Déclaration de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la première promotion "Phénix" qui concerne le recrutement d'étudiants de filières générales par des entreprises privées, Créteil le 1er octobre 2007.

Prononcé le 1er octobre 2007

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Circonstance : Accueil de la première promotion "Phénix" à l'Université Paris XII de Créteil le 1er octobre 2007

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Recteur,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Député-maire
Monsieur le Sénateur
Mesdames et Messieurs,

Mettre toute l'humanité entre moi et ma douleur particulière.
Dans cet engagement de Simone de Beauvoir résonne celui de tous ceux et de toutes celles qui ont décidé de consacrer leur vie à la connaissance de l'Homme.
Sortir de sois pour aller vers l'autre et vers le monde, voilà pour moi la définition même de l'aventure scientifique des Humanités.
Aventure exigeante, aventure vitale aussi.
Car tous, autant que nous sommes sur cette planète, ancrés dans nos communautés particulières, avec nos identités complexes, nos mémoires émiettées, nos fractures intimes et nos joies partagées, tous, nous avons besoin que des hommes et des femmes choisissent le chemin des Humanités pour nous regarder, pour mieux nous comprendre, pour nous donner la chance de vivre ensemble, de construire ensemble.
Aujourd'ui le monde socio-économique français le découvre...
Les Sciences Humaines trouvent leur place là où on ne les attendait pas : dans les grandes écoles, qui s'ouvrent toujours davantage aux enseignements de sciences humaines et sociales.
C'est une bonne nouvelle, mais que les Ecoles de commerce aient, les premières, saisi tout l'intérêt de cette formation ne m'étonne guère. Nous connaissons tous ici leur pragmatisme et leur connaissance fine des besoins de l'entreprise. L'enjeu, aujourd'hui c'est de rapprocher l'université du monde professionnel. Parce que nous avons d'un côté les ressources humaines de demain et de l'autre leurs employeurs potentiels. Mon projet c'est qu'enfin ils se rencontrent. Nous devons en finir avec la guerre froide que se mènent depuis deux cent ans en France le monde académique et le monde économique. Enfermés dans les malentendus et la méconnaissance réciproque. Et c'est en cela que Phénix m'intéresse.
Je voudrais vous raconter une anecdote très révélatrice du travail qu'il nous reste à accomplir. Vendredi dernier, j'étais à Strasbourg pour encourager la fusion des trois universités qui donnera un grand rayonnement international au pole d'enseignement supérieur alsacien. Sur le perron de l'université Marc Bloch, un jeune historien était là, il m'a interpellée : « Madame la Ministre, quel intérêt d'avoir un meilleur diplôme avec une plus grande visibilité internationale, quand on veut simplement être prof ?» et il a ajouté « la seule chose que vous pouvez faire pour moi, c'est créer des postes au CAPES ». Je lui ai répondu qu'à mes yeux, des études de sciences humaines et sociales devaient ouvrir des perspectives d'emploi dans tous les métiers de demain.
Sans faire d'un cas particulier une généralité, je crois que cet échange est symptomatique. Aujourd'hui, choisir des études en Sciences Humaines, c'est bien souvent faire le choix, souvent tacite d'ailleurs, de l'enseignement. Comme si le seul horizon d'une formation académique était sa propre reproduction. Alors, bien sûr le métier d'enseignant, métier de la transmission et de la formation des êtres, est un grand métier, vers lequel nous devons attirer des étudiants de qualité, mais je veux dire aux étudiants de l'université -en sciences comme en lettres- que cela n'est pas le seul, qu'il y a pléthores de missions, de fonctions passionnantes, dans les sphères publiques et privées, auxquelles l'université a le devoir de les préparer.
Alors vous, qui êtes de jeunes linguistes, historiens, philosophes, formés à l'université, vous êtes dans un état d'esprit inverse à celui de ce jeune strasbourgeois ; vous qui êtes spécialistes de littérature, ou d'esthétique. Vous avez choisi l'entreprise, mais soyons honnêtes, vous l'avez choisie parce que l'entreprise a su venir jusqu'à vous.
L'entreprise française, qui enfin aujourd'hui reconnaît le besoin qu'elle a de vous, de vos compétences particulières, de votre culture qui est ouverture, de la qualité de votre langue qui est richesse.
Les entreprises qui vous reconnaissent et vous appellent, vous diplômés de Sciences Humaines, se mettent enfin au diapason de leurs concurrentes japonaises ou américaines familières depuis longtemps déjà de vos talents.
Elles sont sept aujourd'hui à vous accueillir pour assurer la fin de votre formation et votre recrutement : permettez moi de les citer toutes et de saluer leurs dirigeants qui autour du Président Villepelet et de PricewaterhouseCoopers se sont engagés : Axa, Coca-Cola, la Société Générale, Siemens, HSBC, Renault.
Je ne doute pas de l'énergie qu'il a fallu mobiliser pour faire vivre Phénix, faire renaître de ses cendres l'esprit qui éclaire, l'esprit qui entreprend : convaincre des partenaires économiques, convaincre des universitaires, toucher les étudiants, organiser leur recrutement, monter leur formation dans le cadre du contrat de professionnalisation... Je mesure l'ampleur de la tâche. Mais je réalise aussi que c'est possible. Et je souhaite évidemment que Phénix fasse de nombreux émules l'année prochaine, qu'elle s'enrichisse de nouveaux partenaires sur tout le territoire national, pour pérenniser votre démarche.
Phénix ce sont des entreprises qui osent l'université, ce sont aussi des universités qui osent l'entreprise, sans tabou, sans crainte de voir partir des étudiants de valeur loin des écoles doctorales, avec le seul souci de les emmener à la réussite, à l'obtention d'une qualification reconnue sur le marché de l'emploi.
Permettez-moi de saluer Simone Bonnafous, qui nous accueille aujourd'hui et dont l'université abritera la formation de cette première promotion Phénix, mais aussi Jean-Robert Pitte, Jean-Yves Hénin, Bernard Bosredon, Francis Godard, présidents audacieux et pragmatiques.
La loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités vient de confier très officiellement à ces dernières la mission d'orienter leurs étudiants vers l'insertion professionnelle. Pour remplir cette mission, les universités ont besoin de se rapprocher du monde de l'entreprise. C'est vrai pour toutes les filières de formation, dont les universités assument désormais pleinement la responsabilité au regard du marché de l'emploi. Mais c'est particulièrement vrai pour les Humanités, qui de ce point de vue sont en retard en France, et souffrent d'une stigmatisation désastreuse pour la réputation de leurs diplômés.
Accusées de tous les maux de l'université, moins bien dotées par l'Etat que les Sciences dites dures, les filières de sciences humaines sont souvent décriées. Qui sont donc ces étudiants et leurs professeurs ? Au mieux des rêveurs ou des poètes, au pire des inadaptés chroniques, sans espoir de salut dans le monde d'aujourd'hui qui ne jurerait que par le marché ?
Ce discours n'est pas seulement absurde et dangereux dans une société démocratique, il témoigne d'un aveuglement sur les enjeux socio-économiques du monde contemporain qui risque à très court terme de nous coûter fort cher. Dans une économie de services, il n'y a aucune fatalité à ce qu'humanités ne rime pas avec employabilité.
Pourquoi une banque d'affaires londonienne n'hésite t-elle pas à recruter un docteur d'égyptologie, quand en France on le considérera, en dehors du champ de l'enseignement et de la recherche académique, comme un extraterrestre sympathique.
Eh bien parce qu'à Londres ou à New York, on a compris depuis longtemps que plus une économie est complexe, à la fois globalisée, dématérialisée et technicisée, plus les cadres d'entreprise doivent être capables de distance critique, d'ouverture culturelle, de finesse d'analyse et de capacité de synthèse. Et cela, les formations en Sciences Humaines peuvent, mieux qu'aucune autre, le proposer.
Comme ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, je ne peux que me féliciter de voir des universités se porter à la rencontre du monde de l'entreprise. Aujourd'hui elles sont cinq, et c'est bien, mais Phénix doit être pour nous le catalyseur d'une ambition plus large qui doit concerner l'ensemble des formations en Sciences Humaines afin de les rapprocher du monde économique qui aujourd'hui s'ouvre à elles. Je souhaite qu'une dizaine d'autres universités des grands pôles provinciaux puissent se joindre à nos pionnières dès l'année prochaine pour diversifier encore davantage l'origine des candidats à l'opération.
Mesdames et Messieurs les dirigeants d'entreprise, vous vous étiez engagés à recruter 70 diplômés de Master, ils sont seulement 37 aujourd'hui devant nous, Pourquoi ? Et bien parce que vous n'avez pas trouvé dans le vivier de vos candidats les futurs salariés que vous étiez pourtant prêts à recruter. Phénix, c'est donc un franc succès dans la démarche, unanimement saluée et à juste titre, mais un demi succès dans le nombre de candidats retenus. C'est dire si les deux mondes de l'entreprise et de l'université ont encore du chemin à faire pour se rapprocher pour se décoder mutuellement.

N'y a-t-il pas là un puissant révélateur de la nécessité de repenser en profondeur l'ensemble de la filière Sciences Humaines de ce pays ? Une filière qui ne développe pas suffisamment, en plus des connaissances qu'elle transmet, les compétences attendues par le monde professionnel.
Ces compétences quelles sont-elles ?
L'autonomie, le travail en équipe, une culture générale approfondie, une bonne connaissance du monde et de ses enjeux économiques, la maîtrise des langues étrangères, et des technologies de l'information, la capacité d'analyse certes, mais aussi un sens éprouvé de la synthèse.
Aujourd'hui les licences académiques, qu'elles soient scientifiques ou littéraires d'ailleurs, sont trop spécialisées et cela de façon trop prématurée. Le résultat : des littéraires souvent rétifs à toute logique mathématique et des scientifiques qui perdent l'habitude de s'exprimer à l'écrit ou à l'oral. Comment dans ces conditions proposer au monde du travail des diplômés sur lesquels ils pourront compter dans les métiers de cadre qui par définition exigent la polyvalence, des compétences multiples ?
La nouvelle mission d'insertion professionnelle fixée, depuis l'été, par la loi, à l'université, nous confère à tous une obligation de résultat. Nos étudiants l'exigent. Ils le méritent. C'est l'objet du chantier de réflexion sur la « réussite en licence » que j'ai lancé dès l'été.
La professionnalisation ce n'est pas qu'un concept à la mode mais bien une exigence sociale qui passe par l'acquisition d'aptitudes s'ajoutant dès le 1er cycle universitaire aux connaissances.
Il ne s'agit pas d'affaiblir la transmission des savoirs qui font la valeur même de votre parcours d'étude.
Il ne s'agit pas non plus de chercher, dans une tentative illusoire, d'adapter strictement la formation universitaire générale à tel ou tel métier. Les métiers changent, ils évoluent. Mais une formation universitaire de qualité doit donner les fondamentaux qui permettront au jeune diplômé de s'adapter et de compléter sa formation dans tous les univers professionnels.
Pour ouvrir les horizons de nos étudiants, Nous devrons proposer aux futurs bacheliers, une licence renforcée dans laquelle figureront en bonne place l'acquisition de méthodes de travail, les langues étrangères, les technologies de l'information, la qualité de l'expression orale et écrite, l'ouverture sur le monde, la culture générale.
Et la rencontre avec le monde professionnel. Elle ne peut pas intervenir à la fin d'un cursus, comme une rustine, dans le cadre de modules où in extremis les étudiants apprendront à rédiger un cv ou à passer un entretien d'embauche. Elle doit commencer dès la première année, par des échanges, des tutorats. Un contact peut ainsi se nouer. Elle doit se poursuivre par des stages. A terme, je souhaite un stage obligatoire dans chaque cursus universitaire.
Quelle que soit la discipline étudiée. Dans l'administration, l'enseignement ou l'entreprise. Il est fondamental que des étudiants puissent, dans leur cursus de formation, découvrir les codes de toute organisation humaine.
Le chantier est engagé. J'ai installé un comité de suivi de la charte des stages, signée entre les présidents d'université et les partenaires sociaux. A l'agenda de ce comité, la question cruciale de la professionnalisation des cursus. Au-delà des stages, il y sera également question d'alternance -pourquoi l'apprentissage serait-il réservé aux écoles d'ingénieurs ou de commerce et ne toucherait-il pas l'université ? Pourquoi les plus grandes écoles du pays, y compris les études médicales ou l'école nationale d'administration, pratiqueraient-elles l'enseignement en alternance et pas l'université ?-Présidé par Daniel Laurent, l'ancien président de l'université de Marne-la-Vallée et par Geoffroy Roux de Bezieurs, président de croissance plus, le comité devrait formuler un certain nombre de propositions concrètes dès la fin de l'année.
Enfin, j'ai décidé, dès l'année prochaine, de doubler le nombre de bourses de mobilité internationale attribuées aux étudiants, et d'en étendre le bénéfice à tous ceux dont les parents ne sont pas imposables. Désormais ce sont 30 000 étudiants -et non plus 15000- qui toucheront 400 euros par mois pour financer des séjours universitaires à l'étranger. La question de l'extension des programmes d'échanges européens Erasmus se posera ensuite. Je souhaite en faire un des thèmes forts de la présidence française en matière d'enseignement supérieur. Car je crois que désormais, la formation de notre jeunesse nécessite une expérience hors de nos frontières.
L'insertion professionnelle, dans les métiers de la recherche comme dans ceux de l'entreprise ou du service public exige de la clarté sur les compétences acquises et de la qualité sur les connaissances apprises. Vous l'avez compris, c'est dans cet esprit que je présenterai dans les semaines qui viennent mes propositions pour une licence universitaire rénovée.
Mesdames et Messieurs, embarqués dans cette aventure qu'est Phénix, vous êtes des pionniers. Vos camarades qui ont choisi un autre horizon, celui de la recherche, doivent vous être reconnaissants de cet engagement ; ils en seront eux aussi les bénéficiaires. Plus nos entreprises auront soif de culture, de langues et de lettres plus la recherche en sciences humaines apparaîtra pour ce qu'elle est, indispensable à un pays développé qui fait le pari d'une croissance durable et responsable.
D'ailleurs, je ne doute pas Mesdames et Messieurs les dirigeants d'entreprises, que lorsque vous aurez goûté aux qualités des titulaires de Master, vous aurez envie de découvrir ce dont sont capables nos jeunes docteurs en Sciences Humaines. Nous avons ce chemin là à faire ensemble, vous convaincre des compétences développées à l'université dans ces filières des Humanités à leur plus haut niveau.
Nous voulons également inscrire le doctorat dans une logique de professionnalisation. Tout en reconnaissant les spécificités nombreuses d'une recherche plus individuelle, plus cumulative aussi, je souhaite pour les jeunes historiens, latinistes, linguistes, germanistes, pour tous, que le doctorat devienne une expérience professionnelle à part entière articulée, elle aussi, au monde du travail.
C'est dans cet esprit que nous avons créé dès cette année 500 postes de doctorants-conseils pour que de jeunes spécialistes d'un domaine de connaissance apportent aux entreprises une expertise de pointe. Eh bien je suis sûre que les filières de sciences humaines se saisiront de ces perspectives de soutien à la recherche. Les écoles doctorales littéraires, elles aussi doivent se mobiliser pour favoriser non seulement le financement de leurs thésards mais aussi l'insertion future de leurs docteurs, et pourquoi pas dans l'entreprise....
Mesdames et Messieurs, de la Licence au Doctorat en passant bien sûr par le Master, vous devez pouvoir trouver des cadres performants. Pour cela, aux universités de savoir s'ouvrir davantage encore à vos attentes, sans renoncer en rien à leurs exigences de qualité. Je suis certaine qu'elles y sont prêtes. Elles disposent désormais d'une loi qui leur donne les moyens de leurs ambitions : plus de réactivité, plus de liberté, la capacité de mener une véritable politique de formation.
Phénix ouvre une brèche dans le mur d'indifférence que certaines filières de l'université et l'entreprise françaises ont patiemment bâti entre elles à force de condescendance réciproque. Je souhaite qu'ensemble nous puissions abattre définitivement ce mur et que la confiance s'installe durablement entre nos employeurs et l'ensemble de notre système de formation.
Mesdemoiselles et Messieurs vous y contribuerez, permettez-moi de vous souhaiter une pleine réussite dans la vie professionnelle qui s'ouvre devant vous.

Source http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr, le 3 octobre 2007