Interview de M. Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, et de Mme Agnès Naton, secrétaire de la CGT, dans la revue "Ensemble" de novembre 2007, sur la mise en place du revenu de solidarité active.

Prononcé le 1er novembre 2007

Intervenant(s) : 

Média : Ensemble

Texte intégral

Le revenu de solidarité active (RSA) est un complément aux ressources d'une personne bénéficiaire du revenu minimum d'insertion (RMI) ou de l'allocation de parent isolé (API), qui accède à l'emploi ou retrouve du travail La mesure fera l'objet d'une expérimentation auprès de 90 000 personnes dans 25 départements, avant d'être généralisée à l'ensemble du territoire à la fin 2008. Son coût est financé par les conseils généraux et l'État, qui a provisionné une somme de 25 millions d'euros pour la première année.
Q - Quels sont les avantages et les inconvénients du RSA ?
Martin Hirsch - Actuellement on peut travailler sans gagner un centime supplémentaire, c'est typiquement le cas d'une personne qui occupe une activité dans le secteur de l'aide à domicile à raison de quelques demi-journées par semaine et dont les faibles revenus sont totalement défalqués du RMI. On peut aussi reprendre un travail en ne gagnant presque rien en plus, c'est le cas du titulaire d'un contrat aidé rémunéré sur la base de 26 heures et qui va devoir se contenter de toucher entre 50 et 100 euros supplémentaires par rapport à la situation qui serait la sienne s'il était resté en inactivité. Troisième cas de figure enfin, celui du travailleur pauvre, à temps plein ou à temps partiel, qui ne perçoit pas les minima sociaux, mais dispose d'un revenu qui leur est à peine supérieur. Ainsi, l'avantage attendu du RSA est de trois ordres : faire en sorte qu'on ne puisse pas reprendre un travail sans gagner d'argent supplémentaire, autrement dit bannir le travail gratuit ; soutenir les travailleurs pauvres et leur faire franchir plus vite le seuil de pauvreté ; mettre plus de cohérence dans le système des aides directes et connexes : la reprise d'un travail ne doit plus entraîner la perte de la CMU complémentaire ou de telle ou telle autre aide liée au statut du chômeur ou de l'allocataire du RMI.
Agnès Naton - L'ambition affichée à travers le RSA - que toute heure de travail soit rémunératrice - est tout à fait légitime, et nous la partageons à la CGT. Cela dit, la mesure présente aussi un certain nombre de travers. Le principal risque est d'encourager les employeurs au développement de l'emploi précaire et des bas salaires. Rappelons qu'aux termes de la toi, le bénéficiaire du RSA conclut avec l'État un contrat par lequel il s'engage à mettre en oeuvre tous les efforts nécessaires pour se maintenir dans l'emploi et augmenter son nombre d'heures de travail. Mais les efforts sont à sens unique et aucune exigence n'est formulée à l'égard de l'employeur ni des pouvoirs publics. Le risque existe également d'aggraver les discriminations et les inégalités entre les pauvres eux-mêmes. Quelles mesures pour les travailleurs pauvres non bénéficiaires de minima sociaux ? Qu'est-il envisagé pour les privés d'emploi non indemnisés par le chômage ? Pour les 820 000 retraités pauvres ? Pour les personnes handicapées ? Pour les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification ? Un mot encore à propos du financement du RSA, assuré pour moitié par l'État et pour l'outre moitié par les départements : comment ces derniers vont-ils pouvoir assumer cette charge, notamment les plus défavorisés qui comptent justement les taux de chômage les plus importants, les bénéficiaires des minima sociaux les plus nombreux ? La hausse inévitable de la fiscalité locale pèsera injustement sur les salariés dans ces territoires, ce qui va à l'encontre du principe de solidarité nationale.
Q - La RSA est-il un outil de lutte efficace contre la pauvreté ?
Martin Hirsch - Personne ne prétend que le RSA est un remède miracle à tout. Le dispositif ne doit pas servir à légitimer le travail à temps partiel subi ou les bas salaires, et nous devrons effectivement être attentifs à ce sujet. L'idée, c'est de construire une marche intermédiaire entre l'inactivité et l'emploi stable et de qualité pour aider les titulaires de minima sociaux à sortir de l'exclusion. Je pense, par exemple, qu'il est plus facile d'accéder à la formation et à la qualification quand on est en activité. Il faut se féliciter qu'un objectif précis de réduction de la pauvreté ait été fixé pour la première fois [moins 30 % en cinq ans, NDLR], cela peut être un levier puissant pour l'action. Et il est inutile de faire des grands discours tant qu'on n'est pas capable de dire à quelqu'un qu'il va gagner de l'argent en reprenant un travail. Pour autant, le RSA n'est pas la réponse à tout, et la politique de l'emploi doit être plus efficace en matière d'insertion. La lutte contre la pauvreté et pour l'accès à l'emploi ne se résume pas à l'incitation financière, il faut parfois résoudre un problème de logement, de garde d'enfant, de transport, etc, I1 est nécessaire de construire des politiques publiques nouvelles : c'est un nouveau chantier qui s'ouvre à nous dans le cadre de l'organisation du Grenelle de l'insertion, dont le coup d'envoi est programmé les 23 et 29 novembre à Grenoble, et qui se prolongera jusqu'au printemps.
Agnès Naton - Annoncer un objectif de réduction de la pauvreté est une bonne chose. Encore faut-il dégager les moyens nécessaires pour ce faire. De ce point de vue, j'observe que le gouvernement a d'abord pensé aux catégories les plus aisées en affectant 15 milliards d'euros au financement du paquet fiscal voté cet été. Lutter efficacement contre la pauvreté n'est envisageable qu'avec une politique sociale et économique beaucoup plus ambitieuse en matière d'offre et de qualité d'emplois et d'augmentation de salaires. A ce propos, la CGT formule une proposition : un contrat personnalisé de parcours d'insertion sécurisé. Nous misons beaucoup sur le Grenelle de l'insertion. La CGT s'impliquera dans chaque rendez-vous et portera ses propositions pour l'emploi solidaire, la formation tout au long de la vie, la sécurité sociale professionnelle et le nouveau statut du travail salarié. Ces exigences nécessitent un engagement fort de l'État pour garantir la cohésion sociale, une implication effective et contractualisée de la responsabilité sociale des employeurs, une meilleure cohérence et une meilleure synergie des acteurs dans les territoires et des moyens financiers supplémentaires.
Propos recueillis par Laurent MOSSINO source http://www.cgt.fr, le 9 novembre 2007