Interview de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, à Europe 1 le 16 octobre 2007, sur le financement des syndicats par l'UIMM, la grève contre les régimes spéciaux de retraite et la politique économique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Les patrons de la métallurgie auraient un trésor de réserve de plusieurs centaines de millions d'euros, disent Les Echos. Et il paraît que ce n'est pas fini. J.-F. Roubaud bonjour. Oui, bonjour. Vous, vous représentez 1 650 000 petites et moyennes entreprises. Comment les PME tout simplement réagissent-elles à l'affaire D. Gautier-Sauvagnac ?
 
R.- Comme des chefs d'entreprises, c'est-à-dire que nous ne comprenons pas. Nous ne comprenons pas, les montants des sommes d'argent. Nous ne comprenons pas ce système, dans une période où normalement tout devrait être plus transparent. Nos organisations remettent des comptes, ont des budgets, des bilans etc. Non, nos chefs d'entreprises sont étonnés et à la limite, plus qu'étonnés.
 
Q.- Vous, vous connaissez chaque responsable du Medef, ceux d'aujourd'hui, ceux d'hier. Que saviez-vous ? Rien ne vous avait mis, monsieur Roubaud, la puce à l'oreille ?
 
R.- Non, je ne savais vraiment rien, je l'ai appris comme vous, il y a trois semaines. Il y a trois semaines, on a commencé par quelques millions et on est maintenant à des sommes qui donnent le vertige, à un chef d'entreprise que je suis, aux chefs d'entreprises qui sont chez moi.
 
Q.- Oui, mais il est difficile de croire que vous tous, vous ignorez, ou alors vous n'avez pas voulu savoir ? Vous n'êtes pas des naïfs si vous me permettez ?
 
R.- Je ne pense pas être un naïf, mais je n'étais pas au courant du tout, ni de ces réserves, ni de ce qui en est fait, ni de cette manière de diriger. Et je crois qu'il n'y a pas que moi, dans l'organisation. Je crois même qu'au niveau du bureau de la métallurgie, un nombre de personnes n'était même pas au courant de ce qui se passait dans cette maison.
 
Q.- Et c'est normal ?
 
R.- Non. Clairement, ce n'est pas normal que les dirigeants ne sachent pas ce qui se passe, on accepte, on n'accepte pas. Mais...
 
Q.- Oui, mais vous, qu'est-ce qui vous choque ? La méthode qui dure, depuis longtemps, le secret, les sommes ?
 
R.- Tout me choque, sauf la méthode qui dure depuis longtemps. A la limite, il y a quelques dizaines d'années, c'était encore dans les tuyaux, cela se faisait peut-être comme ça, mais depuis quand même un certain nombre d'années, on a besoin dans nos organisations de transparence et de clarté, vis-à-vis de nos adhérents. Alors tout me choque : le système, les montants, qui est-ce qui a reçu ? Parce que quand même on est à plus de 20 millions d'euros. Qui est-ce qui a reçu ? On sait très bien, nous en tant que chefs d'entreprise de PME, qu'on n'a pas le droit de prendre du liquide, de le donner etc. Et qu'on est judiciairement responsable de tout cela, civilement responsable. Je ne comprends pas tout cela.
 
Q.- L'un des prédécesseurs de monsieur D. Gautier-Sauvagnac à la tête de l'UIMM, D. Dewavrin, estimait hier dans Le Monde que ces pratiques existent depuis bien longtemps, et il disait - je ne sais pas s'il est naïf, lui - : "autrefois c'était même beaucoup plus". Mais comment des patrons comme vous, qui représentez encore une fois des milliers et des milliers de chefs d'entreprise, vous pouvez dire ce matin que vous ne saviez rien ?
 
R.- Monsieur Elkabbach, non seulement je ne savais rien, mais je ne comprends même pas ce que vous venez de me dire, de monsieur de Dewavrin, que j'ai lu comme vous dans Le Monde, hier soir. Je suis abasourdi, je suis abasourdi, on ne peut pas défendre l'indéfendable.
 
Q.- Et les sommes qui circulaient, tranquillement, depuis longtemps, est-ce que vous avez un soupçon ou une hypothèse ? À qui étaientelles destinées ? Est-ce que c'est, comme certains où la rumeur le dit, à quelques syndicats et à ce moment-là, lesquels ? À des partis politiques, lesquels ? Ou peut-être à vos PME, peut-être ?
 
R.- Non, je ne crois pas. Mais j'ai entendu dire que c'était pour fluidifier la négociation sociale. Alors c'est un euphémisme, donc qui a touché ? Je ne sais pas, tout le monde peut-être. Moi, ce que je cherche, ce que je souhaiterais, c'est qu'on mette au clair, qui est-ce qui a touché ces 20 ou 10 ou 15 millions d'euros dans les années précédentes, pour au moins que ce soit clair.
 
Q.- Est-ce que pour vous, ces retraits en espèce avec des montants aussi importants, sont des infractions ?
 
R.- Pour moi, clairement en tant que chef d'entreprise - je ne suis pas juriste - ça me paraît des infractions, parce que celui qui reçoit, j'imagine n'a pas déclaré. Donc il y a infraction et celui qui donne également.
 
Q.- Oui, justement, qui donne ? Parce qu'on dit ce sont des entreprises adhérentes à l'UIMM qui versent, apparemment les yeux fermés, une cotisation volontaire et supplémentaire ?
 
R.- "Supplémentaire", je ne sais pas, mais tous les adhérents paient une cotisation. Chez moi, les adhérents me payent une cotisation pour être membre de la CGPME. Mais par contre, c'est des chèques et après ce que j'en fais, je le donne, je le déclare, je fais des bilans, des comptes d'exploitation et mes adhérents voient ce que je fais de leur argent.
 
Q.- Non, mais est-ce qu'il y a des cotisations, par exemple chez vous, à la CGPME, "volontaires" comme dit le Medef ou l'UIMM, et "supplémentaires" pour une caisse - on ne va pas la colorer - avec des destinataires sociaux ou politiques ?
 
R.- Monsieur Elkabbach, j'ai déjà beaucoup de mal à me faire payer mes cotisations par mes adhérents, vous savez nous sommes des petites et moyennes entreprises. Et je fais très attention quand même, depuis que je suis dans cette position de président de CGPME, à ce qu'aucun de mes adhérents, branches ou particuliers, puisse avoir plus de 5 % du montant de mon budget annuel, de façon on ne pas être tributaire d'une organisation syndicale.
 
Q.- Alors monsieur D. Gautier-Sauvagnac dit qu'il ne veut rien dire. Il ne révèlera rien, ou alors s'il parlait, il citerait d'autres noms ?
 
R.- Oui, eh bien, écoutez, moi, je crois qu'à un moment, il faudra qu'il y ait une transparence. On ne peut plus aujourd'hui, dans le contexte économique, cacher tout cela. Maintenant que c'est apparu au grand jour, il faut que tout soit ouvert, et que l'on sache, et je crois que c'est important, que nos concitoyens sachent ce qui s'est passé, même si c'est plutôt pas très glorieux, je le reconnais largement. Mais malheureusement, il vaut mieux ça que...
 
Q.- Oui, mais au-delà de la gloire, il y a la justice, personne n'étant audessus des lois. Même monsieur D. Gautier-Sauvagnac et ceux qui savent, ceux qui ont peut-être donné, risquent gros, non ?
 
R.- Ça écoutez, je le crois et je crains aussi que les déclarations du prédécesseur de monsieur Gautier-Sauvagnac- vous parliez tout à l'heure de naïveté, tout le moins d'incompréhension, par rapport à la... on est tous égaux par rapport au droit.
 
Q.- D'autant que monsieur Gautier-Sauvagnac a reçu hier le soutien d'un ancien président de l'UIMM et du CNPF, vous l'avez remarqué, F. Ceyrac, qui dit dans Le Monde : « Les aides en espèces données à divers partenaires dans la vie sociale, sont dans la continuité historique de l'UIMM. Vous êtes, cher ami, dans le droit fil de notre fédération. »
 
R.- Ecoutez, moi, je ne comprends peut-être pas ces limites. Ce n'est pas dans nos manières de pensée, à nous les chefs d'entreprises. Je voudrais simplement remarquer une chose, souligner quand même, l'élégance de D. Gautier-Sauvagnac de s'être retiré du chef de fil de la négociation...
 
Q.- Volontairement, volontairement...
 
Oui, sans doute volontairement.
 
Q.- Mais est-ce qu'il pouvait ne pas prendre la décision ?
 
Non, je crois qu'il fallait la prendre parce qu'on ne pourrait pas continuer une négociation quand on est au coeur d'une telle polémique qui perturbe tout le monde...
 
Q.- Peut-être a-t-il été encouragé par L. Parisot. Il va continuer de présider la commission "Relations du Travail et Politique de l'Emploi" et il va continuer de siéger au Medef. Est-ce que cette position est longtemps tenable ?
 
A titre personnel, je ne le pense pas. Je ne le pense pas et je pense qu'à un moment ou à un autre, dans le cas de la polémique qui est en place, je crois que monsieur D. Gautier-Sauvagnac sera obligé de se retirer.
 
Q.- Vous pensez que ce n'est pas fini ?
 
R.- Non, je pense que ce n'est pas fini et puis de toutes les façons, on découvre tous les jours, il faut bien qu'il y ait un aboutissement à la fin.
 
Q.- L. Parisot voulait moderniser le Medef. Qu'est-ce qui devrait sortir de ces révélations et de cette crise, monsieur Roubaud ?
 
R.- Je crois que de toute crise il faut essayer de tirer ce qui peut être un enseignement, il faut vraiment la transparence, tous les syndicats quels qu'ils soient, doivent être transparents maintenant. Il doit y avoir lisibilité des comptes, et je vous rappelle que les associations de loi 1901 ont obligation. J'ai chez moi des commissaires aux comptes, qui certifient les comptes, que je peux montrer à tout le monde en permanence. Toutes les organisations devraient être pareilles.
 
Q.- Dernière question sur le sujet. Est-ce que votre CGPME ou quelques entreprises, des PME, quand elles étaient en difficulté etc. ont été aidées ou ont reçu de l'argent de l'UIMM qui leur aurait prêté des sommes pour les aider ?
 
R.- Non, pas que je sache. Au niveau des entreprises et pas au niveau de la CGPME, en tout cas.
 
Q.- Par exemple, en 2003, vous aviez des difficultés, dans les petites entreprises. Est-ce que monsieur Gautier-Sauvagnac vous a un peu soutenu ?
 
R.- Non, clairement non. J'ai suffisamment hurlé après ces grèves qui avaient duré trois semaines, des milliers d'entreprises étaient au bord de la faillite, mais nous n'avons pas été aidés, ça c'est certain.
 
Q.- Là, pour la grève d'après demain, vous n'avez pas besoin d'être aidés ? Non. Après demain, la grève sera forte, c'est ce qu'a prédit X. Bertrand, en faveur du pouvoir d'achat, des régimes spéciaux de retraite. Jeudi sera un jour "sans" ; les PME feront face, vous êtes rodés.
 
R.- On commence à être habitués. Seulement, je ne comprends pas très bien de se mettre en grève avant de commencer seulement une négociation. On sait bien que le problème des retraites, des régimes spéciaux, on ne peut plus continuer, on va dans le mur, il faut accepter de discuter. Se mettre en grève avant, au départ, je trouve que ce n'est vraiment pas dans la démocratie, ce n'est pas un principe démocratique.
 
Q.- Mais vous ne contestez pas quand même le droit de grève ?
 
R.- Pas du tout. Je dis : on aura une journée de grève, on va être pénalisé, nous avons des tas de concitoyens qui vont se fatiguer toute la journée pour essayer d'atteindre leur travail etc. On va bloquer l'économie française, une journée. Bon, on peut accepter une, mais nous n'accepterons pas, et je n'accepterai pas, que ça continue, comme en 2003, sur trois semaines de suite de grève. Nous serons dans la rue, avant.
 
Qu'est-ce que ça veut dire "nous n'accepterons pas " ? Quels moyens avez-vous ?
 
R.- Je mobiliserai mes chefs d'entreprises et puis les citoyens qui comprennent, que l'on ne peut pas bloquer un pays simplement pour modifier des régimes spéciaux qui vont dans le mur, régimes spéciaux de gens qui sont plutôt favorisés par rapport au régime général. Je vous rappelle que le refus est sur l'alignement sur les régimes du service public. On n'a pas encore parlé de l'alignement sur les régimes généraux de retraite.
 
Q.- J. Attali a écrit au président de la République pour dénoncer le principe de précaution qui est inscrit dans la Constitution. Il est, dit-il, préjudiciable à l'innovation et à la croissance.
 
R.- Je suis d'accord.
 
Q.- Ah oui ?
 
R.- Oui, je suis d'accord avec ce rapport de J. Attali, cette partie-là, justement, sur ce principe de précaution. Par contre, quand on parle de la grande distribution, de la suppression de la loi Galland, Royer et Raffarin, et la suppression de l'interdiction de vente à pertes, alors là je m'offusque. Je rencontre demain monsieur Attali, je crois. Je vais lui dire : "mais attendez, vous voulez tuer qui ? Le commerce de proximité, vous voulez tuer ?
 
Q.- Non, non, il veut que grâce à la concurrence, il y ait des emplois pour les PME, et s'il y a des emplois pour les PME, c'est bon pour elles, c'est bon pour tous.
 
R.- Monsieur Elkabbach, en 2006, le commerce de proximité a créé autant d'emplois que la grande distribution. Il y a 2 ans, quand on a [instauré] la possibilité de diminuer par deux les marges arrière de la grande distribution, on devait créer plein d'emplois, on n'en a pas créé plus, et on a baissé les prix seulement de 2,5%. Alors ça ne va pas baisser davantage.
 
Q.- J.-F. Roubaud, mais jusqu'ici, les lois existantes, est-ce qu'elles ont évité la concentration, la domination de la grande distribution ? Est-ce qu'elles ont fait baisser les prix ? Est-ce qu'elles ont protégé le petit commerce ?
 
R.- Non, elles n'ont pas... un peu protégé le petit commerce puisque depuis quelques années, on voit qu'il n'y a pas une diminution du commerce de proximité. Mais si on retire l'interdiction de revente à pertes, alors là on va tuer, très rapidement, le commerce de proximité. Et je rappelle, en plus du rôle économique de ces petites entreprises, les commerçants ont une mission... le rôle sociétal, c'est encore le seul lien qu'il y a dans les petits villages. Sur 36 000 communes, monsieur Elkabbach, il n'y en a plus que 18 000 qui ont des commerces de proximité. Si on veut tout tuer, toute sociabilité de notre pays, eh bien c'est une volonté politique. Il faut que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
 
Q.- On ne peut pas réformer la France ?
 
R.- On peut la réforme, mais il faut que l'on fasse...
 
Q.- Sans que grognent tous ceux qui sont partisans du statu quo ?
 
R.- Non, il faut faire des études d'impact. Qu'est-ce qui va se passer si on prend ces mesures ? Et je dis, certaines sont bonnes, je vous l'ai dit sur le principe de précaution ; par contre, sur la suppression du principe de revente à pertes, là je suis contre, parce que je sais qu'il y aura des dégâts collatéraux énormes.
 
Q.- On voulait que la commission Attali décoiffe, c'est le cas. Les débats, les polémiques, finalement ça a du bon. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement le 16 octobre 2007