Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à "France 2" le 23 octobre 2007, sur le projet de loi sur l'autonomie des universités et le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
R. Sicard.- Bonjour à tous. Bonjour V. Pécresse.
 
Bonjour.
 
Q.- On a appris ce matin que cinq chercheurs étaient morts à l'université de Jussieu des suites de l'amiante. Le problème de l'amiante à Jussieu, ça fait longtemps que l'on en parle. Est-ce qu'il a été fait ce qui devait être fait ?
 
R.- D'abord, pour dire que ça remonte à des années ces décès mais que c'est un problème effectivement très grave et que le désamiantage de Jussieu ça a été une de mes priorités des que je suis arrivée. Le chantier était encalminé dans des difficultés administratives et des querelles de personnes.
 
Q.- Il était bloqué, clairement.
 
R.- Il était bloqué et j'ai pris toutes les mesures, dès que je suis arrivée, pour le débloquer. Les travaux de l'aile ouest ont commencé dès l'été et nous avons cette année 200 millions d'euros mis pour l'avancement du chantier, qui, là, maintenant, met les bouchées doubles.
 
Q.- Ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a encore des gens qui travaillent à Jussieu. Est-ce qu'ils travaillent sans danger ? Est-ce qu'il y a un danger, encore, lié à l'amiante ?
 
R.- Non, ils travaillent sans danger, mais néanmoins il faut qu'on poursuive ce chantier, qu'on le poursuive à marche forcée, parce qu'il n'est pas normal d'avoir des chercheurs qui du coup travaillent dans des conditions totalement précaires et ils sont obligés de déménager, etc. Il faut qu'ils réintègrent des locaux désamiantés, propres, neufs.
 
Q.- Mais pourquoi l'université n'a pas été vidée, le temps des travaux ?
 
R.- C'est un choix qui a été fait il y a des années, de désamianter, en locaux occupés.
 
Q.- On se rappelle que J. Chirac avait dit : « Il faut tout vider ».
 
R.- Ecoutez, moi, en tout cas, j'en ai tiré une leçon, c'est qu'effectivement, désormais, quand on désamiante, il vaut mieux le faire en locaux vides, parce que sinon le chantier prend beaucoup de retard, c'est très difficile de faire déménager des gens, de les réinstaller, etc., dans des locaux occupés, c'est vraiment très difficile et Jussieu est vraiment quelque chose qui doit être un enseignement pour nous sur la méthode de conduite des chantiers de désamiantage.
 
Q.- Mais aujourd'hui, vous le redites : aujourd'hui, il n'y a plus de danger pour ceux qui sont à Jussieu ?
 
R.- Il n'y a pas de danger pour ceux qui sont à Jussieu aujourd'hui, mais il faut absolument que nous ayons un très beau campus à Jussieu, moderne et digne du XXIème siècle.
 
Q.- Est-ce qu'il y a d'autres universités qui sont concernées par ce problème de l'amiante ?
 
R.- Bien sûr. Nous avons des plans de mise en sécurité de nombreux locaux, qui ont été par le passé amiantés ; c'est des choses qui sont maintenant connues, qui sont vraiment vues dans les universités et nous avons des commissions de sécurité qui passent très régulièrement et nous mettons tous les locaux aux normes, parce que c'est une priorité de santé publique. Dans le budget qui est le mien, j'ai d'ailleurs augmenté encore les crédits de mise en sécurité. Ça ne concerne pas que l'amiante, ça concerne tous les risques qui sont liés à l'immobilier universitaire qui, vous le savez, doit faire l'objet d'une priorité pendant les 5 années qui viennent, parce que l'immobilier universitaire s'est considérablement dégradé dans les années passées.
 
Q.- Autre sujet de la matinée, le Contrat nouvelles embauches. On apprend que l'Organisation internationale du travail considère qu'il est non conforme au droit du travail et que donc, il va être supprimé. Comment, vous, vous prenez ça, ministre des universités, sachant que le CNE ça concerne beaucoup les étudiants ?
 
R.- Moi j'ai été l'une des premières députés à avoir alerté le Gouvernement, à l'époque, au moment des ordonnances sur le CNE...
 
Q.- Le gouvernement Villepin.
 
R.- Le gouvernement Villepin, sur le fait qu'il me semblait qu'il y avait une maladresse de présentation dans le CNE. On disait : une période d'essai de deux ans. Une période d'essai ne peut pas être de deux ans. On ne met pas deux ans à juger de la valeur d'un salarié. En revanche, ce que voulait faire le gouvernement Villepin et il y avait derrière quelque chose d'intéressant, qui aurait dû être peut-être davantage creusé, c'était dire que pendant les deux premières années de l'emploi CNE, il fallait peut-être vérifier qu'il était valable économiquement pour l'entreprise et que l'entreprise avait les moyens d'avoir un salarié supplémentaire, et mettre pendant deux ans une période où l'emploi pourrait se consolider économiquement. Mais la façon dont on l'a présenté et le fait que, effectivement, on peut mettre fin, sans motif, au CNE, je pense que c'est ça qui a été condamné par l'OIT et à mon sens, à juste titre, parce que l'absence de motifs est quelque chose qui est en général condamné par les juridictions du travail.
 
Q.- Mais la fin du CNE, pour vous, c'est une bonne nouvelle, une mauvaise nouvelle ?
 
R.- Il va falloir que nous travaillions et c'est tout l'objet de la "loi autonomie des universités", du plan « réussir en licence » que je prépare, il va falloir que nous travaillions à conduire tous nos étudiants vers le marché du travail. La loi que j'ai présentée au Parlement cet été, elle donne une troisième mission à l'université, c'est l'insertion professionnelle, et je crois qu'il était temps. Je crois que nos jeunes, nos enfants, attendent désormais de nous, nous, les politiques, nous leurs parents, que nous leur donnions une éducation mais aussi que nous les conduisions vers l'emploi, et donc, de ce point de vue, je crois qu'il y a toute une série de réformes à faire et le pays attend.
 
Q.- Pendant les manifestations contre la réforme des régimes spéciaux de retraite, on a vu des banderoles étudiantes contre justement cette loi sur l'autonomie des universités. Des étudiants demandent la suppression de cette loi. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
 
R.- Je leur réponds que c'est une loi que l'on attend depuis 20 ans, que la communauté universitaire attend depuis 20 ans, pour améliorer l'enseignement à l'université. Parce que la "loi autonomie" ça va permettre aux universités de recruter les meilleurs professeurs. Ça va leur permettre d'ouvrir et de fermer des formations en fonction des besoins des étudiants.
 
Q.- Ça ne va pas faire une université à deux vitesses, comme le craignent certains étudiants ?
 
R.- Ça va aussi leur permettre, pardon, excusez-moi, de nouer des liens avec le monde socio-économique, qui sont pour l'instant des liens beaucoup trop ténus entre l'université et les entreprises. Alors, des universités à deux vitesses, vous me dites, eh bien c'est la réalité d'aujourd'hui et tous les parents la connaissent. Et aujourd'hui, nous avons des universités qui ne vont pas à la même vitesse, sauf qu'en plus elles courent avec les pieds attachés. Avec la loi autonomie, elles courront vraiment, et elles pourront prendre des initiatives, elles pourront simplement, et ça c'est vraiment quelque chose que lequel je veux insister, l'Etat va les accompagner. Cette loi, ce n'est pas un désengagement de l'Etat. L'Etat va mettre au point une mission d'accompagnement de l'autonomie, nous allons aller faire des audits d'organisation dans toutes les universités, nous allons créer sept à dix emplois d'encadrement dans chaque université, pour leur permettre de gérer leur patrimoine, de gérer leur budget, de gérer leurs ressources humaines, donc d'être autonomes et puis, d'une manière générale, nous allons leur donner les moyens de se regrouper, pour qu'elles soient plus fortes. Parce qu'une toute petite université dans une ville moyenne se sent bien seule. Et donc il faut que l'on crée ce que l'on appelle des pôles de recherche et d'enseignement supérieur et que plus aucune université, d'ici quelques années, un an, deux ans, plus aucune université ne soit seule et isolée, dans son territoire.
 
Q.- A propos de moyens, c'est bientôt le budget des universités. Ça sera un budget d'économies ou pas ?
 
R.- C'est un budget totalement inédit dans son montant, puisque c'est un milliard d'euros supplémentaire pour l'université, 800 millions d'euros supplémentaires pour la recherche. C'est totalement inédit, mais ce n'est qu'un début, parce que le président de la République l'a dit, c'est 5 années d'efforts consécutifs, c'est 5 milliards de plus, au total, pour l'université, 4 milliards de plus pour la recherche, et je vais peut-être vous surprendre : je ne me satisfais pas de ces montants, parce que...
 
Q.- Vous voulez encore plus.
 
R.- Je veux encore plus et je veux de l'argent privé aussi. Je veux que les anciens élèves des universités deviennent mécènes et donnent à leur ancienne université. Je veux que les entreprises donnent à des fondations universitaires, parce que je le dis, et je le dirai haut et fort : je crois qu'aujourd'hui la priorité c'est la formation de nos enfants et que tout l'argent qui est disponible dans l'économie française doit s'investir sur la formation de nos enfants et notre recherche, mais nous avons tout défiscalisé maintenant, donc il y a des vraies incitations fiscales pour donner.
 
Q.- Sur la recherche, justement, les chercheurs sont inquiets, notamment ceux du CNRS, ils disent que vous voulez les obliger à chercher dans certaines directions. Est-ce que c'est à vous ou est-ce que c'est à eux de dire sur quelles pistes il faut s'engager ?
 
R.- Les deux. Pourquoi ? Parce que je crois que la science, d'une manière générale, elle est au service de la société. Donc, il y a des priorités sociétales dans lesquelles il faut que la recherche s'engage nécessairement et c'est le rôle du politique, qui a été élu par la société, de dire : voilà, il y a des priorités - Alzheimer, l'environnement - c'est des priorités sociales, c'est des défis du XXIème siècle. Et c'est mon rôle, en tant que ministre de la recherche, de leur dire « il faut chercher dans ce domaine-là ». Mais, il faut aussi que les organismes aient des stratégies scientifiques. Pourquoi ? Eh bien parce que quand il y a la vache folle, on est bien content que même si ça n'était pas une priorité par le passé, il y a un chercheur qui a continué, sans son laboratoire, à chercher sur le prion.
 
Q.- Merci V. Pécresse.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2007