Interview de M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, à "Canal Plus" le 4 décembre 2007, sur les relations de la France avec l'Algérie et la Russie et sur les compétences du Parlement.

Prononcé le

Texte intégral

B. Toussaint, C. Roux et L. Mercadet B. Toussaint : Notre invité politique maintenant, c'est R. Karoutchi. C. Roux : R. Karoutchi, secrétaire d'Etat, chargé des Relations avec le Parlement. Il sort un livre « Roger Karoutchi raconte le Parlement », un livre illustré pour faire passer la pilule, mais malgré les dessins cela va être dur. Il sort le même jour que le livre très attendu de S. Royal. En marge de ce choc en librairie, N. Sarkozy entame son déplacement en Algérie. En toile de fond, la question de la repentance. B. Toussaint : Bonjour et merci d'être avec nous, c'est vrai que vous avez de la concurrence aujourd'hui.
 
R.- Alors bon, qui ça ?
 
B. Toussaint : Une certaine Ségolène R... qui sort un bouquin.
 
R.- Ce n'est pas le même. Moi, je n'ai pas d'aventures privées à raconter dans mon livre.
 
B. Toussaint : C'est vrai, eh bien c'est ce qui manque un petit peu à votre livre, figurez-vous.
 
R.- Cela vous manque à ce point ? Je vous ferai un numéro deux, le remake, « Le Parlement, les dessous », je ne suis pas sûr que...
 
L. Mercadet : Le Parlement pour les nuls quoi...
 
R.- Ah non, je vous en prie !
 
B. Toussaint : « Le Parlement à quoi cela sert ? » c'est chez Ellipses. Alors, on va en parler dans quelques instants.
 
R.- Ce n'est pas pour les nuls, c'est le Parlement grand public.
 
B. Toussaint : On a des questions à vous poser effectivement sur le Parlement, sur l'image du Parlement, sur l'utilité du Parlement. Avant cela, l'actualité de ces dernières heures, c'est vrai qu'on est plutôt dans l'actualité internationale. Petite devinette : qui a dit : « l'évolution de la Russie ces derniers temps est à mes yeux préoccupante » ? Est-ce que cela vous rappelle quelqu'un ?
 
R.- Je vous laisse le dire.
 
B. Toussaint : C'est le Président Sarkozy, qui à l'époque était candidat quand il a dit cela. Du coup, un petit peu surpris lorsqu'il adresse des chaleureuses félicitations à V. Poutine, après un scrutin qui a laissé beaucoup de monde dans le doute.
 
R.- Je ne crois pas, il ne faut pas confondre le problème des félicitations, surtout d'un chef d'Etat, pour le moment un chef d'Etat, sont des félicitations assez classiques, diplomatiques. Le parti "Russie unie", de mémoire, a obtenu les deux tiers des voix et des sièges. Bon, la tradition veut que l'on félicite le vainqueur d'une élection.
 
C. Roux : Il se retrouve un peu seul, là, par rapport aux autres chefs d'Etat, qui prennent leur temps. L. Mercadet : Bush et Merkel demandent à vérifier la régularité du scrutin. Alors c'est quand même un autre son de cloche là-bas.
 
R.- Non, attendez, on peut le dire entre nous, qu'il y ait eu - et tout le monde l'a dit - ici ou là des difficultés sur les élections en Russie, très probablement et très certainement. Que le succès du parti de Poutine ne soit pas contestable, ainsi va la vie ! Je veux dire, peut-être qu'au lieu de faire 64,3, il aurait fait 61 ou 62...
 
L. Mercadet : Il y a des coins [avec] 99 % ! C. Roux : Mais au fond, la question que l'on se pose ce matin c'est de savoir si N. Sarkozy n'a pas découvert la Realpolitik ? Entre les propos de campagne et les postures de campagne et ce qu'il est tenu de faire en tant que chef d'Etat, il y a une marge, non ?
 
R.- Ah non ! Regardez son comportement dans l'affaire Betancourt, regardez son comportement lorsqu'il dit à Poutine ce qu'il pense de ce qui se passe en Tchétchénie. Regardez ce qu'il dit en Algérie en ce moment. Sincèrement, on peut faire de la politique réaliste et conserver son idéal et dire les choses.
 
C. Roux : Vous nous fournissez une transition, justement, sur l'Algérie. Vous considérez... il a parlé d'un système colonial qui avait été injuste, est-ce que c'est suffisant, est-ce que selon vous, un jour, il faudra aller jusqu'à la repentance ?
 
R.- Moi, je suis très hostile à tout ce qui ressemble à une repentance systématique, collective et insuffisamment à l'équilibre, si je puis dire. Oui, bien sûr lorsque le Président Chirac a reconnu la responsabilité de l'Etat français de Vichy, il avait raison, parce qu'il y avait une faute extraordinairement lourde, liée à des déportations et liée à un système concentrationnaire dénoncé comme crime contre l'Humanité. Alors, sur la colonisation, je crois qu'effectivement le système colonial, que ce soit celui qui était en Algérie, avant de devenir département français, que ce soit celui qui existait, même si ce n'était pas la même forme dans les protectorats - moi je suis né au Maroc, dans un protectorat, enfin ce qui était un protectorat - le système était injuste, il était injuste notamment envers les populations musulmanes, privilégiant les colons. Pour autant, cela n'a pas grand-chose à avoir avec les reconnaissances de type 1940, il ne faut pas tout mêler.
 
C. Roux : Ce qui allait pour Vichy, pour le Veld'hiv, etc., ne va pas de soi pour la colonisation, vous n'allez pas vous faire des amis ce matin.
 
R.- Non, ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas du tout le même système, la même entité. Je ne dis pas que le système n'a pas été injuste, qu'il n'a pas été dur. Mais il y a aussi des gens qui ont vécu, en Algérie, au Maroc et qui n'étaient pas en eux-mêmes des gens injustes, durs etc. Donc, il y a un équilibre qui est plus compliqué. Alors c'est vrai que le système était injuste et c'est vrai qu'il faut le dénoncer, ce qu'a fait le président de la République. Faudra-t-il aller plus loin ? On verra ! Mais pas dans le système...
 
C. Roux : Il ne faut pas abandonner l'idée du traité d'amitié avec l'Algérie ?
 
R.- Ah non, pourquoi ?
 
C. Roux : Cela doit être un objectif pour N. Sarkozy ?
 
R.- Oui, oui.
 
L. Mercadet : Vous voulez dire que dans la colonisation, il y avait du mauvais et du bon, c'est ça ?
 
R.- Non, je veux dire que dans la colonisation, le système en lui-même était inégalitaire, injuste et probablement assez dur. Mais, par exemple, moi qui suis né au Maroc, je peux vous dire qu'encore aujourd'hui, vous allez dans un certain nombre de villes du Maroc, vous avez la statue du Maréchal Lyautey, ce n'est pas moi qui l'ai laissée. Le Maroc est indépendant depuis très exactement 51 ans, il y a toujours des statues du Maréchal Lyautey. Ce qui veut dire que même au Maroc, on dit le système colonial était injuste, les gens ont parfois été durs, il y a eu beaucoup d'injustices. Pour autant, le Maréchal Lyautey a peut-être construit des routes, fait des choses. Et donc, on ne détruit pas les statues et le système. Voilà.
 
C. Roux : On passe au pouvoir d'achat. Hier, F. Fillon a marqué sa volonté d'aller vite sur le pouvoir d'achat. Vous êtes donc, on l'a rappelé, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement. Comment est-ce que cela va se passer au Parlement ? Est-ce que vous avez une idée précise du calendrier ? "Aller vite" mais comment ?
 
R.- Il y a un certain nombre de choses qui vont se faire immédiatement, puisque par exemple dans le collectif budgétaire qui démarre dès maintenant à l'Assemblée nationale, qui sera vu au Sénat par la suite, il va y avoir toutes les mesures liées par exemple à l'indexation des loyers. Donc ça, c'est immédiat. Un certain nombre de mesures et d'amendements d'ailleurs seront pris dans le collectif budgétaire immédiat. Ensuite, il y a l'hésitation, mais avant Noël en tout état de cause, entre une proposition de loi portée par des députés ou un projet de loi porté par le Gouvernement, sur le déblocage de la participation, sur tout ce qui concerne la monétarisation, c'est-à-dire le paiement des jours de RTT et sur la fameuse prime de 1.000 euros pour celles et ceux qui dans des entreprises de moins de 50 salariés ne participent pas de participations.
 
C. Roux : Tout sera voté avant Noël ?
 
R.- Tout ne sera pas forcément voté avant Noël, tout sera lancé avant Noël dans la mesure où bien entendu et vous le savez, il faut qu'ensuite, il y ait la navette entre l'Assemblée et le Sénat. Mais ce sera finalisé au plus tard début 2008, avec évidemment le fait que cela sera acquis au 1er janvier 2008.
 
L. Mercadet : Y compris les décrets d'application, parce que c'est ça qui compte quand même dans une loi ?
 
R.- Sur ces mesures-là, le système des décrets n'a pas lieu, c'est-à-dire que les décrets d'application c'est l'interprétation et la manière d'appliquer la loi. Là-dessus, les circulaires d'application seront très rapides.
 
C. Roux : Vous avez parlé du collectif budgétaire, il y a une disposition très grand public qui va être discutée sans doute à partir d'aujourd'hui, cela concerne l'exonération de la redevance pour les foyers les plus modestes. Comment cela va aboutir ? C'est-à-dire qu'il y a eu un peu un débat au Parlement sur ce sujet là. Est-ce que certains foyers continueront à être exonérés de la redevance ou pas ?
 
R.- Alors je le rappelle, parce qu'en 2004, on a pris une mesure disant, sur trois ans et au terme des trois ans, au terme de la période de transition, tout le monde paie la redevance, 116euros, etc. Et cela a réintégré, sur le coup, 785.000 foyers de plus de 65 ans à revenus modestes. Alors il y a un débat et il y a des amendements du groupe UMP, de mémoire, sur le collectif budgétaire, tendant soit à exonérer à nouveau, de manière définitive ou à nouveau pour une durée de trois ans, en attendant de trouver un système, des 785.000 ménages.
 
C. Roux : Donc, on repousse à trois [ans], c'est une façon de repousser le débat. Vous, personnellement, vous êtes favorable à ce que cette exonération soit maintenue ? C'est curieux de parler du pouvoir d'achat et en même temps de taxer...
 
R.- Moi je pense que dans le débat qui se lance, vous avez d'un côté, si je puis dire, les financiers de Bercy qui disent : attention, il y a le déficit budgétaire - et je comprends très bien la mesure - et puis vous avez de l'autre, naturellement les élus qui eux, vont demander la suppression.
 
B. Toussaint : Alors le livre...
 
R.- Cachez votre joie !
 
C. Roux : Une question : le Parlement, à quoi cela sert et c'est la question que l'on se pose. Quand le président est N. Sarkozy, à quoi sert le Parlement ?
 
R.- Ah vous voyez, contrevérité absolue. Avec N. Sarkozy, on va revaloriser complètement le Parlement.
 
C. Roux : On va, on va... On n'y est pas encore !
 
R.- Non, mais il est là depuis 6 mois, il ne va pas faire le Parlement qui existe, lui, depuis 200 ans et qui dans le cadre de la 5ème République, fonctionne de cette manière depuis cinquante ans. La vérité c'est que le Parlement a un rôle essentiel : c'est lui qui vote la loi, c'est lui qui vote le budget, c'est lui qui, au final, décide de beaucoup de choses. Pour autant, il faut qu'il retrouve un rôle d'impulsion, de moteur. Pourquoi ? Parce qu'on a le sentiment, mais depuis longtemps - pas seulement depuis N. Sarkozy, c'était pareil sous les gouvernements précédents - que le Gouvernement a l'initiative et que le Parlement suit les initiatives. Il faut donc rendre de l'initiative aux parlementaires.
 
B. Toussaint : Prenons un exemple concret : sur le pouvoir d'achat ; est-ce qu'il y a eu des propositions concrètes des députés ? A quoi sert le Parlement dans cette séquence-là, sur le pouvoir d'achat ?
 
R.- Eh bien je ne suis pas d'accord. Par exemple, je disais tout à l'heure, l'affaire par exemple des 785.000 ménages, c'est probablement autour d'un amendement parlementaire, donc porté par des députés, que le débat va avoir lieu. On a eu ce type de débat sur de très nombreuses mesures en juillet dernier : sur les droits de succession, sur les heures supplémentaires et leur financement, sur la défiscalisation du travail étudiant. Il y a eu beaucoup de travail, de propositions des parlementaires. Non, moi je crois réellement, le Parlement c'est la source, c'est la vraie source du pouvoir législatif et du pouvoir budgétaire. Il faut donc le renforcer, lui donner un pouvoir d'initiative. Renforcer le fait que par exemple les textes qui arrivent dans l'hémicycle soient des textes issus de la Commission, ce qui voudra bien dire que c'est le travail des Commissions qui sera en débat. Faire en sorte qu'il ait le contrôle des nominations...
 
C. Roux : Cela sera fait avec les réformes des institutions pour vous ?
 
R.- Mais bien sûr, la réforme, les propositions d'E. Balladur vont tout à fait dans ce sens-là.
 
L. Mercadet : A propos de votre bouquin, il est précédé, enfin la première partie porte sur l'histoire du Parlement en France. J'ai trouvé ça tout à fait utile et agréable à lire, j'adore l'histoire. J'ai été déçu par l'un de vos paragraphes.
 
R.- Allons, bon, dites-moi tout.
 
L. Mercadet : Un paragraphe qui est bâclé, Monsieur Karoutchi, et pourtant cela concerne une date importante. B. Toussaint : Comment ! Léon, vous parlez à un ministre ! De quoi parlez-vous ? L. Mercadet : ...L'apparition de la gauche et de la droite au Parlement français, j'ai trouvé ça un peu bâclé. Pouvez-vous nous rappeler les circonstances précises de cet important évènement ?
 
R.- Vous voyez comment il est...
 
B. Toussaint : On est mal reçu ici. C. Roux : Il est très désagréable !
 
R.- Très agréable... La toute première fois qu'on me parle de gauche et de droite...
 
L. Mercadet : Quel jour, quelle heure ?
 
R.- Quel jour, quelle heure ? Ce n'est pas si simple, vous croyez que c'est comme ça ? C'est lorsqu'au début, on avait... vous me laissez deux minutes. Au début dans la Convention, on avait les Girondins, les Montagnards ; les Montagnards, qui étaient « plus à gauche » entre guillemets - qui étaient en haut - et les Girondins en bas, d'où l'appellation « Montagnards ». Ensuite, on a pris l'appellation « Gauche », « Droite », lorsqu'au 19ème siècle, on n'a plus séparé entre le haut et le bas, mais entre les deux parties de l'hémicycle par rapport au président de séance. Et à partir de là, on a eu une définition. Mais je précise, qu'elle a beaucoup, beaucoup varié.
 
L. Mercadet : Vous êtes recalé. En réalité, l'affaire remonte au 28 août 1789, sur le vote du périmètre du veto du roi, quand le président de séance, le Comte de Clermont-Tonnerre dit : "c'est la pagaille ; ceux qui sont pour le veto total, sur ma droite, et pour le veto limité à deux ans, sur ma gauche ». Et cela date de là Monsieur Karoutchi...
 
R.- Non, non pas du tout, je vous signale, le 28 août 89...
 
B. Toussaint : On se croirait à l'Assemblée !
 
R.-...Sauf que la Convention qui suit, trois ans après en 1792, la Convention reprend "haut" et "bas", "Montagnards" et "Girondins". Et la définition définitive, gauche, droite, 19ème siècle.
 
B. Toussaint : Querelle d'historiens, on s'arrête là. On remontre le livre, Caroline s'il vous plaît, aux éditions Ellipses... Ah je n'ai pas eu le temps de vous interroger, juste un mot sur la Castafiore, N. Morano. F. Amara dit de N. Morano, c'est une Castafiore.
 
R.- Voilà deux femmes... Non, F. Amara et N. Morano, je les adore toutes les deux, parce qu'elles ont des caractères totalement différents, des personnalités différentes.
 
B. Toussaint : Elles ont disjoncté, là !
 
R.- Les deux sont issues, pardon de le dire comme ça, de milieux très modestes, très populaires et les deux sont faites pour s'entendre. Je suis sûr qu'on va faire un petit déj.
 
C. Roux : Vous faites un petit déj de réconciliation ?
 
R.- Voilà.
 
C. Roux : C'est lancé sur la matinale ! B. Toussaint : Merci R. Karoutchi, bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 décembre 2007