Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le projet d'Union méditerranéenne, Paris le 5 novembre 2007.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "La Méditerranée des Phéniciens : de Tyr à Carthage" à l'Institut du Monde arabe à Paris le 5 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs, dont je reconnais beaucoup de personnes familières,
Chers Amis,

Je suis heureux d'avoir pu très brièvement, inaugurer, trop brièvement, cette belle exposition. Elle a quelque chose de contemporain en effet, Dominique Baudis a raison de le dire, je m'efforcerai de faire le rapprochement avec ce que nous tentons de faire.
Les splendeurs et les dieux, l'écriture et le pourpre, le commerce et les héros, toute la culture et la guerre : tout ce qui fit la splendeur, puis la légende des Phéniciens, sonne à nos oreilles et luit à nos yeux, démêlant le mythe et l'histoire, ressuscitant des rêves et des images que j'avais, je l'avoue, un peu oubliés peut-être ; c'est d'ailleurs le bonheur et le but de cette exposition que de nous les rappeler.
Je voudrais bien sûr adresser mes félicitations à tous ceux qui ont conçu et organisé cette exposition.
Je voudrais rendre un hommage particulier au musée du Louvre mais aussi aux musées qui ont prêté les pièces toutes plus belles les unes que les autres. C'est un challenge terrible, nous essayons de susciter des expositions lors de la Présidence française à partir de juillet 2008. Il faut s'y prendre des années à l'avance pour que soit réunies des pièces aussi belles. Et donc, chaque jour l'Institut du Monde arabe a tenté d'accomplir des prouesses et a réussi à accomplir des prouesses en faveur de la culture, de l'ouverture, du dialogue, de la rencontre et de l'intelligence de l'autre.
Je voudrais remercier très particulièrement Dominique Baudis qui oeuvre avec talent pour que cette institution adapte son action aux grands enjeux du monde actuel, européens et méditerranéens, et prenne toute la mesure de l'immense évolution du monde arabe lui-même.
L'Institut du Monde arabe a 20 ans - bon anniversaire ! - et je suis heureux de pouvoir, aux côtés de Dominique Baudis, insister sur cette durée, sur cette période de vingt ans pendant laquelle des éléments très importants ont pu être ici rassemblés venus non seulement du monde arabe mais du monde entier vers ce très beau bâtiment dont si les moucharabiehs ne marchaient pas très bien, il est sûr qu'à un moment donné ils seront réparés. Maintenant, cela fait un moment qu'on doit les réparer, mais on ne désespère pas qu'avec un directeur comme lui, un président comme lui, nous y parviendrons.
Donc, il est facile de visiter ces pièces magiques et il est difficile, après cette visite, de revenir ici et maintenant, il est difficile de prendre la parole pour parler de cette exposition extrêmement riche. Il y a là - vous savez dans un musée il faut toujours, devant l'abondance de biens, choisir un, deux ou trois objets, pas plus parce qu'après on ne s'en souvient plus. Je vous dirai quels sont les trois objets que j'ai choisis, vers lesquels on se dirige directement, à travers le musée, la petite vitrine où on a repéré l'objet de ses rêves.
Je voudrais vous parler de l'avenir, de ce que nous pouvons faire et profiter de ce que nous sommes réunis dans un lieu qui fait vivre le dialogue pour évoquer ce sujet qui nous intéresse tous : l'Union de la Méditerranée, union réalisée par les Phéniciens il y a des millénaires.
Les premiers, vers le XIIème siècle, les Phéniciens ont pris la mesure de la Méditerranée. Ils l'ont fait physiquement, ils l'ont fait avec leurs bateaux, ils l'ont fait avec leur audace et ils l'ont fait avec leur culture et avec leur commerce. Ils ont bâti à travers la Méditerranée et autour de la Méditerranée, avec elle et grâce à elle, un espace commun de dialogue et d'échange, de découverte et d'enrichissement.
Ils le firent par l'établissement d'un réseau de comptoirs et par le rayonnement de ce qui demeure leur plus grand titre de gloire : l'invention de l'écriture alphabétique dont le monde d'aujourd'hui découle tout entier. Ils le firent sans jamais emprunter la voie de la contrainte, de l'implantation ou de la "colonisation" (à l'exception notable de Carthage).
On ne pouvait donc trouver plus belle occasion que cette exposition pour parler de la Méditerranée unie que nous voulons bâtir, de l'Union méditerranéenne que nous voulons bâtir, un espace où circuleraient la culture, les marchandises, les matières premières, l'artisanat, l'art et la civilisation, dans une interaction active et féconde.
Les pays de l'espace méditerranéen ont en partage une très longue histoire commune. Ces peuples ont été en contact depuis toujours et ils se sont mutuellement enrichis. Et c'est à cet exceptionnel héritage que nous devons d'être ce que nous sommes, dans une région où les échanges culturels sont plus intenses qu'ils ne l'ont jamais été, et les économies plus que jamais interdépendantes.
Il nous appartient aujourd'hui de renforcer ces complémentarités, d'approfondir ces interdépendances dans un esprit de liberté et d'égalité et de donner à ces liens la reconnaissance qu'ils méritent avec l'esprit d'amitié qui doit unir les peuples de la méditerranée. Nous avons du travail, cela n'est pas évident.
Bien sûr, beaucoup a déjà été accompli dans d'autres cadres, et l'Europe s'est engagée depuis longtemps à travers divers formats : le processus euro-méditerranéen de Barcelone, les politiques de voisinage, etc. Je participerai d'ailleurs ce soir à Lisbonne à la réunion des ministres euro-méditerranéens. Beaucoup a été fait. Est-ce que nous ne pouvons pas renforcer tout cela ? Je crois le contraire. Nous devons renforcer tout ce qui a déjà été entamé.
Les coopérations dans un cadre européen ont abouti à des résultats tangibles et ce processus doit se poursuivre. Durant sa présidence de l'Union européenne, à partir de juillet 2008, la France y veillera attentivement.
Mais il nous faut admettre que tout n'a pas été fait et que nous pouvons faire davantage et que nous le devons. L'incroyable important pari des fondateurs de l'Europe au lendemain de la guerre doit nous inspirer. Comme eux, nous devons mettre de côté ce qui nous a trop longtemps opposés pour bâtir ce qui pourrait nous réunir. Comme eux, nous devons croire à cette utopie réaliste qui sera demain notre nouvelle frontière et demeurer, bâtir par l'économie au sens le plus large comme l'ont fait les pères de l'Europe. La méthode a fait son succès ; elle doit guider notre coopération avec nos partenaires méditerranéens.
Bien sûr, encore une fois, il ne s'agit pas d'ignorer ce qui a été fait : le processus de Barcelone, le 5 + 5, le Forum méditerranéen, d'autres tentatives encore. Il s'agit au contraire d'aller au-delà, autour de quatre piliers : l'environnement et le développement durable ; le dialogue des cultures ; la croissance économique et le développement social ; l'espace de sécurité méditerranéen. Et surtout il s'agit de développer une très faible structure administrative : d'autres structures existent qui seront autour de nous comme des renforts. Il faut développer peu d'administration mais surtout des projets, des projets pour la plupart d'origine privée, l'argent est disponible. Beaucoup de choses peuvent être faites immédiatement.
C'est cela qui caractériserait notre mouvement. C'est une grande ambition, que le président de la République a déjà plusieurs fois détaillée. Elle va nous occuper de manière prioritaire, car nous souhaitons poser dès l'an prochain les premières pierres de cet édifice. Nous comptons notamment inviter les chefs d'Etat des pays concernés en France dès le mois de juin 2008. Pour cela, des contacts très nombreux sont pris, des dispositifs sont déjà adoptés dans quatre pays, avec un ambassadeur et plusieurs adjoints qui avancent vers chacun des pays, en allant du Nord vers le Sud, mais du Sud vers le Nord aussi, et de l'Est vers l'Ouest et de l'Ouest vers l'Est. Il n'y a pas de démarche privilégiée qui partirait du côté Nord pour aller éventuellement vers le Sud. C'est le contraire, il faut que ce soit à la disposition de chacun.
Nous souhaitons ainsi que la Commission européenne participe de plein droit aux travaux de cette future Union. Le rapport avec l'Europe doit être étroit et il est essentiel d'assurer la complémentarité de ce qui se fait à Bruxelles. Nous avons rencontré à Istanbul hier Mme Benita Ferrero-Waldner, avec laquelle nous nous étions entretenus plusieurs fois et nous travaillons la main dans la main.
D'autres aussi devront participer, je pense à nos amis de l'Union du Maghreb arabe, de l'Union africaine bien entendu, du Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe, ou encore de la Conférence islamique. Du côté européen, les pays non riverains qui le souhaiteraient seront les bienvenus. Les uns comme les autres pourraient être observateurs.
Quel que soit le périmètre final, il nous faudra surtout être audacieux et réalistes à la fois, aller à l'idéal d'une Méditerranée redevenue un lieu d'enrichissement mutuel, et comprendre le réel des clivages d'aujourd'hui. Il nous faudra allier l'ambition d'un projet immense et la modestie de réalisations concrètes dont l'humilité sera le premier gage de succès. J'insiste, il faudra s'intégrer dans ce qui existe déjà, le renforcer et nous le ferons autour de projets réels qui pourraient démarrer très vite. On pourrait commencer avec tous les pays, ce serait mieux. Mais on peut commencer aussi avec trois, quatre, cinq, six pays, cela dépendra des projets, les géographies seront variables.
Ce n'est pas par hasard si l'un des plus intéressants programmes de cet Institut porte actuellement sur la Méditerranée, à travers le projet "Qantara" : la passerelle, en arabe. Mené sur financement européen avec sept autres pays méditerranéens, il met en valeur un patrimoine commun en valorisant les échanges et les interactions. Une base de données multimédia présentant un millier de thèmes sera ainsi mis en ligne fin 2008 pour constituer un véritable musée virtuel à la disposition du public : voilà un bon exemple de ces partenariats concrets, généreux et réciproques, sur lesquels nous fonderons la réussite de l'Union future.
Autre aspect : celui de la promotion du dialogue scientifique avec le monde arabe. Sous l'autorité du professeur Capron, le comité scientifique de votre Institut est, je le sais, un instrument formidable favorisant la coopération, la réflexion et les échanges entre scientifiques des deux rives de la Méditerranée. Je suis d'ailleurs très heureux qu'il ait décidé d'organiser un colloque de haut niveau en juin prochain sur la question fondamentale de la qualité de l'eau en Méditerranée. Là encore, il s'agit d'un exemple pour le projet que nous devons bâtir. Et nous pourrions commencer, nous voulons commencer, nous souhaitons commencer autour de tels projets sans attendre les grandes structures administratives et fédératives, qui existent d'ailleurs déjà au niveau de Bruxelles, et avec lesquelles nous travaillerons. Il faut un accord politique, et, à ce moment là, je crois que nous pourrons commencer à initier un certain nombre de projets. Les entreprises attendent.
Mesdames et Messieurs, cette Union de la Méditerranée est sans doute un défi immense. C'est surtout une réponse nécessaire aux exigences du temps. Pour réussir, nous aurons besoin de toutes les énergies et de tous les talents, en particulier de tous ceux qui, comme vous, ont d'ores et déjà le coeur et l'esprit méditerranéens.
Je sais pouvoir compter sur vous et je vous remercie. Merci, Monsieur le Président.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2007