Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à "I-Télé" le 4 décembre 2007, notamment sur les conséquences économiques de la faiblesse du dollar par rapport à l'euro, la future présidence française de l'Union européenne, la question du nucléaire iranien et sur les dernières élections en Russie.

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Média : Itélé

Texte intégral

Q - Je voudrais avoir votre sentiment sur les industries européennes qui parlent de délocaliser une partie de leur production dans ce qu'on appelle la zone dollar, puisque le dollar est plutôt faible en ce moment par rapport à l'euro. Cette information a été plus ou moins confirmée par les dirigeants de ces entreprises et suscite de l'inquiétude au sein de l'Union européenne. Jean-Claude Juncker dit aussi que cela l'inquiète. Est-ce que vous, Jean-Pierre Jouyet, êtes inquiet de ces décisions qui semblent s'annoncer ?
R - Qui ne le serait pas ? Nous n'avons cessé d'alerter sur la nécessité d'avoir une politique monétaire internationale qui soit mieux coordonnée. Nous n'avons cessé de demander plus de stabilité financière. Je crois qu'aujourd'hui ce sentiment est partagé. Les déséquilibres en matière de change affectent un certain nombre d'industries.
Q - Par exemple, Airbus en Oklahoma, cela semble réaliste, dangereux pour l'industrie française ?
R - Non, je ne crois pas que cela soit réaliste. Mais ce qui est important de noter, en dépit des inquiétudes que nous pouvons avoir sur les mouvements de change, trop erratiques et trop brutaux, c'est qu'Airbus a enregistré des contrats records en Chine la semaine dernière. Il y a eu, à Dubaï, un excellent salon et les carnets de commande d'Airbus sont pleins.
Q - Est-ce que l'Union européenne, est-ce que la Banque centrale européenne, est-ce que les institutions politiques doivent faire quelque chose ou vont laisser les industries, Airbus en tête, délocaliser leurs sites ailleurs, en Chine ou aux Etats-Unis ?
R - Cela montre la nécessité d'avoir une politique industrielle européenne forte, avec des sites industriels de première dimension. Il ne faut pas tout réduire à un problème de change. Il faut avoir une politique de recherche et d'innovation suffisamment ambitieuse au niveau européen. Il faut aussi que nos groupes puissent concourir avec des partenaires étrangers dans des conditions égales. Il faut également qu'au niveau européen, nous disposions de politiques monétaires plus adaptées. Cela est de la responsabilité de la BCE.
Q - Il y a des mesures qui vont être prises, des annonces qui vont être faites ?
R - Je vous mentirais en disant qu'il suffirait d'un coup de baguette magique pour régler les problèmes de changes. C'est un domaine extrêmement technique. Ce sont des opérations délicates à mener. Le tout n'est pas de dire comme, le général de Gaulle "ce n'est pas satisfaisant, ce n'est pas satisfaisant". C'est vrai que la situation n'est pas satisfaisante. Il faut savoir où et à quel moment il est le plus approprié d'agir. Cela n'est pas de la responsabilité des gouvernements. Ils ont alerté en disant que la situation de change n'était pas satisfaisante. Il convient à la BCE de prendre les décisions et de mener les actions de coordination qui s'imposent dans une telle situation pour réduire ce qui a trait dans un cas au dumping monétaire, ce qui existe avec le yuan, et dans un autre cas, ce qui résulte des déséquilibres américains ou du manque de confiance de l'économie américaine aujourd'hui, malgré les excellents chiffres enregistrés au troisième trimestre dans l'économie américaine. Alors, agir bien sûr, mais sur des sujets sensibles. Comment le faire ? Cela relève de la BCE et des ministres de l'Economie et des Finances. Nul doute que dans le cadre des rencontres de l'Eurogroupe, hier soir, il y a eu des discussions importantes dont vous comprendrez le caractère confidentiel. Mais je comprends la réaction de Jean-Claude Juncker.
Q - Pour revenir sur la future présidence française de l'Union européenne, le site Euractiv a rassemblé des propositions pour combler le fossé qui s'était creusé entre l'Union européenne et les citoyens depuis le "non" français au référendum sur la Constitution européenne. Est-ce qu'il y en a une qui a attiré votre attention ? Est-ce qu'il y a un axe particulier sur lequel vous souhaitez travailler lorsque la France sera aux commandes dans quelques mois ?
R - J'ai été frappé par la richesse des contributions et je trouve que ce qu'a fait Euractiv est tout à fait efficace. Beaucoup de contributions sont venues d'entreprises, d'associations, de syndicats, ou de particuliers. Cela correspond à notre souhait d'impliquer les citoyens dans la préparation de la présidence française. Plusieurs propositions sont importantes. La première a trait à la lutte contre le changement climatique. Il faut avoir une économie qui, tout en étant compétitive, prenne davantage en considération le respect de l'environnement et la durabilité du mode de développement. La seconde touche à l'adaptation à la mondialisation. C'est vrai qu'il y a des inquiétudes dans ce domaine. Il est vrai aussi, et là je fais écho à la question que vous me posiez tout à l'heure sur les délocalisations, que nos concitoyens veulent une Union européenne qui prenne des mesures d'adaptation à la mondialisation. Ils veulent une mondialisation non pas subie mais maîtrisée. Il est important, et ce sera le cas sous présidence française, que nous insistions sur le développement des fonds d'adaptation à la mondialisation. Ils permettent d'accompagner des mutations industrielles face à des évènements, comme ceux des changes, qui sont multilatéraux. Enfin, ce qui m'a frappé, c'est l'attention portée, à juste titre, à la recherche et à l'innovation. Ce qui montre combien nos concitoyens voient bien que nous devons, avant tout, préparer l'Europe du futur et qu'en préparant l'Europe du futur nous lui donnons les moyens de les protéger face à une mondialisation qui n'a pas suffisamment de règles.
Q - Un dossier qui rattrape l'Union européenne, tous ses acteurs et même au-delà, c'est ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis, cela concerne la priorité diplomatique européenne. Un rapport de la plus haute instance des renseignements américains explique que l'Iran aurait abandonné la recherche de l'arme nucléaire en 2003, tout en se gardant une option ouverte. En tout cas, les services américains disent qu'apparemment ce n'est plus une priorité. Cela fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis. Nos confrères américains sont en antenne ouverte depuis hier soir. Le président Bush a fait une conférence de presse, dans l'urgence tout à l'heure. Il ne va pas changer de politique de façon visible. Quelle est la réaction de l'Union européenne ? Quelle est la vôtre ? Est-ce que les Européens avaient raison dans leur façon de faire avec des pressions, une surveillance diplomatique sans forcément hausser le ton ? Le fait que le président Sarkozy ait été beaucoup plus dur n'a pas servi à grand chose. Comment analysez-vous cette situation ?
R - Je ne vous surprendrai pas, il n'est pas dans nos habitudes et dans les traditions françaises de commenter les rapports et les sources de renseignement étrangères. Je ne le ferai pas ici. Ce n'est pas à moi de me prononcer sur la validité de ce rapport ou sur ce qu'il contient.
Q - Qu'il soit suivi ou pas on se rappelle la guerre en Irak. Est-ce que cela provoque un tournant diplomatique, sans faire de commentaire ?
R - Justement nous faisons bien de ne pas commenter et d'être prudents quant à ce rapport qui a été publié. Nous avons vu ce qui était dit à propos de l'Irak et de la présence d'armes de destruction massive. Je serai donc prudent et je ne ferai pas de commentaires. Ce que je veux souligner en revanche, c'est que les rapports qui ont été faits par l'Agence internationale de l'Energie atomique, les derniers contacts qui ont eu lieu avec M. Solana, le Haut représentant pour l'Union européenne, montrent qu'il n'y a pas eu de progrès dans les informations communiquées par l'Iran...
Q - Est-ce qu'on reste sur la même ligne ?
R - Il va y avoir bien évidemment des discussions au niveau européen mais, à ce stade, rien ne permet de modifier la ligne de l'Union européenne vu les éléments qui ont été transmis et discutés que ce soit par l'Agence internationale de l'Energie atomique, qui ne s'est pas déclarée satisfaite de l'accès aux informations qui leur a été donné ni de la qualité des renseignements, ou par M. Solana, encore la semaine dernière à Bruxelles.
Q - Mais est-ce que cela fait reculer l'option militaire ?
R - Ce qu'il faut, nous l'avons dit, c'est de maintenir une pression de façon à prévenir le pire. Ce que nous croyons important c'est de maintenir les pressions existantes, notamment par le biais de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Ni plus, ni moins.
Q - Dans sa conférence de presse, George Bush a été plus virulent, c'est peu dire, que le président français concernant l'élection en Russie. Il a téléphoné à Vladimir Poutine mais pour lui dire qu'il était inquiet de la façon dont cela s'était passé. Est-ce que vous pensez que Nicolas Sarkozy aurait du féliciter Vladimir Poutine pour l'obtention de son score et de son résultat, vu les critiques que l'on voit un peu partout dans la presse et chez les chefs de gouvernement ?
R - Ce n'est pas comme cela que le problème se pose. Il y a eu des élections, elles ont été ce qu'elles ont été. Nous savons très bien les allégations qui ont été faites sur les irrégularités commises pendant ces élections. L'important, c'est d'avoir un dialogue franc, constant, sans tabou avec la Russie. La Russie s'honorerait en faisant toute la lumière sur ces allégations qui sont portées sur les irrégularités. Ce que nous avions demandé en tant qu'Union européenne, c'est d'avoir des observateurs internationaux objectifs. Il n'y en a pas eu, ce n'est pas un bon signe. La Présidence portugaise a tout à fait raison de le signaler. La Russie est un grand pays. La Russie, comme l'a indiqué le président Sarkozy au président Poutine, est un pays qui a des droits et des devoirs. La Russie est un grand pays qui doit se comporter comme une démocratie et accepter ce que sont les exigences de la transparence en matière démocratique, sinon nous serons toujours dans la transition.
Q - Elle le fait ?
R - Il faut constater qu'il y a certaines allégations, fortes, et qu'il serait temps que la lumière soit faite. Il serait temps que la Russie se comporte de ce point de vue là comme les autres démocraties. Il y a des progrès à faire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2007