Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, présentation aux radios et interview à France 3 le 20 février 1999, sur le bilan de la conférence de Rambouillet sur le Kosovo et le report de sa clôture au 25 février.

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Média : France 3 - Télévision

Texte intégral


Déclaration à la presse :
Le ministre - Je viens de vous lire, au nom de lensemble des ministres du Groupe de contact ; les conclusions de la réunion ministérielle du Groupe de contact. M. Cook et moi même, en tant que co-présidents, pouvons répondre à quelques questions et vous pourrez, ensuite, interroger, à côté dici, chacun des ministres présents.
Q - Il y a eu des progrès sur le plan politique mais quelle est la situation sur le plan militaire ? Est-ce que les Serbes refusent toujours la présence de lOTAN sur leur sol ? Etes vous en train de travailler sur ce point et envisagez vous de mettre cette force sous les couleurs, par exemple, des Nations unies ?
R - Je vois les choses de la façon suivante : sur le volet politique de laccord, les deux parties ont fait des progrès dans la bonne direction mais sur le plan militaire, garantie indispensable et qui fait partie intégrante de laccord dans son entier, cest toujours la délégation de la Yougoslavie qui se refuse à faire des concessions ou à prendre des décisions qui nous paraissent indispensables. Il y a donc, sur un certain nombre de points de larrangement politique, encore à travailler de part et, dautre part, il y a surtout cette décision majeure à obtenir de la part de la République fédérale de Yougoslavie sur la présence militaire sur le terrain.
Q - Quels sont les points les plus durs pour les deux parties ? Est ce que le statut du Kossovo est déjà mis au point ?
R - Vous savez que pour aboutir à un arrangement, il faut, de part et dautre, des concessions substantielles, très courageuses et difficiles. On ne peut pas éloigner complètement le volet politique du volet militaire qui apporte la garantie sans laquelle le volet politique ne peut pas être complètement accepté. Il faut relier les deux. Nous attendons, vous le savez, de la Yougoslavie quelle accepte lautonomie du Kossovo et quelle accepte une présence militaire au sol qui représentera la garantie de cet accord. Nous attendons de la part de lAlbanie et du Kossovo, quils acceptent cette intégrité de la Yougoslavie, quils acceptent une clause de rendez-vous qui ne comporte pas la revendication dun référendum et quils acceptent le désarmement comme par ailleurs nous demandons à la Yougoslavie des retraits de troupes et de forces qui ont été rappelés à différentes reprises. Ce sont à chaque fois des exigences fortes et qui imposent des sacrifices et des choix difficiles. Tant que lensemble nest pas agréé, aucune partie de cet ensemble ne peut lêtre.
Q - Pourquoi pensez-vous quil y a un espoir daboutir à un accord dici mardi, vu limpasse dans laquelle se trouvent les négociations ?
R - Nous ne renonçons pas à convaincre la République fédérale de Yougoslavie que la solution proposée, y compris et notamment dans sa dimension militaire, est un vraie réponse et une bonne réponse aux préoccupations légitimes des deux parties et quelle constitue un élément de la garantie de lensemble. Nous sommes engagés depuis le début dans cette affaire avec une détermination commune très forte. La négociation a atteint une intensité jamais atteinte avant.
Voila pourquoi ce délai supplémentaire est très bref.
Entretien avec les radios :
Le ministre - Laccord sera nécessairement complété par une présence militaire au sol. Là-dessus, nous avons encore un blocage yougoslave et serbe qui est, je dirai, quasi complet à quelques nuances près. Par ailleurs, le volet politique sur lequel il y a eu des progrès réels très importants, nest pas entièrement accepté, ni par les uns ni par les autres.
Nous sommes donc dans une situation où cela semblait être une mauvaise décision que de stopper les choses aussi brusquement alors quil y a peut-être encore une petite chance daboutir. La décision a donc été prise de reporter ce délai à mardi 15 heures. Encore une fois, il sagit dimposer un complément de négociations. Ce nest pas un acte de laisser-aller, cest tout à fait linverse.
Q - A partir de mardi 15 heures, les menaces restent-elles les mêmes pour les protagonistes en cas déchec ?
R - Le dispositif est exactement le même. Mardi à 15 heures, nous évaluerons. Nous ne savons pas encore sous quelle forme : faut-il une nouvelle réunion ? Peut-on le faire au téléphone ? Tout cela est secondaire.
Nous évaluerons la situation : la réussite ouvre une perspective ; en cas déchec, il faudra analyser, connaître les responsabilités de léchec et voir les conséquences que nous en tirerons. Nous sommes dans la même situation quaujourdhui, les dispositifs sont les mêmes, les déclarations des uns et des autres sont les mêmes, les dispositifs, notamment de lOTAN, sont toujours là notamment. Mais sil y a échec on ne peut pas préjuger exactement de la répartition des causes de léchec.
Nous avons estimé, compte tenu de ces progrès, compte tenu du fait que les délégations, les négociateurs nous le disaient, que les parties elles-mêmes disaient quelles pouvaient continuer à travailler sur le volet politique, nous avons estimé que nous navions pas le droit de couper les choses.
Q - Avez-vous limpression que les vrais interlocuteurs sont ici à Rambouillet ou à Belgrade ?
R - En ce qui concerne la délégation yougoslave, linterlocuteur principal est évidemment le président Milosevic, qui nest pas là mais qui est en liaison constante avec ses représentants ou négociateurs, à commencer par le président de la Serbie qui est ici. Cest donc un problème qui peut se traiter par des liaisons appropriées.
Q - Vous aviez dit, Monsieur le Ministre, que ce serait tout ou rien, un accord ou des frappes. Avez-vous limpression aujourdhui que nous sommes plus proches dun accord ou plus proches des frappes ?
R - Laccord forme un tout et on ne peut pas faire un accord uniquement avec le volet politique, même si nous avons été impressionnés aujourdhui par le fait quil y avait eu de vrais progrès concernant ce statut intérimaire du Kossovo pendant une période de trois ans. Nous ajoutons aussitôt que cela ne peut fonctionner que si cest complété par une présence militaire au sol qui fournit à la population albanaise du Kossovo une garantie suffisante pour quelle accepte dentrer dans cette solution et quon arrive à convaincre lUCK de se laisser démilitariser. Cest un élément très important qui ne fonctionne que si les Yougoslaves, et vous voyez que tout est lié, ont accepté, eux-mêmes, cette présence militaire, qui est une sécurité pour tout le monde, un élément de stabilité pour les uns et pour les autres. Cest ce quon leur répète sans arrêt. Cest un élément de stabilité qui maintient dune certaine façon aussi lintégrité et la souveraineté de la Yougoslavie.
Là-dessus, nous nous heurtons à des blocages et à une vision des choses tout à fait différente. Quand jinsiste sur la globalité, cest sur la globalité de laccord. Après, frappe ou pas, cela dépend des conditions de léventuel échec, cela dépend de son analyse. Une fois encore, je me refuse à me placer aujourdhui dans une situation qui sera celle de mardi prochain en début daprès-midi, que je ne connais pas.
Q - Lannexe militaire nest pas négociable. Elle ne lest toujours pas ?
R - Tous les textes mis sur la table sont négociables puisque lon dit que ce sont des négociations à Rambouillet. Simplement, ils sont négociables à la marge. Le Groupe de contact a pris ses responsabilités depuis longtemps maintenant en formulant un ensemble de solutions, un ensemble de principes, mais il y a des adaptations. Dans le texte politique par exemple, il y a des éléments qui ont été introduits à la demande des Yougoslaves en ce qui concerne des droits et la protection des minorités non albanaises du Kossovo dans cette situation dautonomie à laquelle nous travaillons. Je prends cet exemple mais il y en a dautres. Cela ne touche pas aux principes mêmes de lautonomie substantielle, mais ce sont quand même des aménagements.
Q - Sur laxe militaire, sagit-il bien de lOTAN ou peut-on éventuellement, dans cette annexe-là, dire quil sagit de forces multinationales qui pourraient être sous casques bleus ou sous mandat OSCE ?
R - Le projet qui a été préparé est un projet préparé dans le cadre de lOTAN. Comme on a vu ces dernières années malheureusement à propos des drames de Balkans, à partir du cadre de lOTAN, on a su à plusieurs reprises être imaginatifs : les structures auxquelles on a eu finalement recours dans le cas de la Bosnie ou, dans le cas de la Macédoine sont des structures qui appartiennent très largement à lOTAN mais qui en même temps sont enrichies ou complétées par dautres dispositifs. Nous pouvons donc être ingénieux.
Interview à France 3 :
Q - Peut-on encore arriver à un accord, digne, honorable et solide au Kossovo ?
R - Je pense que ce nest pas complètement impossible. Nous avons procédé aujourdhui à une évaluation sérieuse au sein du Groupe de contact. Les six ministres sont arrivés très tôt, nous avons rencontré les uns et les autres des membres des deux délégations, les négociateurs. Cela nous a pris une partie de la journée et quand nous avons eu tous ces contacts, nous avons tenu une réunion formelle pour faire cette évaluation. Là, nous avons vu, nous avons entendu à travers la présentation par les trois négociateurs quil sétait passé vraiment quelque chose, dans les toutes dernières heures notamment sur le volet politique de laccord. Cest à ce moment-là que nous avons décidé que nous ne pouvions pas couper les choses exactement à la date prévue : nous avons donné un tout petit délai supplémentaire, en quelque sorte imposé un nouveau délai supplémentaire parce que les gens qui seront engagés dans cette négociation, que ce soient les deux délégations ou les trois négociateurs sont harassés. Nous avons pensé quil ne fallait pas lâcher maintenant. Un petit délai jusquà mardi 15 heures.
Q - Trois jours de plus à Milosevic, nest-ce pas une concession ?
R - Non ce nest pas trois jours à M. Milosevic, ce nest pas une concession, cette négociation est une contrainte. La concession serait de dire que lon arrête, les uns et les autres pensez et dites ce que vous voulez. Ce serait un abandon, cest la logique inverse, cest la pression qui se poursuit.
Q - Il y a un noeud dans ces négociations, cest que M. Milosevic, le président yougoslave ne veut pas du déploiement des troupes de lOTAN. Comment allez-vous faire pour quil accepte ?
R - Cest le noeud principal, mais ce nest pas le seul.
Q - Oui, mais celui-là, comment allez-vous faire pour le dénouer ?
R - Cest très important parce que les Serbes ne sont pas loin daccepter laccord politique, mais ils ne veulent pas encore entendre parler dune présence militaire au sol qui les révulsent pour des tas de raisons.
Q - Il peut y avoir un accord malgré cela ?
R - Peut-être, vous savez les négociations, cest fait pour aboutir sur des sujets où apparemment cétait impossible. Si ce nétait pas si terriblement compliqué, nous naurions pas besoin de faire Rambouillet, les groupes de contact etc. On se heurte à quelque chose de particulièrement difficile mais on le savait davance. Les négociateurs essaient dexpliquer que cette présence militaire est le complément, un élément de stabilité, aussi important pour les Albanais du Kossovo, que pour les minorités non albanaises du Kossovo que pour les Serbes et les Yougoslaves. Cest cela le travail fait. Si nous avons donné ce petit délai en plus, cest que nous ne désespérons pas que finalement, ces arguments soient entendus. Ce qui déclencherait, côté Albanais du Kossovo, deux ou trois concessions dont on a besoin pour boucler laccord. Ce sont aussi deux ou trois concessions qui ne sont pas faites encore là non plus.
Q - Imaginons le scénario catastrophe, imaginons quil ny ait pas daccord mardi 15 heures, que se passe-t-il ?
R - Cela dépend des conditions déchec. A ce moment-là, nous ferons ce que nous avons fait aujourdhui, cest-à-dire lévaluation de la situation, lévaluation des responsabilités. Naturellement, les conséquences ne sont pas tout à fait les mêmes selon que cest telle ou telle partie qui porte seule la responsabilité de léchec ou si les choses sont combinées.
Q - Ce nest pas la guerre automatiquement mardi 15 heures ?
R - Il ny a jamais dautomatisme. Ce sont quand même des pays qui ont des dirigeants à leur tête qui décident les choses. Il est clair quau sein de lOTAN, nous avons dit depuis longtemps, aux autorités yougoslaves que si elles étaient responsables de ce blocage et de cet échec, malgré tout ce qui aura été tenté, elles devront en subir les conséquences. Tout cela a été préparé depuis longtemps. Mais, nous voulons éviter cette conclusion-là.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 1999)