Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à "LCI" le 22 octobre 2007, sur les suites à donner à la grève des transports, la réforme du régime spécial des retraites et notamment la mise en oeuvre des 40 ans de cotisations et le financement des syndicats.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
 
C. Barbier.- Les syndicats se réunissent aujourd'hui pour décider des suites à donner dans la grève des transports. Quelle sera la position de la CFDT ?
 
R.- La CFDT va rencontrer le ministre qui s'occupe de ce problème des retraites, Monsieur Bertrand, donc mercredi.
 
Q.- Vous attendez mercredi, pour donner votre avis ?
 
R.- Nous souhaitons que l'on laisse du temps à cette discussion avec le ministre, que l'on laisse, éventuellement, si on l'obtient à certaines négociations. Donc, on décide si possible d'un mouvement un peu plus tard.
 
Q.- Vous avez écrit à X. Bertrand pour poser vos conditions. Qu'attendez-vous de lui ?
 
R.- On en est pour le moment au cadre qui sera le cadre de la négociation dans les entreprises. On a quatre demandes très précises : la première, qu'il nous laisse du temps pour mettre en oeuvre cette réforme. La CFDT est favorable à l'harmonisation des régimes de retraite. Donc, favorable aux 40 ans, à condition qu'on laisse le temps d'appliquer cette réforme sur la durée et la décote.
 
Q.- Le temps c'est déjà 2012 dans les propos du Gouvernement. Que réclamez-vous 2020 ?
 
R.- Non. Cela peut être un an ou deux ans supplémentaires. Il y a deux problèmes : il y a la mise en oeuvre des 40 ans et il y a le principe de ce qu'on appelle la décote, c'est-à-dire une sanction financière si on part plus tôt. Donc, les deux systèmes ensemble pénalisent beaucoup les salariés des régimes spéciaux. Donc, on veut un étalement, cela c'est la première chose. La deuxième chose, on veut qu'on traite le problème des poly pensionnés. Poly pensionnés, c'est ceux qui ont commencé à travailler dans le privé, et ensuite, qui ont travaillé dans un régime spécial ou dans la fonction publique à régime spécial. Ces personnes-là sont très sanctionnées, parce qu'on considère qu'ils ont deux carrières qui ne sont pas mises bout à bout. Troisième sujet, celui de la pénibilité, qui a été raillé de la carte. Et nous pensons qu'il faut aussi parler de la pénibilité. Il y a des métiers pénibles dans ces entreprises.
 
Q.- Et il y en a qui ne sont plus du tout pénibles ?
 
R.- Il faut débattre, regarder quels sont les métiers qui doivent bénéficier d'une aide, par exemple une année complémentaire tous les 5, tous les 10 ans de travail. Et le quatrième problème, c'est surtout, et cela c'est un problème très important, c'est celui des primes. Les primes ne comptent pas pour la retraite, et si on n'intègre pas ces primes dans le calcul de la retraite, inévitablement, on a des retraites plus basses.
 
Q.- Vous ne réclamez pas de négocier avec quelqu'un d'autre que X. Bertrand ? Par exemple F. Fillon ou N. Sarkozy, qui se mêle de tous les dossiers, là il est absent ?
 
R.- Pour une fois qu'on discute avec un ministre qui a le fusil en main, je ne vois pas pourquoi on irait chercher ailleurs ce qu'on a devant nous. Nous ce que qu'on souhaite, -peu importe l'interlocuteur - c'est des réponses à nos questions et à nos 4 exigences.
 
Q.- Vous dites : "Il faut attendre les propositions du Gouvernement pour voir plus tard ce que devient le mouvement". Est-ce à dire que vous désapprouvez complètement F.O. et Sud-Rail qui eux ont décidé de poursuivre la grève au jour le jour ?
 
R.- Oui, puisse qu'on voit bien que cette grève d'une part ne mène à rien. Il y a eu un mouvement exceptionnel dans les régimes spéciaux, en particulier à la SNCF qui a vraiment montré un rapport de force très fort, qui a gêné les usagers mais sur une journée bien précise. Aujourd'hui, excusez-moi de l'expression, on "emmerde" tout le monde pour pas grand-chose. On rend désagréable la vie de dizaines de milliers de personnes qui vont travailler, alors que, en restant plus unis on est plus forts. Donc là, le mouvement de F.O. et de Sud ne sert à rien actuellement.
 
Q.- Vous dites "en restant très unis on est très forts". On a eu l'impression qu'il n'y avait pas du tout d'unité à la SNCF quand on a vu les Autonomes - qui représentent essentiellement les conducteurs - obtenir une réforme en douceur. C'est une trahison ou c'est un exemple à suivre, parce qu'ils ont mis le doigt sur ce que vous disiez : "les conditions d'échange de la durée" ?
 
R.- C'est le problème du syndicalisme corporatiste. Tant que dans notre pays on va flatter le corporatisme par certaines actions qui s'adressent qu'à des professions, et cela c'est l'histoire d'entreprises comme la SNCF où le syndicalisme corporatiste a été flatté par les pouvoirs publics, par les entreprises. Donc, on se retrouve face à ces difficultés-là, parfois, des engagements vis-à-vis de certaines professions qui sont aussi des contre engagements pour les autres.
 
Q.- Si le Gouvernement fait passer cette réforme du régime spécial des retraites, est-ce que pour le régime général, les syndicats seront affaiblis ? C'est au printemps 2008 que tout commencera.
 
R.- On a toujours, à la CFDT, distingué la réforme du régime général des régimes spéciaux. Personne ne s'est plaint dans certains syndicats, qu'on ne fasse pas les deux en même temps en 2003. Aujourd'hui, on ne peut pas se plaindre de l'inverse. Par contre, le problème de la pénibilité, faire disparaître toute référence à la pénibilité dans ces régimes spéciaux, alors qu'on souhaite que ce soit central dans la négociation de régime général ne peut pas être accepté par la CFDT. Parce que cela voudrait dire qu'on ne parle pas de la pénibilité l'année prochaine. Donc, on voit bien qu'il y a certains enjeux sur ces régimes qui sont des enjeux pour le régime général.
 
Q.- Vous avez relancé la polémique sur l'argent liquide retiré par D. Gautier-Sauvagnac du Medef de l'UIMM, en suggérant que des parlementaires pourraient avoir reçu de l'argent en échange de leur vote favorable à des amendements qui faisaient le jeu du patronat, ce qu'on appelle le lobbying. Qui visez-vous précisément ?
 
R.- Je pose des questions ! Je pose des questions ! C'est quand même assez extraordinaire ! C'est quand même extraordinaire ! On a quelqu'un qui est pris la main dans le sac, le Président de l'UIMM, un patron qui est pris la main dans le sac et qui sort de l'argent liquide en banque. Il dit : "c'est pour les partenaires sociaux". Tout le monde, je dis bien tout le monde - la presse, le Gouvernement, les responsables patronaux, jusqu'au président de la République - disent : "Il faut regarder du côté des partenaires sociaux" - sans jamais amener un minimum de preuve. Donc, je pose la question : est-ce qu'en accusant les uns, on ne cache pas d'autres, en particulier - je pose la question - des relations proches entre certains responsables politiques et ce syndicat patronal. Est-ce qu'il n'y a pas eu, là aussi, des problèmes de financement ?
 
Q.- Par exemple, des partis politiques auraient pu toucher de l'argent pour voter ou des députés touchaient de l'argent pour voter ?
 
R.- Je dis tout simplement : "Allez regarder dans ce sens là". Il faut regarder dans toutes les pistes.
 
Q.- Loi par loi, les amendements votés, qui les a voté, pour voir les votes étranges ?
 
R.- On voit bien, et là on parle des retraites. Je me souviens bien qu'on a fait la réforme des retraites. On avait décidé dans cette réforme, et le patronat s'était engagé - Monsieur Gautier-Sauvagnac s'est engagé - de ne plus mettre à la retraite, d'office, que ce soit interdit, les personnes qui [pour] la durée de cotisation sont allées jusqu'au bout. Retraite d'office, puisqu'il y a des avantages fiscaux derrière. L'UIMM a déposé des amendements contre l'avis du Gouvernement de droite de l'époque, et obtenu une majorité au Parlement. Comment ils font pour pouvoir opposer un groupe parlementaire majoritaire à son Gouvernement ? La question que je pose : "Allons regardez dans ce sens là ! Mais, il y a peut être aussi d'autres pistes à explorer. Ne restons pas focalisés sans aucune preuve sur les organisations syndicales".
 
Q.- Vous tentez une manoeuvre de diversion en fait, parce que les formations syndicales, aussi, peut-être...
 
R.- Je n'ai pas à tenter de manoeuvre de diversion, alors que je sais que la CFDT n'a pas touché un euro de cette affaire.
 
Q.- Est-ce que vous avez lancé une enquête interne à la CFDT pour vérifier cela ?
 
R.- J'ai regardé. On est remonté dans les comptes de la CFDT. A la différence...
 
Q.- Ce n'est pas dans les comptes ces choses là !
 
R.- Oui mais le train de vie cela joue aussi, on sait très bien comment on paye nos permanents. A la différence de l'UIMM, nous les comptes de la CFDT on les a depuis que la CFDT existe. Alors que l'UIMM nous dit qu'ils détruisent leurs comptes tous les ans parce que la loi leur permet. Nous, nous avons des traces ! Nous, nous savons d'où vient l'argent ! Nous, nous rendons nos comptes à nos adhérents. Nous avons simplement une clarté et une transparence totale sur nos comptes.
 
Q.- Rien de bizarre dans le train de vie des permanents et des responsables ?
 
R.- Rien de bizarre dans le train de vie des permanents et des responsables, à la CFDT. Vous savez, on n'a pas des salaires mirobolants. Donc, on sait très bien comment on utilise notre argent.
 
Q.- Etes-vous favorable à une réforme des la loi Waldeck-Rousseau de 1884, pour que le statut des syndicats et leur financement soient mieux encadrés ?
 
R.- D'abord, on est favorables, mais en plus, on ne s'applique plus cette loi à la CFDT, cette loi qui nous permet de ne pas faire la transparence, on ne l'applique pas, c'est-à-dire que nos comptes sont expertisés tous les ans, nos comptes sont publiés, nos comptes sont vérifiables par qui le veut. Cela, c'est la première chose. Et il faut regarder, après avoir vu le problème de la représentativité des organisations syndicales, comment on finance les organisations syndicales. D'abord, par l'argent de leurs cotisants ; nous prétendons que l'on doit être indépendants du patronat, indépendants de l'Etat. Puis, pour toutes les actions d'intérêt général, que l'on ait quelques financements publics, contrôlés, vérifiés, par la Cour des Comptes.
 
Q.- Si l'Etat vous payait, comme l'Etat finance les partis politiques, au moins il y aurait un contrôle sûr ?
 
R.- On ne souhaite pas que l'Etat nous finance comme les partis politiques, nous ne voulons pas être dépendants de l'Etat. Comment voulez-vous qu'on négocie correctement avec un Gouvernement qui nous finance ! C'est le même problème que la dépendance avec le patronat. Nous souhaitons que ce soit d'abord l'argent des adhérents. Mais pour ce que l'on fait pour tout le monde - par exemple, nos conseillers prud'hommes, qui sont élus, on les forme, il faut bien qu'on ait un financement pour les former ; on gère des caisses d'assurance maladie, d'assurance chômage - il faut qu'on ait des moyens pour le faire. Mais tout cet argent-là qui va vers tout le monde, nos actions qui vont vers tout le monde doivent être contrôlées et distribuées en fonction de la représentativité de chaque syndicat.
 
Q.- C. Kopp remplace D. Gautier-Sauvagnac pour la négociation sur la modernisation du marché du travail. Cela va-t-il aboutir ou l'Etat va-t-il devoir des lois ?
 
R.- Nous souhaitons aboutir. Là, nous avons une responsabilité forte. On ne peut pas, d'un côté, dire : "Il faut que les syndicats aient une responsabilité forte, il faut qu'on nous prenne au sérieux", et ne pas réussir à faire cette négociation. Cette négociation est centrale, c'est : comment lutte-t-on contre la précarité ? Comment fait-on en sorte que, lorsque les gens sont licenciés, ils ne sont pas rejetés dans l'exclusion ? Comment fait-on en sorte que, les entreprises aient plus de dynamisme pour que le marché de l'emploi soit plus dynamique et les entreprises plus performantes ? Donc, cela, ce sont des éléments centraux pour la société et les salariés surtout. Donc il est important qu'on essaye d'aller jusqu'au bout de cette négociation.
 
Q.- Etes-vous choqué que B. Laporte entre au Gouvernement aujourd'hui même, alors qu'une enquête fiscale jette le doute sur ses affaires ?
 
R.- L'annonce était faite. Maintenant, comme tout le monde, B. Laporte doit bénéficier d'une présomption d'innocence, comme tout le monde...
 
Q.- On verra...
 
R.-...Mais de toute façon, là, on voit bien qu'il y a un petit décalage entre un personnage qui a fait pas trop ses preuves au niveau sportif, et la responsabilité politique. Donc, il faut aussi qu'il apprenne ce qu'est qu'un responsable politique.
 
Q.- Si vous étiez enseignant, liriez-vous aujourd'hui la lettre de G. Môquet à vos élèves et donnez-vous consigne aux enseignants qui sont CFDT de le faire ?
 
R.- On a laissé les enseignants faire ce qu'ils veulent, donc on n'a pas donné de consigne de ne pas faire ou de faire. Moi je le ferais, mais je le ferais dans un contexte, c'est-à-dire que, je le sortirais du contexte électoral dans lequel cela a été fait ou d'un contexte politique. Et donner du sens par rapport à la période, par rapport à ce qu'elle représente. Et d'ailleurs, la question que je me pose c'est, au lieu de faire cette journée pour tout le monde, pourquoi ne pas intégrer "cette lettre" dans les programmes, tout simplement, dans un contexte d'histoire et de compréhension, de ce qu'est la Résistance et de ce que sont le nazisme et le fascisme. 
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement le 22 octobre 2007