Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France Inter le 18 octobre 2007, sur la mobilisation contre la réforme des régimes spéciaux.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.-  Bonjour B. Thibault et bienvenue sur France Inter. La grève est  très suivie ce matin, P. Cohen nous donnait à l'instant le dernier  état des lieux. Cette mobilisation, c'est un motif de satisfaction pour  vous, ce matin ? 
 
R.- Nous avons, dans une unité syndicale large, cherché à rassembler toutes  les professions concernées, notamment pour cette journée. J'insisterai  sur le fait que naturellement on parle beaucoup de la réforme des  régimes spéciaux, et c'est normal, cela fait partie des revendications  centrales d'aujourd'hui. Ce n'est pas la seule des revendications qui  vont être portées. Je pense à d'autres secteurs, qui ont décidé de se  joindre à cette journée, sur leur propre thématique, je pense par exemple  à la reconnaissance de la pénibilité du travail dans les transports  urbains, on a un débat sur la pénibilité aujourd'hui et je crois d'ailleurs  qu'au centre des polémiques, il y a cette reconnaissance à maintenir  dans le secteur public et à obtenir dans le secteur privé, ce que nous ne  parvenons pas encore à faire du côté de nos interlocuteurs. Il y a un peu  plus d'une centaine d'entreprises de la métallurgie, dans lesquelles les  salariés ont décidé d'agir sur le pouvoir d'achat, l'évolution des  salaires. C'est une question de revendications de plus en plus  récurrente. Naturellement, nous sommes satisfaits, il faut voir comment  la journée va se dérouler, mais nous sommes satisfaits si elle confirme,  comme nous le pensions, un fort degré de désaccord avec le cadre de la  réforme des régimes spéciaux, tel que le Gouvernement l'a généré.  Parce que c'est ce qui va nous permettre, si ce niveau de mobilisation se  confirme, dans la journée, comme on peut le penser, ça va nous  permettre, dès ce matin, de ré insister auprès du Gouvernement pour  qu'il reconnaisse cette situation et qu'il ouvre un nouveau cycle, un  cycle de négociations. Donc, j'ai tort de dire "nouveau", puisque  jusqu'à présent il n'y a pas eu de négociations... 
 
Q.- C'est votre revendication aujourd'hui ?
 
R.-  Oui. Le message d'aujourd'hui, c'est que le Gouvernement prenne acte  que le cadre de la réforme des régimes spéciaux ne sera pas accepté par  les personnels concernés. Il faut donc en convenir et reconnaître qu'il  faut ouvrir maintenant de vraies négociations. 
 
Q.- C'est le cadre ou le principe, B. Thibault ? 
 
R.- C'est le cadre. 
 
Q.- Donc, vous n'êtes pas contre le principe de la réforme des régimes  spéciaux, mais vous êtes contre la méthode ? 
 
R.- Nous avons toujours dit en 2003, et nous le disons aujourd'hui, qu'il y a  une problématique pour assurer le financement des retraites sur le long  terme. Nous en sommes bien conscients. Je vous prends, simplement  pour illustrer notre diagnostic. Hier, c'était la journée de lutte contre la  misère. On fait le constat qu'en France il y a plus de 7 millions de  personnes qui sont en dessous du seuil de pauvreté. Ce qu'il faut noter,  c'est que dans ces sept millions de personnes, il y a près d'un million  d'anciens salariés, retraités, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté,  parce que le niveau des retraites versées va sans cesse en diminution. Là  où nous avons besoin de négocier, de discuter dans le pays, c'est des  choix que l'on fait sur la conception que nous avons de la retraite.  Aujourd'hui, on est en train de nous expliquer qu'à une population  vieillissante, les plus de 60 ans vont augmenter pour atteindre bientôt de  l'ordre de 20 % de la population française... 
 
Q.- Et qu'il va falloir travailler plus. 
 
R.- Non... oui... Mais comment travailler plus ? Est-ce qu'on met l'accent  en créant les conditions pour qu'il y ait davantage de salariés au travail,  ou demande-t-on - c'est ce que fait le Gouvernement, comme ses  prédécesseurs jusqu'à présent - ou demande-t-on à la petite partie de la  population au travail, de travailler plus longtemps, pour gagner moins,  pour ce qui lui revient, et d'assurer la pérennité de retraite, pour une  population grandissante. Ça, ça nous mène à l'impasse, dans la mesure  où on va à un appauvrissement généralisé des futurs retraités, qu'ils  soient dans le public ou qu'ils soient dans le public ou qu'ils soient dans  le privé, et là... 
 
Q.- Donc, ce que vous nous dites ce matin, B. Thibault, c'est que la  réforme des régimes spéciaux est la répétition générale d'une  réforme autrement douloureuse, de toutes les retraites. C'est bien  ça ? 
 
R.- Ce n'est pas une répétition, c'est l'anticipation, c'est une phase qui  anticipe, sur la troisième réforme annoncée par le Gouvernement, où  déjà, et vous l'avez entendu, le Premier ministre a dit, par exemple :  nous sommes passés par le passé, bien que pour ce qui nous concerne,  nous nous soyons mobilisés, je rappelle qu'en 2003 il y a eu une très  forte polémique et une mobilisation sociale importante, sur le bien-fondé  des réformes de l'époque, générées par monsieur Fillon, le  passage aux 40 annuités de cotisations. 
 
Q.- Vous pensez être suivi par l'opinion publique ? Juste, d'un mot, B.  Thibault, vous pensez être suivi par l'opinion publique, et sur la  question des régimes spéciaux, et deuxièmement sur cette équation  simple qui consiste à dire que plus on vieillit, eh bien plus on  travaille, pour assurer la pérennité du système de retraite ? Vous  pensez être entendu ? 
 
R.- Moi, je souhaite que le débat national s'ouvre sur cette question. Je  souhaite que le pays définisse la vision qu'il partage de la retraite. Pour  ce qui nous concerne, nous considérons que dans un pays comme la  France, il est possible de maintenir le droit au départ à la retraite à 60  ans, comme une très grande majorité de salariés. Le droit au départ à la  retraite à 60 ans ne veut pas dire un départ automatique, mais pour  permettre le véritable choix pour les salariés, encore faut-il, pour qu'ils  exercent ce droit au départ, s'ils le souhaitent, créer les conditions  économiques, que ce départ soit socialement possible. Autrement dit,  un niveau de retraite qui permet d'exercer ce choix. Donc, droit au  départ à 60 ans mais il est évident qu'il faut redéfinir les paramètres de  financement des retraites parce que sinon il va se passer ce que nous  constatons, c'est que le niveau des retraites versées va inexorablement  diminuer. Aujourd'hui... 
 
Q.- Juste, d'un mot, B. Thibault, est-ce que dans le cadre de ce débat de  société que vous appelez de vos voeux, vous pensez aujourd'hui que  cette grève vous redonne la main dans le dialogue social ? Parce  qu'on a pu avoir le sentiment que c'était le président de la  République et le Gouvernement qui dictaient la totalité du scénario.  Est-ce que là, vous reprenez un peu de pouvoir ou pas ? 
 
R.- On ne peut pas s'étonner, un beau matin, après des mois où on a  considéré qu'effectivement il était facile de dicter ce qu'il fallait faire,  qu'à un moment donné on s'aperçoive que d'autres disent : « eh bien  non, non, il y a peut-être d'autres solutions envisageables ». Alors, je  comprends qu'une forte partie de l'opinion publique ait été prise par le  slogan de "l'équité", de la "justice sociale", parce que les personnels  concernés n'ont jamais eu la parole. Forcément, dans une période de  campagne politique, ce sont les responsables politiques qui figurent les  premiers dans les médias. Et le fait d'avoir laissé entendre, avec des  propos très largement démagogiques, permettez-moi de le dire, que  l'élément de justice social, c'était d'aligner tout le monde sur le même  principe... 
 
Q.- C'est un des éléments, B. Thibault, de la justice sociale. 
 
R.- Et de l'aligner par le bas. Moi, je suis prêt à parler de justice sociale et  d'équité. Une des inégalités, par exemple, c'est que dans les régimes  spéciaux, une des caractéristiques, c'est de reconnaître par exemple la  pénibilité de certains métiers, alors que ce que nous cherchons à faire,  c'est que cette pénibilité des métiers soit reconnue aussi dans les autres  secteurs. Je rappelle que dans le secteur privé, les ouvriers qui ont des  tâches pénibles, ont une espérance de vie de l'ordre de sept à huit  années inférieure aux autres salariés. C'est de ça dont il faudrait aussi  discuter aujourd'hui. 
 
Q.- Dernière question, B. Thibault, avant « Inter Activ ». Vous dites  quoi aux gens qui galèrent aujourd'hui, dans les villes, qui louent  des vélos, marchent à pied, font du covoiturage ou restent chez eux  parce qu'ils ne peuvent pas aller travailler ? 
 
R.- Vous savez, les grévistes d'aujourd'hui ont tous des femmes, des  enfants, qui travaillent, qui étudient, des voisins, de la famille. Ne  pensons pas qu'il y a deux populations différentes. Ceux qui ont décidé  d'avoir recours à la grève, n'ont pas eu d'autre choix, parce qu'on n'a  pas créé les conditions du dialogue, de la négociation, pour définir ce  qui devait être fait pour l'avenir de leurs retraites. On s'est entendu dire  il y a quelques semaines, du Premier ministre : « La réforme est  bouclée ». On s'est entendu dire, quelques jours après, par le président  de la République : « Je demande au ministère du Travail, d'arrêter la  réforme en 15 jours ». Eh bien on ne peut pas modifier des pans  importants du contrat de travail, on ne peut pas décréter que les retraites  diminueront de 20 à 25 %, de manière unilatérale. C'est ça qui apparaît  aujourd'hui. 
 
Q.- B. Thibault, rendez-vous dans 10 minutes pour « Inter Activ ».
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 octobre 2007