Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Guysen TV" le 18 novembre 2007 à Jérusalem, sur le dossier nucléaire iranien et la future conférence d'Annapolis sur le Proche-Orient.

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Circonstance : Tournée de Bernard Kouchner au Proche-Orient du 18 au 23 novembre 2007 : déplacement en Israël le 18 à Jérusalem

Texte intégral

Q - Sur le dossier iranien, est-ce que la France, qui s'apprête à être présidente de l'Union européenne, à partir du mois de janvier, a l'intention d'initier une démarche autonome pour accentuer les sanctions contre l'Iran ? Une démarche qui se démarquerait de la position du Conseil de sécurité où il y a les obstacles de la Chine et de la Russie ?
R - Si la France a l'intention d'initier une démarche nouvelle ou différente, ce ne sera pas seulement sur les sanctions, nous en discutons avec nos amis européens, mais aussi sur le dialogue. Nous ne distinguons pas d'un côté les sanctions et de l'autre le dialogue. Ensemble : le dialogue, le dialogue, le dialogue acharné, et puis, bien sûr, travaillons, de préférence au Conseil de sécurité. L'entente entre la Russie, la Chine, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France est essentielle. Si nous n'y parvenons pas, nous avons déjà commencé à travailler sur des sanctions européennes.

Q - Une question concernant Annapolis. On a entendu Yossi Beilin très pessimiste aujourd'hui concernant Annapolis. Qu'est ce que vous lui diriez à Yossi Beilin, qui dit aujourd'hui que cela va affaiblir les modérés, que cela va renforcer le Hamas et que c'est voué d'avance à l'échec.
R - Je lui ai dit fraternellement parce que je l'ai reçu avec Yasser Abed Rabbo, comme je l'ai dit à Yasser Abed Rabbo : j'espère que vous vous trompez. J'espère que vous êtes simplement pessimiste, parce qu'il y a de quoi bien sûr, mais c'est toujours un peu au dernier moment, lorsque les crispations s'opèrent, lorsque dans une négociation on en arrive à développer ses dernières cartes, à parler plus des obstacles que de l'espoir, que se manifeste le pessimisme. Je suis pessimiste par nature. Je suis celui qui s'attend au pire. C'est une bonne méthode, parce que parfois on a de bonnes surprises. Je suis très pessimiste aussi pour Annapolis. Mais en même temps, je crois qu'il y aura une bonne surprise.

Q - La revendication israélienne d'exiger des Palestiniens la reconnaissance de l'Etat d'Israël comme un Etat juif, c'est une revendication qui vous semble légitime ?
R - Je ne veux pas en parler. Ce n'est pas à moi de le faire. C'est à la négociation de le déterminer. Et surtout, arrêtons les préalables. Nous connaissons tout cela. Nous sommes fatigués de l'histoire cent fois répétée. Les Palestiniens ont aussi des vieilles revendications. Vous savez, on sait très bien ce qui va se passer : ou c'est la catastrophe, le pessimisme achevé, et puis il n'y aura rien pendant des années. On va de nouveau avoir des affrontements, des faux espoirs. Ou alors quelque chose va se dessiner à Annapolis qui sera extrêmement imparfait, à peine balbutiant : le début de la reconnaissance d'un Etat palestinien. C'est cela qui compte. Arrêtons les préalables.
Le monde entier veut nous donner des leçons, à l'Union européenne, au monde arabe, à tout le monde, avec des revendications qui sont sans doute légitimes, avec des rappels qui sont probablement justes, mais cela complique terriblement. Est-ce qu'on va échouer et qu'il n'y aura pas de conférence à Annapolis ? Les Saoudiens vont-il venir, etc ? Il y a beaucoup d'interrogations. Je crois, enfin je le souhaite, que la France fera tout ce qu'elle peut pour cela mais nous ne sommes pas partie prenante, nous sommes simplement des amis : des amis d'Israël, et des amis aussi des Palestiniens. J'ai le sentiment que c'est cela le changement de la politique française. C'est que nous pouvons être enfin légitimement les amis d'Israël tout en étant les amis des Arabes. C'est cela qui compte, c'est cela qui a changé. J'espère beaucoup être à Annapolis pour voir cela, parce qu'il y a des générations et des générations de gens qui l'attendent.

Q - Un mot sur Gilad Shalit. Cela fait 500 jours que Gilad Shalit, citoyen franco-israélien est détenu par le Hamas. Que fait la France pour le libérer ?
R - Elle fait tout ce qu'elle peut. Nous continuerons. Mais faisons en sorte qu'il n'y ait pas d'autre Gilad Shalit. Cela veut dire : ouvrons à Annapolis un espoir pour tous les Gilad Shalit et tous les Palestiniens de l'autre côté. Nous faisons tout ce que nous pouvons, nous en parlons tout le temps. Nous avons essayé nous-même de faire ce que nous pouvions. N'oublions pas non plus les prisonniers du côté libanais. Pour qu'il n'y ait plus de prisonniers, s'il vous plaît, donnons de l'espoir. Que risque-t-on à faire Annapolis ? Et la Conférence de Paris ? Pour mettre de l'espoir et pour construire l'administration et la sécurité pour Israël, la sécurité pour Israël. Qu'est ce que l'on risque ? Rien. Si cela échoue, nous pleurerons. Mais si on ne le fait pas, nous serons lamentables.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2007