Entretien de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, avec BBC Afrique le 22 octobre 2007, sur la situation politique en Côte d'Ivoire et sur le projet de création au Cameroun d'une école de formation au maintien de la paix.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Côte d'Ivoire et réunion d'appel à contributions pour le projet Eiforce, à New York (Etats-Unis) le 22 octobre 2007

Média : BBC Afrique

Texte intégral

Q - Monsieur Bockel, quelle est la situation en Côte d'Ivoire ?
R - On a le sentiment que les choses sont mûres pour évoluer : il y a des signes de bonne volonté qui sont donnés par les uns et les autres, la médiation burkinabée joue pleinement son rôle avec le soutien de la communauté internationale.
Mais aujourd'hui, il y a un sujet extrêmement concret qui est le processus sur lequel tout le monde est en principe d'accord, y compris côté ivoirien, d'établissement de listes électorales crédibles et opposables. Cela passe par une démarche d'audiences foraines sur le terrain avec des magistrats, des sous-préfets.
Ce processus tarde à se mettre en oeuvre : c'est une vraie difficulté. S'il y avait demain des élections sans que ce travail n'ait été au moins largement engagé, je ne parle pas de la perfection, mais au moins une mise en oeuvre la meilleure possible, nous aurions des élections difficiles, qui seraient forcément controversées et on repartirait dans des difficultés.
Donc c'est un aspect peut-être terre à terre, concret, qui ne pose pas de questions politiques majeures mais qui est une condition de la préparation d'élections valables.

Q - Vous voulez dire que le processus de sortie de crise en Côte d'Ivoire a peu évolué au-delà des actes symboliques ?
R - Certains aspects de ce processus ont manifestement évolué, je n'ai pas du tout à porter un jugement négatif, mais d'autres aspects qui permettront une sortie de crise durable qui passera par des élections dans des délais raisonnables surtout dans des conditions incontestables : c'est la condition sine qua non d'une normalisation et donc c'est ce qui permettra de solidifier cette sortie de crise y compris sur le plan politique.

Q - Et par rapport aux forces Licorne sur place ?
R - D'abord, je veux quand même rappeler, de temps en temps, que si la force Licorne n'avait pas existé au début, on aurait peut-être eu un drame dans ce pays comme cela a pu arriver ailleurs, et ce drame n'est pas arrivé. Donc, la France assume pleinement cette "démarche Licorne".
Aujourd'hui, les conditions ne sont pas encore réunies pour en sortir. Dès qu'elles seront réunies, nous serons les premiers à nous en réjouir, mais bien entendu, ce n'est pas nous qui allons décider unilatéralement.

Q - Monsieur Jean-Marie Bockel, vous êtes le secrétaire d'Etat chargé à la Coopération et à la Francophonie et conjointement avec le Cameroun, vous lancez un projet de création d'une école de formation au maintien de la paix. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cette école va servir la paix ?
R - C'est une école qui sera très importante. Ces écoles existent déjà, il y en a une à Bamako, il y en a une à Awahé au Nord de Yaoundé.
Nous voulons, avec le soutien des Nations unies, amplifier la démarche et permettre la formation non simplement des cadres et des officiers mais aussi des troupes, unité par unité, aux métiers policiers, de gendarmerie, et militaires de maintien de la paix, en terme de formation de base, pour leur permettre de faire face à des situations de crise, à des émeutes, garder leur sang froid, respecter les Droits de l'Homme et les êtres humains, éviter les exactions qui parfois ternissent l'image des Nations unies ou d'autres forces internationales, comme l'Union africaine, qui travaillent avec les Nations unies.
J'ai pu me rendre compte sur place de la qualité de la formation qui était d'ailleurs déjà dispensée avec l'engagement et le soutien d'un certain nombre de militaires français, en l'occurrence de militaires et de policiers camerounais : c'est tout à fait remarquable.
Ce sera d'ailleurs en l'occurrence au Cameroun qui est un pays bilingue, une force qui sera à la fois francophone et anglophone de manière à ce que ses troupes puissent être aussi adaptées en terme de capacité de communiquer avec la population aux endroits des crises.
Donc c'est surtout une formation à ce métier très particulier qui est le métier du maintien de la paix. Et quand on sait que les Nations unies, c'est quand même près de 100.000 personnes dont 80.000 militaires : ce n'est pas marginal ! Et quand on sait que ces forces sont de plus en plus sollicitées : avoir une école à grande échelle au Cameroun avec évidemment un engagement très fort des autorités camerounaises, un soutien très fort de la France et donc maintenant un appel à d'autres nations à nous soutenir, c'est une initiative de première importance !

Q - Est-ce que ces soldats vont être impliqués dans le maintien de la paix, dans les situations de crise, ou plutôt dans des pays qui sont dans un processus de "post-conflit", en reconstruction?
R - Ce n'est pas l'école qui déterminera l'emploi de ces forces. Elles seront dans des situations de "ni guerre, ni paix, de post crise ou même de crise".
Mais dans les trois situations, les qualités qui sont demandées à des degrés bien sûr divers, sont un petit peu comparables. Après, c'est à ceux qui déploient les forces d'envoyer les forces les plus expérimentées dans les endroits les plus difficiles. Mais le rôle de l'école ce n'est pas de décider cela. Le rôle de l'école, c'est de préparer mieux que cela n'est fait aujourd'hui, non seulement ses chefs, mais aussi ses troupes à être les plus aptes possibles à affronter cette diversité de situations.

Q - Et le financement de cette école ?
R - Alors le financement justement, c'est forcément un financement multilatéral. Bien sûr, le Cameroun va s'engager, bien sûr la France est déjà engagée, notamment avec des moyens humains, l'agrandissement de l'école, c'est en terme d'investissement environ 1.5 million d'euros et en terme de fonctionnement, c'est aussi environ 1.5 million d'euros par an.
Donc ce n'est pas un montant énorme mais enfin, il faut tout de même le trouver.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2007