Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et entretien avec les radios et télévisions sur les acquis de la conférence de Rambouillet sur l'autonomie substantielle du Kosovo et sur le rôle du Groupe de contact pour faire évoluer la négociation, Rambouillet le 23 février 1999.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Fin de la conférence de Rambouillet sur les négociations de paix sur le Kosovo, du 6 au 23 février 1999

Média : Télévision

Texte intégral

Conférence de presse :
Q - Comment qualifieriez-vous laccord obtenu cet après-midi ? Est-ce un accord potentiel ? Est-ce un accord en suspens ? Est-ce un accord virtuel ? Comment qualifiez-vous cela ?
R - Je dirais que cest un accord sur les principes de la solution. Cela est conforme à lobjectif que nous nous étions fixé à Londres, le 29 janvier. La deuxième chose simple que jajouterai cest que nous avons enclenché un processus de règlement. On le sait à propos de tous les grands conflits qui existent dans le monde, aucun problème ne se résout en une seule réunion. Il suffit de penser au Proche-Orient par exemple et même à dautres questions en Europe. La question est de savoir sil y a processus de solution ou non, sil y a ou non des processus de paix, sil y a ou non une espérance de solution ?
Je crois quà Rambouillet, nous avons posé le socle dune solution et nous avons bâti une espérance. Pour les uns comme pour les autres, nous avons défini ce que peut être leur coexistence. Cest extraordinairement compliqué, nous le savions, nous lavions dit avant, je le dis aujourdhui.
Nous avons enclenché ce processus et aujourdhui, les deux délégations nous ont dit, avec des réserves qui ne sont pas les mêmes de part et dautre, quelles étaient daccord sur les grands principes de laccord intérimaire que nous avions élaboré au sein du Groupe de contact et quelles étaient daccord pour revenir discuter des modalités dapplication.
Q - Cest quand même une révision à la baisse des ambitions de Rambouillet ?
R - Non. Quand vous avez affaire à un problème de ce type ou à un drame sans solution, - encore une fois pensez au Proche-Orient, au Moyen-Orient, à lIrlande du Nord ou à dautres problèmes, il y en a beaucoup dans le monde -, vous faites toujours le plus possible, vous allez le plus loin possible, cela ne sarrête pas. Il ne faut pas y penser comme si cétait un sujet dont on soccupe un certain temps et quaprès on loublie, ce sont des processus continus.
Sur le Kossovo, il ny avait pas de processus, on ne pouvait pas sinterroger sur le Kossovo à propos de larrêt ou du ralentissement du processus de paix, il ny avait pas de processus, il ny avait aucune perspective de solution, il ny avait rien en vue. Nous avons réussi à transformer ce qui était simplement un projet du Groupe de contact, initié avec beaucoup de constance au niveau de ces six pays membres depuis mars 1998. Nous avons réussi à le transformer à force de travail. Cest en même temps une démonstration de méthode sur la manière dont on peut faire travailler ensemble, sans aucun esprit de compétition, de rivalité, en transcendant ce type de réaction, les Etats-Unis, quatre pays dEurope, la Russie, les négociateurs et nous avons réussi à transformer ce projet du Groupe de contact en socle, en fondation dun accord. Mais il faut que cet accord soit complet, nous le savons bien, y compris dans ses dispositifs de mise en oeuvre, doù la suite.
Q - Même si cet accord nest pas complet, quels sont les principaux acquis de ces dix-sept jours de négociations ?
R - Les acquis diplomatiques à ce stade, cest que les Serbes, les Yougoslaves, acceptent le principe dautonomie du Kossovo. La discussion nest pas complètement terminée sur ce point. Lautonomie est un terme qui recouvre beaucoup de choses qui peuvent se discuter dans le détail, doù la question de la mise en oeuvre. Ils en acceptent le principe, alors que cest quelque chose qui était refusée avant Rambouillet, elle avait existe dans le passé, mais un terme avait été mis pour des tas de raisons. On nous expliquait sans arrêt quil était impossible de revenir à cette situation, a fortiori de revenir à une situation améliorée.
Du côté des Albanais du Kossovo, il y avait une seule revendication : lindépendance, par le biais mécanique dun référendum, qui reste en quelque sorte laspiration dune partie des responsables des Albanais du Kossovo. Il nempêche, quaujourdhui, ils ont fait une lettre au Groupe de contact pour dire quils acceptaient de signer dès quils auront consulté leur base. Cest pour cela quils ont demandé cette quinzaine de jours. Ils acceptent de signer les principes de cet accord qui repose sur autre chose. Ce qui est très important à nos yeux, cest que cette autonomie substantielle qui est un énorme progrès à partir duquel ils devraient pouvoir rebâtir leur coexistence avec les voisins. Voilà des choses que personne naurait pu dire il y a trois semaines.
A part cela, je crois que cest très important pour ces délégations davoir été ici, davoir été en contact de façon constante, avec des ministres représentant six grands pays, avec des négociateurs représentant les Etats-Unis, les Européens et les Russes, davoir été dans cette négociation, de confronter leur vision des choses à celle des autres et de souvrir tout simplement sur le monde extérieur, sur le monde réel, sur un monde qui nest pas celui du XIXème siècle.
Q - Comment expliquez-vous que Madeleine Albright, malgré tous ces efforts ces dernières quarante-huit heures, et le poids quelle représente, diplomatique, militaire et politique, nait pas réussi, là où elle espérait pouvoir réussir ?
R - Je ne pense pas quelle considère quelle na pas réussi. Je voudrais saluer lénergie quelle a déployée ici, un moment donné de la négociation, tout en étant en parfaite coordination avec les deux coprésidents et les autres membres du Groupe de contact. Il nous est bien apparu à tous quelle était la mieux placée pour tenter de résoudre ce problème. A dautres moments, cétait plutôt Robin Cook ou moi-même ou M. Fischer. Donc, nous avons essayé dutiliser au mieux, selon les moments de la négociation, ce que représentait chacun dentre nous, compte tenu du fait quil était ministre de tel ou tel pays. Nous avons vraiment travaillé comme une équipe, en mettant en avant le joueur le mieux placé, selon les moments. A un moment donné, il a semblé à tout le monde quelle était la mieux placée par rapport à cette inquiétude des Kossovars. Il était arrivé tout simplement ce qui se passe dans des négociations difficiles de ce type, une opposition totale les deux parties. Il y a un mur de méfiance qui est extrêmement difficile à surmonter de part et dautre. Comment convaincre ? Comment amener les uns et les autres à entrer dans un processus . Ils ont peur de perdre leurs principes, de se renier, de perdre leur identité.
Il faut donc bâtir des processus - excusez-moi encore demployer ce terme, mais il est bien représentatif de ce que nous faisons. Il faut que chaque avancée soit consolidée pour pouvoir avancer et vous avez une démonstration à travers ce qui sest passé depuis les premières réunions du Groupe de contact en mars 1998, ce qui sest passé pendant des mois, à travers les navettes de Christopher Hill et des autres négociateurs entre Belgrade et Pristina, entre tout ce qui sest passé ici, chacun à pu suivre au jour le jour.
Vous avez tous pu observer ce que nous avons vécu, cest-à-dire une opposition fondamentale, profonde et une conception de la vie politique, une conception des relations internationales, une conception de la vie des peuples qui fait quil y a vraiment des pas de géant à faire pour que ces différents responsables arrivent à admettre le fait que lon peut résoudre ces problèmes tragiques de coexistence difficile entre les peuples par dautres procédés que ceux de laffrontement et de la violence. Ce sont des chemins que dautres peuples ont dû faire ailleurs, notamment en Europe occidentale. Cest très long, cest très difficile. Nous avons tout fait pour créer autour ce cette situation une prise en charge, un encouragement et bâtir plus de confiance et Mme Albright a déployé beaucoup dénergie. Elle a beaucoup contribué, comme chacun des autres, à ce résultat, parce que cest un résultat, je le répète, avant de vous laisser nous avons vraiment enclenché quelque chose aujourdhui.
Q - Sil ny a pas daccord, quallons-nous pouvoir faire ?
R - Nous avions pas mal didées à chaque difficulté, mais à chaque fois, nous les avons gardées pour nous. Je ne veux pas entrer maintenant dans une spéculation fondée sur le fait que le 15 mars, cela pourrait ne pas marcher. Ce nest pas anormal toutefois que lon se pose des questions de ce type. Avant que lon ait commencé à re-réunir le Groupe de contact, on nous disait « que va t-il se passer ? Certains pays naiment pas le Groupe de contact ? Vous avez demandé aux parties de venir, de façon un peu autoritaire, elles ne vont pas venir, il ny en aura quune des deux ». Ensuite on nous a dit : « Quallez-vous faire si une des parties part au milieu » ?
On peut se poser des questions comme cela tous les jours. Notre métier est davoir à lesprit toutes les hypothèses, y compris celles où les choses se bloquent et davoir à lesprit des réponses. Je ne veux pas publiquement entrer dans ces hypothèses. Je ne veux pas me placer dans cette hypothèse. Je veux faire aujourdhui le pari quil sest passé quelque chose au sein de ces deux délégations, « il va se passer quelque chose au sein de ces peuples et quils vont finir par penser quils ont plus à gagner et moins à perdre que ce quils pensaient à entrer dans ce processus avec laccompagnement, lincitation, parfois la menace - il faut le dire - de internationale. Cest tout notre pari, cela ne peut pas se gagner en une fois, comme je ai répondu tout à lheure à une autre question. Nous avons maintenant un processus quil faut faire vivre, avant nous navions rien.
Entretien avec les radios et les télévisions :
Q - (sur le bilan de la réunion)
Le ministre - Pour la première fois, nous avons enclenché un processus de solutions. Il ny avait jamais eu de perspectives de solutions convenables pour ce problème du Kossovo. A force defforts, en concentrant lénergie de la diplomatie de six pays, on a réussi à faire bouger les choses. Les principes fondamentaux de laccord intérimaire que le groupe de contact avait élaboré ont été acceptés avec des réserves, avec des amendements, les Serbes font des réserves sur certains points, les Albanais veulent consulter leur base parce quils ne sont pas sûrs. Mais sur les principes fondamentaux, nous avons atteints laccord, cest lobjectif que nous nous étions fixé à Londres. Je suis donc sous cet angle-là satisfait, à condition dajouter aussitôt que nous savons tous que ce sera encore un long processus. Nous sommes déterminés à continuer.
Q - Etes-vous content ou non ?
R - Je suis satisfait dune chose : je crois, quici à Rambouillet, à force defforts, dénergie, de coordination entre les Américains, les Européens et les Russes, et en faisant travailler, selon les jours et selon les moments, plus tel ministre que tel autre, selon quil était plus ou moins bien placé par rapport aux problèmes à résoudre, nous avons réussis tous ensemble à enclencher un processus de solutions pour cette affaire du Kossovo alors quil ny avait jamais eu aucune perspective.
Q - Concrètement, vous avez réussi à faire quoi exactement ?
R - Nous avons réussi à arracher - il ny a pas dautres termes - aux délégations kossovares et serbes lacceptation dun accord fondé sur lautonomie substantielle.
Q - Un accord quils nont pas signé physiquement et que vous navez pas signé physiquement ?
R - Il y a un document dans lequel figurent les clauses de laccord, quils connaissent, quils ont étudié, par rapport auquel ils ont réagi. Les Albanais ont dit : « daccord mais nous voulons consulter notre base », les Serbes ont dit : « daccord sur certains points mais nous avons des réserves sur certains points qui restent à discuter ». Cest pour cela quil faut faire suivre cette séance, cette cession dune conférence de mise en oeuvre qui doit porter sur tous les aspects et civils et militaires de lapplication de laccord.
Q - Croyez-vous quensuite les Serbes voudront de laccord militaire dans trois semaines ?
R - Nous connaissons évidemment toutes les difficultés, on ne les découvre pas maintenant. Cest en connaissance de cause que nous avons entamé ce processus. Cest pour cela quil y a eu tant defforts, tant de présence, tant dénergie, tant de ministres, tant dheures passées, tant defforts des négociateurs à tous les niveaux
Nous nallions pas les lâcher - si vous me permettez lexpression - parce que nous voulions cette solution. Elle est indispensable pour ces peuples qui ont trop soufferts, ils se sont trop affrontés, elle est indispensable pour lEurope. Limportant pour nous, cest davoir engagé cela. Maintenant nous allons continuer.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 1999)