Texte intégral
Q - Bonsoir Monsieur le Ministre et merci d'être parmi nous, je vous souhaite la bienvenue au "Grand rendez-vous".
Vous êtes rentré cette nuit d'une longue tournée en Asie, vous étiez en Thaïlande, à Singapour, en Chine et en Turquie.
Le président de la République se trouve dans l'avion du retour du Tchad où il vient d'effectuer un très bref voyage. Nous l'avons expliqué tout à l'heure, il ramène dans son avion, libérés par la justice tchadienne, les trois journalistes français et les quatre hôtesses de l'air espagnoles, pays qui applaudit cette initiative française.
Nous sommes vraiment très heureux de vous accueillir ici, mais, comment se fait-il que le ministre des Affaires étrangères n'accompagne pas le président de la République au Tchad ?
R - Vous l'avez dit, j'étais ailleurs. Il y a une répartition des tâches, Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme s'est très bien occupée de cette affaire. J'étais en contact avec elle tous les jours, j'ai initié cette cellule de crise qui a si bien travaillé avec mon cabinet. Nous étions en contact permanents.
Q - L'affaire est évidemment importante mais pourquoi fallait-il que le président de la République lui-même soit en première ligne ?
R - C'est son tempérament. Lorsqu'il s'intéresse à une histoire, lorsqu'il pense qu'il peut participer au règlement de cette histoire, il le fait. Il faut s'habituer à cette dynamique et la preuve, cela s'est très bien passé.
Q - Dans certains cas, ne prend-il pas trop de risques ?
R - C'est un homme qui aime prendre des risques, c'est un homme qui prendra des risques. J'aime bien cela.
Q - Sept personnes ont donc été ramenées en France, il en reste encore d'autres à N'Djamena. Concernant les 6 membres de l'"Arche de Zoé", doivent-ils être jugés en France et pourquoi ?
R - Ce n'est pas à moi d'apprécier et je trouve que c'est une triste histoire, une sinistre histoire. C'est l'histoire d'un humanitaire dévoyé et cette affaire regroupe certainement des gens qui n'avaient pas une bonne notion de l'humanitaire mais d'autres l'avaient et faisaient preuve d'une grande générosité. C'est à la justice tchadienne d'en décider, il y aura sans doute le prolongement d'une enquête car vous savez que nous avons une convention d'entraide judiciaire avec le Tchad, depuis 1976. Nous pourrons mener deux enquêtes parallèles et peut-être même concomitantes, la justice française et la justice tchadienne.
Sans prendre partie car c'est l'affaire de la justice, lorsqu'un délit, - et c'est un mot faible - est commis sur le territoire d'un pays souverain, ce n'est pas à la justice française d'intervenir. Elle peut participer, elle peut, d'une façon la plus souple et la plus légale possible, s'en occuper également, seulement si le pays le permet.
Pour le moment, et ce serait le retour du colonialisme que l'on nous reproche avec "la France-Afrique de papa", que de ne pas considérer que le Tchad, pays indépendant existe dans sa justice et dans son indignation. Ce qui est le pire dans cette affaire, c'est ce gâchis d'espérance. C'est que l'humanitaire, ce beau mot, ait été employé pour s'indigner. Il faut s'indigner et appeler l'humanitaire, il faut s'indigner pour faire le bien et là, il y a eu un mélange fâcheux et j'espère que l'on y verra plus clair. Je ne doute pas que certains aient été abusés. On voit d'ailleurs maintenant un certain nombre de témoignages, même si je rentre juste d'Asie et que je ne les ai pas tous lu, on voit que certains disent qu'ils se doutaient de quelque chose.
Q - Vous parliez tout à l'heure de délit de la part de ces humanitaires dévoyés, quel délit ?
R - Il y a tout d'abord un délit d'intention.
L'humanitaire est quelque chose de noble et de généreux. Cela comporte un certain nombre de règles qui ne sont pas très nombreuses, je vous en citerai trois.
1 - Le respect des autres, nous sommes chez les autres nous ne sommes pas chez nous. Il ne faut pas s'étonner que d'autres lois s'appliquent, que d'autres cultures soient déployées,
2 - l'écoute, ce sont les populations que l'on vient soutenir, non pas l'idée que nous avons de ces populations. C'est du colonialisme de la tête,
3 - et, c'est très important, faire l'état des besoins.
Si ces trois règles avaient été respectées, les choses auraient tourné différemment. C'est un délit personnel, je ne veux pas dire que la justice soit responsable depuis le début. Nous avions alerté, par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, par le cabinet de Mme Rama Yade, par le mien. Nous avions alerté.
Q - Et pourtant, ils sont partis !
R - Les ONG ne sont pas gouvernementales. Ici, on reproche à la presse de parler, faudrait-il aussi que "je me taise" !" Nous sommes dans un Etat de droit.
Les ONG, c'est leur honneur, c'est leur esprit critique nécessaire qui doit se manifester n'ont pas à être régentées par l'Etat. Nous avons procédé comme jamais pour alerter les autorités avec la convocation de ces gens à la brigade des mineurs, le rappel par tous les cabinets qu'il est interdit de faire de l'adoption sans règle.
Nous avons fait ce que nous avons pu et je m'indignais de loin, d'entendre les attaques portées contre ces personnes qui ont fait leur travail et ce ministère rempli de personnes généreuses qui en connaissent un "rayon" sur l'humanitaire, je m'indignais d'entendre ces insultes à leur égard.
Q - Il n'y a pas que le ministère, vous voyagiez en Asie, vous tentiez d'entrer en Birmanie et ici, on attaquait, à travers l'histoire de l'"Arche de Zoé", les dérives et les dangers du droit d'ingérence que vous aviez proposé. C'est Rony Brauman qui fut un ancien de "Médecins sans frontières" qui indiquait que vous aviez une responsabilité morale, il a d'ailleurs soutenu Bernard-Henri Lévy.
R - J'ai trop de respect pour vous, pour ne pas vous répondre car je n'ai pas l'habitude de répondre aux professionnels du dénigrement. Vous savez, il y a certaines personnes, lorsqu'ils ne m'attaquent pas, je me demande ce que j'ai fait de mal. Ce que j'ai fait de mieux dans ma vie, et j'en suis fier, ce n'est pas seulement d'avoir donné un Prix Nobel de la Paix à mon pays, mais c'est d'avoir créer "Médecins sans frontières" qui a bien profité à ce Monsieur dont vous parlez.
Le jour où il ne m'attaquera plus, je m'inquiéterai, c'est une profession chez lui.
Q - Faut-il de nouvelles règles pour l'humanitaire ?
R - Non, et nous allons arrêter de parler de cette histoire parce que je crois qu'il y a des choses très importantes.
Vous m'avez dit que j'étais à proximité de la Birmanie pour des raisons très précises, c'est plus important qu'une embrouille humanitaire car, pendant ce temps-là, il y avait sur le terrain au Tchad et de l'autre côté, au Darfour, des centaines d'ONG qui font un merveilleux travail qu'il ne faut pas oublier, sous le prétexte qu'il existe des critiques pour l'une des ONG. Ces ONG sont l'honneur de cette planète, ce sont eux qui sont mus par le coeur et la générosité, ne les oublions pas parce qu'il y a eu des dérives. Ce n'est pas parce qu'un Monsieur en Corée du Sud a fait un faut clonage que la science est "pourrie". Ce n'est pas parce qu'un coureur s'est dopé au Tour de France qu'il faut arrêter le cyclisme.
Q - Monsieur Kouchner, vous utilisiez vous-même le mot "abuser".
R - Je le crois en effet même si je ne les connais pas.
Q - Le Premier ministre M. Fillon a demandé une enquête à vos Services et au ministère de la Défense. Cela veut-il dire que certaines personnes au sein de votre ministère ont pu également être abusées ?
R - Je ne le crois pas, c'est nous qui avons alerté, alors, cessons de dire tout et son contraire. Il n'y a pas de délit d'intention en France.
Vouliez-vous que nous les menottions ?
Devions-nous les mettre en prison parce qu'ils avaient dans l'idée d'aller chercher des enfants qui, le croyaient-ils, étaient orphelins ?
Par ailleurs, il faut également féliciter l'armée. On lui reproche d'avoir transporté ces gens, mais c'est formidable et c'est leur honneur d'avoir transporté 75 organisations sur demande du gouvernement tchadien. Bien évidemment, on ne leur demande pas de faire un tri, et c'est parce que ces organisations existent que ces enfants sont moins malheureux. N'oublions pas que pendant ce temps-là, pendant 6 mois, pendant que des ONG travaillaient et qu'une d'entre elles se préparait à mal travailler, c'est le moins que l'on puisse dire -, il y avait un travail des fonctionnaires du Quai d'Orsay, un travail des diplomates et des militaires pour faire qu'une opération humanitaire sans précédent se déroule justement pour assister ces enfants du Tchad dont on a parlé pour l'"Arche de Zoé".
Pendant ce temps-là, nous montions une opération européenne et onusienne pour aller reconstruire les villages de ces enfants, pour abriter avec ces enfants, leur famille chez eux. Bientôt, au mois de décembre, il y aura 3.000 militaires, une moitié française et l'autre européenne et aussi des gendarmes de l'ONU qui sécuriseront les camps. Personne ne parle de cela et l'on s'indigne sur une dérive. Cessons d'être partial.
Q - Le déploiement de la Force internationale pour le Darfour ne sera ni annulé ni retardé, l'Opération Darfour aura donc bien lieu ?
R - Ce n'est pas l'opération Darfour car c'est une opération qui dépend de l'ONU et qui est beaucoup plus importante encore avec 26.000 hommes. Elle aura lieu au Darfour et je pense qu'elle est d'ores et déjà en train de se déployer.
Q - Il n'y aura donc aucun retard et elle n'est pas remise en cause?
R - Je n'en suis pas sûr, ce qui se passe au Darfour est difficile. Il y a eu des morts dans le premier groupe des soldats africains. Tous les jours, il y a des complications. Il y a ces rebelles et ces pourparlers de paix qui n'ont pas été très efficaces dans un premier temps mais il faut espérer. Cette opération sera la plus importante de toutes les opérations de secours humanitaire. Ce mot ne m'écorche pas les lèvres ni le coeur, humanitaire, j'en suis fier, mais pas fier des gens qui l'attaquent.
Q - Et pas fier non plus de ceux qui l'ont dévoyé ?
R - Je ne suis pas fier non plus mais je pense que parmi ceux qui l'ont dévoyé, il y avait des personnes sincères, je le pense même si je peux évidemment me tromper.
A côté de cette opération Darfour de l'ONU, la plus grande de l'histoire de l'ONU, il y aura cette opération européenne. L'Europe existe avec une Europe de la Défense qui sécurisera ces zones qui sont toujours attaquées, ce sont les conséquences des attaques venues du Darfour qui se produisent au Tchad. Les militaires européens sécuriseront pendant qu'une reconstruction des villages sera faite par les Tchadiens eux-mêmes.
Voilà pourquoi le président tchadien a été assez généreux et avisé pour dire que cela ne remet en rien en cause cette opération EUFOR-Tchad, EUFOR-RCA.
Car il y a une partie au sud de la RCA qui est très menacée également et dans laquelle les souffrances sont très grandes.
Ces enfants, dont devait s'occuper cette Association "Arche de Zoé", sont, pense-t-on, entre 150.000 et 200.000. Ce sont des personnes déplacées qui sont des Tchadiens au Tchad et dont ne s'occupe pas le HCR des Nations unies.
Voilà pourquoi l'Europe s'en occupe et la France.
Q - Le président Deby n'a-t-il aucune réticence à voir cette Force européenne s'installer dans l'Est de son pays ?
R - Il en a eu, il n'était pas d'accord, la France l'a convaincu. Il y a 6 mois de cela, c'était notre premier geste.
Vous savez, j'ai connu les prédécesseurs du président Deby, c'est une vieille affaire avec le Tchad, nous avons développé un humanitaire risqué. Nous savons ce qu'il en est de protéger les populations. Le président Deby était effrayé par la venue des troupes internationales, il a fallu aller le convaincre, nous y sommes allés et nous nous sommes mis d'accord et maintenant, il participe pleinement. Il a, par ailleurs, fallu convaincre également M. Kadhafi car dans la région, cet homme compte beaucoup.
Ce fut la diplomatie de la France dont on ne s'occupe pas assez, je dirai même que les diplomates français ne sont pas assez félicités.
Q - Pourtant, l'on dit qu'il n'y a ni diplomatie française ni politique étrangère ! C'est l'opposition qui le répétait encore tout à l'heure. Vous souhaitez que l'on passe à autre chose !
R - Non, on ne passe pas à autre chose mais c'est triste que ce pays soit la risée du monde quand des gens qui sont mes amis, quand certains demeurent très profondément mes amis, parlent de cette manière sans rapport avec le réel.
J'étais en Asie, sur le Moyen-Orient, tout le monde sait que la diplomatie française fait tous les efforts possibles.
Elle est là, présente, elle parle aux gens, elle les écoute, elle les prend par la main. Bien sûr, parfois elle ne fait rien, parfois aussi elle se trompe mais la majorité du monde entier considère que nous avons un mouvement, que ce mouvement existe en France et que nous allons vers le respect des autres. Voilà des personnes qui, sous prétexte qu'ils ne sont pas au pouvoir, disent que cela n'existe pas.
Q - Vous n'êtes pas entré en Birmanie, la junte ne le permet pas.
R - Merci de parler de la Birmanie.
Q - Vous avez contribué à l'envoi d'un diplomate des Nations unies, Ibrahim Gambari, c'est sa seconde mission. Il s'y trouve actuellement, il devrait rencontrer les chefs de la junte, également et pour la seconde fois, Mme Aung San Suu Ki.
Les moines disent qu'ils vont reprendre leur défilé d'opposition. La France et l'Europe doivent-ils les soutenir si c'est le cas ?
R - Directement, c'est impossible. Mais sentimentalement, politiquement, c'est tout à fait nécessaire. Déjà, une autre manifestation s'est déployée dans un endroit un peu curieux puisqu'il s'appelle Pakokku. C'est une nouvelle manifestation. Il n'y a pas d'expression plus pacifique, plus humaniste que ces moines, pieds nus, dans la rue, devant les fusils et qui témoignent que, jamais la situation ne reviendra à l'identique, que ce n'est pas possible. Il faut, véritablement, non pas changer le régime, - personne n'y prétend -, mais changer à l'intérieur du régime. Mme Aung San Suu Ki, que j'ai rencontrée très longuement, le disait depuis longtemps et elle continue de le dire.
Elle est prête à travailler avec les militaires mais, dans une ouverture démocratique. C'est ce dialogue qui doit avoir lieu. Je suis allé témoigner de mon soutien aux pays de l'ASEAN mais les pays alentours ont beaucoup plus d'importance que nous qui sommes loin. A Singapour et en Thaïlande, j'ai rencontré des personnes prêtes à pérenniser, ou à tenter de pérenniser, à rendre permanente la mission de M. Gambari.
Q - Et qu'est-ce que cela changerait ?
R - Cela changerait tout car il y aurait un petit bureau de l'ONU à Rangoon avec un déploiement de quelques fonctionnaires, ce qui permettrait non pas de surveiller car nous ne sommes pas là pour cela, mais de permettre que le dialogue avec Mme Aung San Suu Ki se poursuive.
Par ailleurs, nous témoignerions des progrès et proposerions des programmes positifs car la réalité est que la population est en train de souffrir terriblement et on l'abandonne.
Il faudrait à la fois un groupe de quelques pays, proches, les amis de M. Gambari, -on pourrait les appeler ainsi-, et sans doute un peu d'argent pour faire cela.
Q - Avez-vous le sentiment que la Chine puisse peser dans le sens de la démocratie et cesse au moins de conforter le régime militaire ?
R - C'est grâce à la Chine que cette réunion a eu lieu. C'était sous présidence française, la diplomatie française c'est quelque chose. C'est la première fois, au mois de septembre dernier, que la diplomatie française, votre serviteur étant là, nous avons pris, comme prétexte, une réunion du Conseil de sécurité pour parler d'une affaire intérieure à un Etat. Car il s'agissait bien d'une affaire intérieure, en Birmanie, que cette réunion a terriblement sanctionnée.
Q - Et c'est le droit d'ingérence là aussi ?
R - Oui, mais il faut l'appliquer. Aux Nations unies, il a été accepté pour des risques qui menacent une région. Or là, et c'est pour cela que les pays de l'ASEAN sont très importants, c'est pour cela que la Chine dont vous parlez est très importante, il fallait considérer que c'était une menace. Avant que ce soit considéré, nous avons fait cette réunion, avec une déclaration du président, c'est un énorme succès, une grande première depuis que l'ONU existe. La Chine nous y a aidé, elle n'a refusé ni cette réunion ni le communiqué.
Q - Peut-elle faire plus demain ?
R - Oui, je l'espère. Mais il faut la convaincre. Nous retournerons dans trois semaines avec le président Sarkozy, j'espère que cela pourra être fait. J'ai senti un petit fléchissement au Comité central du parti communiste chinois, j'ai senti le responsable, celui qui dirige réellement la politique extérieure, je l'ai senti sensible à nos arguments des trois pièces qui pourraient conforter la mission de M. Gambari et donc l'ingérence d'une certaine façon.
Q - Au-delà de ce changement chinois, qu'avez-vous comme moyen de pressions sur le régime, sur la gente birmane, faut-il augmenter les sanctions, y êtes-vous favorable ?
R - Vous savez, l'Europe les a augmenté. Le président Sarkozy a dit que, même Total devait arrêter ses investissements et qu'il n'était pas question d'investir, même la filiale birmane de Total, c'est-à-dire Moge.
Q - Irez-vous plus loin ?
R - Nous y sommes allés déjà. Vous savez qu'il y avait déjà une interdiction de visas et d'investissements pour toute l'Europe, maintenant, l'Europe propose des sanctions sur le commerce du bois, sur le commerce des minéraux et sur le commerce des pierres précieuses. Je crois que cela pourrait attaquer directement car ces bénéfices vont directement à la junte.
Mais il y a d'autres sanctions politiques et économiques surtout qui pourraient être déployées sur les comptes en banque par exemple.
Q - Mais, vous avez besoin du soutien de la Chine et de la Russie pour mettre tout cela en place ?
R - Il faudrait en fait que ce soit des sanctions internationales car seules les sanctions internationales seraient prises en compte par Singapour pour l'heure, mais, les choses changeront peut-être.
Q - Vous disiez que Mme Aung San Suu Ki que vous connaissez bien et que vous avez rencontré longuement lors d'un précédent voyage serait prête à dialoguer avec les généraux et la junte. Comment est-ce possible d'établir une démocratie avec la junte qui bafoue les Droits de l'Homme et qui réprime, pas seulement les moines ?
R - Elle l'a dit à maintes reprises. C'est toujours mieux de connaître un peu les choses contrairement à ce que l'on croit.
C'est un pays très fragile, c'est un pays immense mais 40 % de sa population est constituée par des minorités et 60 % sont des Birmans.
Pourquoi les connaissons-nous ? Avec "Médecins du monde" humanitaire ! Nous étions les médecins de ces camps à la frontière thaïlandaise. Des milliers de personnes avec des batailles très difficiles dans la jungle. Donc les craintes des gens de la région, c'est ce qu'ils appellent eux-mêmes, la balkanisation de ce pays, c'est-à-dire que les minorités n'accepteraient pas autre chose que d'être indépendantes. Mme Aung San Suu Ki, qui l'a souvent dit, est prête à travailler avec les militaires au maintien d'une cohésion nationale. Pourquoi est-elle prête à travailler, avec sa rigueur, sa beauté extrême d'ailleurs, avec cette allure qu'elle a en permanence ? Son père était un des libérateurs, il était le général qui, lors de la décolonisation a incarné la représentation nationale. Elle n'a pas peur des militaires, elle les connaît. Elle travaille avec eux, elle continue de le dire et d'ailleurs, les militaires la respectent de ce point de vue.
C'est probablement la seule, le seul interlocuteur que les minorités, fragiles, difficiles, rétives, bagarreuses soient capable de reconnaître. Voilà pourquoi c'est si difficile. En même temps, la Chine pénètre, l'Inde lui fait concurrence, tout cela au nord de la Birmanie.
C'est donc une situation très difficile et nous devons soutenir, le Groupe des amis, peut-être un "contact-groupe", comme l'on fait souvent en diplomatie. La France est très présente, pas pour la première fois et lorsque l'on parle avec Mme Rice et que l'on rentre de ce pays, nous sommes écoutés.
Q - Et pendant que vous étiez là-bas, on vous attaquait sur des petites choses, des choses qui avaient une importante mais moindre à long terme, est-ce cela ?
R - M'attaquer, ce n'est pas grave. En France, lorsque l'on fait quelque chose, on est toujours attaqué. C'est lorsqu'on ne l'est pas qu'il faut s'interroger. Les attaques politiques, pas seulement contre moi mais les attaques politiques contre le gouvernement à ce propos, à propos de cette affaire sur laquelle vous revenez, elles font de la peine, elles sont sinistres pour l'idée que l'on a de ce pays, de la démocratie et de la République française. Elles sont sinistres, elles sont petites, elles sont mesquines, elles sont dérisoires.
Q - En Asie et en Turquie vous avez eu des entretiens sur différents sujets. A Istanbul, vous vous êtes entretenu avec votre collègue syrien à propos du Liban et de la prochaine éventuelle élection du président de la République au Liban. Il promet qu'il n'y aura pas d'ingérence syrienne au Liban. Est-ce que vous l'avez cru ?
R - Je l'ai cru plusieurs fois de suite et ce ne fut pas vrai. Est-ce que je le crois cette fois-ci ? Cela n'est pas nouveau, il y a eu plusieurs gestes de la France et il y en aura d'autres. Le problème est très clair. La Syrie joue un grand rôle dans la région, nous le savons. Pas seulement la Syrie, tous les pays autour du Liban, bien entendu. Mais la Syrie joue un rôle très particulier parce que l'élection du président de la République libanaise doit avoir lieu à partir du 14 novembre, dans quelques jours, jusqu'au 23 novembre. Il ne faut pas qu'il y ait d'interventions et surtout pas d'assassinat, parce qu'il y a à chaque fois des assassinats.
Q - Vous le redoutez là-encore ?
R - Je les redoute parce que mes amis libanais les redoutent. Parce qu'il y a 51 députés qui sont enfermés à côté du parlement dans un hôtel et qui ne peuvent pas retourner chez eux parce qu'ils ont peur d'être assassinés. Parce qu'il y a une tension terrible. Nous avons, la France, cette diplomatie immobile, n'est-ce pas ? La France qui ne fait rien, qui est brocardée tout le temps, c'est la seule qui ait invité à La Celle Saint-Cloud, chez elle, l'ensemble des partis libanais, y compris le Hezbollah. Nous avions eu raison, car ils se sont parlés. J'espère, avec ce geste, qui n'est pas un geste de menace, qu'il n'y aura pas d'ingérence et que, à partir d'une liste produite par le patriarche Mgr Sfeir, le candidat, forcément maronite, sera un de ceux de la liste du patriarche qui sera discuté, je l'espère, par le chef de la majorité, M. Hariri et par le président du parlement, M. Nabi Berri, chiite.
Q - La France a un candidat ?
R - Non, la France n'a pas de candidat. Elle a toujours dit que nous ne voulions pas jouer au jeu des noms, que nous n'avions pas de candidat. Nous accepterons n'importe quel candidat élu selon le processus électoral, selon la Constitution et à la date dite. C'est ce que j'ai dit aux Syriens.
Q - Qu'est-ce que vous attendez de la Syrie ?
R - Qu'elle le fasse. Ils m'ont dit aussi que c'était leur politique de passer par le processus constitutionnel, mais ils ont ajouté que si cela se déroulait bien, je parle de l'élection présidentielle, il y aurait un ambassadeur de Syrie au Liban, ce qui serait une grande première. Est-ce que je les crois ? Je veux les croire. Est-ce que je suis trompé ? On verra ? Est-ce que c'est un pari ? Oui et c'est un pari risqué.
Q - Alors, on parle de ces élections du 24 novembre, est-ce que vous craignez qu'elles puissent ne pas avoir lieu parce que la question reste posée à l'heure où on se parle ?
R - Oui, clairement, elles peuvent ne pas avoir lieu. Il peut y avoir un chaos. S'il y a plusieurs assassinats, elles n'auront pas lieu. S'il y en a - vous savez, c'est le président qui avait fermé le parlement et qui avait jeté la clé dans la mer - tout peut arriver. Il faut qu'il y ait une première séance avec une désignation selon cette liste, aux deux tiers du parlement, d'un candidat. Et puis après, c'est à 50 % plus une voix.
Q - Autrement dit, s'il n'y a pas d'assassinat, on peut penser que la Syrie accepte qu'il y ait une élection présidentielle d'ici au 24 ?
R - Vous savez, il n'y a pas de preuve que ce soit la Syrie. A chaque fois on nous répond cela. Mais s'il n'y a pas ce chaos-là, créé par les assassinats ciblés, cela voudrait dire qu'on pourrait s'acheminer de meilleure façon vers l'élection. Il n'y a pas que la Syrie.
Q - S'il n'y a pas d'élection, vous avez dit qu'il y aurait un vide politique et vous avez dit que la communauté internationale devra réagir, elle ne pourra pas rester indifférente. Qu'est-ce que vous voulez dire par-là ?
R - Ne me faites pas dire qu'il y aura une opération militaire. A chaque fois que je dis c'est dangereux, on me dit il y a une opération militaire.
Ce que j'ai dit, c'est que s'il y a un vide politique, il ne peut pas profiter à la Syrie, il ne peut profiter à personne et à ce moment-là, la communauté internationale aura une claire conscience que certains sont intervenus. Voilà ce que j'ai dit. Je n'ai pas menacé d'autre chose.
Q - Bernard Kouchner, on retient, là, à propos du Liban, pas d'opération militaire internationale. Mais vous avez dit : "il n'y a pas que la Syrie", qui ?
R - On en a déjà fait. Vous avez des opérations internationales. Elles n'ont pas bien tourné. Mais nous sommes très responsables de ce qui se passe parce que j'ai aussi visité nos soldats. Il y a dans la FINUL des soldats français, des soldats italiens, des soldats espagnols, des soldats turcs et d'autres nationalités. C'est une très belle opération de l'ONU - droit d'ingérence internationale - qui a été faite à l'appel de la France et là aussi nous en sommes fiers.
Q - Mais vous avez dit au ministre syrien d'arrêter d'envoyer des armes au Hezbollah à la frontière nord. Des armes qui viennent soit de l'Iran, soit de la Syrie ?
R - Nous avons parlé de la frontière. Il a promis que non seulement il y aurait une ambassade mais que le tracé de la frontière et sa surveillance seraient assurés. Il y a une proposition européenne qui est venue depuis très longtemps, de protection électronique de la frontière.
Q - Entre majorité anti-syrienne et opposition pro-syrienne, la France souhaite un compromis, ce qui n'est pas le cas, apparemment des Etats-Unis, qui ne souhaitent pas de compromis entre les deux. Y a-t-il une différence d'appréciation ?
R - Il y a souvent des différences. Vous allez me demander si nous sommes alignés sur les Etats-Unis. Nous ne le sommes pas. La preuve, vous venez de trouver un des exemples. Il a fallu longtemps pour convaincre nos amis américains, car nous sommes amis, mais la différence c'est qu'ils ont plutôt confiance en nous, maintenant, et nous les avons convaincus. Dans ma conversation avec Mme Condoleezza Rice, nous avons non seulement admis, encore une fois, que nous étions sur la même politique, ce qui n'était pas vrai il y a quelques semaines, quelques mois, mais nous avons fait une réunion où nous avions invité l'ambassadeur syrien, qui, hélas, était sur le chemin de l'aéroport - nous lui donnerons la déclaration - où il y avait les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Ligue arabe, la Jordanie, la France et l'Egypte.
Q - Bernard Kouchner, je reprends ma question. Vous avez dit "Il n'y a pas que la Syrie" ; il y a qui ?
R - Il y a évidemment l'Iran. Il y a évidemment Israël, n'oublions pas la dernière guerre l'année dernière entre Israël et le Liban. Il y a la Turquie qui joue un rôle très important et qui vient d'ailleurs de prononcer les mêmes phrases que nous à la conférence d'Istanbul sur la politique à pratiquer au Liban.
Q - La Turquie et la question kurde, qui sont évidemment indissociables. On a l'impression qu'en Irak, il y a un nouveau front qui risque d'éclater avec la poudrière kurde. Qui a intérêt, d'après vous, à déstabiliser encore un peu plus, cette région ?
R - Beaucoup de gens. Pour que la difficile tentative, la pénible tentative, la tentative en mauvais état de l'Irak saute en morceau encore plus. C'est-à-dire que la seule partie de l'Irak qui soit calme en ce moment, c'est le Kurdistan d'Irak qui est directement lié à la Turquie avec évidemment une population kurde de l'autre côté. A qui cela pourrait profiter ? Ce serait un chaos invraisemblable, il faut surtout qu'ils ne le fassent pas. Les Turcs en ont assez et ils ont raison, des attaques d'un groupe terroriste kurde, qui s'appelle le PKK et qui commet les attentats que vous imaginez, les attaques-suicides maintenant. Ils ont eu plusieurs soldats qui sont morts ; ils ont 100.000 soldats à la frontière, donc c'est très fragile et très explosif.
Q - La France soutient la Turquie ?
R - La France lui demande la retenue, mais la France comprend la Turquie puisque les attaques étaient absolument insupportables. On ne peut pas tuer les populations civiles impunément, c'est l'extrémisme que nous combattons tous. Mais je crois que c'est aux Irakiens - peut-être dans un premier temps aux troupes qui sont au Kurdistan d'Irak - de surveiller leur territoire et de faire la police chez eux. C'est aux Irakiens de déployer des troupes autour du PKK. Je crois que seul ce geste pourrait retenir la Turquie un moment donné parce qu'il y a des attaques provocantes tout le temps. Le PKK a intérêt à internationaliser ; pas les Kurdes.
Q - Comment se passe le dialogue entre la Turquie et la France depuis que les Turcs ont le sentiment que les portes de l'Europe leur sont fermées ou vont leur être fermées ? Est-ce que ça a compliqué la donne ?
R - Bien sûr, cela a un peu compliqué la donne, mais depuis un certain nombre de semaines, depuis deux mois environ, depuis qu'ils se sont aperçus que nous acceptions d'ouvrir les chapitres - je ne vais pas vous faire de la technique, mais ils peuvent ouvrir 30 chapitres dans leur cheminement vers l'Europe et ils sont déterminés à entrer dans l'Union européenne, il y en a 5 qu'ils ne peuvent pas ouvrir, ce fut la position du président, M. Sarkozy et il a raison, il a été très souple sur cette affaire - les choses vont mieux. Maintenant il y a un problème de comité des sages, cela va peut-être être un peu retardé. Mais nous parlons très franchement. J'y suis allé il n'y a pas longtemps, le président Sarkozy a reçu M. Erdogan à New York et il y a eu une conversation extrêmement franche et plutôt cordiale. Hier ils m'ont très bien reçu, le président Gül, le Premier ministre Erdogan et évidemment Babacan, mon collègue, ami et complice, ministre des Affaires étrangères.
Sur le Kurdistan et sur l'attaque précise, ils sont vraiment extrêmement nerveux et déterminés.
Q - Et inquiets ?
R - Oui parce qu'il y a aussi un jeu entre l'armée et le pouvoir civil. Mme Condoleezza Rice a été très claire, elle a mis en garde tout le monde, nous l'avons fait dans notre discours très fermement.
Q - Pendant que vous nous parliez de Syrie, de Liban, on vient d'apprendre que MM. Guéant et Levitte ont été reçu tout à l'heure par le président de la Syrie, Bachar El Assad, naturellement vous le saviez ?
R - Oui, c'est pour cela que je vous ai dit astucieusement qu'il y aurait d'autres gestes. A ce niveau, c'est-à-dire les représentants du président sont allés voir le président syrien, à mon niveau, c'est-à-dire la diplomatie, j'ai dit les choses très clairement.
Q - C'est parce que cela s'est bien passé avec le ministre des Affaires étrangères à Istanbul que cette rencontre est possible ?
R - C'est quand même le président de la République, Nicolas Sarkozy, qui propose la politique extérieure de la France, ce n'est pas moi, je fais ce que je peux pour l'influencer, c'est tout.
Q - Ce geste d'aller voir Bachar El Assad...
R - C'est un geste qui fait partie de notre pari, risqué.
Q - Cela veut dire que la France veut parler avec la Syrie ?
R - Je l'ai dit très clairement quatre fois, nos amis viennent de le répéter à Damas, je l'avais dit hier. Nous tenons au Liban, le Liban c'est une partie de notre histoire et de nous même, et de nos sentiments. Nous aimons les Libanais, tous les Libanais. Cela veut dire que si l'élection au Liban se déroule de bonne façon, alors oui, les relations entre la Syrie et la France se normaliseront.
Q - A ce moment là vous pourrez aller à Damas vous-même.
R - Mais bien sûr.
Q - Et Bachar El Assad en France ?
R - C'est trop tôt pour en parler.
Q - Au sujet de l'Iran, où va-t-on avec le gouvernement de Téhéran ? Où vont les Nations unies ? Si l'Iran maintient sa position sur le nucléaire que peut-on envisager ?
R - On ne peut pas se contenter du statu quo et de ce que les autres décident. Le problème de ce grand pays qu'est l'Iran, de cette grande civilisation, de ces Perses qui sont à la charnière entre l'Afrique et l'Asie, actuelle avec une démocratie religieuse avec qui l'on peut discuter...
Q - Mais qui est une démocratie ?
R - Oui ils ont voté. Ceux qui ne votent pas, les abstentionnistes, doivent aussi en prendre pour leur grade. S'ils ne veulent pas voter c'est dommage mais c'est comme ça. Donc c'est une démocratie religieuse très particulière et très rude. La menace c'est que pendant des années, pendant de très longues années, en dépit des règles internationales et du traité de non-prolifération qu'ils avaient eux-même signé en 1972, ils ont enrichi l'uranium.
Q - Et ils n'arrêtent pas !
R - Ils n'arrêtent pas. Mais on craint qu'ils puissent se diriger vers du nucléaire militaire. Ils prétendent le contraire.
Q - M. El Baradeï qui est le patron de l'AIEA, l'Agence internationale de l'Energie atomique, dit à peu près la même chose.
R - On peut dire ça...
Q - Est-ce que vous partagez son point de vue ?
R - Nous avons eu trois résolutions dont deux avec sanctions demandant aux Iraniens d'arrêter l'enrichissement d'uranium. Le moins que l'on puisse dire c'est que cela ne marche pas. Donc, on peut s'obstiner en faisant semblant de ne pas leur parler, comme pour la Syrie, ou on peut essayer de faire de la diplomatie et de la politique et il faut leur parler. Mais de toute façon il faut attendre...
Q - Quel geste attendez-vous de l'Iran ?
R - Nous construisons des sanctions nationales. Nous les construisons, nous y réfléchissons. Pendant ce temps M. El Baradeï va faire une enquête supplémentaire car les Iraniens lui ouvrent les portes pour savoir ce qu'il s'est passé lorsqu'ils enrichissaient l'uranium secrètement. Il y aura un rapport en novembre, au moins un début de rapport. Pendant ce temps-la il y aura un rapport de M. Solana, car nous parlons avec les Iraniens par l'intermédiaire de notre haut représentant pour la politique extérieure, Javier Solana. Je vous rappelle que pour le moment nous sommes unis, les Chinois, les Russes, les Etats-Unis et les trois pays qui l'ont initié, les Anglais, les Allemands et les Français.
Q - Si ça ne marche pas ?
R - Pour le moment nous avons un texte commun. Si ça ne marche pas, ou si nous le souhaitons à six, nous irons vers le Conseil de sécurité une autre fois, vers la fin de l'année et nous réclamerons éventuellement d'autres sanctions.
Q - Ensemble ?
R - Ensemble je l'espère. Il faut absolument maintenir cette unité car des sanctions qui sont décidées par le Conseil de sécurité et par le multilatéral, encore un mot que nos amis américains n'aiment pas beaucoup, avec le multilatéral ça va plus fort que des sanctions européennes sur lesquelles nous travaillons. Hier en Israël M. Steinmeyer, Franck Steinmeyer mon collègue allemand a dit qu'il réfléchissait aux sanctions, ce qui est une nouveauté.
Q - Est-ce que vous diriez Bernard Kouchner que le pire, la guerre, est derrière nous a propos de l'Iran ?
R - J'ai déjà dit que le pire serait la guerre et j'ai été mal interprété, toujours par les mêmes spécialistes du dénigrement. Pourtant quand la tension est grande, je ne dirais pas la guerre, mais quand les conflits se préparent, quand cela monte de chaque côté, il faut se prémunir. Donc nous continuons à discuter avec les Iraniens. J'ai rencontré hier pendant une heure et demie M. Mottaki, ministre des Affaires étrangères iranien, je le rencontrerai à nouveau et je téléphone toutes les semaines à Téhéran. Je répète ce que j'ai dit, malgré les dangers et parce qu'il y a des dangers, et en raison de ces dangers. Il faut continuer à parler, parler, sans relâche, sans craindre de reculer, sans craindre les quolibets, les rebuffades. Nous continuons de le faire et nous allons voir si ça donne quelque chose.
Q - Mais personne, ni en Europe ni aux Etats-Unis, n'est prêt à une opération militaire. Et est-ce qu'on aurait envie, comme on le lit parfois, d'envoyer ou de charger Israël de détruire les usines nucléaires de l'Iran comme en Syrie ?
R - Je ne crois pas qu'Israël le souhaite. Mais quand vous dites personne n'est prêt, moi je lis des articles et j'entends des gens prononcer le contraire. Je pense que c'est une très mauvaise solution et que se serait le pire du pire. C'est ça que j'ai voulu dire.
Q - Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy va de nouveau aux Etats-Unis. Vous avez répété que la France n'était pas alignée sur les Etats-Unis, c'est enregistré. Est-ce que la France guigne le statut de partenaire privilégié des Américains ?
R - Un statut de confiance, nous ne voulons pas être partenaire privilégié. Mais ça change tout d'avoir la confiance de l'autre surtout quand on n'est pas d'accord.
Q - Et elle est là ?
R - Elle est là, franchement elle est là.
Q - Cela entraîne quoi comme conséquence cette confiance ?
R - On se parle franchement et nous sommes écoutés. Nous ne l'étions pas. Nous avions une position à priori. Les Américains savaient, ou pensaient savoir, ou croyaient, que nous étions hostiles d'avance. Ca n'est plus le cas. Je vous donne un dernier exemple - il faut quand même féliciter non seulement le style mais aussi la politique de Nicolas Sarkozy dans cette affaire - nous avons parlé de l'OTAN. L'OTAN on ne va pas y retourner alors que nous y sommes, nous participons à toutes ses missions. Il y a simplement un comité militaire consultatif dans lequel on pourrait rentrer mais ce n'est pas ça le problème. Nous disons à nos amis américains qu'il nous faut construire une défense européenne et cela permettra de réorienter l'OTAN. Vous voyez, ce n'est pas pareil et nous nous y attachons, par ce qu'on en a besoin, parce que la politique sans une défense importante, on le voit bien dans le monde dangereux ou nous sommes, ne correspond pas à grand chose.
Q - Et puisqu'ils ont confiance vous avez le sentiment d'être un peu plus écouté ? Parce que c'est une vieille affaire celle là !
R - La défense européenne progressera d'abord et nous réorienterons l'OTAN grâce à un pilier européen beaucoup plus important. Mais je vous réponds oui, ça change tout. Mais je sais qu'il y aura une autre équipe, je sais qu'il faut parler aux Américains quel que soit le gouvernement et je crois qu'il y aura un gouvernement nouveau.
Q - Nicolas Sarkozy recevra-t-il les candidats républicains ou les démocrates Hillary Clinton, Obama quand il ira aux Etats-Unis ?
R - Je ne sais pas s'il aura le temps il faut voir son programme. C'est une visite très courte. Je ne dois pas répondre au nom du président de la République, mais je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas.
Q - Vous êtes apparemment informé de ce qu'il va faire.
R - Pas toujours Monsieur.
Q - Un mot sur le Pakistan, l'Etat d'urgence c'est pour vous un véritable putsch de la part du président Musharraf.
R - Son prétexte...
Q - C'est la menace islamiste ?
R - Oui son prétexte c'est la menace islamiste. Mais c'est très dangereux. L'arrêt des libertés publiques, arrêter des centaines de gens... Je ne suis pas sûr qu'en arrêtant les partisans des Droits de l'Homme on va faire reculer la menace islamiste, je ne suis pas sûr qu'en refusant les élections on favorise une ouverture qui était représentée par Mme Bhutto. Tout cela est dangereux il faut vraiment dire à nos français de se méfier. A l'ambassade on sait où les joindre et tout ça est dangereux.
Q - Est-ce qu'il y a une alternative à Musharraf ?
R - Pour le moment il n'y en a pas. Ca serait les élections et l'état d'urgence vient de les empêcher.
Q - Il y a pratiquement six mois que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République. Six mois après, comme prévu, c'est le temps des difficultés, des réalités. En ce qui vous concerne si c'était à refaire qu'est-ce que vous feriez si vous étiez appelé ?
R - C'est un très beau métier de représenter la France et d'essayer d'améliorer à ma petite mesure le sort du monde. D'essayer de ne pas être négatif, de ne pas être nocif, de ne pas crier partout dès que l'on a une idée. Je le referais volontiers, ce n'est pas facile.
Q - Quels que soient les risques de ce que l'on a considéré comme une transgression passer de vos amis...
R - Oui. Je comprends bien que j'ai pu apparaître à certain comme un traître. Je demande à être jugé au résultat. Je ne m'occupe pas de politique intérieure.
Q - On le dit moins mais il y a des attaques qui continuent.
R - Bien sûr les attaques continueront tant qu'ils seront vivants ces gens-là. Et je leur souhaite de vivre longtemps. Ce qui me fait de la peine c'est que l'opposition en France, le parti socialiste, mon parti socialiste dont je suis provisoirement exclu... Nicolas Sarkozy ne m'a jamais demandé de renoncer à mes idées, au contraire. C'est bien de discuter avec lui. Il va en politique extérieure, si on prend le traité constitutionnel jusqu'à ce qui se passe en ce moment avec le Liban, plutôt de succès en succès. Qu'est ce que cela veut dire un succès, tout est remis en question en 30 secondes dans ce monde. Mais quand même. Donc ce qui me gêne c'est que l'opposition - pas tous mes amis de l'opposition, il y en a qui deviennent un tout petit peu normaux et raisonnables - soient dans la vindicte et dans l'hystérie. Ca me fait de la peine, ce n'est pas comme cela que l'on fait avancer notre pays. Il faudrait qu'ils se rendent compte que le monde a changé et pas eux, et que, surtout, dans ces espèces de rodomontades viriloïdes qui crie le plus fort n'a pas forcément raison. Peut-être pourrait-on prendre les problèmes un par un. Moi je me réjouis quand un homme comme Jack Lang participe du changement des institutions. Je me réjouis que dans le Livre Blanc qui va être travaillé pour le ministère des Affaires étrangères il y ait des gens d'ouverture ; que Louis Schweitzer soit là ; que d'autres, plein d'autres soit là. Je crois que l'on fait du bien à la France et que l'on fait du mal à la France quand on crie trop fort.
Q - Donc si le président de la République veut poursuivre dans quelque temps son ouverture au centre, à gauche, vous dites à vos amis allez-y vous restez de gauche ?
R - Oui vous savez on ne se consulte pas. Il n'y a pas un groupe de gauche, il y a des gens qui travaillent pour ce pays et ce n'est pas toujours facile je ne vous le cache pas. Ce n'est pas toujours facile de participer au succès de Nicolas Sarkozy.
Q - Pourquoi ?
R - Parce que c'est une autre façon de vivre la politique.
Q - Pourquoi, parce que par exemple il va et il revient du Tchad. Vous souffrez qu'il ait réussi, s'il a réussi.
R - Pas du tout, ils m'ont demandé d'y aller bien entendu. Moi j'ai lancé l'affaire depuis longtemps, j'ai téléphoné le premier jour, samedi dernier, à Idriss Deby que je connais très bien. J'ai demandé qu'il sépare le sort des journalistes du sort des gens qui n'était pas encore inculpé mais qui allait l'être et ça s'est fait très bien et, encore un fois, nous avons suivi avec mon cabinet toutes les affaires. C'est encore un succès pour Nicolas Sarkozy que d'être aller les chercher bien sûr. Moi pendant ce temps-là je m'occupais de ceux dont on a parlé trop rapidement. J'espère ne pas avoir été complètement inutile.
Q - Il agit sur tous les terrains. Est-ce qu'il a constitué avec son Premier ministre un gouvernement qui correspond à ce qu'il est ? Je ne comprends pas où est le gouvernement ?
R - Il constitue un gouvernement qui n'est pas antipathique, il a constitué un gouvernement qui, en Conseil des ministres, parle, avant on ne se parlait pas. Un gouvernement qui discute, avant on ne discutait pas. Mais suivre le président de la République est une affaire de marathonien. Nous n'en sommes qu'au début.
Q - C'est pour cela que vous faites du jogging ? Vous en faites encore avec lui ou lequel est le plus fatigué ?
R - A l'occasion. J'en ai fait encore ce matin j'étais tout seul alors personne ne le remarque.
Q - Concernant sa méthode, son omniprésence est-ce que ce n'est pas risqué finalement d'être en première ligne ?
R - C'est possible mais j'ai dit que c'était un homme du risque et il le sait. Il pense qu'il a été élu sur des sujets très précis pour lesquels la France lui a donné la majorité. Vous me faites parler à sa place, invitez-le !
Q - Il l'est invité.
R - En tous cas je peux vous dire que travailler avec lui humainement, c'est parfois difficile, mais c'est aussi un grand bonheur, de vivacité, de possibilité, de débat formidable.
Q - De remise en cause personnelle de temps en temps ?
R - De remise en cause personnelle oui sûrement.
Q - On peut lui parler encore ou on ne peut plus lui parler ?
R - Moi je lui parle sans problème.
Q - Un mot sur l'Arche de Zoé. Est-ce que vous pouvez rassurer les Français : ça ne se reproduira jamais ?
R - On ne peut pas rassurer les Français. Il faut qu'ils soient un peu plus adultes et penser que ce monde est risqué et qu'il y a quelques dérives. Ce n'est pas la Corée du Nord on ne peut pas les mobiliser ou les démobiliser les ONG. Il faut courir ces risques-là. L'Europe, le monde et la France aussi qui n'y croient pas. Nous sommes dans un monde risqué, nous sommes en compétition avec tout le monde, nous ne sommes pas le centre du monde. Mais faites-moi confiance il y a eu tellement d'opérations humanitaires réussies... L'humanitaire c'est le bonheur de tous pour ces jeunes gens, c'est l'idéal.
Q - C'est l'échec de l'humanitaire. C'est l'échec de quelques-uns uns qui ont pris le masque de l'humanitaire.
R - Ils ont pris le masque, mais il y en a qui y ont cru sûrement. C'est comme si vous me disiez que l'explosion de Discovery avait stoppé la conquête de l'espace. Nous avons encore la conquête de l'espace devant nous.
Q - Les dirigeants socialistes viennent de dire que pour que l'aller-retour au Tchad soit un succès il fallait qu'il ramène les six qui restent la-bas et qu'ils ne soient pas jugés au Tchad mais ici.
R - Je ne sais pas qui a dit cela mais il faudrait leur rappeler que juste avant ils disaient : c'est fini la Françafrique. Alors pourtant l'Afrique de papa c'est fini et c'est bien fini. Il y a une justice du Tchad maintenant. Que l'on s'occupe, après, et on les abandonnera pas, du sort de nos concitoyens, je peux même vous promettre que je tenterai de m'en charger.
Q - C'est à dire aller d'aller les voir ?
R - Eventuellement mais ce n'est pas seulement un voyage de plus. J'en fait tout le temps.
Q - Un dernier mot très bref sur Ingrid Betancourt. Il y a une médiation en cours avec le président Chavez. Est-ce que la c'est un vrai espoir de libération ?
R - Vous savez on a eu de vrais espoirs et puis elle n'a pas été libérée. Mais nous soutenons le président Chavez qui viendra en France. C'est une initiative de Nicolas Sarkozy. Vous savez un président téléphone tout le temps pour suivre une affaire. On le lui a reproché pour les infirmières bulgares. Là on ne va pas le lui reprocher ou alors on doit lui reprocher en même temps le précédent geste et cela devient grotesque. Il a un style particulier.
Q - Y a-t-il un espoir de libération ?
R - L'espoir existe bien entendu sinon nous ne le ferions pas.
Q - Vous avez la preuve qu'elle est vivante ?
R - Nous avons une preuve indirecte qui est venue un peu plus facilement que d'habitude, enfin qui est un peu plus sûre que d'habitude. Mais, bien entendu, il faut continuer. En tous cas nous nous acharnons. On rencontre les gens. Nous avons envoyé le directeur des Amériques qui était encore au côté du président Chavez. Directeur des Amériques de ce Quai d'Orsay qui bouge, où il y a des gens merveilleux qui veulent, excusez l'expression, se défoncer pour leur idée de la France et de la politique.
Q - Merci M. Bernard Kouchner.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2007
Vous êtes rentré cette nuit d'une longue tournée en Asie, vous étiez en Thaïlande, à Singapour, en Chine et en Turquie.
Le président de la République se trouve dans l'avion du retour du Tchad où il vient d'effectuer un très bref voyage. Nous l'avons expliqué tout à l'heure, il ramène dans son avion, libérés par la justice tchadienne, les trois journalistes français et les quatre hôtesses de l'air espagnoles, pays qui applaudit cette initiative française.
Nous sommes vraiment très heureux de vous accueillir ici, mais, comment se fait-il que le ministre des Affaires étrangères n'accompagne pas le président de la République au Tchad ?
R - Vous l'avez dit, j'étais ailleurs. Il y a une répartition des tâches, Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme s'est très bien occupée de cette affaire. J'étais en contact avec elle tous les jours, j'ai initié cette cellule de crise qui a si bien travaillé avec mon cabinet. Nous étions en contact permanents.
Q - L'affaire est évidemment importante mais pourquoi fallait-il que le président de la République lui-même soit en première ligne ?
R - C'est son tempérament. Lorsqu'il s'intéresse à une histoire, lorsqu'il pense qu'il peut participer au règlement de cette histoire, il le fait. Il faut s'habituer à cette dynamique et la preuve, cela s'est très bien passé.
Q - Dans certains cas, ne prend-il pas trop de risques ?
R - C'est un homme qui aime prendre des risques, c'est un homme qui prendra des risques. J'aime bien cela.
Q - Sept personnes ont donc été ramenées en France, il en reste encore d'autres à N'Djamena. Concernant les 6 membres de l'"Arche de Zoé", doivent-ils être jugés en France et pourquoi ?
R - Ce n'est pas à moi d'apprécier et je trouve que c'est une triste histoire, une sinistre histoire. C'est l'histoire d'un humanitaire dévoyé et cette affaire regroupe certainement des gens qui n'avaient pas une bonne notion de l'humanitaire mais d'autres l'avaient et faisaient preuve d'une grande générosité. C'est à la justice tchadienne d'en décider, il y aura sans doute le prolongement d'une enquête car vous savez que nous avons une convention d'entraide judiciaire avec le Tchad, depuis 1976. Nous pourrons mener deux enquêtes parallèles et peut-être même concomitantes, la justice française et la justice tchadienne.
Sans prendre partie car c'est l'affaire de la justice, lorsqu'un délit, - et c'est un mot faible - est commis sur le territoire d'un pays souverain, ce n'est pas à la justice française d'intervenir. Elle peut participer, elle peut, d'une façon la plus souple et la plus légale possible, s'en occuper également, seulement si le pays le permet.
Pour le moment, et ce serait le retour du colonialisme que l'on nous reproche avec "la France-Afrique de papa", que de ne pas considérer que le Tchad, pays indépendant existe dans sa justice et dans son indignation. Ce qui est le pire dans cette affaire, c'est ce gâchis d'espérance. C'est que l'humanitaire, ce beau mot, ait été employé pour s'indigner. Il faut s'indigner et appeler l'humanitaire, il faut s'indigner pour faire le bien et là, il y a eu un mélange fâcheux et j'espère que l'on y verra plus clair. Je ne doute pas que certains aient été abusés. On voit d'ailleurs maintenant un certain nombre de témoignages, même si je rentre juste d'Asie et que je ne les ai pas tous lu, on voit que certains disent qu'ils se doutaient de quelque chose.
Q - Vous parliez tout à l'heure de délit de la part de ces humanitaires dévoyés, quel délit ?
R - Il y a tout d'abord un délit d'intention.
L'humanitaire est quelque chose de noble et de généreux. Cela comporte un certain nombre de règles qui ne sont pas très nombreuses, je vous en citerai trois.
1 - Le respect des autres, nous sommes chez les autres nous ne sommes pas chez nous. Il ne faut pas s'étonner que d'autres lois s'appliquent, que d'autres cultures soient déployées,
2 - l'écoute, ce sont les populations que l'on vient soutenir, non pas l'idée que nous avons de ces populations. C'est du colonialisme de la tête,
3 - et, c'est très important, faire l'état des besoins.
Si ces trois règles avaient été respectées, les choses auraient tourné différemment. C'est un délit personnel, je ne veux pas dire que la justice soit responsable depuis le début. Nous avions alerté, par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, par le cabinet de Mme Rama Yade, par le mien. Nous avions alerté.
Q - Et pourtant, ils sont partis !
R - Les ONG ne sont pas gouvernementales. Ici, on reproche à la presse de parler, faudrait-il aussi que "je me taise" !" Nous sommes dans un Etat de droit.
Les ONG, c'est leur honneur, c'est leur esprit critique nécessaire qui doit se manifester n'ont pas à être régentées par l'Etat. Nous avons procédé comme jamais pour alerter les autorités avec la convocation de ces gens à la brigade des mineurs, le rappel par tous les cabinets qu'il est interdit de faire de l'adoption sans règle.
Nous avons fait ce que nous avons pu et je m'indignais de loin, d'entendre les attaques portées contre ces personnes qui ont fait leur travail et ce ministère rempli de personnes généreuses qui en connaissent un "rayon" sur l'humanitaire, je m'indignais d'entendre ces insultes à leur égard.
Q - Il n'y a pas que le ministère, vous voyagiez en Asie, vous tentiez d'entrer en Birmanie et ici, on attaquait, à travers l'histoire de l'"Arche de Zoé", les dérives et les dangers du droit d'ingérence que vous aviez proposé. C'est Rony Brauman qui fut un ancien de "Médecins sans frontières" qui indiquait que vous aviez une responsabilité morale, il a d'ailleurs soutenu Bernard-Henri Lévy.
R - J'ai trop de respect pour vous, pour ne pas vous répondre car je n'ai pas l'habitude de répondre aux professionnels du dénigrement. Vous savez, il y a certaines personnes, lorsqu'ils ne m'attaquent pas, je me demande ce que j'ai fait de mal. Ce que j'ai fait de mieux dans ma vie, et j'en suis fier, ce n'est pas seulement d'avoir donné un Prix Nobel de la Paix à mon pays, mais c'est d'avoir créer "Médecins sans frontières" qui a bien profité à ce Monsieur dont vous parlez.
Le jour où il ne m'attaquera plus, je m'inquiéterai, c'est une profession chez lui.
Q - Faut-il de nouvelles règles pour l'humanitaire ?
R - Non, et nous allons arrêter de parler de cette histoire parce que je crois qu'il y a des choses très importantes.
Vous m'avez dit que j'étais à proximité de la Birmanie pour des raisons très précises, c'est plus important qu'une embrouille humanitaire car, pendant ce temps-là, il y avait sur le terrain au Tchad et de l'autre côté, au Darfour, des centaines d'ONG qui font un merveilleux travail qu'il ne faut pas oublier, sous le prétexte qu'il existe des critiques pour l'une des ONG. Ces ONG sont l'honneur de cette planète, ce sont eux qui sont mus par le coeur et la générosité, ne les oublions pas parce qu'il y a eu des dérives. Ce n'est pas parce qu'un Monsieur en Corée du Sud a fait un faut clonage que la science est "pourrie". Ce n'est pas parce qu'un coureur s'est dopé au Tour de France qu'il faut arrêter le cyclisme.
Q - Monsieur Kouchner, vous utilisiez vous-même le mot "abuser".
R - Je le crois en effet même si je ne les connais pas.
Q - Le Premier ministre M. Fillon a demandé une enquête à vos Services et au ministère de la Défense. Cela veut-il dire que certaines personnes au sein de votre ministère ont pu également être abusées ?
R - Je ne le crois pas, c'est nous qui avons alerté, alors, cessons de dire tout et son contraire. Il n'y a pas de délit d'intention en France.
Vouliez-vous que nous les menottions ?
Devions-nous les mettre en prison parce qu'ils avaient dans l'idée d'aller chercher des enfants qui, le croyaient-ils, étaient orphelins ?
Par ailleurs, il faut également féliciter l'armée. On lui reproche d'avoir transporté ces gens, mais c'est formidable et c'est leur honneur d'avoir transporté 75 organisations sur demande du gouvernement tchadien. Bien évidemment, on ne leur demande pas de faire un tri, et c'est parce que ces organisations existent que ces enfants sont moins malheureux. N'oublions pas que pendant ce temps-là, pendant 6 mois, pendant que des ONG travaillaient et qu'une d'entre elles se préparait à mal travailler, c'est le moins que l'on puisse dire -, il y avait un travail des fonctionnaires du Quai d'Orsay, un travail des diplomates et des militaires pour faire qu'une opération humanitaire sans précédent se déroule justement pour assister ces enfants du Tchad dont on a parlé pour l'"Arche de Zoé".
Pendant ce temps-là, nous montions une opération européenne et onusienne pour aller reconstruire les villages de ces enfants, pour abriter avec ces enfants, leur famille chez eux. Bientôt, au mois de décembre, il y aura 3.000 militaires, une moitié française et l'autre européenne et aussi des gendarmes de l'ONU qui sécuriseront les camps. Personne ne parle de cela et l'on s'indigne sur une dérive. Cessons d'être partial.
Q - Le déploiement de la Force internationale pour le Darfour ne sera ni annulé ni retardé, l'Opération Darfour aura donc bien lieu ?
R - Ce n'est pas l'opération Darfour car c'est une opération qui dépend de l'ONU et qui est beaucoup plus importante encore avec 26.000 hommes. Elle aura lieu au Darfour et je pense qu'elle est d'ores et déjà en train de se déployer.
Q - Il n'y aura donc aucun retard et elle n'est pas remise en cause?
R - Je n'en suis pas sûr, ce qui se passe au Darfour est difficile. Il y a eu des morts dans le premier groupe des soldats africains. Tous les jours, il y a des complications. Il y a ces rebelles et ces pourparlers de paix qui n'ont pas été très efficaces dans un premier temps mais il faut espérer. Cette opération sera la plus importante de toutes les opérations de secours humanitaire. Ce mot ne m'écorche pas les lèvres ni le coeur, humanitaire, j'en suis fier, mais pas fier des gens qui l'attaquent.
Q - Et pas fier non plus de ceux qui l'ont dévoyé ?
R - Je ne suis pas fier non plus mais je pense que parmi ceux qui l'ont dévoyé, il y avait des personnes sincères, je le pense même si je peux évidemment me tromper.
A côté de cette opération Darfour de l'ONU, la plus grande de l'histoire de l'ONU, il y aura cette opération européenne. L'Europe existe avec une Europe de la Défense qui sécurisera ces zones qui sont toujours attaquées, ce sont les conséquences des attaques venues du Darfour qui se produisent au Tchad. Les militaires européens sécuriseront pendant qu'une reconstruction des villages sera faite par les Tchadiens eux-mêmes.
Voilà pourquoi le président tchadien a été assez généreux et avisé pour dire que cela ne remet en rien en cause cette opération EUFOR-Tchad, EUFOR-RCA.
Car il y a une partie au sud de la RCA qui est très menacée également et dans laquelle les souffrances sont très grandes.
Ces enfants, dont devait s'occuper cette Association "Arche de Zoé", sont, pense-t-on, entre 150.000 et 200.000. Ce sont des personnes déplacées qui sont des Tchadiens au Tchad et dont ne s'occupe pas le HCR des Nations unies.
Voilà pourquoi l'Europe s'en occupe et la France.
Q - Le président Deby n'a-t-il aucune réticence à voir cette Force européenne s'installer dans l'Est de son pays ?
R - Il en a eu, il n'était pas d'accord, la France l'a convaincu. Il y a 6 mois de cela, c'était notre premier geste.
Vous savez, j'ai connu les prédécesseurs du président Deby, c'est une vieille affaire avec le Tchad, nous avons développé un humanitaire risqué. Nous savons ce qu'il en est de protéger les populations. Le président Deby était effrayé par la venue des troupes internationales, il a fallu aller le convaincre, nous y sommes allés et nous nous sommes mis d'accord et maintenant, il participe pleinement. Il a, par ailleurs, fallu convaincre également M. Kadhafi car dans la région, cet homme compte beaucoup.
Ce fut la diplomatie de la France dont on ne s'occupe pas assez, je dirai même que les diplomates français ne sont pas assez félicités.
Q - Pourtant, l'on dit qu'il n'y a ni diplomatie française ni politique étrangère ! C'est l'opposition qui le répétait encore tout à l'heure. Vous souhaitez que l'on passe à autre chose !
R - Non, on ne passe pas à autre chose mais c'est triste que ce pays soit la risée du monde quand des gens qui sont mes amis, quand certains demeurent très profondément mes amis, parlent de cette manière sans rapport avec le réel.
J'étais en Asie, sur le Moyen-Orient, tout le monde sait que la diplomatie française fait tous les efforts possibles.
Elle est là, présente, elle parle aux gens, elle les écoute, elle les prend par la main. Bien sûr, parfois elle ne fait rien, parfois aussi elle se trompe mais la majorité du monde entier considère que nous avons un mouvement, que ce mouvement existe en France et que nous allons vers le respect des autres. Voilà des personnes qui, sous prétexte qu'ils ne sont pas au pouvoir, disent que cela n'existe pas.
Q - Vous n'êtes pas entré en Birmanie, la junte ne le permet pas.
R - Merci de parler de la Birmanie.
Q - Vous avez contribué à l'envoi d'un diplomate des Nations unies, Ibrahim Gambari, c'est sa seconde mission. Il s'y trouve actuellement, il devrait rencontrer les chefs de la junte, également et pour la seconde fois, Mme Aung San Suu Ki.
Les moines disent qu'ils vont reprendre leur défilé d'opposition. La France et l'Europe doivent-ils les soutenir si c'est le cas ?
R - Directement, c'est impossible. Mais sentimentalement, politiquement, c'est tout à fait nécessaire. Déjà, une autre manifestation s'est déployée dans un endroit un peu curieux puisqu'il s'appelle Pakokku. C'est une nouvelle manifestation. Il n'y a pas d'expression plus pacifique, plus humaniste que ces moines, pieds nus, dans la rue, devant les fusils et qui témoignent que, jamais la situation ne reviendra à l'identique, que ce n'est pas possible. Il faut, véritablement, non pas changer le régime, - personne n'y prétend -, mais changer à l'intérieur du régime. Mme Aung San Suu Ki, que j'ai rencontrée très longuement, le disait depuis longtemps et elle continue de le dire.
Elle est prête à travailler avec les militaires mais, dans une ouverture démocratique. C'est ce dialogue qui doit avoir lieu. Je suis allé témoigner de mon soutien aux pays de l'ASEAN mais les pays alentours ont beaucoup plus d'importance que nous qui sommes loin. A Singapour et en Thaïlande, j'ai rencontré des personnes prêtes à pérenniser, ou à tenter de pérenniser, à rendre permanente la mission de M. Gambari.
Q - Et qu'est-ce que cela changerait ?
R - Cela changerait tout car il y aurait un petit bureau de l'ONU à Rangoon avec un déploiement de quelques fonctionnaires, ce qui permettrait non pas de surveiller car nous ne sommes pas là pour cela, mais de permettre que le dialogue avec Mme Aung San Suu Ki se poursuive.
Par ailleurs, nous témoignerions des progrès et proposerions des programmes positifs car la réalité est que la population est en train de souffrir terriblement et on l'abandonne.
Il faudrait à la fois un groupe de quelques pays, proches, les amis de M. Gambari, -on pourrait les appeler ainsi-, et sans doute un peu d'argent pour faire cela.
Q - Avez-vous le sentiment que la Chine puisse peser dans le sens de la démocratie et cesse au moins de conforter le régime militaire ?
R - C'est grâce à la Chine que cette réunion a eu lieu. C'était sous présidence française, la diplomatie française c'est quelque chose. C'est la première fois, au mois de septembre dernier, que la diplomatie française, votre serviteur étant là, nous avons pris, comme prétexte, une réunion du Conseil de sécurité pour parler d'une affaire intérieure à un Etat. Car il s'agissait bien d'une affaire intérieure, en Birmanie, que cette réunion a terriblement sanctionnée.
Q - Et c'est le droit d'ingérence là aussi ?
R - Oui, mais il faut l'appliquer. Aux Nations unies, il a été accepté pour des risques qui menacent une région. Or là, et c'est pour cela que les pays de l'ASEAN sont très importants, c'est pour cela que la Chine dont vous parlez est très importante, il fallait considérer que c'était une menace. Avant que ce soit considéré, nous avons fait cette réunion, avec une déclaration du président, c'est un énorme succès, une grande première depuis que l'ONU existe. La Chine nous y a aidé, elle n'a refusé ni cette réunion ni le communiqué.
Q - Peut-elle faire plus demain ?
R - Oui, je l'espère. Mais il faut la convaincre. Nous retournerons dans trois semaines avec le président Sarkozy, j'espère que cela pourra être fait. J'ai senti un petit fléchissement au Comité central du parti communiste chinois, j'ai senti le responsable, celui qui dirige réellement la politique extérieure, je l'ai senti sensible à nos arguments des trois pièces qui pourraient conforter la mission de M. Gambari et donc l'ingérence d'une certaine façon.
Q - Au-delà de ce changement chinois, qu'avez-vous comme moyen de pressions sur le régime, sur la gente birmane, faut-il augmenter les sanctions, y êtes-vous favorable ?
R - Vous savez, l'Europe les a augmenté. Le président Sarkozy a dit que, même Total devait arrêter ses investissements et qu'il n'était pas question d'investir, même la filiale birmane de Total, c'est-à-dire Moge.
Q - Irez-vous plus loin ?
R - Nous y sommes allés déjà. Vous savez qu'il y avait déjà une interdiction de visas et d'investissements pour toute l'Europe, maintenant, l'Europe propose des sanctions sur le commerce du bois, sur le commerce des minéraux et sur le commerce des pierres précieuses. Je crois que cela pourrait attaquer directement car ces bénéfices vont directement à la junte.
Mais il y a d'autres sanctions politiques et économiques surtout qui pourraient être déployées sur les comptes en banque par exemple.
Q - Mais, vous avez besoin du soutien de la Chine et de la Russie pour mettre tout cela en place ?
R - Il faudrait en fait que ce soit des sanctions internationales car seules les sanctions internationales seraient prises en compte par Singapour pour l'heure, mais, les choses changeront peut-être.
Q - Vous disiez que Mme Aung San Suu Ki que vous connaissez bien et que vous avez rencontré longuement lors d'un précédent voyage serait prête à dialoguer avec les généraux et la junte. Comment est-ce possible d'établir une démocratie avec la junte qui bafoue les Droits de l'Homme et qui réprime, pas seulement les moines ?
R - Elle l'a dit à maintes reprises. C'est toujours mieux de connaître un peu les choses contrairement à ce que l'on croit.
C'est un pays très fragile, c'est un pays immense mais 40 % de sa population est constituée par des minorités et 60 % sont des Birmans.
Pourquoi les connaissons-nous ? Avec "Médecins du monde" humanitaire ! Nous étions les médecins de ces camps à la frontière thaïlandaise. Des milliers de personnes avec des batailles très difficiles dans la jungle. Donc les craintes des gens de la région, c'est ce qu'ils appellent eux-mêmes, la balkanisation de ce pays, c'est-à-dire que les minorités n'accepteraient pas autre chose que d'être indépendantes. Mme Aung San Suu Ki, qui l'a souvent dit, est prête à travailler avec les militaires au maintien d'une cohésion nationale. Pourquoi est-elle prête à travailler, avec sa rigueur, sa beauté extrême d'ailleurs, avec cette allure qu'elle a en permanence ? Son père était un des libérateurs, il était le général qui, lors de la décolonisation a incarné la représentation nationale. Elle n'a pas peur des militaires, elle les connaît. Elle travaille avec eux, elle continue de le dire et d'ailleurs, les militaires la respectent de ce point de vue.
C'est probablement la seule, le seul interlocuteur que les minorités, fragiles, difficiles, rétives, bagarreuses soient capable de reconnaître. Voilà pourquoi c'est si difficile. En même temps, la Chine pénètre, l'Inde lui fait concurrence, tout cela au nord de la Birmanie.
C'est donc une situation très difficile et nous devons soutenir, le Groupe des amis, peut-être un "contact-groupe", comme l'on fait souvent en diplomatie. La France est très présente, pas pour la première fois et lorsque l'on parle avec Mme Rice et que l'on rentre de ce pays, nous sommes écoutés.
Q - Et pendant que vous étiez là-bas, on vous attaquait sur des petites choses, des choses qui avaient une importante mais moindre à long terme, est-ce cela ?
R - M'attaquer, ce n'est pas grave. En France, lorsque l'on fait quelque chose, on est toujours attaqué. C'est lorsqu'on ne l'est pas qu'il faut s'interroger. Les attaques politiques, pas seulement contre moi mais les attaques politiques contre le gouvernement à ce propos, à propos de cette affaire sur laquelle vous revenez, elles font de la peine, elles sont sinistres pour l'idée que l'on a de ce pays, de la démocratie et de la République française. Elles sont sinistres, elles sont petites, elles sont mesquines, elles sont dérisoires.
Q - En Asie et en Turquie vous avez eu des entretiens sur différents sujets. A Istanbul, vous vous êtes entretenu avec votre collègue syrien à propos du Liban et de la prochaine éventuelle élection du président de la République au Liban. Il promet qu'il n'y aura pas d'ingérence syrienne au Liban. Est-ce que vous l'avez cru ?
R - Je l'ai cru plusieurs fois de suite et ce ne fut pas vrai. Est-ce que je le crois cette fois-ci ? Cela n'est pas nouveau, il y a eu plusieurs gestes de la France et il y en aura d'autres. Le problème est très clair. La Syrie joue un grand rôle dans la région, nous le savons. Pas seulement la Syrie, tous les pays autour du Liban, bien entendu. Mais la Syrie joue un rôle très particulier parce que l'élection du président de la République libanaise doit avoir lieu à partir du 14 novembre, dans quelques jours, jusqu'au 23 novembre. Il ne faut pas qu'il y ait d'interventions et surtout pas d'assassinat, parce qu'il y a à chaque fois des assassinats.
Q - Vous le redoutez là-encore ?
R - Je les redoute parce que mes amis libanais les redoutent. Parce qu'il y a 51 députés qui sont enfermés à côté du parlement dans un hôtel et qui ne peuvent pas retourner chez eux parce qu'ils ont peur d'être assassinés. Parce qu'il y a une tension terrible. Nous avons, la France, cette diplomatie immobile, n'est-ce pas ? La France qui ne fait rien, qui est brocardée tout le temps, c'est la seule qui ait invité à La Celle Saint-Cloud, chez elle, l'ensemble des partis libanais, y compris le Hezbollah. Nous avions eu raison, car ils se sont parlés. J'espère, avec ce geste, qui n'est pas un geste de menace, qu'il n'y aura pas d'ingérence et que, à partir d'une liste produite par le patriarche Mgr Sfeir, le candidat, forcément maronite, sera un de ceux de la liste du patriarche qui sera discuté, je l'espère, par le chef de la majorité, M. Hariri et par le président du parlement, M. Nabi Berri, chiite.
Q - La France a un candidat ?
R - Non, la France n'a pas de candidat. Elle a toujours dit que nous ne voulions pas jouer au jeu des noms, que nous n'avions pas de candidat. Nous accepterons n'importe quel candidat élu selon le processus électoral, selon la Constitution et à la date dite. C'est ce que j'ai dit aux Syriens.
Q - Qu'est-ce que vous attendez de la Syrie ?
R - Qu'elle le fasse. Ils m'ont dit aussi que c'était leur politique de passer par le processus constitutionnel, mais ils ont ajouté que si cela se déroulait bien, je parle de l'élection présidentielle, il y aurait un ambassadeur de Syrie au Liban, ce qui serait une grande première. Est-ce que je les crois ? Je veux les croire. Est-ce que je suis trompé ? On verra ? Est-ce que c'est un pari ? Oui et c'est un pari risqué.
Q - Alors, on parle de ces élections du 24 novembre, est-ce que vous craignez qu'elles puissent ne pas avoir lieu parce que la question reste posée à l'heure où on se parle ?
R - Oui, clairement, elles peuvent ne pas avoir lieu. Il peut y avoir un chaos. S'il y a plusieurs assassinats, elles n'auront pas lieu. S'il y en a - vous savez, c'est le président qui avait fermé le parlement et qui avait jeté la clé dans la mer - tout peut arriver. Il faut qu'il y ait une première séance avec une désignation selon cette liste, aux deux tiers du parlement, d'un candidat. Et puis après, c'est à 50 % plus une voix.
Q - Autrement dit, s'il n'y a pas d'assassinat, on peut penser que la Syrie accepte qu'il y ait une élection présidentielle d'ici au 24 ?
R - Vous savez, il n'y a pas de preuve que ce soit la Syrie. A chaque fois on nous répond cela. Mais s'il n'y a pas ce chaos-là, créé par les assassinats ciblés, cela voudrait dire qu'on pourrait s'acheminer de meilleure façon vers l'élection. Il n'y a pas que la Syrie.
Q - S'il n'y a pas d'élection, vous avez dit qu'il y aurait un vide politique et vous avez dit que la communauté internationale devra réagir, elle ne pourra pas rester indifférente. Qu'est-ce que vous voulez dire par-là ?
R - Ne me faites pas dire qu'il y aura une opération militaire. A chaque fois que je dis c'est dangereux, on me dit il y a une opération militaire.
Ce que j'ai dit, c'est que s'il y a un vide politique, il ne peut pas profiter à la Syrie, il ne peut profiter à personne et à ce moment-là, la communauté internationale aura une claire conscience que certains sont intervenus. Voilà ce que j'ai dit. Je n'ai pas menacé d'autre chose.
Q - Bernard Kouchner, on retient, là, à propos du Liban, pas d'opération militaire internationale. Mais vous avez dit : "il n'y a pas que la Syrie", qui ?
R - On en a déjà fait. Vous avez des opérations internationales. Elles n'ont pas bien tourné. Mais nous sommes très responsables de ce qui se passe parce que j'ai aussi visité nos soldats. Il y a dans la FINUL des soldats français, des soldats italiens, des soldats espagnols, des soldats turcs et d'autres nationalités. C'est une très belle opération de l'ONU - droit d'ingérence internationale - qui a été faite à l'appel de la France et là aussi nous en sommes fiers.
Q - Mais vous avez dit au ministre syrien d'arrêter d'envoyer des armes au Hezbollah à la frontière nord. Des armes qui viennent soit de l'Iran, soit de la Syrie ?
R - Nous avons parlé de la frontière. Il a promis que non seulement il y aurait une ambassade mais que le tracé de la frontière et sa surveillance seraient assurés. Il y a une proposition européenne qui est venue depuis très longtemps, de protection électronique de la frontière.
Q - Entre majorité anti-syrienne et opposition pro-syrienne, la France souhaite un compromis, ce qui n'est pas le cas, apparemment des Etats-Unis, qui ne souhaitent pas de compromis entre les deux. Y a-t-il une différence d'appréciation ?
R - Il y a souvent des différences. Vous allez me demander si nous sommes alignés sur les Etats-Unis. Nous ne le sommes pas. La preuve, vous venez de trouver un des exemples. Il a fallu longtemps pour convaincre nos amis américains, car nous sommes amis, mais la différence c'est qu'ils ont plutôt confiance en nous, maintenant, et nous les avons convaincus. Dans ma conversation avec Mme Condoleezza Rice, nous avons non seulement admis, encore une fois, que nous étions sur la même politique, ce qui n'était pas vrai il y a quelques semaines, quelques mois, mais nous avons fait une réunion où nous avions invité l'ambassadeur syrien, qui, hélas, était sur le chemin de l'aéroport - nous lui donnerons la déclaration - où il y avait les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Ligue arabe, la Jordanie, la France et l'Egypte.
Q - Bernard Kouchner, je reprends ma question. Vous avez dit "Il n'y a pas que la Syrie" ; il y a qui ?
R - Il y a évidemment l'Iran. Il y a évidemment Israël, n'oublions pas la dernière guerre l'année dernière entre Israël et le Liban. Il y a la Turquie qui joue un rôle très important et qui vient d'ailleurs de prononcer les mêmes phrases que nous à la conférence d'Istanbul sur la politique à pratiquer au Liban.
Q - La Turquie et la question kurde, qui sont évidemment indissociables. On a l'impression qu'en Irak, il y a un nouveau front qui risque d'éclater avec la poudrière kurde. Qui a intérêt, d'après vous, à déstabiliser encore un peu plus, cette région ?
R - Beaucoup de gens. Pour que la difficile tentative, la pénible tentative, la tentative en mauvais état de l'Irak saute en morceau encore plus. C'est-à-dire que la seule partie de l'Irak qui soit calme en ce moment, c'est le Kurdistan d'Irak qui est directement lié à la Turquie avec évidemment une population kurde de l'autre côté. A qui cela pourrait profiter ? Ce serait un chaos invraisemblable, il faut surtout qu'ils ne le fassent pas. Les Turcs en ont assez et ils ont raison, des attaques d'un groupe terroriste kurde, qui s'appelle le PKK et qui commet les attentats que vous imaginez, les attaques-suicides maintenant. Ils ont eu plusieurs soldats qui sont morts ; ils ont 100.000 soldats à la frontière, donc c'est très fragile et très explosif.
Q - La France soutient la Turquie ?
R - La France lui demande la retenue, mais la France comprend la Turquie puisque les attaques étaient absolument insupportables. On ne peut pas tuer les populations civiles impunément, c'est l'extrémisme que nous combattons tous. Mais je crois que c'est aux Irakiens - peut-être dans un premier temps aux troupes qui sont au Kurdistan d'Irak - de surveiller leur territoire et de faire la police chez eux. C'est aux Irakiens de déployer des troupes autour du PKK. Je crois que seul ce geste pourrait retenir la Turquie un moment donné parce qu'il y a des attaques provocantes tout le temps. Le PKK a intérêt à internationaliser ; pas les Kurdes.
Q - Comment se passe le dialogue entre la Turquie et la France depuis que les Turcs ont le sentiment que les portes de l'Europe leur sont fermées ou vont leur être fermées ? Est-ce que ça a compliqué la donne ?
R - Bien sûr, cela a un peu compliqué la donne, mais depuis un certain nombre de semaines, depuis deux mois environ, depuis qu'ils se sont aperçus que nous acceptions d'ouvrir les chapitres - je ne vais pas vous faire de la technique, mais ils peuvent ouvrir 30 chapitres dans leur cheminement vers l'Europe et ils sont déterminés à entrer dans l'Union européenne, il y en a 5 qu'ils ne peuvent pas ouvrir, ce fut la position du président, M. Sarkozy et il a raison, il a été très souple sur cette affaire - les choses vont mieux. Maintenant il y a un problème de comité des sages, cela va peut-être être un peu retardé. Mais nous parlons très franchement. J'y suis allé il n'y a pas longtemps, le président Sarkozy a reçu M. Erdogan à New York et il y a eu une conversation extrêmement franche et plutôt cordiale. Hier ils m'ont très bien reçu, le président Gül, le Premier ministre Erdogan et évidemment Babacan, mon collègue, ami et complice, ministre des Affaires étrangères.
Sur le Kurdistan et sur l'attaque précise, ils sont vraiment extrêmement nerveux et déterminés.
Q - Et inquiets ?
R - Oui parce qu'il y a aussi un jeu entre l'armée et le pouvoir civil. Mme Condoleezza Rice a été très claire, elle a mis en garde tout le monde, nous l'avons fait dans notre discours très fermement.
Q - Pendant que vous nous parliez de Syrie, de Liban, on vient d'apprendre que MM. Guéant et Levitte ont été reçu tout à l'heure par le président de la Syrie, Bachar El Assad, naturellement vous le saviez ?
R - Oui, c'est pour cela que je vous ai dit astucieusement qu'il y aurait d'autres gestes. A ce niveau, c'est-à-dire les représentants du président sont allés voir le président syrien, à mon niveau, c'est-à-dire la diplomatie, j'ai dit les choses très clairement.
Q - C'est parce que cela s'est bien passé avec le ministre des Affaires étrangères à Istanbul que cette rencontre est possible ?
R - C'est quand même le président de la République, Nicolas Sarkozy, qui propose la politique extérieure de la France, ce n'est pas moi, je fais ce que je peux pour l'influencer, c'est tout.
Q - Ce geste d'aller voir Bachar El Assad...
R - C'est un geste qui fait partie de notre pari, risqué.
Q - Cela veut dire que la France veut parler avec la Syrie ?
R - Je l'ai dit très clairement quatre fois, nos amis viennent de le répéter à Damas, je l'avais dit hier. Nous tenons au Liban, le Liban c'est une partie de notre histoire et de nous même, et de nos sentiments. Nous aimons les Libanais, tous les Libanais. Cela veut dire que si l'élection au Liban se déroule de bonne façon, alors oui, les relations entre la Syrie et la France se normaliseront.
Q - A ce moment là vous pourrez aller à Damas vous-même.
R - Mais bien sûr.
Q - Et Bachar El Assad en France ?
R - C'est trop tôt pour en parler.
Q - Au sujet de l'Iran, où va-t-on avec le gouvernement de Téhéran ? Où vont les Nations unies ? Si l'Iran maintient sa position sur le nucléaire que peut-on envisager ?
R - On ne peut pas se contenter du statu quo et de ce que les autres décident. Le problème de ce grand pays qu'est l'Iran, de cette grande civilisation, de ces Perses qui sont à la charnière entre l'Afrique et l'Asie, actuelle avec une démocratie religieuse avec qui l'on peut discuter...
Q - Mais qui est une démocratie ?
R - Oui ils ont voté. Ceux qui ne votent pas, les abstentionnistes, doivent aussi en prendre pour leur grade. S'ils ne veulent pas voter c'est dommage mais c'est comme ça. Donc c'est une démocratie religieuse très particulière et très rude. La menace c'est que pendant des années, pendant de très longues années, en dépit des règles internationales et du traité de non-prolifération qu'ils avaient eux-même signé en 1972, ils ont enrichi l'uranium.
Q - Et ils n'arrêtent pas !
R - Ils n'arrêtent pas. Mais on craint qu'ils puissent se diriger vers du nucléaire militaire. Ils prétendent le contraire.
Q - M. El Baradeï qui est le patron de l'AIEA, l'Agence internationale de l'Energie atomique, dit à peu près la même chose.
R - On peut dire ça...
Q - Est-ce que vous partagez son point de vue ?
R - Nous avons eu trois résolutions dont deux avec sanctions demandant aux Iraniens d'arrêter l'enrichissement d'uranium. Le moins que l'on puisse dire c'est que cela ne marche pas. Donc, on peut s'obstiner en faisant semblant de ne pas leur parler, comme pour la Syrie, ou on peut essayer de faire de la diplomatie et de la politique et il faut leur parler. Mais de toute façon il faut attendre...
Q - Quel geste attendez-vous de l'Iran ?
R - Nous construisons des sanctions nationales. Nous les construisons, nous y réfléchissons. Pendant ce temps M. El Baradeï va faire une enquête supplémentaire car les Iraniens lui ouvrent les portes pour savoir ce qu'il s'est passé lorsqu'ils enrichissaient l'uranium secrètement. Il y aura un rapport en novembre, au moins un début de rapport. Pendant ce temps-la il y aura un rapport de M. Solana, car nous parlons avec les Iraniens par l'intermédiaire de notre haut représentant pour la politique extérieure, Javier Solana. Je vous rappelle que pour le moment nous sommes unis, les Chinois, les Russes, les Etats-Unis et les trois pays qui l'ont initié, les Anglais, les Allemands et les Français.
Q - Si ça ne marche pas ?
R - Pour le moment nous avons un texte commun. Si ça ne marche pas, ou si nous le souhaitons à six, nous irons vers le Conseil de sécurité une autre fois, vers la fin de l'année et nous réclamerons éventuellement d'autres sanctions.
Q - Ensemble ?
R - Ensemble je l'espère. Il faut absolument maintenir cette unité car des sanctions qui sont décidées par le Conseil de sécurité et par le multilatéral, encore un mot que nos amis américains n'aiment pas beaucoup, avec le multilatéral ça va plus fort que des sanctions européennes sur lesquelles nous travaillons. Hier en Israël M. Steinmeyer, Franck Steinmeyer mon collègue allemand a dit qu'il réfléchissait aux sanctions, ce qui est une nouveauté.
Q - Est-ce que vous diriez Bernard Kouchner que le pire, la guerre, est derrière nous a propos de l'Iran ?
R - J'ai déjà dit que le pire serait la guerre et j'ai été mal interprété, toujours par les mêmes spécialistes du dénigrement. Pourtant quand la tension est grande, je ne dirais pas la guerre, mais quand les conflits se préparent, quand cela monte de chaque côté, il faut se prémunir. Donc nous continuons à discuter avec les Iraniens. J'ai rencontré hier pendant une heure et demie M. Mottaki, ministre des Affaires étrangères iranien, je le rencontrerai à nouveau et je téléphone toutes les semaines à Téhéran. Je répète ce que j'ai dit, malgré les dangers et parce qu'il y a des dangers, et en raison de ces dangers. Il faut continuer à parler, parler, sans relâche, sans craindre de reculer, sans craindre les quolibets, les rebuffades. Nous continuons de le faire et nous allons voir si ça donne quelque chose.
Q - Mais personne, ni en Europe ni aux Etats-Unis, n'est prêt à une opération militaire. Et est-ce qu'on aurait envie, comme on le lit parfois, d'envoyer ou de charger Israël de détruire les usines nucléaires de l'Iran comme en Syrie ?
R - Je ne crois pas qu'Israël le souhaite. Mais quand vous dites personne n'est prêt, moi je lis des articles et j'entends des gens prononcer le contraire. Je pense que c'est une très mauvaise solution et que se serait le pire du pire. C'est ça que j'ai voulu dire.
Q - Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy va de nouveau aux Etats-Unis. Vous avez répété que la France n'était pas alignée sur les Etats-Unis, c'est enregistré. Est-ce que la France guigne le statut de partenaire privilégié des Américains ?
R - Un statut de confiance, nous ne voulons pas être partenaire privilégié. Mais ça change tout d'avoir la confiance de l'autre surtout quand on n'est pas d'accord.
Q - Et elle est là ?
R - Elle est là, franchement elle est là.
Q - Cela entraîne quoi comme conséquence cette confiance ?
R - On se parle franchement et nous sommes écoutés. Nous ne l'étions pas. Nous avions une position à priori. Les Américains savaient, ou pensaient savoir, ou croyaient, que nous étions hostiles d'avance. Ca n'est plus le cas. Je vous donne un dernier exemple - il faut quand même féliciter non seulement le style mais aussi la politique de Nicolas Sarkozy dans cette affaire - nous avons parlé de l'OTAN. L'OTAN on ne va pas y retourner alors que nous y sommes, nous participons à toutes ses missions. Il y a simplement un comité militaire consultatif dans lequel on pourrait rentrer mais ce n'est pas ça le problème. Nous disons à nos amis américains qu'il nous faut construire une défense européenne et cela permettra de réorienter l'OTAN. Vous voyez, ce n'est pas pareil et nous nous y attachons, par ce qu'on en a besoin, parce que la politique sans une défense importante, on le voit bien dans le monde dangereux ou nous sommes, ne correspond pas à grand chose.
Q - Et puisqu'ils ont confiance vous avez le sentiment d'être un peu plus écouté ? Parce que c'est une vieille affaire celle là !
R - La défense européenne progressera d'abord et nous réorienterons l'OTAN grâce à un pilier européen beaucoup plus important. Mais je vous réponds oui, ça change tout. Mais je sais qu'il y aura une autre équipe, je sais qu'il faut parler aux Américains quel que soit le gouvernement et je crois qu'il y aura un gouvernement nouveau.
Q - Nicolas Sarkozy recevra-t-il les candidats républicains ou les démocrates Hillary Clinton, Obama quand il ira aux Etats-Unis ?
R - Je ne sais pas s'il aura le temps il faut voir son programme. C'est une visite très courte. Je ne dois pas répondre au nom du président de la République, mais je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas.
Q - Vous êtes apparemment informé de ce qu'il va faire.
R - Pas toujours Monsieur.
Q - Un mot sur le Pakistan, l'Etat d'urgence c'est pour vous un véritable putsch de la part du président Musharraf.
R - Son prétexte...
Q - C'est la menace islamiste ?
R - Oui son prétexte c'est la menace islamiste. Mais c'est très dangereux. L'arrêt des libertés publiques, arrêter des centaines de gens... Je ne suis pas sûr qu'en arrêtant les partisans des Droits de l'Homme on va faire reculer la menace islamiste, je ne suis pas sûr qu'en refusant les élections on favorise une ouverture qui était représentée par Mme Bhutto. Tout cela est dangereux il faut vraiment dire à nos français de se méfier. A l'ambassade on sait où les joindre et tout ça est dangereux.
Q - Est-ce qu'il y a une alternative à Musharraf ?
R - Pour le moment il n'y en a pas. Ca serait les élections et l'état d'urgence vient de les empêcher.
Q - Il y a pratiquement six mois que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République. Six mois après, comme prévu, c'est le temps des difficultés, des réalités. En ce qui vous concerne si c'était à refaire qu'est-ce que vous feriez si vous étiez appelé ?
R - C'est un très beau métier de représenter la France et d'essayer d'améliorer à ma petite mesure le sort du monde. D'essayer de ne pas être négatif, de ne pas être nocif, de ne pas crier partout dès que l'on a une idée. Je le referais volontiers, ce n'est pas facile.
Q - Quels que soient les risques de ce que l'on a considéré comme une transgression passer de vos amis...
R - Oui. Je comprends bien que j'ai pu apparaître à certain comme un traître. Je demande à être jugé au résultat. Je ne m'occupe pas de politique intérieure.
Q - On le dit moins mais il y a des attaques qui continuent.
R - Bien sûr les attaques continueront tant qu'ils seront vivants ces gens-là. Et je leur souhaite de vivre longtemps. Ce qui me fait de la peine c'est que l'opposition en France, le parti socialiste, mon parti socialiste dont je suis provisoirement exclu... Nicolas Sarkozy ne m'a jamais demandé de renoncer à mes idées, au contraire. C'est bien de discuter avec lui. Il va en politique extérieure, si on prend le traité constitutionnel jusqu'à ce qui se passe en ce moment avec le Liban, plutôt de succès en succès. Qu'est ce que cela veut dire un succès, tout est remis en question en 30 secondes dans ce monde. Mais quand même. Donc ce qui me gêne c'est que l'opposition - pas tous mes amis de l'opposition, il y en a qui deviennent un tout petit peu normaux et raisonnables - soient dans la vindicte et dans l'hystérie. Ca me fait de la peine, ce n'est pas comme cela que l'on fait avancer notre pays. Il faudrait qu'ils se rendent compte que le monde a changé et pas eux, et que, surtout, dans ces espèces de rodomontades viriloïdes qui crie le plus fort n'a pas forcément raison. Peut-être pourrait-on prendre les problèmes un par un. Moi je me réjouis quand un homme comme Jack Lang participe du changement des institutions. Je me réjouis que dans le Livre Blanc qui va être travaillé pour le ministère des Affaires étrangères il y ait des gens d'ouverture ; que Louis Schweitzer soit là ; que d'autres, plein d'autres soit là. Je crois que l'on fait du bien à la France et que l'on fait du mal à la France quand on crie trop fort.
Q - Donc si le président de la République veut poursuivre dans quelque temps son ouverture au centre, à gauche, vous dites à vos amis allez-y vous restez de gauche ?
R - Oui vous savez on ne se consulte pas. Il n'y a pas un groupe de gauche, il y a des gens qui travaillent pour ce pays et ce n'est pas toujours facile je ne vous le cache pas. Ce n'est pas toujours facile de participer au succès de Nicolas Sarkozy.
Q - Pourquoi ?
R - Parce que c'est une autre façon de vivre la politique.
Q - Pourquoi, parce que par exemple il va et il revient du Tchad. Vous souffrez qu'il ait réussi, s'il a réussi.
R - Pas du tout, ils m'ont demandé d'y aller bien entendu. Moi j'ai lancé l'affaire depuis longtemps, j'ai téléphoné le premier jour, samedi dernier, à Idriss Deby que je connais très bien. J'ai demandé qu'il sépare le sort des journalistes du sort des gens qui n'était pas encore inculpé mais qui allait l'être et ça s'est fait très bien et, encore un fois, nous avons suivi avec mon cabinet toutes les affaires. C'est encore un succès pour Nicolas Sarkozy que d'être aller les chercher bien sûr. Moi pendant ce temps-là je m'occupais de ceux dont on a parlé trop rapidement. J'espère ne pas avoir été complètement inutile.
Q - Il agit sur tous les terrains. Est-ce qu'il a constitué avec son Premier ministre un gouvernement qui correspond à ce qu'il est ? Je ne comprends pas où est le gouvernement ?
R - Il constitue un gouvernement qui n'est pas antipathique, il a constitué un gouvernement qui, en Conseil des ministres, parle, avant on ne se parlait pas. Un gouvernement qui discute, avant on ne discutait pas. Mais suivre le président de la République est une affaire de marathonien. Nous n'en sommes qu'au début.
Q - C'est pour cela que vous faites du jogging ? Vous en faites encore avec lui ou lequel est le plus fatigué ?
R - A l'occasion. J'en ai fait encore ce matin j'étais tout seul alors personne ne le remarque.
Q - Concernant sa méthode, son omniprésence est-ce que ce n'est pas risqué finalement d'être en première ligne ?
R - C'est possible mais j'ai dit que c'était un homme du risque et il le sait. Il pense qu'il a été élu sur des sujets très précis pour lesquels la France lui a donné la majorité. Vous me faites parler à sa place, invitez-le !
Q - Il l'est invité.
R - En tous cas je peux vous dire que travailler avec lui humainement, c'est parfois difficile, mais c'est aussi un grand bonheur, de vivacité, de possibilité, de débat formidable.
Q - De remise en cause personnelle de temps en temps ?
R - De remise en cause personnelle oui sûrement.
Q - On peut lui parler encore ou on ne peut plus lui parler ?
R - Moi je lui parle sans problème.
Q - Un mot sur l'Arche de Zoé. Est-ce que vous pouvez rassurer les Français : ça ne se reproduira jamais ?
R - On ne peut pas rassurer les Français. Il faut qu'ils soient un peu plus adultes et penser que ce monde est risqué et qu'il y a quelques dérives. Ce n'est pas la Corée du Nord on ne peut pas les mobiliser ou les démobiliser les ONG. Il faut courir ces risques-là. L'Europe, le monde et la France aussi qui n'y croient pas. Nous sommes dans un monde risqué, nous sommes en compétition avec tout le monde, nous ne sommes pas le centre du monde. Mais faites-moi confiance il y a eu tellement d'opérations humanitaires réussies... L'humanitaire c'est le bonheur de tous pour ces jeunes gens, c'est l'idéal.
Q - C'est l'échec de l'humanitaire. C'est l'échec de quelques-uns uns qui ont pris le masque de l'humanitaire.
R - Ils ont pris le masque, mais il y en a qui y ont cru sûrement. C'est comme si vous me disiez que l'explosion de Discovery avait stoppé la conquête de l'espace. Nous avons encore la conquête de l'espace devant nous.
Q - Les dirigeants socialistes viennent de dire que pour que l'aller-retour au Tchad soit un succès il fallait qu'il ramène les six qui restent la-bas et qu'ils ne soient pas jugés au Tchad mais ici.
R - Je ne sais pas qui a dit cela mais il faudrait leur rappeler que juste avant ils disaient : c'est fini la Françafrique. Alors pourtant l'Afrique de papa c'est fini et c'est bien fini. Il y a une justice du Tchad maintenant. Que l'on s'occupe, après, et on les abandonnera pas, du sort de nos concitoyens, je peux même vous promettre que je tenterai de m'en charger.
Q - C'est à dire aller d'aller les voir ?
R - Eventuellement mais ce n'est pas seulement un voyage de plus. J'en fait tout le temps.
Q - Un dernier mot très bref sur Ingrid Betancourt. Il y a une médiation en cours avec le président Chavez. Est-ce que la c'est un vrai espoir de libération ?
R - Vous savez on a eu de vrais espoirs et puis elle n'a pas été libérée. Mais nous soutenons le président Chavez qui viendra en France. C'est une initiative de Nicolas Sarkozy. Vous savez un président téléphone tout le temps pour suivre une affaire. On le lui a reproché pour les infirmières bulgares. Là on ne va pas le lui reprocher ou alors on doit lui reprocher en même temps le précédent geste et cela devient grotesque. Il a un style particulier.
Q - Y a-t-il un espoir de libération ?
R - L'espoir existe bien entendu sinon nous ne le ferions pas.
Q - Vous avez la preuve qu'elle est vivante ?
R - Nous avons une preuve indirecte qui est venue un peu plus facilement que d'habitude, enfin qui est un peu plus sûre que d'habitude. Mais, bien entendu, il faut continuer. En tous cas nous nous acharnons. On rencontre les gens. Nous avons envoyé le directeur des Amériques qui était encore au côté du président Chavez. Directeur des Amériques de ce Quai d'Orsay qui bouge, où il y a des gens merveilleux qui veulent, excusez l'expression, se défoncer pour leur idée de la France et de la politique.
Q - Merci M. Bernard Kouchner.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2007