Texte intégral
C. Barbier.- Il y a plus de mille policiers sur place, le Raid. Le Gouvernement a choisi la manière forte pour juguler les émeutes en banlieue. Est-ce la bonne méthode ?
R.- En tout cas, c'est dissuasif. Pour agir dans les cités, dans les banlieues, il faut d'abord rétablir l'ordre, la paix civile. C'est en bonne voie. Ensuite, bien sûr, il y a le débat qui resurgit maintenant sur quel type de police dans la durée ; moi ; j'ai mon opinion sur la question. La vieille polémique sur la police de proximité, cela ne m'intéresse pas, elle avait été à l'époque plutôt mal engagée, même si l'idée est intéressante. Moi, je parle d'une police de contact, je l'ai visité dans plusieurs pays européens. Ce sont des gens qui sont effectivement sur le terrain, connaissant le terrain, connus des habitants, mais avec une vraie mission de police, avec un lien avec tous les autres types de police de manière à ce qu'ils soient respectés, craints s'il le faut, mais au contact. Ce n'est pas la police sympa, c'est la police qui sait, qui est connue, qui est respectée. A mon avis, c'est la bonne voie dans ces cités et il faut y réfléchir.
Q.- C'est la police qu'on va voir dans la loi d'orientation en préparation chez M. Alliot-Marie ou dans "le plan Marshall" pour les banlieues ? On va voir cela ?
R.- C'est toujours la même histoire, il y a plusieurs leviers : il y a le levier sécuritaire à articuler avec la prévention. Les socialistes ont longtemps parlé de prévention et n'ont pas fait grand-chose. Dans ma ville, j'expérimente depuis des années, et tout le monde vient le voir, même M. Alliot-Marie va venir le voir, les coordinations territoriales qui permettent entre police, justice, école, acteurs de terrain, d'être en lien direct, constant, avec un traitement nominatif et non pas simplement des statistiques de toutes les situations, avant que cela ne dégénère.
Q.- C'est la population qui compte, il faut s'adresser à la population ?
R.- Il faut être au plus près et en lien. Donc, ça c'est un aspect. Mais les autres leviers sont très importants. Aujourd'hui, j'ai entendu dire qu'on considérait que la rénovation urbaine, ce n'était pas ça. En fait, le plan Borloo est un changement extraordinaire, tous les maires, de toutes sensibilités, le mettent en oeuvre simplement. C'est ce que j'avais dit à l'époque de la crise des banlieues en disant qu'il fallait tous se réunir, sur ces questions, il n'y a pas de droite et pas de gauche, il faut du temps, il faut une génération. Et donc il ne faut pas qu'on change de politique toutes les cinq minutes, ni même tous les cinq ans. C'est vrai, quand même, pour être objectif, que ce plan qui est formidable, que je mets en oeuvre dans ma ville, ne va pas assez vite. Et là, nous nous heurtons au frein français : il y a trop de gens. On crée une agence, c'est bien, il faut créer des opérateurs. Mais si dans cette agence tous les services de l'Etat, qui n'a pas encore été réformé - heureusement qu'on est en train de le faire - veulent chacun garder leur petit morceau de prérogative, à telle enseigne que même sur le terrain, un sous-préfet à la ville ou un préfet à la ville n'a pas toujours les manettes pour agir avec les élus locaux, à ce moment là, on allonge les délais. Il faut du contrôle, il faut de la culture de l'évaluation, il ne faut pas de gaspillage. Autre problème qu'on pourrait facilement résoudre : que de temps en temps, on serre les boulons. Je suis solidaire, évidemment, de cette démarche par rapport à toute une série d'emplois extrêmement coûteux, je peux le comprendre, mais à ce moment là, faisons le avec discernement.
Q.- Vous avez besoin de quoi ? Vous avez besoin d'argent dans ce prochain plan Marshall, du pouvoir pour les maires ?
R.- Il faut de l'argent mais il y en a déjà. Il faut que cet argent aille à la bonne vitesse au bon endroit, qu'on évalue ce qui marche et ce qui ne marche pas. Et puis, le dernier point, mais c'est évidemment, le plus important : c'est évidemment l'accès à l'emploi. Alors pas d'accès à l'emploi possible si les banlieues sont stigmatisées, s'il n'y a pas la paix civile et la sécurité. Pas d'accès à l'emploi possible si certains quartiers restent des ghettos ; c'est l'intérêt de la rénovation urbaine. Mais on ne va pas attendre que ces rénovations soient terminées, on ne va pas attendre l'insécurité zéro qui, d'ailleurs, est une illusion, il faut simplement arriver à un bon niveau de sécurité pour travailler à ce que un certain nombre de personnes, jeunes et moins jeunes, soient, comme disent les Anglo-saxons "en situation d'employabilité". Dans ma ville, à certain moment, même où l'économie allait encore mieux qu'aujourd'hui, où la croissance était très forte, le taux de chômage dans les cités, chez certaines populations, était déjà cinq, six fois plus important qu'ailleurs. Donc là, on a un vrai souci. Et toutes les bonnes idées de Maison de l'emploi, d'accès à l'emploi, les idées volontaristes sont à développer.
Q.- Ni R. Yade pour les Droits de l'homme, ni vous pour la Francophonie n'étiez en Chine. Pourquoi ?
R.- Heureusement que les membres du Gouvernement qui sont au Quai d'Orsay ne font pas chacun tous les voyages. Parce que nous ne pourrions plus rien faire d'autre ; nous serions épuisés et cela n'a pas de sens. Il est bon aussi que dans certains déplacements, d'autres ministres concernés par le déplacement - c'était le cas en Chine - y aillent. Moi je pars en Algérie la semaine prochaine avec ( ?). Je n'étais pas au Maroc et je n'en étais pas frustré. On ne peut pas être dans tous les déplacements.
Q.- En Algérie, un ministre vient de déclarer que N. Sarkozy est un agent sioniste.
R.- C'est du n'importe quoi de chez n'importe quoi. Cela ne trompe personne. Par contre, ça met le doigt sur la très forte sensibilité encore aujourd'hui de ce qui se passe au Proche-Orient. Et là, évidemment, tout espoir de paix même ténu comme Annapolis, où une méthode de travail a été mise en place, ce qui est déjà un commencement, eh bien, doit être fortement favorisé.
Q.- Le responsable de l'Arche de Zoé dit que le Quai d'Orsay était tout à fait au courant de ce qu'il faisait au Tchad et au Soudan. Vous allez lancer une enquête interne ?
R.- Ces gens là, dont on a vu quand même la crédibilité depuis quelque temps, les déclarations contradictoires, le caractère sournois de leurs actions, ces gens-là que d'ailleurs au quotidien, aujourd'hui, dans leur prison tchadienne nous aidons et nous soutenons.
Q.- Vous irez au Tchad pour les aider ?
R.- Nous ne laisserons jamais tomber nos ressortissants. Nous avons là-bas un ambassadeur, des services de l'Etat, des militaires etc. Par contre, ce qu'il dit aujourd'hui, c'est une fois de plus une confusion qu'il veut entretenir : entre l'ONG, je dirais paravent qui avait été transportée par l'armée, parce que celle-là ne faisait rien de mal et rien de critiquable, de même que l'armée française là-bas transporte toutes les ONG, et l'action alors, elle, totalement illégale, que nous avons dès le départ voulue décourager et empêcher, il crée de la confusion. Personne ne peut le croire.
Q.- Vous lancez aujourd'hui "Gauche moderne" votre nouveau Parti. Pour quoi faire ? Il existe déjà le Nouveau centre, le Parti radical, les progressistes d'E. Besson. A quoi allez-vous servir ?
R.- Pendant dix ans, et vous le savez très bien, mon histoire au Parti socialiste, où j'ai été 34 ans - cela a été vraiment l'engagement de ma vie - pendant dix ans, je me suis engagé, je crois avec une certaine audace dans la rénovation, dans un esprit social libéral, c'est-à-dire l'esprit en fait de toutes les gauches européennes. Et cela c'est terminé au Congrès du Mans où le texte que j'ai présenté a fait de moins de 1 % des voix. A un moment donnée, lorsqu'un président de la République qui se veut non pas un conservateur mais véritablement un réformiste, celui qui veut faire les réformes dont la France a besoin, dans la respect de la cohésion sociale, eh bien, lorsqu'il vous tend la main, moi je m'engage, je prends le risque de l'action et je ne veux pas que ce soit une démarche individuelle, car je sais qu'il y a en France, à côté des centristes, à côté des gens de différentes sensibilités, il y a un certain nombre d'hommes et de femmes de gauche, qui ont eu des engagements comparables au mien, ou tout simplement qui ont été des électeurs ou des sympathisants, ou des intellectuels, et ces gens-là considèrent à un moment donné que loin de diaboliser N. Sarkozy, il y a cette opportunité de la réforme, que malheureusement la gauche française, parce qu'elle n'a pas su se rénover, parce qu'elle a renoncé à certains de ses idéaux, parce que depuis des années, elle ne dit pas la vérité aux Français sur la situation du pays, sur les opportunités, sur les réformes - on l'a vu sous Jospin...
Q.- Vous avez de l'espoir, quand même. Vous dites : "M. Valls pourrait très bien, par exemple...
R.- Eh bien, toutes ces personnes s'intéressent à une démarche de construction politique, libre, indépendante, distincte de l'UMP mais alliée à la démarche de la réforme... Au Parti socialiste, il y a des gens de qualité. Vous avez cité M. Valls. Pour le moment, on le voit bien, lorsqu'il parle de la rénovation du PS, il est extrêmement isolé. Vous avez vu ce qui s'est passé ce week-end à l'initiative de F. Hollande ; c'était complètement...
Q.- Dix ans de Hollande, c'est quel bilan ?
R.- Le personnage est sympathique et il ne faut pas tout mettre sur une personne. S'il n'y avait eu que F. Hollande, et à côté de lui que des rénovateurs et que des socialistes audacieux, ça se serait fait quand même. Mais c'est vrai qu'il symbolise, au-delà de son talent et de son humour, une incapacité que nous avons eue, et nous sommes les seuls en Europe, quand même, à rénover la gauche, à avoir un grand parti de centre gauche. Aujourd'hui, la "Gauche moderne" prend ce relais. Le fait de s'allier à une démarche de réforme du président de la République serait comprise partout ailleurs ; il y aurait des coalitions. Nous faisons ce pari mais nous le faisons, libres et indépendants.
Q.- Et vous allez essayer de fédérer tous ces petits groupes, maintenant, ces petits partis ?
R.- Oui. Nous sommes rejoints par La Diagonale, qui avait été lancée par T. Couderc. Nous sommes rejoints par des intellectuels...
Q.- Vous parlez avec E. Besson ?
R.- Nous avons un dialogue avec E. Besson. Nous faisons tous les deux partie du pôle de gauche de la majorité, et il est bon que chacun puisse construire son histoire, il est bon que nous puissions rassembler largement. Il n'y a aucun souci de ce côté-là.
Q.- J.- M. Cavada qui quitte le MoDem pour être tête de liste UMP à Paris. Est-ce qu'il va vous rejoindre dans "Gauche moderne ?".
R.- J.- M. Cavada soutient notre démarche ; il m'a laissé un message pour mon lancement de ce matin. Mais à chaque jour suffit sa peine. Nous aurons également des parlementaires, des sénateurs du groupe sénatorial qui est composé, pour partie de sénateurs de droite, pour partie de sénateurs de gauche. Il va nous soutenir avec deux sénateurs qui s'engagent à nos côtés. Il va y avoir des intellectuels, il va y avoir sur Paris également un certain nombre de personnalités...
Q.- Elections municipales ?
R.- M.-G. Benamou, M. Gallo... Nous serons présents dans une quinzaine de grandes villes, une trentaine de villes moyennes. Nous serons à Marseille avec l'ancien député Sanmarco ; à Nice, auprès d'Estrosi avec G.-M. Benamou ; à Toulouse, à Bordeaux, à Lyon, à Mulhouse...
Q.- G.-M. Benamou, le conseiller du Président pour la Culture. Il est chargé de vous surveiller au nom de Sarkozy ?
R.- Non, non pas du tout. Nous avons une relation libre et amicale. Nous nous connaissons d'ailleurs sur les questions d'audiovisuel extérieur, de modernisation de TV5. Et nous avons ainsi appris à nous connaître. Il y aura également O. Poivre d'Arvor, enfin il y aura un certain nombre de personnes du monde culturel. Donc, c'est une affaire qui est bien engagée, "Gauche moderne".
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 novembre 2007