans, si je dois partir à la retraite, je ne sais pas comment faire face à leurs dépenses pour la faculté. Eh bien, en faisant sauter ces clauses couperets, on va leur permettre de continuer à travailler.
Q.- Il reste quand même pas mal de choses à négocier : la spécificité...
R.- Dans les entreprises notamment...
Q.- Les fins de carrière. Vous pensez que tout ça peut être vraiment, vraiment bouclé d'ici la fin de l'année ?
R.- Ça laisse trois mois, trois mois de discussions, en plus avec le document d'orientation, que j'ai mis...
Q.- Oui, mais il y a des régimes très différents dans les différentes entreprises, vous le citiez tout à l'heure...
R.- C'est pour ça aussi qu'il faut avoir une logique de « sur-mesure » pour tenir compte des spécificités. Les sujets qui sont sur la table, et d'ailleurs, il y a de nombreux syndicats qui, en sortant hier, ont dit : "il y a des discussions possibles, il y a des espaces de concertation, il y a la prise en compte de la spécificité des métiers, l'emploi des seniors, le complément de retraite pour les salariés, la durée minimale de stages". Aujourd'hui, si vous n'avez pas fait quinze ans dans un régime spécial, vous n'avez droit à rien. Est-ce que ça, ça ne doit pas être assoupli aujourd'hui ? La réponse, pour moi, est oui. Il y a la question des avantages familiaux, dont ne profitent pas assez les hommes aujourd'hui dans ces régimes spéciaux. Il y a beaucoup de sujets qui sont en discussion, parce que, vous savez, moi, je ne suis pas un adepte du passage en force, moi, je crois beaucoup au dialogue. Ça permet de trouver les bonnes solutions et la bonne voie de passage. Je suis dans cette logique-là en permanence.
Q.- Et la voie de passage elle passe aussi par la grève du 18. Vous l'appréhendez cette grève ?
R.- Moi, je suis mobilisé pour négocier, je l'ai dit et je le répète. Moi, je n'ai pas à dire combien il y aura de grévistes. Moi, je dois comprendre pourquoi il y aura des grévistes. Et je sais qu'il y a une véritable inquiétude, ce que j'ai mesuré la semaine dernière en me rendant dans un foyer SNCF, hier soir en les rencontrant. Et je dois bien comprendre leurs inquiétudes pour leur apporter des réponses. Je ne veux pas leur mentir. Je dois leur dire les choses. Voilà pourquoi, au nom de la transparence et de la vérité, j'ai mis ce document hier sur la table, il y a tout dedans, pour dire où on va, parce que tout dire, c'est aussi une façon de respecter et de considérer les agents.
Q.- X. Bertrand, sur ce dossier-là, c'était un des thèmes de campagne de N. Sarkozy, c'est très clair, vous ne pouvez pas reculer ?
R.- Mais nous avons tout dit pendant la campagne, vous savez, ce sujet-là, il n'arrive pas par hasard aujourd'hui. Et puis surtout, ne pas passer de 37 ans et demi à 40 ans, comment on finance leurs retraites, qu'est-ce que je peux donner comme garanties aux agents de ces régimes spéciaux ? Ne pas apporter la réponse à leurs problèmes de financement, ça serait aussi les fragiliser, je n'ai pas envie de les fragiliser.
Q.- Oui, mais si la mobilisation est forte, qu'est-ce que vous allez faire ?
R.- Que veut dire cette mobilisation ? La mobilisation, c'est de dire : "Voilà nos inquiétudes, vous êtes ministre, trouvez-moi des solutions". C'est le message que j'ai reçu encore hier soir, c'est le message que m'ont passé de nombreuses organisations syndicales. Ne vous inquiétez pas, pour mener cette réforme, je suis très attentif à tout ce qui m'est dit.
Q.- Et comment on va faire pour la suite, le passage aux 41 ans éventuels ?
R.- Alors, disons les choses aussi franchement, dire la vérité, c'est tout dire. Si le régime général, si la Fonction publique passe plus tard à 41 ans, les agents des régimes spéciaux ne resteront pas à 40 ans. Mettre tout le monde sur un pied d'égalité, c'est effectivement avoir la même logique. La seule chose, c'est qu'il y aura un calendrier spécifique, parce que, on passera pour les régimes spéciaux à 40 ans en 2012, si les autres, le privé et le public, passent à 41 ensuite, eh bien, on continuera cette progression. Mais ça se fera de façon progressive. Moi, je crois à la souplesse. Je suis un pragmatique. Je le reconnais, je l'assume ; et puis, ça permet peut-être de trouver les meilleures solutions que d'être pragmatique et d'écouter.
Q.- Est-ce qu'il n'y a pas d'autres moyens pour faire rentrer l'argent dans les caisses de l'Etat que cette affaire-là ? Par exemple, les stocks options, on en parlait, puisque cette nuit, les députés ont planché assez tard, ils ont notamment évoqué la possibilité de taxer, et puis finalement, ça a été rejeté, à 8% sur les bénéfices. C'est vrai que là, concrètement, avec les régimes spéciaux, on ne fait pas rentrer énormément d'argent.
R.- Moi, j'ai toujours été clair. Je suis favorable à ce que les stocks options puissent financer en partie la protection sociale. J'ai toujours été clair, ce n'est pas une révélation que je vous livre ce matin. Pourquoi ? C'est aussi une question de justice sociale, il faut aussi faire attention à ne pas faire n'importe quoi et à dire les choses. Les stocks options, aujourd'hui, sont taxées fiscalement, mais socialement, je pense effectivement que l'on peut et que l'on doit les taxer. Ce débat-là a été amorcé par des parlementaires : P. Méhaignerie, Y. Bur. Nous allons avoir le débat au parlement, je vous ai donné ma position, oui, j'y suis favorable... N'allons pas faire croire qu'il y aurait d'un côté une recette miracle qui réglerait tous les problèmes de financement de la protection sociale. Nous avons les retraites, nous avons la maladie, nous avons, demain aussi, la dépendance. Vous savez, nous savons que nous allons avoir à dépenser davantage dans les années qui viennent. Donc il faut se poser la question du financement, il faut gérer au mieux notre système de protection sociale.
Q.- X. Bertrand, il y a le congrès annuel des buralistes qui démarre aujourd'hui, il va se poursuivre demain. On annonce, là aussi, une forte mobilisation. Ils sont assez remontés les buralistes, ils sont prêts, disent-ils, en tout cas, à redescendre dans la rue, si l'Etat, disent-ils, n'assouplit pas le décret d'interdiction de fumer pour les bars tabacs. Vous en pensez quoi, vous, aujourd'hui ?
R.- Ne refaisons pas le débat d'il y a un an. Là aussi - et j'étais ministre de la Santé, c'est moi qui ai porté ce débat sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics - ne revenons pas en arrière, ce serait impensable que de revenir en arrière. Vous imaginez un peu le recul en terme de santé publique si on revenait en arrière. D'autant qu'en plus, les Français ont déjà intégré ce décret qui, après les lieux de travail, en février, et d'ailleurs, ça s'est remarquablement passé l'interdiction de fumer dans les lieux publics, d'ailleurs, parce que j'avais aussi beaucoup écouté à l'époque, eh bien, maintenant, ça va être dans les restaurants, dans les bars, les casinos et les discothèques, et c'est très attendu par les clients comme par les usagers, et notamment ceux qui travaillent, le ministre du Travail est concerné. Maintenant...
Q.- Mais il y a des députés de votre majorité qui disent : ça serait bien qu'on aménage.
R.- Je ne suis pas d'accord avec eux parce qu'il faut aller au bout des choses. Imaginez que vous fassiez une dérogation pour les endroits où on vend du tabac - c'est bien ça la logique de la proposition de monsieur Courtal. Dans ces cas-là, un bar tabac, on pourrait y fumer. Eh bien, si vous prenez cette décision, du jour au lendemain, vous avez signé la disparition du bar qui ne vend pas de tabac. Parce que, aussitôt, tout le monde irait dans ce lieu-là, et comment vous protégez également les salariés dans ce bar tabac où on fumerait ? On ne peut pas. Donc vous voyez, une chose est certaine, il y a des principes qui ont été mis en oeuvre avec ce décret, il faut rester dans cette logique de santé publique, et surtout, ne pas revenir en arrière, surtout pas.
Q.- F. Fillon était hier soir devant la Convention des réformateurs, à la Mutualité. Il est revenu sur l'affaire du "détail". Il juge honteux d'avoir établi un parallèle avec les propos à l'époque de J.-M. Le Pen. Vous pensez qu'aujourd'hui, on est dans un faux débat quand on parle de ce genre de choses ?
R.- F. Fillon a eu tout à fait raison de préciser les choses comme il l'a fait hier soir. Je n'ai pas été forcément, hier soir, à l'écoute de ce qui a été dit lors de cette rencontre importante des réformateurs, mais il a raison. Je crois qu'aujourd'hui, on est en train de créer des faux débats, que ce soit sur la sémantique, que ce soit sur des sujets réels, alors qu'en fin de compte, ça vaudrait la peine d'avoir des débats essentiels sur l'avenir de la protection sociale, sur la place de l'Etat, pourquoi les réformes, pourquoi nous menons ça en place. Et on dirait que parfois, on cède à la facilité en se focalisant sur un mot, alors qu'en fin de compte, la réalité est beaucoup plus importante. Prenez notamment sur l'immigration. La réalité, c'est qu'avec le texte de B. Hortefeux, nous avons tenu l'un des engagements forts de la campagne pris devant les Français...
Q.- Vous parlez du débat qui a eu lieu avec F. Amara et les tests ADN notamment ?
R.- Alors qu'en fin de compte, la réalité, c'est qu'on a décidé de changer les règles. Pour venir en France, on a décidé qu'il fallait pouvoir avoir un logement, avoir un revenu d'activité, pouvoir parler le français, nous l'avions dit pendant la campagne, c'est fait. Voilà la réalité et le fond des choses. Voilà le vrai débat.
Q.- Merci X. Bertrand d'avoir été avec nous ce matin, en direct sur France Info.
R.- Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 11 octobre 2007