Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, à "France 2" le 27 novembre 2007, sur le bilan de la politique de la ville depuis 2005 et la nécessité de faire toujours plus d'efforts pour l'éducation et l'emploi dans les banlieues.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour C. Boutin. Vous êtes à Saint-Étienne pour participer à une conférence sur le logement à Dignes, mais c'est d'abord, évidemment, à la ministre de la Ville que je veux m'adresser ce matin. Il y a eu encore des violences, cette nuit, en région parisienne. Certains font déjà le parallèle avec ce qui s'était passé en 2005. Est-ce que vous, vous avez le sentiment que le contexte est le même ?

R.- Écoutez, je ne peux pas dire si le contexte est identique. Mes premières réactions iront d'abord, naturellement, vis-à-vis des familles des deux jeunes qui se sont tués en moto. Mes pensées iront également vers les policiers qui ont, cette nuit, donné beaucoup pour rétablir le calme, et puis aussi pour les habitants. Et je voudrais dire à tous les habitants que surtout, ne faisons pas un amalgame par rapport à quelques meneurs qui font des violences qui sont inexplicables et inexpliquées. Donc, voilà, nous assurons notre soutien à l'ensemble de la population et nous demandons que le calme revienne, bien sûr.

Q.- Vous, vous pensez que l'engrenage peut être évité ?

R.- Bien sûr et je pense que toute la France, toute la France le souhaite. Bien sûr qu'il faut l'éviter. Il y a eu un peu d'effervescence cette nuit, surtout à Villiers-le-Bel mais il faut espérer que les choses vont s'arrêter, d'autant plus que l'on ne comprend pas vraiment les motivations. Quand on voit qu'une bibliothèque, où tous les enfants de Villiers-le-Bel allaient, a été brûlée, on ne comprend pas les raisons pour lesquelles, il y a cette violence, bien sûr.

Q.- Alors, vous êtes la ministre de la Ville : est-ce que vous n'avez pas le sentiment que ce qui se passe en banlieue, ce n'est pas, d'une certaine façon, l'échec de la politique de la Ville ?

R.- Vous savez, la politique de la Ville, elle existe depuis 17 ans et je crois... 19 ans, et il y a eu 17 ministres de la Ville. Je pense qu'il faudrait qu'il y ait effectivement...

Q.- Ce n'est pas trop, justement, il n'y a pas un manqué de suivi...

R.- Oh non ! Le manque de suivi, pas du tout. Vous savez, en ce qui concerne Villiers-le-Bel, j'ai pu regarder, toute la politique de la ville a été mise en place : il y a une rénovation urbaine, il y a toutes les mesures, la réussite éducative, toutes les mesures ont été prises pour Villiers-le-Bel, ce n'est pas du tout ça, mais je pense qu'il y a dans ces communes un problème de chômage important, en particulier pour les jeunes et il y a sans doute de la désespérance. Il faut absolument que nous fassions un effort important pour l'éducation et l'emploi dans ces villes et c'est du reste un des projets, des orientations de mon secrétaire d'Etat, madame Amara.

Q.- Mais, est-ce que les leçons de 2005, est-ce que toutes les leçons de ce qui s'était passé en 2005, ont été tirées ? Sur place, beaucoup de gens disent : « depuis 2005, on a beaucoup promis et pas fait grand-chose ».

R.- Vous savez, on a toujours l'impression que l'on ne fait pas grand-chose et pourtant beaucoup de choses sont faites. Ce n'est pas obligatoirement visible, ce n'est pas obligatoirement sensible, mais je peux vous dire qu'il y a plusieurs centaines de milliers d'euros qui ont été consacrés à la politique de la ville, à Villiers-le-Bel en particulier. Mais ce n'est pas uniquement une question d'argent, vraiment je ne crois pas que ce soit uniquement une question de moyens. Il y a beaucoup de moyens qui ont été dégagés depuis des années pour la ville. Là, il y a une violence qui, du reste, n'est pas fondée et c'est ça ce qui faut se poser, là, comme question : pourquoi y a t-il besoin de s'exprimer de façon aussi violente ? Et je pense qu'il y a une expression de la désespérance, de la non reconnaissance, de la stigmatisation d'un certain nombre de populations, qui, aujourd'hui, ne sachant plus quoi faire, fait de la violence. Mais il faut que nous allions de l'avant. En tout les cas, moi, je tiens à redire mon soutien à toute la population, à leur dire qu'ils font partie de la communauté humaine urbaine et que nous sommes à leurs côtés et que naturellement des sanctions seront prises par rapport à ceux qui ont des attitudes aussi inacceptables. Il faut bien se dire que, une fois de plus, c'est les plus fragiles qui en pâtissent dans tout cela. La semaine dernière, c'était les usagers pour les grèves, aujourd'hui ce sont les habitants de ces communes qui peuvent être stigmatisés et moi je tiens à leur redire toute mon affection et tout mon soutien.

Q.- Est-ce qu'il n'aurait pas fallu remettre dans ces banlieues la police de proximité ?

R.- Ecoutez, ça c'est un grand sujet. Ce qui est certain, est-ce que c'est de la police de proximité ou pas, je n'en sais rien. Il y a beaucoup d'hommes et de femmes, de jeunes, de travailleurs sociaux qui sont là. Il faut sans doute multiplier la relation et la rencontre humaine. Il n'y a pas d'autre valeur que celle-là. Il faut que nous remettions davantage de personnes. Est-ce que c'est sous forme policière, je n'en sais rien, mais en tous les cas, sous la forme de la rencontre, de l'écoute, de l'information, il faut développer cela. Il y a déjà beaucoup de travail qui est fait dans ce domaine, mais rien ne remplacera la rencontre entre les uns et les autres. Il faut qu'il y ait une dimension d'écoute, une dimension humaine, qui se développe dans la ville.

Q.- Et ça, ça peut se traduire de quelle façon ?

R.- Ça peut se traduire, par exemple, dans de nombreuses communes, il n'y a plus de gardiens d'immeuble, par exemple. Eh bien, moi je crois qu'il est indispensable que l'on rétablisse des gardiens d'immeuble, de façon à ce qu'il y ait une relation dans la communauté du logement et de l'immeuble. Il faut qu'il y ait dans les rues, une possibilité de rencontre. J'ai dans mon cabinet J.-M. Petitclerc. J.-M. Petitclerc est connu dans la France entière pour ses rencontres avec les jeunes et lui n'arrête pas de nous dire cela : il faut multiplier les rencontres personnelles, il faut donc que nous ayons des travailleurs sociaux, des gens qui accueillent. Il faut redonner la place aux femmes. Les mamans, les mamans dans les cités ont un rôle particulier, il faut les valoriser, il faut les aider à sortir de chez elle, car moi je suis convaincue que tout passera par les femmes, dans les cités.

Q.- Ça, c'est un objectif à long terme ou est-ce que ça peut se faire très vite ?

R.- Vous savez, on est toujours... la grande difficulté de ce temps, c'est la gestion du temps et on nous demande des résultats immédiats alors que tout ça s'inscrit naturellement dans la durée. Moi, je pense qu'il faut poursuivre, qu'il faut retrouver son calme. Il faut que nous arrivions à faire comprendre à toutes ces populations et en particulier aux jeunes qui sont violents, qu'ils font partie de la communauté, mais il faut respecter, nous sommes dans un état de droit et on ne peut pas accepter cette violence urbaine-là, car elle fragilise l'ensemble de la communauté nationale. Donc, voilà ce que je peux dire. Je tiens à souligner...

Q.- Vous vous donnez combien de temps pour réussir ?

R.- Monsieur, qu'est-ce que c'est que la réussite ? La réussite c'est de faire en sorte que tout le monde sur ce territoire français se trouve à sa place et non stigmatisé, et non rejeté. Nous sommes tous ensemble et dans nos différences, nous devons travailler pour que la France retrouve sa dynamique et je pense qu'il faut en particulier développer l'emploi dans ces quartiers fragiles et je peux vous dire qu'avec les chefs d'entreprise, nous travaillons, depuis des années, et nous allons renforcer notre action, pour faire en sorte que les jeunes trouvent un emploi et une perspective.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 novembre 2007