Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à "France 2" le 26 octobre 2007, sur la question de la gratuité dans les musées, l'audiovisuel public et les difficultés de l'industrie discographique.

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Média : France 2

Texte intégral

 
 
 
 
R. Sicard.- Aujourd'hui, beaucoup de Français vont se ruer dans les librairies - ça a d'ailleurs déjà commencé cette nuit, pour acheter Harry Potter. Cela montre l'intérêt des Français pour la lecture, mais est-ce que ça ne montre pas aussi que l'on manque, en France, de grands champions qui créeraient cet effet-là ?
 
R.- Evidemment, on ne peut pas décréter tout à coup qu'il va y avoir une J.K. Rowling en France, mais je pense que, vous savez, la littérature jeunesse se porte très, très bien en France, il y a pratiquement 7.000 titres chaque année, et en réalité, contrairement à une idée reçue, les jeunes, en France, lisent beaucoup, en tout cas ils lisent jusqu'à 13 ans. Alors, après, il y a un petit creux, le tout c'est qu'ils reviennent à la lecture ensuite, mais ils lisent beaucoup en France, c'est sans doute les premiers lecteurs européens aujourd'hui.
 
Q.- Alors, comment faire pour que ça se prolonge justement, pour que, après, on ne passe pas à la Game Boy ou à d'autres supports, d'autres centres d'intérêts ?
 
R.- La Game Boy, on ne peut pas tellement l'empêcher, mais ce que l'on peut dire, c'est que des jeunes qui ont lu jusqu'à 12/13 ans, et c'est le cas actuellement, ensuite reviendront sûrement à la lecture. C'est pour ça que je crois qu'il ne faut pas être pessimiste là-dessus, mais nous avons de très grands lecteurs et qu'il y ait une telle queue pour Harry Potter, cela montre que le livre peut être objet de désir, comme, je ne sais pas quoi, la PlayStation numéro 3, numéro 4, et ça, c'est quand même formidable.
 
Q.- Donc, pour vous, c'est une bonne nouvelle.
 
R.- Oui, c'est une très bonne nouvelle.
 
Q.- Là où il y a aussi du monde, c'est dans les musées, et vous lancez une initiative : vous allez faire la gratuité dans quatorze musées en France, à partir du 1er janvier. D'abord, pourquoi quatorze musées, pourquoi pas tous les musées ?
 
R.- D'abord, quatorze musées monuments... Il faut voir à peu près qu'il y a trente-cinq musées nationaux en France, donc il y a à peu près onze musées et des monuments, c'est donc quand même le tiers, donc c'est quand même une expérience significative. On les a choisis pour être à la fois des musées, par exemple d'histoire, comme Cluny ou Ecouen, des grands établissements comme Guimet, ou alors des musées de province ou des monuments historiques, par exemple le château de Pierrefonds, de façon à avoir un panel un petit peu représentatif.
 
Q.- C'est tenté sur six mois, donc, qu'est-ce qui fera dit que c'est un succès ou un échec ?
 
R.- On va justement examiner si la fréquentation augmente, si elle se maintient, parce que quelquefois, il y a des effets, un petit peu, des effets d'aubaine en quelque sorte, il y a une espèce d'effet lune de miel, est-ce que ça se maintient ? On va prendre des prestataires qui vont aussi examiner si on change le public, c'est-à-dire : est-ce que ce sont toujours les mêmes qui viennent ou est-ce que l'on arrive à faire venir ceux qui ne viennent pas dans les musées, c'est-à-dire cette fameuse tranche des 18/25 ans...
 
Q.- Ceux qui sont devant la PlayStation ?
 
R.- Alors, ceux qui commencent à quitter, quand même, la PlayStation, mais qui ne vont pas pour autant dans les musées et les monuments, et spécialement pour eux, on a mis en place une espèce de séquence dans des grands lieux parisiens, de gratuité le soir, de 18 à 21 heures, à la fois à Beaubourg, au musée d'art moderne, au Quai Branly, au Louvre, à Orsay. Cela va être comme des "happy hours", pour eux, pour les 18/25 ans le soir et ça va être aussi une autre expérience. Gratuité totale, d'un côté, des collections permanentes, gratuité partielle pour ces jeunes, dans ces grands lieux, le soir, et on va examiner ce qui marche, en réalité, c'est ça l'objet de l'expérience.
 
Q.- Mais, est-ce qu'on peut imaginer qu'un jour tous les musées en France soient gratuits ?
 
R.- Si l'expérience montrait qu'il y a un engouement nouveau, durable, pour les collections permanentes, par la gratuité, cela pourrait très bien être un choix politique. Mais il faut se situer, évidemment, par rapport...
 
Q.- Il faut payer...
 
R.- Voilà. Mais il faut se situer par rapport au budget de l'Etat, pas simplement par rapport au budget du ministère de la Culture. On pourrait dire : "oui, on le fait", voilà.
 
Q.- Dans les musées, il y a une tradition, elle date de plus de 1.000 ans : les musées français ne vendent pas leurs oeuvres. Et là, vous brisez un tabou : vous réfléchissez à la possibilité pour les musées, de vendre. Est-ce qu'il n'y a pas un risque, que ces oeuvres partent à l'étranger ?
 
R.- De toute façon, on n'en est pas là. Dans ma lettre de mission, on me demande en effet de voir si, au fond, il y a une possibilité d'aliéner, dans certaines conditions, les oeuvres. C'est vraiment une réflexion que j'ai ouverte avec J. Rigaud, qui est, je crois, un très grand connaisseur, un très grand sage...
 
Q.- L'ancien patron de RTL...
 
R.- Oui, entre autres, mais qui est un grand connaisseur de la culture. En fait, il faut bien sûr être prudent, il faudrait énormément de garanties scientifiques. De toute façon, ça existe déjà, c'est-à-dire la loi de 2002 prévoit que l'on peut déclasser une oeuvre. Il y a des commissions, évidemment, qui doivent se prononcer. Il faut examiner si on peut avoir une gestion parfois un petit peu dynamique, des collections dans certains cas, s'il y a par exemple des doublons ou autres.
 
Q.- Mais ce ne sera pas pour boucler les fins de mois.
 
R.- Ce n'est absolument pas pour boucler les fins de mois, et nous sommes très, très loin d'aliéner, évidemment, nos collections. Nous sommes extrêmement loin de cela et toutes les précautions seraient évidemment prises, mais la réflexion est strictement ouverte.
 
Q.- Là-dessus, il y a une polémique, en ce moment : la ville de Rouen veut vendre une tête momifiée de guerrier maori ; vous, vous êtes contre, pourquoi ? Parce que vous pensez que ça peut être un premier pas vers des oeuvres qui partiraient à l'étranger ?
 
R.- Il faut faire attention, parce que la ville de Rouen a décidé, en effet, de restituer, pas de vendre, cette tête maorie à la Nouvelle-Zélande, mais cette tête maorie, elle a, bien sûr, une dimension affective, une dimension éthique, si vous voulez, c'est un objet particulier. Mais c'est une pièce des collections et le musée de Rouen est un musée de France. Et donc, il y a une loi qui prévoit que quand même une commission doit se réunir, et éventuellement donner l'autorisation de déclassement et après, on peut quand même restituer. On voit bien avec, par exemple, les antiquités égyptiennes du Louvre, on voit bien avec toutes nos collections péruviennes, tout ce qu'il y a également au Quai Branly, qu'il faut quand même être prudent. Ce sont des collections nationales, c'est le patrimoine. Je défends le patrimoine, c'est tout à fait normal.
 
Q.- Sur un sujet très différent : vous êtes ministre de la Culture et de la Communication, et à l'Elysée il y a un conseille à la Culture et à la Communication qui s'appelle G.-M. Benamou ; on dit que vos rapports ne sont pas très bons... Qui prend les décisions, c'est lui, c'est vous ?
 
R.- Je crois qu'il y a un ministre de la Culture et de la Communication, effectivement, c'est moi, et je prends, j'ouvre des chantiers, je travaille, je prends et je prendrai des décisions et bien sûr je travaille avec l'Elysée, avec Matignon, sans aucune difficulté.
 
Q.- Il n'y a pas de problème ?
 
R.- Il n'y a pas de problème.
 
Q.- On a lu aussi que X. Darcos, le ministre de l'Education, était intéressé par la culture ; c'est vrai, c'est faux ?
 
R.- Je crois qu'on aime bien opposer les ministres entre eux. Je crois que X. Darcos a largement de quoi faire avec l'Education. Cela montre en tout cas que le ministère de la Culture est désiré et convoité, et ça, c'est quelque chose qui me fait plutôt plaisir. En tout cas, moi, j'ouvre mes chantiers, je travaille, je suis sereine.
 
Q.- Sur l'audiovisuel, vous avez dit que vous vouliez qu'il y ait des grands champions français de l'audiovisuel. Est-ce que le service public de l'audiovisuel en fait partie ?
 
R.- Bien sûr, le service public doit être un grand champion français ! Ceci étant, cela ne veut pas dire qu'il doit être... On n'est pas dans un univers privé, le service public doit remplir ses missions de service public, et en même temps, il faut bien sûr le renforcer, il faut qu'il puisse prendre tous les tournants des nouvelles technologies, haute définition, etc. qu'il soit pleinement présent.
 
Q.- Et c'est le cas, je crois.
 
R.- C'est le cas. Je crois qu'actuellement il faut le renforcer dans sa démarche, qui est aujourd'hui lancée par ses dirigeants, vers un virage éditorial plus culturel, et il y a eu le premier visionnage de "Guerre et paix", je crois, qui est absolument remarquable...
 
Q.- Qui sera diffusé début novembre sur France 2.
 
Voilà. Et il faut aller aussi dans une voie, sans doute, d'évolution de son organisation. R.- C'est comme ça que le service public pourra toujours plus s'affirmer. Bien sûr, nous allons être à ses côtés.
 
Q.- Il y a un autre dossier en cours, c'est celui du téléchargement, qui a mis en grosses difficultés l'industrie du disque. Bous avez lancé une mission, vous l'avez confiée au patron de la FNAC, elle doit rendre ses conclusions. Qu'est-ce qui va en sortir ?
 
R.- Elle va rendre ses conclusions fin novembre. Je crois que les choses bougent dans le bon sens, on est assez optimiste. On est dans une phase de négociations, maintenant, un peu fine, on est vraiment à la fin...
 
Q.- Mais il va y avoir des sanctions, qu'est-ce qui va se passer ?
 
R.- Il faut à la fois qu'il y ait une offre légale intéressante et attractive et il faut en même temps que les internautes soient dissuadés de télécharger, parce que quand on va pirater un film, eh bien c'est un vol, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ! Et donc, il faut créer les conditions qui fassent qu'on ne le fasse plus ou beaucoup moins.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 26 octobre 2007