Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à "France 2" le 16 novembre 2007, sur le mouvement de contestation des étudiants contre la réforme des universités et l'évacuation par les forces de l'ordre des universités bloquées.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Hier, après vous avoir rencontré, B. Julliard, le responsable du principal syndicat étudiant, appelait à une amplification du mouvement dans les universités. Ce matin, avez-vous le sentiment que le mouvement s'amplifie ?
R.- Le mouvement aujourd'hui touche, à des degrés divers, 32 universités ; il y a deux universités qui sont fermées, il y en a sept qui sont bloquées, et il y en une vingtaine qui sont touchées à des degrés divers. Mais cela peut être un site, cela peut être un barrage filtrant, cela peut être une poignée d'étudiants.
Q.- Dans la soirée, il y a eu des universités qui ont été évacuées par les forces de l'ordre. Y aura-t-il d'autres évacuations ?
R.- Les évacuations sont là pour prévenir deux choses : la violence et les dégradations. Il faut savoir qu'il y a déjà eu un certain nombre de dégradations à l'université, et je le dis, rien ne justifie la violence, rien ne justifie les dégradations. Et quand les forces de l'ordre voient qu'il y a des risques pour les personnes et les biens, elles interviennent.
Q.- Justement, à propos de violence, on sent monter une certaine tension entre ceux qui veulent bloquer et ceux qui ne veulent pas bloquer. Là-dessus, êtes-vous inquiète ?
R.- Je condamne vigoureusement tous les blocages. D'abord, parce que ce sont des sources d'affrontements, de violences, et de dégradations. Mais surtout, parce que, ils sont contraires à l'intérêt des étudiants. C'est ce que j'ai redit hier à toutes les organisations syndicales étudiantes que j'ai reçues, je leur ai dit : le dialogue avec moi a été naturel et permanent depuis mon arrivée à ce ministère. Cette loi sur l'autonomie a été concertée avec vous depuis le début, et vous l'avez, je ne dis pas "approuvée" - parce qu'on n'approuve jamais quand on est un syndicat étudiant, on n'approuve jamais complètement une loi, on n'est pas dans le consensus -, mais vous avez trouvé que c'était une loi d'équilibre, qui ne portait pas atteinte aux intérêts des étudiants.
Q.- Ce n'est plus le discours qu'on entend aujourd'hui ?
R.- Oui, mais ce changement de pied, je dois avouer qu'il me surprend et je ne veux pas que l'université soit prise comme prétexte pour d'autres causes. Et je le répète, et je leur ai répété, et ils le savent : cette loi est vitale pour l'université, elle est vitale pour leur réussite, la réussite des étudiants. A tel point d'ailleurs que, même la gauche, Mme Royal en tête, ont dit que, s'ils avaient été élus, ils auraient fait cette loi, la même ! Donc, vraiment, je crois qu'il faut vraiment répéter cela : celle loi, c'est le socle d'une réforme de l'université qui va prendre cinq ans. Ce sont des outils pour les universités pour devenir puissantes et pour s'intégrer dans une compétition du savoir qui est mondiale. Elles vont pouvoir courir au même rythme que leurs voisines des autres pays - recruter les meilleurs professeurs, s'allier, faire évoluer leurs formations. Cela, c'est très important pour les étudiants. Et tout le monde sait que cette loi est vitale. Maintenant, après cette loi, il y aura d'autres chantiers.
Q.- Aujourd'hui, il y a conflit. Que pouvez-vous proposer ce matin pour sortir de ce conflit ?
R.- J'ai appelé les étudiants à venir, là encore, à la table du dialogue, sur des chantiers qui vont suivre la loi, la mise en place de la loi, qui sont des chantiers très importants pour eux. Le premier d'entre eux, c'est la question de la réussite en licence. Vous savez que nous avons 40 % des jeunes qui échouent en première année à l'université. Il faut absolument qu'on les aiguille vers les filières dans lesquelles ils peuvent réussir, c'est la question de l'orientation. Il faut absolument que la première année à l'université soit une année fondamentale dans laquelle on leur donne les outils pour réussir à l'université, et dans laquelle on puisse les réorienter. Et enfin, il faut que toutes les licences, y compris les licences de sciences humaines, y compris les licences de sciences sociales, deviennent des diplômes qualifiants, qui ouvrent toutes les portes sur le marché du travail et pas seulement celles de l'enseignement.
Q.- Mais aujourd'hui, les syndicats étudiants réclament une modification de la loi. Là-dessus, y a-t-il une marge de manoeuvre pour négocier, pouvez-vous, acceptez-vous de modifier la loi, ou est-ce que pas du tout ?
R.- Il y a des craintes qui se sont exprimées sur cette loi. Et je voudrais dire, puisqu'on est aux Quatre Vérités, ici, j'aimerais bien dire mes quatre vérités sur cette loi.
Q.- Allez-y !
R.- Mes quatre vérités, c'est simple : il n'y a pas de désengagement de l'Etat avec cette loi. C'est la peur "autonomie = désengagement de l'Etat". Eh bien, il y a 1 milliard d'euros de budget supplémentaire mis sur la table cette année par l'Etat, 8 % d'augmentation. Le budget de l'université est le premier cette année. Pas de désengagement de l'Etat. Pas de sélection à l'entrée de l'université. La sélection à l'entrée de l'université, cela s'appelle "le baccalauréat". Pas de hausse des frais 'inscription avec cette loi, puisque les frais d'inscription restent fixés au niveau national par le ministre, c'est 165 euros pour la licence, 215 euros pour le master. Rien à voir avec les chiffres qu'on entend parfois dans les AG. Et enfin, pas de privatisation, aucun risque de privatisation des formations, puisque les diplômes sont nationaux. Et quand je vous parlais tout à l'heure du chantier sur la réussite en licence, on va parler justement du contenu de la licence rénovée, c'est nous, le ministère, l'Etat, le Gouvernement, qui vont fixer cette carte de la nouvelle licence.
Q.- Mais alors, comment expliquez-vous ce mouvement si, comme vous le dites, il n'y a rien dans la loi qui devrait heurter les étudiants ?
R.- Je crois que, c'est un changement profond, et je crois qu'il faut que les  tudiants fassent confiance au Gouvernement. Quand le président de la République dit : "il y a aujourd'hui 10 milliards d'euros consacrés par l'Etat à l'université", en 2012, ce sera 15. Je fais le pari de l'université. Je fais le pari de l'enseignement supérieur. Je vais investir dans la réussite et l'élévation du niveau de connaissances de tous nos jeunes, parce que je crois que c'est un défi dans la société mondiale de la connaissance dans laquelle nous vivons, et que les emplois de demain, c'est la qualification de nos jeunes aujourd'hui". Il dit aussi : "je veux que chaque euro s'investisse dans l'université", chaque euro disponible dans la société française". Tout cela, ce sont des messages très forts, et je crois qu'il faut que les étudiants les entendent. Je crois qu'il ne faut pas qu'ils vivent sur les souvenirs du passé. Il y a eu 20 ans de sousdotation de l'université ! Il y a eu 50 ans, 100 ans de préférence pour les grandes écoles. Aujourd'hui, c'est fini, aujourd'hui, on change, aujourd'hui, le Gouvernement s'engage pour l'université !
Q.- En attendant, il y a des cours qui sont supprimés, il y a des examens qui vont arriver en décembre, en janvier. Y aura-t-il des rattrapages, des cours de rattrapage ?
R.- Alors, c'est aussi pour cela que je condamne vigoureusement les blocages et que j'appelle les syndicats étudiants à les condamner. C'est parce que, aujourd'hui, plusieurs semaines de blocage dans certaines universités, c'est un vrai risque pour la réussite de certains étudiants, et particulièrement des plus fragiles d'entre eux. Les présidents d'universités m'ont dit que, les personnels enseignants considèrent qu'aujourd'hui les blocages c'est les empêcher de faire cours. Et que, ils veulent faire cours. Et donc, ils disent : nous n'avons pas à faire de rattrapage. Donc, je suis inquiète pour la réussite des étudiants, je suis inquiète pour les examens. J'ai dit...
Q.- Il y a des étudiants qui vont rater leur année ?
R.- Il y aura, si les blocages durent, des risques pour l'année de certains étudiants, et dans certaines universités, et cela c'est une inégalité que je ne peux pas accepter.
Q.- Alors, il n'y a pas que l'université dans laquelle il y a des mécontentements. Il y a un mécontentement qui apparaît général. Comment l'expliquez-vous cela ? Les transports, les fonctionnaires... ?
R.- Je crois qu'il y a une volonté de réformes du Gouvernement. Que cette volonté de réformes est vraiment pour améliorer le fonctionnement de l'économie française et de la France, et ce sont des réformes de justice aussi. Et je crois qu'il faut vraiment prendre conscience qu'il nous manque 1 point de croissance. Et ce point de croissance, il nous viendra si nous faisons un certain nombre de réformes. Ces réformes amélioreront...
Q.- C'est difficile...
R.- ...la vie des Français, parce qu'elles créeront de l'emploi.
Q.- C'est difficile de réformer en France, c'est ce que vous dites, ce matin ?
R.- Je dis qu'en tout cas, la méthode du Gouvernement est la seule valable, c'est celle du dialogue constant avec tous les partenaires de la négociation et de la concertation.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 novembre 2007