Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à "Radio Classique" le 6 novembre 2007, sur la mise en place d'études surveillées, le service minimum dans l'éducation nationale, la scolarisation des enfants sans papier, la réduction des effectifs des enseignants et l'affaire de l'Arche de Zoé.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Toujours en compagnie de X. Darcos, ministre de l'Education, on parlait avant le rappel de l'actualité de la musique classique et évidemment une belle perspective. Mais l'actualité n'est pas uniquement composée de ces perspectives réjouissantes. X. Darcos, on est pratiquement jour pour jour, d'ailleurs on l'est, à 6 mois, 6 mois de présidence Sarkozy. Le Gouvernement aussi a pratiquement 6 mois d'existence. Vous, ministre de l'Education, quel bilan vous tirerez de ces 6 mois ? De quoi vous êtes le plus fier parmi les chantiers que vous avez menés, si j'ose dire ?
R- Nous avons ouvert beaucoup de chantiers consécutifs à la lettre de mission que m'a adressée le président de la République et le Premier ministre. Sans aucun doute l'un des plus importants a été la mise en place des études surveillées quatre jours par semaine, à raison de deux heures chaque jour dans les collèges. Nous commençons à cette rentrée. Nous commençons demain. Et cette expérience va permettre à tous les élèves des collèges, qui sont dans l'éducation prioritaire cette année, et à tous les collégiens l'an prochain, d'être accompagnés en fin de journée pour faire des devoirs supplémentaires, pour faire du sport, pour faire de la musique précisément. Bref pour avoir toutes sortes d'activités que parfois, ils ne trouvent pas chez eux. Car l'environnement familial est un élément déterminant de la réussite scolaire, nous le savons. Les élèves dont les parents sont professeurs par exemple ou cadres supérieurs, réussissent beaucoup mieux, tout simplement parce qu'ils ont dans leur famille des gens qui peuvent les accompagner sur le plan culturel et scolaire.
Q- Est-ce que c'est plus difficile quand on est ministre de l'Education d'un Gouvernement de droite de s'adresser à un personnel enseignant dont on dit qu'il est plutôt à gauche ? Est-ce que ça a été plus difficile ou ça dépasse les clivages politiques ?
R- Oui je crois, en effet, que l'immense majorité des enseignants est très marquée par la tradition républicaine et du coup a plutôt tendance à voter à gauche, encore que les choses évoluent énormément, nous l'avons vu aux dernières élections. Mais en même temps, je crois que les professeurs savent que je suis moi-même très attaché aux valeurs de l'école, aux valeurs de la République et aux valeurs de l'école de la nation. J'ai été moi-même enseignant pendant plus de 20 ans et donc ils ne me considèrent pas comme un intrus. Il faut surtout faire entendre aux enseignants ce qu'ils ne croient pas assez : c'est à quel point la nation les aime au fond. Les professeurs sont aimés par les parents et par les élèves dans leur immense majorité.
Q- Et ça ils ne le sentent pas assez ?
R- Ils ont plutôt le sentiment qu'on ne les comprend pas, qu'on les embête, qu'on se méfie d'eux, qu'on les paye mal, qu'on veut les réduire à la portion congrue. Ils ont toujours un sentiment un peu de frustration. Je schématise un peu mais c'est souvent le cas, parce qu'ils sont au premier rang de toutes les difficultés sociales, ils assurent le métier le plus important dont nous ayons besoin, transmettre. Surtout dans un monde où on ne fait que communiquer, eux, au moins, ils transmettent. Ils assurent des valeurs dont la société elle-même se dispense souvent : la ponctualité, le savoir, le respect, que sais-je. Et ils se demandent si on est vraiment toujours conscient de la hauteur de leur tâche. Je pense qu'ils se rendent compte que le ministre de l'Education nationale que je suis, est conscient de cela.
Q- Cela veut dire qu'ils sont à vos côtés, effectivement, quand par exemple vous dévoilez plusieurs aspects de la réforme de l'enseignement primaire et qu'on annonce, par exemple, pour les élèves de CM1 et de CM2 des stages de remise à niveau durant les vacances de printemps ou d'été ? Ca, ça va rentrer en fonction dès cette année, pour les parents d'élèves qui nous écoutent ?
R- Oui dès cette année ainsi que les deux heures de soutien qui vont être apportées aux élèves en plus grande difficulté. Les deux heures à l'école primaire. J'ai le sentiment que les professeurs comprennent l'importance de travailler différemment, de consacrer plus de temps à ceux qui ont plus de difficultés, qu'ils comprennent aussi que l'organisation du temps de travail doit évoluer. Et donc pour l'instant...
Q- Mais il y a pas de service minimum dans l'Education parce qu'on parle d'un mois de novembre qui est marqué par les grèves dans les transports, peut-être que les parents d'élèves qui nous écoutent se disent : tiens ça va peut-être avoir une conséquence pour moi qui emmène mon fils ou ma fille à l'école. On est pas encore dans la phase - par exemple vous parliez du temps de travail - service minimum dans l'Education nationale parce qu'on avait eu le sentiment que c'était un peu une patate chaude monsieur le ministre ?
R- Oui c'est vrai. Mais le service minimum dans l'Education nationale ne peut être que l'accueil des élèves. On n'imagine pas qu'on fasse un quart d'heure de mathématiques au lieu d'une heure ou que sais-je. Donc le service minimum c'est d'abord que les élèves soient accueillis, qu'ils ne soient pas à la rue. Nous en parlons, nous y travaillons et je pense qu'on obtiendra assez rapidement au moins un accord sur ce...
Q- Dans quelques mois ?
R- Oui je pense que l'année prochaine, nous allons pouvoir avoir une discussion sur ce sujet. Il est vrai que dans l'immense majorité des cas, en tous les cas l'école primaire, les enfants sont rarement livrés à eux- mêmes, ils sont rarement à la rue mais enfin il faut que nous le formalisions.
Q- X. Darcos, en cette rentrée qui date un petit peu mais finalement beaucoup avaient pressenti l'avènement d'un problème qui avait été récurrent la saison dernière : la question des élèves sans papiers. Or finalement, on n'a pas tellement entendu parler, si j'ose dire, il n'y a pas eu de faits marquants. Cela veut dire que le problème est réglé par les acteurs au quotidien, ça veut dire que des dispositions particulières ont été prises ?
R- Les élèves sans papiers sont des élèves et l'école de la République accueille indifféremment, sans autre condition, les élèves qui sont en âge d'être scolarisés, en ne leur posant aucune question. J'ai même pris la précaution dans le cadre des indications de ce qu'on appelle une base élèves, qui est une série de documents informatiques qui accompagnent les élèves, que la nationalité ne paraisse pas dans les indications que nous donnons, pour respecter cette grande tradition républicaine. Et donc c'est une des raisons pour lesquelles il y a pas de difficulté. Nous ne nous posons pas de question. En revanche, évidemment, il n'est pas question de s'opposer à l'application de la loi pour ce qui concerne les gens qui sont en situation irrégulière hors de l'école, à l'extérieur de l'école. Et il n'est pas question non plus que le fait d'avoir un enfant scolarisé donne droit à une naturalisation automatique, évidemment.
Q- Cela veut dire concrètement que dans ce contexte, vous annoncez beaucoup de réformes. Vous voulez vous battre contre la dégradation de résultats, finalement, des données scolaires en fait, faire en sorte que les Français et les petits Français possèdent le patrimoine de lecture. C'est-à-dire que vous arrivez à mettre en place ces réformes et qu'il y a pas de risque de diminution des effectifs comme certains syndicats l'avaient laissé entendre, en disant que X. Darcos, il arrive avec ses réformes, le problème c'est que si on est moins nombreux, on ne va pas pouvoir jouer le jeu ?
R- Oui, mais écoutez, quand on est un peu plus d'un million, qu'on soit 10.000 de plus ou 10.000 de moins, c'est évidemment important mais enfin, ce n'est pas fondamental. Nous allons perdre 10.000 professeurs sur près de 1,200 000, c'est à dire à peu près 0,7% de notre effectif. Imaginez qu'on ait non pas perdu 10.000 de profs mais qu'on en ait ajouté 10.000, est-ce que le système aurait été évidemment automatiquement meilleur ? Il en est rien. Il s'agit de s'organiser, de faire en sorte que les déperditions ici ou là de services diminuent. Et d'ailleurs les suppressions d'emploi, enfin les non renouvellements plus exactement d'emplois qui sont prévus ne concernent pas que l'enseignant, pas du tout. Ils concernent aussi les personnes administratives, des cadres, des stagiaires, que sais-je. Donc tout ceci doit se passer dans de très bonnes conditions.
Q- X. Darcos, des questions qui sortent peut-être du spectre de l'Education stricto sensu. Bon c'est vrai que ces derniers temps, il y a eu des flottements dans les sondages. On a dit Sarko/Fillon perdent des points, si j'ose dire au niveau de la popularité. Vous vous sentez en dehors de cette logique de sondages qui scrutent les performances de popularité du Premier ministre
et du Président ?
R- Ecoutez moi je suis solidaire du Gouvernement et quand je vous reculer dans les sondages mes amis, le président de la République ou le Premier ministre, évidemment je me sens tout à fait solidaire et je souhaite tout faire pour que ceci ne se produise pas. Mais pour dire les choses clairement et très sincèrement, je n'ai pas du tout l'oeil rivé sur cela en ce qui me concerne. Moi je considère que j'ai reçu une lettre de mission très précise et très ambitieuse d'ailleurs de N. Sarkozy, qui me demande d'accomplir ce qui a été annoncé dans la campagne présidentielle. Je m'y tiens en respectant mes partenaires, en travaillant avec les syndicats, en travaillant avec tout le monde. Mais je me tiens à cette lettre et c'est, je dirais, ma seule ligne d'horizon.
Q- X. Darcos, un dernier mot. Vous êtes ministre de l'Education, vous êtes évidemment titulaire d'un portefeuille qui a trait à la vie des enfants. Il y a eu cette affaire de l'Arche de Zoé qui continue de peupler l'actualité. Est-ce que ça vous inspire un commentaire ? Bon, les journalistes sont libérés, on a des compatriotes qui sont encore là bas. Il y a eu le sort de ces 103 enfants. Est-ce que ça fait réfléchir l'homme d'éducation que vous êtes ?
R- Je crois que très souvent le mieux est l'ennemi du bien et qu'il y a souvent des engagements humanitaires qui reposent sur beaucoup de générosité mais qui parfois, conduisent des honnêtes gens à être pris dans des réseaux moins respectables. Et il y a certainement parmi ces gens qui se sont engagés dans l'Arche de Zoé, des gens sincères et qui ont, tout simplement, voulu sauver des enfants qui sont en très grandes difficultés et qui risquaient de connaître au Darfour un sort épouvantable. Mais il est clair d'après ce que nous pouvons savoir, mais l'enquête est en cours, que ceux qui étaient les organisateurs de tout cela étaient moins clairs et qu'il y avait, ni plus ni moins en l'occurrence, une sorte de trafic d'enfants, pour parler clair. Et tout ceci est évidemment inacceptable.
Q- Et ça veut dire peut-être que ça ouvre des champs de réflexion pour le ministère de l'Education à l'extérieur, une aide concrète pour ces enfants pour qu'ils puissent être scolarisés même si c'est aussi du ressort de vos collègues du quai d'Orsay ?
R- Il se fait beaucoup de choses. Alors en l'occurrence j'ai été pendant deux ans ministre de la Coopération, du Développement et de la Francophonie donc je connais bien ces questions d'éducation pour tous. Il y a d'immenses projets au niveau international qui sont guidés par l'ONU dans le cadre des objectifs du millénaire, que nous accompagnons. Et vous savez que parmi les objectifs du millénaire, il y a le fait de scolariser tous les enfants et en particulier les filles en Afrique. Il faut laisser les grandes organisations internationales et qui ont compétence pour cela, organiser les choses et nous demander de l'aide ponctuellement. Mais je ne pense pas qu'il faille que nous nous en mêlions et que nous prenions des initiatives trop brutales ou trop ponctuelles ou trop isolées. On l'a bien vu dans cette affaire.
Q- Merci, X. Darcos, ministre de l'Education, d'avoir été avec nous ce matin. Et puis on vous attend cet après midi à l'Olympia pour une perspective plus festive.
R- Exactement, je vais cet après midi à l'Olympia pour parler de musiques de films avec nos élèves et puis parler évidemment, surtout, de Radio Classique Lycéens.
Q- Voilà une bonne nouvelle termine cet entretien. Merci d'avoir été avec nous ce matin, X. Darcos.
R- C'est moi qui vous remercie.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 novembre 2007