Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à "France 2 "le 21 novembre 2007, sur la poursuite de la grève à la SNCF et la RATP, les régimes spéciaux de retraite et le pouvoir d'acaht.

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Média : France 2

Texte intégral

 
 
 
R. Sicard.- Hier, N. Sarkozy qui n'était pas beaucoup intervenu depuis le début de la grève dans les transports est intervenu. Il a dit qu'il fallait "savoir terminer une grève". Alors, est-ce qu'au moment où on s'engage la négociation à la SNCF, à la RATP, est-ce que vous vous pensez que la grève va se terminer ?
 
R.- D'abord, c'est curieux de voir le président de la République rependre une formule de M. Thorez.
 
Q.- M. Thorez, le leader communiste du Front populaire...
 
R.- Voilà, tout à fait. Ceci étant, nous allons voir à la fois ce que vont donner les premières séances de négociation aujourd'hui, ce matin à la RATP, cet après-midi à la SNCF, voir qu'est-ce qu'il y a, effectivement, sur la table de la négociation. Et puis, les syndicats, et FO, en ce qui nous concerne, se prononceront en fonction de ce qui se passera dans ces négociations, et puis en fonction de l'évolution du taux de grévistes.
 
Q.- Mais est-ce que vous, patron de Force Ouvrière, vous pensez qu'il faut reprendre le travail pour commencer à négocier, ou alors au contraire est-ce qu'il faut maintenir la pression pendant la grève ?
 
R.- Ce sont les syndicats FO qui décident. Vous savez, une organisation syndicale...
 
Q.-...Oui, mais c'est vous le patron !
 
R.- Non, je ne suis pas un patron, moi, monsieur Sicard, je ne suis pas un PDG qui donne des ordres, sinon ce serait plus du syndicalisme. Les syndicats directement dans les entreprises, que ce soit à la RATP, à la SNCF, à EDF où la négociation a démarré, ce sont eux qui jugent, au moment donné, en fonction de ce que disent les adhérents, en fonction de ce qu'il y a sur la table de la négociation, qui se positionnent en toute responsabilité. C'est ce qu'ils feront dans les jours à venir.
 
Q.- Mais est-ce que vous, à titre personnel, à titre de syndicaliste, vous pensez que les conditions sont réunies maintenant pour reprendre le travail ou pas ?
 
R.- Si je disais, secrétaire général de FO, c'est moi qui décide, à un moment donné on appuie sur un bouton, "eh les gars, vous partez en grève et aujourd'hui je vous donne l'ordre de reprendre", ce n'est pas comme ça que ça se passe, ou alors on ne serait plus dans un syndicat. Il faut bien comprendre qu'on a une conception, notamment à Force Ouvrière, de démocratie syndicale, donc on a des discussions bien entendu, on a pesé pour que des points soient inscrits à la négociation, tant à la SNCF qu'à la RATP, c'est évident. Mon responsable des cheminots a bien expliqué, hier, que le Gouvernement tenait à maintenir le passage à quarante ans, ce qui n'était une demande de personne, c'est évident, et que c'est normal... Parce qu'il faut bien comprendre qu'il n'y a pas que cette notion de durée qui est un élément important. Mais qu'est-ce qu'on demande ? Vous cumulez un cocktail, vous allongez la durée d'activité, cela veut dire que c'est plus dur pour avoir une retraite à taux plein, vous mettez en place une décote. Qu'est-ce que ça veut dire ? On a l'expérience...
 
Q.- La décote, il faut préciser que c'est une pénalité si on ne fait pas toutes les années.
 
R.- Si vous ne faites pas le nombre d'années, on vous pénalise. Mais dans le privé, on a l'expérience de la décote : quelqu'un qui touchait à 1.000 euros, à qui il manque deux ans et demi, depuis qu'on a introduit la décote, ça lui fait sur la retraite de base 100 euros de moins par mois sur 500 euros, c'est quand même pas rien ! Donc, c'est ce cocktail-là qui est détonnant et qui joue sur le pouvoir d'achat. Donc on va voir ce que ça va donner dans la négociation.
 
Q.- Est-ce que dans cette négociation il y a, pour vous, des conditions qui ne sont pas négociables ? Par exemple, est-ce que 37,5 ans de cotisations, vous refusez de négocier dessus ?
 
R.- On n'était pas d'accord, on n'est toujours pas d'accord là-dessus. Maintenant, est-ce qu'il va y avoir des compensations à ça ? Quand le président de la République était allé voir les cheminots, il y a quelques semaines, il avait dit, "il n'y aura pas de décote pour les gens en place". On n'en est pas là pour le moment, je donne cet exemple. Il y a des tas de problèmes, en plus entreprise par entreprise, la situation est très différente puisque l'histoire est très différente. Est-ce que par exemple il y a des primes qui vont pouvoir être intégrées, des primes qui ne sont pas soumises à cotisations aujourd'hui ? Est-ce qu'on va pouvoir discuter de ça ? Apparemment, oui. On veut confirmation sur tout ça. Donc, c'est aux syndicats de négocier dans les entreprises.
 
Q.- Donc, ce matin, vous ne pouvez pas dire si vous êtes optimiste ou pas ?
 
R.- Plutôt optimiste quand une négociation démarre parce que ça n'a pas été facile de l'obtenir cette négociation. Vous savez, si le Gouvernement avait dit ce qu'on avait dit dès le début, à savoir ce dossier-là se négocie entreprise par entreprise sans préalable, c'est ça une négociation. Moi, imaginez un seul instant...
 
Q.- Mais le préalable, il avait été mis pendant la campagne électorale, parce que N. Sarkozy s'était engagé sur les quarante ans.
 
R.- Oui, mais quand on veut faire à la fois un dossier dit de dialogue social et un dossier politique, eh bien ça fait des bogues à un moment donné. Imaginez un seul instant - je quitte deux secondes ce dossier - que sur la négociation que l'on a actuellement avec le patronat, madame Parisot ait dit aux organisations syndicales la veille de la négociation, "écoutez, il y a trois points qui figureront dans l'accord, on n'en discutera pas mais ils figureront dans l'accord", eh bien il n'y aurait jamais eu de négociation avec le patronat. Là, on est en cours de négociation. Vous voyez, tout cela a pesé, tout ça a traîné. Le Gouvernement a une responsabilité dans le fait que le dossier traîne depuis plus d'un mois.
 
Q.- La SNCF dit qu'il y aura "du grain à moudre", est-ce que ça, pour vous, c'est de bonne augure ?
 
R.- S'il n'y avait pas de grain à moudre ! Ce qui a été longtemps le cas, dans les discussions dans les entreprises. Les directions d'entreprises disaient ces dernières semaines, "cela ne doit pas coûter un euro". A partir de là, ça ne peut pas marcher ! Dans des discussions qu'on avait, que nos syndicats avaient, du côté du Gouvernement on disait, "oui, tel point vous pouvez le discuter, comme par exemple l'intégration de primes, on n'a rien contre le fait que vous discutiez de ça", et quand les syndicats demandaient à l'entreprise, on disait, "Ah non, on ne peut pas discuter de ça !". Donc, voilà, il y a eu des bogues, pas mal de bogues ces derniers temps.
 
Q.- N. Sarkozy, hier, disait que les Français étaient pris en otages par cette grève. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
 
R.- Je suis choqué, moi, quand j'entends le président de la République reprendre cette formule. Otage, on risque sa vie, I. Betancourt est otage, oui, ça c'est vrai, mais on ne peut pas parler de prise d'otages des usagers par des grévistes. Ça, ça n'existe pas, ce sont des formules qui courent et c'est choquant que le président de la République reprenne ces formules, surtout quand avant il dit qu'il ne faut pas diviser les Français. Je trouve ça choquant, choquant !
 
Q.- Certains ont considéré que dans cette affaire, les syndicats étaient dépassés par la base. Est-ce que vous pensez que vous contrôlez cette base ou est-ce que ce mouvement, finalement, personne ne le gère vraiment ?
 
R.- Non, on ne peut pas dire que... Il y a toujours dans un mouvement, dans un mouvement qui persiste ce n'est pas toujours simple à gérer, mais de dire que les syndicats sont dépassés, non, on ne peut pas dire ça.
 
Q.- Hier, pendant la manifestation des fonctionnaires, F. Chérèque a été sifflé. Qu'est-ce que vous pensez de ça ?
 
R.- Je n'ai pas de commentaire particulier à faire là-dessus. Vous savez, des périodes de grève sont toujours des périodes de tension, fonction des positions prises par les uns et par les autres. Moi, je reçois, et d'autres militants FO, en ce moment, des insultes par mails, voire des menaces de mort - on en reçoit aussi. Bon, cela fait partie des périodes de tension.
 
Q.- Il y a une situation donc très tendue, vous pensez qu'on va en sortir dans les jours qui viennent ?
 
R.- On sortira obligatoirement d'une situation qui est, par définition, une période de tension, une période de grève. On en sortira obligatoirement à un moment donné, c'est évident. Mais j'insiste bien : si le Gouvernement s'était comporté différemment alternant préalables, menaces, etc., on n'en serait pas là aujourd'hui.
 
Q.- Les fonctionnaires, hier, ils manifestaient, ils étaient en grève pour le pouvoir d'achat, contre les suppressions de postes. Est-ce qu'il y a d'autres mouvements qui vont être engagés ?
 
R.- Sur le pouvoir d'achat, ce n'est pas à exclure. Je remarquerais d'ailleurs que le président de la République dit qu'il va s'exprimer sur le pouvoir d'achat dans quelques jours. Il faut donc qu'il y a une forme de rapport de force, que l'on en parle depuis plusieurs mois, que les fonctionnaires se mobilisent pour qu'enfin le Gouvernement - je ne sais pas ce qu'ils vont annoncer - commence à se préoccuper du pouvoir d'achat parce qu'ils ont quand mêmes les promesses sélectives. Le pouvoir d'achat, cela faisait partie des promesses, pour le moment il n'y a rien eu.
 
Q.- N. Sarkozy, donc, annonce des mesures sur le pouvoir d'achat, on parle pour l'instant de défiscaliser le 13ème mois, pour ceux qui en ont un. Est-ce que cela vous paraît une mesure intéressante ?
 
R.- Cela déjà été évoqué à un moment donné par un autre gouvernement et ça n'a pas très bien marché. Mais moi je m'interroge, d'abord on n'a pas d'information, on sait juste ce qu'on peut lire, si on commence à dire on va faire une prime d'une manière ou d'une autre - un 13ème mois, c'est toujours intéressant pour ceux qui ne l'ont pas -, mais c'est défiscalisé et sans charges sociales, cela ne fera la 57ème ou 58ème mesure d'exonération. Et après, on nous dit qu'on veut consolider la protection sociale collective. Si on multiplie les systèmes sans cotisations sociales, je ne vois pas comment on consolidera la protection sociale, y compris les retraites. Je rappelle au passage, que le dossier des retraites n'est pas fini. D'abord, il n'est pas encore fini sur les régimes spéciaux, mais l'année prochaine, nous, on exigera pour le public et le privé qu'on n'aille pas au-delà de 40 ans. Cela va être une exigence forte l'année prochaine de Force Ouvrière.
 
Q.- L'idée, pour le Gouvernement, c'est de passer à 41 ans l'année prochaine.
 
R.- On est contre, on est contre. Et ça, là-dessus, on n'hésitera pas à mobiliser. Nous, on veut ce que j'appelle un blocage des compteurs à 40.
 
Q.- On a l'impression qu'en France il y a beaucoup de grèves et pas beaucoup de négociations. Est-ce qu'il n'y a pas un problème de dialogue social ?
 
R.- Il n'y a pas plus de grèves en France que dans d'autres pays. Les cheminots allemands étaient en grève il n'y a pas longtemps, les postiers britanniques ont été en grève, il y a des grèves en Inde, etc. La France n'a pas un taux de grève supérieur à d'autres pays. Bien sûr, quand c'est une grève chez les cheminots ou les transports on en parle beaucoup plus. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 novembre 2007