Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à "France Info" le 12 novembre 2007, sur le conflit sur les régimes spéciaux de retraite, l'unité syndicale et la négociation avec les partenaires sociaux.

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Média : France Info

Texte intégral


 
 
R. Duchemin et C. Aspe R. Duchemin : Alors le bras de fer débute dès demain soir, la grève aura bien lieu ?
 
R.- Oui, oui, oui, dans la mesure où il n'y a absolument aucun élément nouveau. Vous le savez, au nom de l'ensemble des organisations de la CGT, j'ai fait une tentative vendredi auprès du Gouvernement pour obtenir une réunion tripartite réunissant le Gouvernement, les syndicats, les directions d'entreprises concernées, pour examiner l'ensemble des questions et essayer de trouver un processus, de travailler à une issue du conflit. Malheureusement, M. Bertrand a été mandaté pour m'adresser une fin de non recevoir brutale sur cette démarche.
 
Q.- R. Duchemin : Mais, vous, dans le même temps, vous avez refusé de vous rendre à une négociation avec la SNCF ?
 
R.- Mais dès lors qu'il y a un cadre général pour cette réforme, qui est fixée par le Gouvernement, et qu'un certain nombre de dispositions de ce cadre général posent problème, il est de notre responsabilité de dire aux personnels concernés que nous ne pouvons pas trouver de solutions avec les directions d'entreprise sur un cadre qui est d'abord un cadre politique. C'est la raison pour laquelle...
 
Q.- R. Duchemin : C'est pourtant ce qu'a fait la FGAAC ! Les autonomes ont...
 
R.- Oui, mais la FGAAC ne représente pas, loin s'en faut, l'ensemble des cheminots, et je voudrais rappeler que pour le mouvement qui commence demain soir et qui verra son apogée sans doute mercredi, il y a 21 fédérations professionnelles sur 23 concernées.
 
Q.- R. Duchemin : Alors, justement, vous parlez de "durée". Etes-vous prêts à un conflit très long, en mesurant toutes les conséquences que cela peut avoir ?
 
R.- Bien sûr, mais je pense que les personnels ont fait preuve jusqu'à présent de beaucoup d'esprit de responsabilité. Vous vous souvenez sans doute que cette réforme nous avait même été annoncée comme totalement "bouclée" par le Premier ministre ; il attendait, avait-il dit, le feu vert du président de la République pour être lancée. Si nous avions été vindicatifs à ce point, nous aurions pu en appeler, dès ce moment-là, à des mouvements de grève. Nous ne l'avons pas fait. Nous avons organisé une grève de 24 heures, le 18 octobre, elle a été particulièrement suivie dans la plupart des secteurs concernés, pour obtenir un véritable cadre de négociations, cela n'a pas été possible. Le Gouvernement ne recevant que les organisations qu'il choisissait et qui avaient des choses qu'il jugeait intéressantes à dire. Autrement dit, il fait le choix de discuter avec ceux dont il estime qu'il peut trouver un accord. Mais il conteste les discussions possibles avec ceux qui posent problème. Quand il y a un conflit, en général, les deux parties adverses acceptent de se rencontrer pour essayer de dénouer ce conflit. Ce n'est pas le cas jusqu'à présent.
 
Q.- C. Aspe : Vous avez bien dit que vous alliez partir en grève, il n'y a pas le moindre doute là-dessus. Mais comment allez-vous réussir à en sortir ? Vous dites qu'en face de vous il n'y a pas de dialogue possible, mais ce conflit, il faudra bien, d'une manière ou d'une autre, en sortir ? Qu'est-ce qui est envisageable, qu'est-ce qui est négociable pour vous ?
 
R.- Encore faut-il avoir un espace pour en discuter. Pour l'instant, nous n'en avons pas ! Les seules espaces qui nous sont proposés sont des discussions au niveau des entreprises, et pour les raisons que je vous ai indiquées à l'instant, les directions d'entreprises, même bien disposées, ne pourront pas déroger à des consignes relevant du Gouvernement, qui a fait le choix de fixer un cadre global pour les régimes spéciaux, alors qu'il y a des spécificités. Les règles applicables à la SNCF ne sont pas les mêmes que celles applicables à EDF ou à GDF ; elles ne sont pas les mêmes que celles qui sont applicables à la RATP. C'est la raison pour laquelle nous avions dit qu'en son temps, s'il y avait des réformes à opérer dans chacun des régimes, il fallait entrevoir des négociations de longue durée dans chacun des secteurs d'activités concernés. Le Gouvernement a fait le choix d'un cadre unique. Il nous faut donc pouvoir rediscuter de ce cadre unique.
 
Q.- C. Aspe : Vous ne reconnaissez pas qu'il y a des avancées tout de même, en matière de décotes, qui sont plus légères que prévu de la part du Gouvernement, et du côté de la SNCF, avec des augmentations de salaires si les salariés acceptent de travailler plus longtemps ?
 
R.- Nous avons dit que sur la question des décotes, le Gouvernement avait fait des avancées mais que nous étions globalement très loin du compte. Il faut savoir, et je sais qu'il continue de circuler un certain nombre de fables sur les réalités des retraites des régimes spéciaux, notamment aux yeux des salariés du privé, qui considèrent qu'il y a là des privilèges, les bases de calcul ne sont pas comparables, les masses salariales, les salaires de référence, les éléments de rémunération ne sont pas comparables. Parmi les revendications énoncées, il y a la prise en compte de l'ensemble des rémunérations, des primes, des gratifications pour le calcul de la pension, nous ne l'avons toujours pas obtenu. Nous ne voulons pas non plus, au moment où nous voulons faire reconnaître la pénibilité des métiers dans l'ensemble du secteur privé -ce que nous ne parvenons pas encore à faire dans les négociations avec le Medef - que l'on rogne sur les reconnaissances des métiers pénibles, notamment pour ceux qui travaillent en trois 8, en continu, les week-ends, les jours fériés. Bref, il y a toute une série de questions qui nécessiteraient d'être renégociées ou plutôt négociées. Ce qui a été mis sur la table pour l'instant, aux yeux des personnels, est loin d'être suffisant.
 
Q.- R. Duchemin : Un dernier mot, vous avez parlé de "désinformation". Pensez-vous que les usagers vont vous suivre dans cette grève, comme en 1995 ? L'opinion publique, aujourd'hui, a changé ?
 
R.- Oui, bien sûr, surtout que, depuis de nombreux mois, y compris à l'occasion de campagnes électorales, on a très largement diffusé... des candidats ont très largement diffusé de fausses informations. Par exemple, j'en prends une parmi d'autres : il suffirait de faire disparaître les régimes spéciaux de retraite pour avoir les moyens d'augmenter les petites pensions du régime général dans notre pays ! C'est totalement faux. Autre exemple : les régimes spéciaux sont par définition coûteux à la collectivité ! Ce n'est pas vrai. Plusieurs des régimes spéciaux ont des résultats financiers qui les amènent à contribuer à l'équilibre du régime général. Il est faux de dire, donc, que les avantages spécifiques sont systématiquement coûteux à la collectivité nationale. Alors, nous n'avons pas, c'est vrai, tous les moyens d'information à la hauteur de ceux qui sont à disposition du Gouvernement pour rétablir la vérité. C'est la raison pour laquelle nous souhaiterions que chacun se rapproche d'un cheminot, d'un électricien, d'un agent de GDF ou de la RATP, pour voir plus précisément ce qu'est la réalité de ces contrats de travail.
 
Q.- R. Duchemin : Si cette réforme passe, on a bien compris que vous étiez contre, sera-t-il plus simple pour le Gouvernement de réformer ? C'est cela le véritable enjeu ?
 
R.- Non, le Gouvernement, lui, en fait toute une symbolique et je vois bien que la majorité parlementaire, l'UMP aujourd'hui, en fait le symbole du quinquennat. C'est tout à fait stupide ! Par contre, par contre, je dois dire que si c'est le style de réformes dans notre pays sur les questions sociales, alors là, cela préjuge très mal du rendez-vous sur l'ensemble des retraites pour 2008, parce que, déjà on nous annonce un allongement de la durée de cotisations pour l'ensemble des salariés qui passeraient à 41, puis 42 ans de cotisations. Si on ne peut pas davantage négocier pour l'ensemble du régime général que nous ne pouvons le faire pour les régimes spéciaux, il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait d'autres moments de tension dans le pays.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2007