Interview de de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 26 novembre 2007, sur l'état du parti socialiste, le pouvoir d'achat, la politique gouvernementale ainsi que sur la réforme des régimes spéciaux.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Bonjour F. Hollande. Bienvenue, et avec 24 heures d'avance, bonne anniversaire. Demain, cela fera à peut près dix ans, jour pour jour, que vous êtes à la tête du Parti socialiste. Si vous deviez faire un rapide bilan, que retiendriez vous de ces dix années ?

R.- Que le Parti socialiste a tenu son rang quand il était au pouvoir. Il l'a été pendant cinq ans. J'ai été premier secrétaire à ce moment là avec L. Jospin Premier ministre. Je pense que la France a avancé dans cette période ; et pour ma part, j'y ai pris mes responsabilités dans la gauche qu'on appelait "plurielle" à l'époque. Puis, ensuite, ce que j'ai retenu après 2002, après une épreuve extrêmement cruelle, c'est la capacité à tenir bon. Et j'ai tenu bon dans toute cette période de 2002 à 2007. Cela n'a pas été conclu par une victoire en 2007. Cela aurait pu, ç'aurait dû ! Et donc, aujourd'hui, j'ai encore à tenir bon au moment où on s'interroge sur l'avenir du Parti socialiste. Et bien, l'avenir du Parti socialiste, il est là ; à nous de le construire. On est la seule force qui peut être une alternative à N. Sarkozy et à la droite.

Q.- On vous dit vieilli, usé, fatigué à la tête du Parti socialiste. Il paraît que vous avez même perdu votre sens de l'humour.

R.- Ce serrait très difficile de me l"enlever, de me l'arracher, c'est aussi fort que mes convictions socialistes.

Q.- Quel aura été votre plus grand échec pendant ces dix années ?

R.- De ne pas avoir gagné en 2007. Je pense que, là, nous étions normalement en situation de pouvoir le faire : la droite avait échoué pendant cinq ans avec ses Premiers ministres, J. Chirac et N. Sarkozy, ne l'oublions pas, qui était ministre pendant cinq ans. Il s'est présenté comme le candidat de la "rupture", le candidat du "pouvoir d'achat". On voit bien aujourd'hui la mystification et l'illusion. Mais ne pas l'avoir démontré, ne pas l'avoir démonté, oui je dois dire que c'est pour moi une déception, qui doit être aujourd'hui, heureusement dépassé. Parce qu'on n'est pas là simplement pour pleurer sur le lait renversé, ou pour simplement se battre la coulpe, surtout sur la coulpe du voisin.

Q.- C'est votre coulpe, en l'occurrence.

R.- Chez les socialistes, c'est généralement bien porté. Bien non, je prends la coulpe pour tout le monde. Parce qu'à un moment, il faut dire : ça y est, c'est bon ! On a dit ce qu'on avait à dire sur la défaite, on doit se projeter et puis les Français ont besoin de nous. Et si les socialistes passaient moins de temps à parler d'eux-mêmes et à parler davantage des Français et de ce qu'ils attendent - c'est pour cela qu'on va lancer une grande campagne sur le seul sujet qui compte aujourd'hui, parce que cela a été un engagement...

Q.- C'est certain que ce n'est pas la nation le sujet qui compte aujourd'hui !

R- Oui mais je vais y revenir. Vous avez tort de dire cela.

Q.- Je ne sais pas si c'est la première urgence !

R.- Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui à Villiers-le-Bel ? Qu'est-ce qui se passe avec cette émeute après la mort de deux jeunes dans des conditions sur lesquelles il faudra revenir ? Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce que cela traduit comme malaise dans la nation, comme difficultés à comprendre qu'il peut y avoir des accidents sans qu'on ait besoin de se soulever ; cette espèce de suspicion qui est là, qu'on avait vue aussi à Clichy-sous-Bois se soulever lorsqu'il y a effectivement des incidents qui se traduisent en émeute urbain ? Vous pensez qu'il ne faut pas parler de la nation, de la citoyenneté ? Qu'est-ce que c'est qu'être français aujourd'hui ? Eh bien, oui, je pense qu'il faut en parler ; et de ne pas en avoir parlé suffisamment pendant les derniers mois, les dernières années a créé ce besoin d'autoritarisme, sans comprendre. Bien sûr qu'il faut donner de l'autorité, il faut de l'ordre, on ne peut pas accepter les violences ; et en même temps, il faut donner un projet collectif, un sens commun.

Q.- Ces émeutes témoignent...

R.- J'ai évoqué la campagne, parce que c'est l'urgence aussi du pouvoir d'achat. Parce que quand il y a trop d'inégalités, cela crée aussi un problème dans la nation.

Q.- On va venir évidemment au pouvoir d'achat. Mais un mot tout de même encore sur ces émeutes. Elles témoignent d'après vous d'une crise, quoi ? De l'idée de nation, de l'identité nationale pour reprendre un terme à la mode ?

R.- D'abord, une crise sociale profonde : que dans les quartiers de nos villes, on soit dans la relégation, dans le ghetto depuis des années, alors qu'il y a eu des émeutes urbaines en 2001, N. Sarkozy avait fait des promesses... En 2005, pardon, quand il y avait eu des promesses qui avaient été faites, et on voit le résultat aujourd'hui. On parle encore d'un Plan banlieues. Depuis combien de temps parle-t-on de Plan banlieues ? Lorsqu'on s'interroge encore sur l'école et son rôle... Oui bien sûr, cette tâche elle est devant nous. Et si on ne la prend pas, on n'aura simplement qu'à évoquer des affaires de répression, qu'il faut faire bien sûr, de rétablissement d'ordre comme si on devait envoyer des camions militaires dans les quartiers. Donc, je pense que cette question-là, elle est profonde, elle est majeure et qu'on doit la régler. On doit la régler à travers des mesures sociales, des mesures éducatives, des mesures aussi républicaines. Parce que c'est la République qui a la réponse dans ce moment là, et une conception commune de la nation.

Q.- Le président de la République doit faire cette semaine des annonces sur le pouvoir d'achat. On parle d'un effort sur le prix de la téléphonie mobile, sur les frais bancaires. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

R.- Je vous ai dit que j'avais risqué de perdre le sens de l'humour. Grâce à N. Sarkozy, on peut le retrouver. Donc, grâce à ce qui va être annoncé mercredi ou jeudi, on téléphonera moins chère ?!

Q.- Bah, c'est un poste budgétaire important !

R.- Franchement ! Ce qu'on attend... Tant mieux s'il devait y avoir des avancés. Mais franchement, aujourd'hui, il y a quatre propositions, je les fais, qui sont attendues par les Français. Un, il faut une conférence sur les salaires, parce que c'est la question du Smic, des salaires - pas simplement du Smic, des salaires - qui doit être posé. Et j'ai fait une suggestion que ce soit une modulation des cotisations sociales qui incite, pas simplement à la négociation, à la conclusion d'accords salariaux. Cela c'est le premier rendez-vous. Deuxième mesure qu'il faut prendre tout de suite : c'est l'encadrement des loyers pour l'année 2008 au niveau de l'inflation. Troisième mesure qu'il faut prendre : c'est sur les prix des carburants. Il faut que le chèque transports, qui avait été voté par la précédente majorité sous notre pression, puisse être appliqué dans les entreprises, dans toutes les entreprises. Et pour financer cette mesure, une taxe sur les superprofits pétroliers. Et enfin les marges de la distribution. On entend tout le temps les marges arrière, les affaires de téléphonie, de frais bancaires... Il faut de la concurrence mais il faut être sûr que cette concurrence soit répercutée au niveau des consommateurs. Voilà les mesures que nous, nous proposons : que toutes les marges qui sont obtenues sur les producteurs soient répercutées sur les consommateurs. Voilà ce que j'attends de N. Sarkozy, et pas simplement des gadgets...

R.- Cela fait six mois qu'il est au pouvoir !

Q.- Mais oui, juste ça fait six mois et cinq ans ! N'oubliez jamais les cinq ans précédents ! Donc, je n'attends pas encore un plan de communication nous renvoyant à un Grenelle. J'ai dit : si on doit faire un Grenelle, aujourd'hui c'est le Grenelle du pouvoir d'achat qu'il faut engager. Et pas faire simplement de l'habileté, pas simplement venir au journal de mercredi soir ou jeudi soir - puisqu'il s'est déjà convoqué - pour dire qu'il est le Président du pouvoir d'achat quand on est le Président du pouvoir d'achat, qu'on a été élu sur ce thème là, on doit être le Président qui améliore le pouvoir d'achat. Pas qui le détériore, parce qu'aujourd'hui il y a deux mesures qui détériorent le pouvoir d'achat, c'est les franchises santé qui vont arriver là, au 1er janvier ; les Français n'en n'ont pas encore pris la mesure. Et puis, là, on a appris que la redevance télé pour les plus de 65 ans ne payant pas l'impôt sur le revenu... l'exonération dont ils étaient bénéficières va être supprimé. Beau résultat sur le pouvoir d'achat ! Donc, la mystification Sarkozy, il faut la dénoncer, il faut la combattre. Mais il faut aussi faire, je le fais ce matin, des propositions.

Q.- Le Président et le Gouvernement sont-ils sortis vainqueurs du conflit avec les cheminots, d'après vous ?

R.- Non. Je pense que ce qui a été finalement l'issue de ce conflit, c'est la négociation. Et on verra quel sera le terme de cette négociation. On n'est pas au bout de cette réforme. Mais je pense que cette négociation, elle aurait pu venir plus tôt. Donc, j'ai plusieurs fois interpellé. On dit : le Parti socialiste où est-il ? Entends-tu le Parti socialiste ? Eh bien, j'ai dit plusieurs fois...

Q.- Non, je ne vois rien venir !

R.- Et voilà, mais Seranne (phon.) a fini par voir venir le Parti socialiste. Eh bien, on l'a dit : pourquoi la négociation ne s'est-elle pas engagée entre le 18 octobre, première grève, et le 13 novembre ? Le Gouvernement est resté inactif.

Q.- Mais ils ont une raison de maintenir le cap de la réforme ?

R.- Il faut être clair. J'ai dit : "la réforme des régimes spéciaux, elle est nécessaire. Mais elle ne peut pas se faire sans la négociation, sans la prise en compte de la pénibilité des métiers, et sans des contreparties pour les travailleurs et les salariés concernés". Voilà. Si cette position qui était celle de l'opposition - mais qui a toujours le sens de ce qu'elle pourrait faire, si elle était au pouvoir, le sens de la responsabilité - si cette condition avait été retenue, nous aurions économisé plusieurs jours de conflit. Et je dis : il faudra maintenant faire attention au communiqué de victoire de N. Sarkozy, parce que lui-même fait sa propre communication narcissique. Il dit : "Je suis le vainqueur, il faut que je me contrôle, il faut que je me maîtrise, a-t-il dit. Il faut que je maîtrise ma victoire". Je crois que ce type de comportement, ce type d'attitude peut faire resurgir le conflit. Donc, j'ai dit : "Attention ! Faisons en sorte que la négociation se conclue, trouve son issue car il n'y avait de débouché autre que l'issue de la négociation".

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 novembre 2007