Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, à "LCI" le 9 novembre 2007, sur la stratégie d'ouverture et les nouvelles formations politiques de la majorité présidentielle, en vue des élections municipales de 2008.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- "Les Progressistes", c'est le nom du parti que vous lancez aujourd'hui. "Les Progressistes", au pluriel. Alors qui est avec vous ? Combien êtes-vous ? Qui sont vos lieutenants ?
 
R.- Je n'ai pas de lieutenants, j'ai des amis, des adhérents, des femmes et des hommes de gauche pour l'essentiel, qui ont soit voté pour N. Sarkozy au deuxième tour de l'élection présidentielle, soit ont décidé après l'élection présidentielle de soutenir son action, parce qu'ils considéraient comme moi, que la France avait besoin d'un grand programme de réformes et de remise à niveau.
 
Q.- C'est un peu un club de schizophrènes, gauche mais sarkozyste ?
 
R.- Je vous laisse juge, ce n'est pas schizophrène du tout, c'est une histoire de la gauche, celle qui croit au mouvement, qui croit à la réforme, qui croit au progrès, et qui croit à la conciliation du progrès technique et du progrès social.
 
Q.- Alors J.-P. Jouyet, B. Kouchner, J.-M. Bockel, ministres d'ouverture - Bockel qui lancera, lui, "Gauche Moderne" fin novembre - ne seront pas là ce soir. Pourquoi ?
 
R.- Tout simplement - en tout cas c'est ce qu'ils m'ont dit, et je respecte leur parole - parce qu'ils ont des problèmes d'agenda. J.-P. Jouyet, est à l'étranger cet après-midi, je ne sais plus où. J.-M. Bockel est en Suisse. Il ne faut pas voir de difficultés particulières. Mais j'anticipe sur votre question à propos de J.-M. Bockel, contrairement à ce que je lis et ce que j'entends, nous, nous entendons bien. Nous sommes dans des démarches complémentaires et il n'y a pas de difficulté entre nous.
 
Q.- F. Amara, M. Hirsch - la gauche plus de la société civile, qui a rejoint N. Sarkozy - ils seront présents ?
 
R.- Non, mais eux, je crois que c'est assumé, si je comprends bien - mais je ne suis pas leur porte-parole - ils considèrent l'un et l'autre qu'ils sont au Gouvernement dans une mission spécifique. L'un la pauvreté et l'exclusion, l'autre les banlieues. Et j'ai cru comprendre qu'ils ne souhaitaient être assimilés à aucun mouvement de nature politique à l'intérieur du Gouvernement.
 
Q.- Alors défenseur du progrès scientifique, homme de gauche en rupture avec son parti, C. Allègre est fait pour vous rejoindre. Vous lui avez parlé, vous l'avez sollicité ?
 
R.- Ça a même été le premier invité. Aujourd'hui, il y a un écho particulier, parce que c'est N. Sarkozy qui vient chez nous. Mais le premier invité a été C. Allègre et le prochain sera D. Olivennes.
 
Q.- Les ministres d'ouverture sont des ministres UMP, a dit P. Moscovici. Que répondez-vous ?
 
R.- Que P. Moscovici est dans son rôle et que je comprends parfaitement ça. Nous sommes dans un gouvernement qui n'est pas de gauche, c'est une évidence absolue. Nous sommes respectés pour nos convictions, personne n'a demandé à ce qu'on les renie, et nous apportons ce que nous sommes les uns et les autres, nos convictions, nos analyses, nos idées, nos propositions à ce Gouvernement.
 
Q.- Vous ne vous sentez pas donc un ministre UMP, mais est-ce que vous pourriez vous rapprocher de J.-L. Borloo qui dans l'UMP avec le radicalisme défend aussi des thèses de progressiste ?
 
R.- Oui, oui, ça pourrait, on en discute avec J.-L. Borloo, qui est quelqu'un que j'apprécie à titre personnel. Et puis l'histoire du radicalisme, c'est une donnée importante dans notre pays. Lorsqu'il y a eu au lendemain de l'élection présidentielle, des rumeurs, des échos, qui disaient qu'il pourrait y avoir un rapprochement entre le Parti radical valoisien et le Parti radical de gauche, j'ai indiqué nettement que c'était une perspective qui m'intéressait. Je ne sais pas exactement où elle en est, mais à terme, peut-être que des petits ruisseaux que nous créerons les uns et les autres, pourraient donner une rivière un peu plus importante.
 
Q.- Et dans ce grand estuaire de la majorité présidentielle, le Nouveau Centre c'est un parti qui vous parle ? Ou, là, c'est une autre voie ?
 
R.- C'est très complémentaire évidemment. D'abord, nous sommes dans la même majorité présidentielle, parce que je ne biaise avec cela. N. Sarkozy dit : il y a l'UMP, il y a un pôle du centre et puis il y a, moins nombreux, mais nous le revendiquons en même temps, des femmes et des hommes de gauche. Donc nous sommes des partenaires et évidemment je discute très régulièrement avec l'équipe du Nouveau centre.
 
Q.- Un parti c'est vrai pour présenter des candidats, aurez-vous des candidats aux municipales dans de nombreuses villes, à part Donzère, la vôtre dans la Drôme ?
 
R.- Oui, moi, je ne serai pas candidat au nom des Progressistes, paradoxalement. Tout simplement parce que j'essaie d'être cohérent avec ce que j'ai dit en 95 et en 2001. En 95 et en 2001, j'étais membre du Parti socialiste, tout le monde le savait, et j'étais en même temps sur un discours très simple : sur ma ville, il y a des femmes et des hommes de droite et de gauche sur ma liste, c'est exactement ce que je referai en 2008. Je réponds précisément à votre question : un parti c'est d'abord des idées, nous en mettrons sur la table et sur la scène publique, si je peux dire, en début d'année prochaine. Et c'est aussi assumer d'aller à des élections. Nous le ferons. Il y a une trentaine d'entre nous, une trentaine de mes amis, au moment où nous nous parlons, qui seront sur des listes de la majorité présidentielle. Ca sera rendu public avant la fin de cette année.
 
Q.- Comment financez-vous votre parti ? Le Nouveau Centre a raté sa manoeuvre de financement. Vous, comment vous allez vivre ?
 
R.- D'abord on est plus petit, donc il y a moins de difficultés. Et nous allons vivre de dons, voilà !
 
Q.- N. Sarkozy sera donc présent ce soir pour ce baptême, est-ce qu'il va en profiter pour dresser le bilan de ses six premiers mois de mandat ? Il a déjà épuisé 10 % de son temps de quinquennat.
 
R.- Oui, il n'a pas épuisé, il l'a mis à profit, mais vous avez raison : 10 %. Je ne suis pas qualifié pour vous dire ce que va dire, ce soir, le président de la République. J'imagine qu'effectivement il va parler de son action depuis six mois. Et d'un certain nombre d'éléments que nous, nous considérons comme extrêmement positifs. Pour ma part, par exemple, le traité simplifié qui reste l'un des points les plus saillants de ce premier bilan provisoire de 6 mois. Et je veux dire d'un mot, si vous me le permettez, que je me réjouis que mon ancien parti, le Parti socialiste, ait dit clairement qu'il allait voter « oui » en faveur de ce traité simplifié.
 
Q.- Alors, ce parti vous le lancez dans un climat social, où la gauche de terrain est remontée, elle se révolte contre plusieurs réformes du Gouvernement.
 
R.- Excusez-moi, il n'est pas lancé aujourd'hui. Je l'ai créé en juillet, simplement...
 
Q.- Non, ce sont les fonts baptismaux.
 
R.-...Ce sera un point d'orgue par la notoriété donnée par la venue du président de la République.
 
Q.- Etudiants, cheminots, magistrats, fonctionnaires, est-ce qu'on va assister à une contagion de tous ces mouvements sociaux ? A une coagulation ?
 
R.- Je ne sais pas, il n'y a pas de pronostic en la matière. Vous connaissez la thèse du président de la République, du Premier ministre et des ministres en charge de ces dossiers : il y a des principes clairs qui ont été édictés pendant la campagne présidentielle, où N. Sarkozy a dit très clairement les réformes qu'il voulait. Et en même temps, il y a des discussions sur les modalités. Donc, a priori, puisque les négociations sont ouvertes, il n'y a pas de raison qu'il y ait contagion, mais ce n'est pas un pronostic, le mouvement social est, je dirais, par définition, difficile à prévoir.
 
Q.- Le Gouvernement cherche le conflit assure F. Hollande, il y a de la provocation dans l'attitude gouvernementale ?
 
R.- Ça, pour le coup, c'est franchement absurde. Pour en témoigner, puisque j'écoute les discussions en Conseil des ministres ou avec les ministres concernés, il y a au contraire une volonté permanente d'écouter et de tendre la main.
 
Q.- N. Sarkozy face aux pêcheurs, c'était quand même viril ? Il les remue, il les secoue ?
 
R.- Parce que c'est le style de N. Sarkozy, vous le connaissez mieux que moi, il est tonique, il est réactif, lorsqu'il parle avec les mots de tout le monde et lorsqu'on lui rentre dedans, il répond. Mais ça c'est tout autre chose, ce n'est pas chercher le conflit, c'est au contraire aller chercher la discussion. Ce n'est pas si fréquent qu'un président de la République, chaque fois qu'il y a un évènement particulier, va à la rencontre de ses concitoyens et accepte le dialogue direct.
 
Q.- Derrière la mobilisation étudiante, il y a de la manipulation politique ?
 
R.- Je ne sais pas, je ne le crois pas. Que les étudiants s'interrogent sur leur avenir, c'est bien normal. Moi, je sais une chose : quand on regarde les classements internationaux des universités, oui, il faut plus d'autonomie pour les universités et oui, il faut que l'université française retrouve son rang, c'est de l'intérêt des étudiants, parce que ça conditionne leur formation et leur entrée dans la vie active. Il est crucial que l'université retrouve le rang qui devrait être le sien. Et qu'on en finisse avec cette spécificité française des universités un peu délaissées et des grandes écoles excessivement louées.
 
Q.- Au nom de la prospective, donc vous avez la charge, est-ce que vous allez recommander au Gouvernement de rétablir la TIPP flottante, d'essayer d'amortir les répercussions à la pompe de la hausse du pétrole ? C. Lagarde reçoit les pétroliers samedi.
 
R.- Sur la TIPP flottante, C. Lagarde a dit des choses très claires : ça coûte cher pour un très faible rendu à la pompe pour l'usager, pour le client. C'est à peu près 3 centimes d'euro. Donc c'est catastrophique pour les finances publiques et puis c'est à peu près contraire à ce qui a été dit notamment lors du « Grenelle de l'Environnement » : l'idée que nous devons nous habituer à vivre avec un pétrole cher. En revanche, C. Lagarde a dit aussi qu'elle était en train d'étudier, rapidement, des modalités - elle en parle, je crois, demain matin avec les distributeurs, et puis il y a d'autres choses sur lesquelles elle essaie de travailler - pour rendre le coût moins élevé pour les consommateurs.
 
Q.- Alors dans l'évaluation des politiques publiques - c'est aussi une de vos casquettes - est-ce que la meilleure rémunération des heures supplémentaires va donner des fruits sur la feuille de paie des Français, pour le pouvoir d'achat des Français ? Vous le voyez déjà ?
 
R.- Je crois que c'est en cours. Il faut rappeler que c'est d'application très récente, puisque c'était à partir du 1er octobre. Que j'ai lu comme nous tous, qu'il y avait eu quelques difficultés d'application. En revanche, que ça puisse correspondre à un besoin conjoint, et des entreprises et des salariés, je le crois. La voie choisie par N. Sarkozy ça a été de dire : l'augmentation du pouvoir d'achat, elle viendra par plus de travail. On ne peut pas faire semblant de le découvrir. Je crois me souvenir qu'il l'a très, très, clairement martelé pendant toute la campagne présidentielle.
 
Q.- Et vous pouvez promettre dans cette évaluation des politiques, que dans les six mois, ça va fonctionner, plus de travail, plus de pouvoir d'achat ?
 
R.- La promesse prospective est un concept un peu particulier. Tout ce que je peux dire c'est qu'il y a une détermination très grande du Gouvernement. Et, en matière de création d'emploi, vous avez vu que le chômage baisse fortement, récemment. Et deuxièmement, faire d'une amélioration du pouvoir d'achat pour les catégories modestes, notamment pas seulement par le biais des heures supplémentaires, la question cruciale, c'est : oui ou non, croit-on que la France a besoin de travailler globalement plus, entrer plus vite dans la vie active, y rester plus longtemps et financer par le travail l'avenir de notre protection sociale ? La réponse est clairement oui.
 
Q.- Et éventuellement supprimer encore des jours fériés ? Vous travaillez sur le fameux "Lundi de Pentecôte" ?
 
R.- Je ne peux pas vous répondre comme ça. Dans quinze jours, je remets effectivement un rapport sur la "Journée de solidarité". Sans dévoiler de grand scoop, je vous indique que je ne proposerai pas la suppression de la "Journée de solidarité". Elle a rapporté plus de 2 milliards pour la dépendance et le handicap, nous en avons besoin. En revanche, on peut discuter - c'est ce que m'avait demandé le Premier ministre - de scénarii, d'adaptations, pour faire en sorte que ça pose moins de problèmes de vie quotidienne.
 
Q.- E. Besson, merci, bonne journée.
 
R.- Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 novembre 2007