Entretien de MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et Tony Blair, envoyé spécial du Quartette pour le Proche-Orient, paru dans "Le Journal du Dimanche" le 18 novembre 2007, sur les chances de succès de la future conférence d'Annapolis sur le Proche-Orient.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Q - La future conférence d'Annapolis suscite déjà de nombreux doutes quant à ses chances de succès. Ne risque-t-elle pas de se limiter à des déclarations de bonnes intentions ?
R - Tony Blair - Non, c'est vraiment un test de crédibilité. La question est de savoir si nous sommes capables de lancer un processus qui peut produire un résultat sur le statut final des Territoires palestiniens avant la fin de cette présidence américaine. Les négociations le diront. Mais ce qui est important, c'est que l'on sent que l'on pourrait y parvenir. Le processus a d'ores et déjà gagné en crédibilité et en détermination.
R - Bernard Kouchner - Je veux partager cet optimisme, même si c'est toujours risqué d'être optimiste. Personne ne dit qu'Annapolis ne sera autre chose que le début d'un processus, mais sa mise en route sera déjà un succès, peut-être fragile. Ce qui est intéressant, c'est que deux hommes en sont responsables, le Premier ministre israélien Ehud Olmert et le président palestinien Mahmoud Abbas. Ils se sont parlé et personne ne s'en est vraiment mêlé. C'est très nouveau. Evidemment, le Quartette est là, et Tony s'en occupe. Mais ils ont fait d'Annapolis, leur but ultime. Et puis, il y a eu cette manifestation monstre à Gaza, et la façon dont le Hamas a réagi en tuant des Palestiniens. Tout cela donne une crédibilité à cette tentative très exceptionnelle et très particulière.
Q - Mais Ehud Olmert et Mahmoud Abbas sont très fragilisés politiquement, pourront-ils imposer un accord à leur camp respectif ?
R - Tony Blair - Je ne pense pas qu'ils soient aussi affaiblis que les gens le pensent. Si vous demandez aux Israéliens ou aux Palestiniens s'ils veulent d'une paix fondée sur une solution avec deux Etats, ils répondent "oui". Mais si vous leur demandez si c'est possible, ils disent "non". Alors, si ces deux leaders sont capables de montrer qu'il y a une voie vers une solution négociée, ils se retrouveront dans une position très forte. Après les différentes conversations que j'ai pu avoir à Gaza avec la société civile, il n'y a pas de doutes dans mon esprit : si les gens sentent qu'il y a un chemin crédible vers une solution, ils voudront en être.
R - Bernard Kouchner - Pour la première fois, il n'y a pas eu de grande conférence mais la rencontre de deux hommes. Ils ont compris qu'ils servaient non seulement leur camp, mais aussi leur position personnelle. Je trouve notamment formidable qu'il n'y ait pas eu de révoltes en Cisjordanie pendant trois mois alors que les gens souffrent, mais attention, cela ne pourra pas durer éternellement.
Q - Le plan de paix prévoit de reconstruire l'économie palestinienne - notamment à Gaza où le chômage atteint les 75 % -, mais comment est-ce possible en l'absence d'institutions palestiniennes ?
R - Tony Blair - Trois choses doivent aller ensemble : une perspective politique crédible, la constitution d'un Etat palestinien avec des institutions et, enfin des projets économiques. Si on essaie les projets économiques sans perspective politique et sans institutions, cela ne marchera probablement pas. Mais si Annapolis nous donne une perspective politique, si la conférence des donateurs prévue à Paris, grâce à Bernard et au gouvernement français, nous donne la capacité de construire, nous pourrons réaliser des progrès économiques. J'espère d'ailleurs pouvoir annoncer dans les prochains jours certains projets qui, s'ils se concrétisent représenteront des dizaines de milliers d'emplois pour les Palestiniens.
R - Bernard Kouchner - Il faut que les Palestiniens comprennent que c'est un processus qui prend à coeur leurs souffrances, leurs perspectives de développement chez eux, au sein de leurs familles. Mais aussi qui prend en compte la sécurité d'Israël. L'idée, c'est que le Premier ministre palestinien Salam Fayyad donne un plan précis à Tony. Ce plan ira ensuite à la Banque mondiale, avant de devenir l'objet de la conférence des donateurs. C'est beaucoup plus concret que les grandes destinées politiques que l'on prévoyait avant, parce que cela touche à la vie quotidienne des gens.
Q - Mais peut-on laisser de côté le Hamas, qui a pourtant été élu démocratiquement à Gaza et avec lequel vous refusez de négocier ?
R - Tony Blair - Si vous créez un processus qui avance sérieusement, alors les gens de Gaza s'apercevront qu'il y a une vraie possibilité de changement. Pour l'instant, la question n'est pas de parler ou pas au Hamas, la position du Quartette est claire à ce sujet : nous ne pouvons parler qu'à ceux qui acceptent d'avancer pacifiquement. J'ai connu cela au cours du processus de paix en Irlande du Nord : à la fin, j'ai fini par parler à tout le monde, mais seulement lorsque les choses ont été claires. Pour être franc, il y a des questions auxquelles nous ne pouvons répondre pour le moment.
R - Bernard Kouchner - Nous n'avons pas cessé d'aider la population palestinienne en faisant parvenir l'aide nécessaire à Gaza. Mais politiquement, nous avons reconnu l'Autorité palestinienne du président Abbas comme le seul pouvoir légitime. On l'oublie, mais il y a eu une tentative d'unité nationale avec un gouvernement Hamas/Fatah. Cela n'a pas marché, et le Hamas a tué des Palestiniens à Gaza. Cette situation dramatique nous a permis de souligner à nouveau la nécessité de la paix. C'est ce moment historique que nous voulons saisir.
Q - Il y a un évident manque de confiance entre les Israéliens et Palestiniens, comment surmonter cette difficulté ?
R - Tony Blair - Il y a quelque chose de fondamental que je n'avais pas totalement compris lorsque j'étais Premier ministre. Nous savons qu'il y a trois sujets majeurs à régler : la question des frontières, le statut de Jérusalem et le droit au retour des réfugiés. Or, je suis parvenu à la conclusion que si vous mettez deux groupes de Palestiniens et d'Israéliens éduqués, chacun dans une pièce, et que vous leur demandez de mettre au point une solution, ils dégageront probablement la même. Ce n'est donc pas là le problème. Le comprendre en est toute la clé. Le vrai problème aujourd'hui, c'est que les Israéliens ne donneront pas leur accord à un Etat palestinien, tant qu'ils ne seront pas certains qu'il sera sérieusement gouverné et correctement dirigé en matière de sécurité. C'est pourquoi la capacité des Palestiniens à y parvenir est fondamentale. De même, pour les Palestiniens, le sujet n'est pas tant une question de territoires - cela peut se régler - que les conséquences quotidiennes de cette occupation qui leur fait vivre un enfer.
R - Bernard Kouchner - Tous les Palestiniens et tous les Israéliens sont convaincus que cette entente interviendra un jour. Surtout les politiques, qui se connaissent tous et qui se rencontrent régulièrement. Ils savent qu'il n'y a pas d'autre solution. Des centaines de colloques ont produit des milliers de documents qui disent tous à peu près la même chose. On réussira si on parvient à améliorer la vie quotidienne des Palestiniens, celle de leurs enfants, si on parvient à faire qu'ils ne soient plus arrêtés par les check-points. Cette culture de l'affrontement permanent va changer, on peut l'espérer, parce qu'ils en ont assez.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2007