Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à "Europe 1" le 14 novembre 2007, sur les conséquences pour les entreprises de la grève des transports, la révision générale des politiques publiques, l'affaire de la caisse noire de l'UIMM et la transparence financière du MEDEF et de ses fédérations.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour L. Parisot, merci d'être là. Je ne vous demande pas comment vous êtes venue...
R.- En voiture, mais j'ai de la chance, j'habite le centre de Paris.
Q.- Oui, et vous avez pris vos précautions et vos dispositions. Les reporters d'Europe 1 racontent depuis l'aube, la débrouille et les efforts des Français pour aller travailler, malgré la galère. Ils font preuve d'imagination, de solidarité, comme s'ils acceptaient la réforme des retraites. Vous, qu'est-ce que vous pensez de cet engagement ou de cette mobilisation des Français ?
R.- Eh bien tout d'abord, comme vous dites, J.-P. Elkabbach, quelle galère ce matin, quelle galère ! Comme c'est pénible, comme c'est difficile, comme c'est contrariant, comme c'est aussi gênant vis-à-vis du reste du monde ! Moi je ne cesse de penser à tous ceux qui aiment la France, qui nous regardent aujourd'hui et qui se disent : mais qu'est-ce que c'est que ce ringardisme ! Et puis je suis frappée aussi, à vous écouter, depuis tôt ce matin, de constater la mobilisation des Français, pour quoi qu'il arrive, venir travailler. Je suis frappée mais en même temps je ne suis pas étonnée, parce qu'aujourd'hui les Français veulent travailler. Ils ont compris que c'était par cette voie, là, que nous pourrions espérer faire de la France toujours un pays riche. Et moi ce qui me frappe ce matin, c'est le courage de chacun. Le courage de chacun, alors que chacun comprend bien qu'il y a effectivement une menace sur nos retraites. Parce qu'il y a un vrai danger de difficulté, de financement des retraites de tout le monde.
Q.- L. Parisot, le temps de transport n'est pas décompté du temps de travail effectif. Est-ce que vous demandez ici ce matin aux entreprises de se montrer conciliantes avec les salariés qui peut-être s'absenteront aujourd'hui ou en tout cas arriveront en retard ?
R.- Vous savez, cela fait plusieurs jours que dans les entreprises, les petites, les moyennes et les grandes, que beaucoup d'arrangements sont pris. Que des dispositifs spécifiques sont mis en place, que des organisations...
Q.- Donc la réponse c'est oui !
R.- Mais il y a une souplesse dans les entreprises et il faut examiner les choses au cas par cas, mais je ne doute pas que les services de direction de ressources humaines sont très mobilisés pour cela en ce moment.
Q.- Et est-ce que les entreprises du privé sont prêtes à affronter une grève qui durerait, deux, trois, quatre jours ?
R.- Ce n'est absolument pas souhaitable, c'est une catastrophe dans les relations entre les entreprises et leurs clients.
Q.- D'accord, mais si cela se produit ?
R.- Eh bien je ne peux que vous répéter que ce n'est pas souhaitable et que je ne peux qu'espérer et demander à chacun de continuer à discuter. Moi, je crois que depuis hier soir, il y a des efforts de part et d'autres qui ont été entrepris. Il faut absolument trouver un terrain d'entente, entreprise par entreprise.
Q.- Avec la présence de l'Etat, ça c'est la nouveauté, puisque les uns et les autres, à la SNCF et à la RATP, EDF-GDF, les discussions vont s'engager entre direction et syndicats. Mais c'est quand même une situation étrange, le ministre du Travail reçoit en ce moment les organisations syndicales comme lui ont demandé le président de la République et le Premier ministre. En même temps, on négocie, on va négocier dans chaque entreprise et pourtant on est en grève. Alors est-ce que cela veut dire qu'il faut faire grève, pour qu'on accepte de négocier, est-ce qu'il faut le conflit en France pour s'asseoir à la même table ?
R.- Eh bien je crois qu'il faut faire un effort culturel, et je crois que nous soyons tous capables d'abandonner ce goût, à mon avis un peu masochiste pour le conflit, pour la lutte. D'ailleurs je suis très frappée du vocabulaire qui est utilisé ces derniers temps. C'est : est-ce que celui-ci ou celui-là va céder ? On a un peu l'impression qu'on crée les conditions pour montrer quel est celui qui a le plus biceps. Ecoutez, ce n'est pas ça. On a un enjeu qui est un enjeu objectif, financier, qui concerne tout le monde. Mettons-nous clairement autour du diagnostic, essayons de voir quelle est la meilleure façon pour résoudre le problème. Donc il faut...
Q.- Mais quelle leçon, vous Medef vous allez en tirer, L. Parisot ? Vous, à travers vous le Medef se prononce souvent en faveur du dialogue, est-ce que vous allez avoir des gestes particuliers à l'égard de vos partenaires sociaux dans les négociations que vous avez engagées avec eux, là, demain, après demain ?
R.- Les dossiers sont séparés, mais je n'ai pas de leçon spécifique à tirer de ce qui se passe, là, en ce moment. Car vous savez, depuis que j'ai été élue présidente du Medef, je ne cesse de dire qu'il faut travailler, qu'il faut échanger, qu'il faut réfléchir, qu'il faut cheminer avec les organisations syndicales. Les syndicats ont une vraie utilité, parce qu'ils ont un point de vue qui est différent, ils ont un angle pour examiner les sujets qui peut-être n'est pas le nôtre, parce que nous avons nos propres angles morts. Donc il faut écouter ce qu'ils disent, mais il faut le faire d'une manière continue, d'une manière régulière. Il faut accepter de passer du temps.
Q.- Le journal Les Echos rappelle ce matin qu'en six mois, 169 chantiers ont été lancés, pratiquement un par jour. Selon les promesses du candidat Sarkozy, il en reste encore 320 au moins. Reste à les appliquer. Quand on voit ce qui se passe avec cette réforme là, on se dit qu'on ne pourra pas y parvenir, ou est-ce que malgré le tohu-bohu social, on va trouver des moyens de moderniser le pays ?
R.- Eh bien vous voyez, je crois que ce qui se passe là, c'est peut-être la surface immergée de l'iceberg. Mais en réalité, il y a un travail de profondeur, de modernisation de notre pays qui est clairement entrepris, mené. Deux exemples : alors qu'il y a ces difficultés sur les régimes spéciaux, nous avançons avec les organisations syndicales, avec le Gouvernement pour organiser la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC.
Q.- Et cela progresse.
R.- Cela progresse d'une manière tout à fait significative et nous avons de bonnes chances d'y arriver, en entente avec les organisations syndicales.
Q.- Et sur le marché... les contrats de travail.
R.- Deuxième exemple, vous avez raison, la négociation sur le marché du travail, nous savons tous qu'il faut lui donner plus de souplesse pour qu'il fonctionne mieux. Eh bien les réunions ont lieu tous les vendredis, d'une manière sereine, d'une manière constructive, je dirais même d'une manière concentrée. Il y a une densité dans ces séances hebdomadaires de négociations qui est tout à fait rassurante et porteuse d'espoir.
Q.- Et la personne que vous avez nommée, C. Kopp, qui était venue ici, apparemment est bien accueillie dans la manière dont elle traite avec les organisations syndicales les problèmes qu'elle a sous sa responsabilité. Est-ce que la réforme des régimes spéciaux des retraites, à votre avis, L. Parisot va passer ?
R.- Eh bien écoutez, là encore, je le souhaite, je n'ai pas de boule de cristal. Mais il est évident que nous devons avancer sur les régimes spéciaux, mais sur la problématique générale des retraites. Je voudrais rappeler que l'espérance de vie a augmenté de plus de quinze ans, depuis l'époque où on a installé les régimes actuels.
Q.- On le sait, les syndicats le savent, ils le disent, cela fait partie du conflit, ils le savent et pourtant, allons plus loin. F. Fillon et C. Lagarde ont promis sur Europe 1, une croissance d'au moins de 2,25%, est-ce que vous partagez ce pronostic ou est-ce que vous le trouvez trop optimiste ?
R.- Je trouve qu'il est extraordinairement difficile de faire un pronostic de croissance et que nous ferions mieux de nous demander plutôt à chaque instant, tous, chacun de nous : comment peut-on faire pour apporter, contribuer à un petit peu plus de croissance en France ?
Q.- Ça vous le dites aux chefs d'entreprises, pour qu'ils organisent, pour qu'ils promeuvent la compétitivité de leur maison, de leur entreprise, de leur société.
R.- Je le dis surtout, aujourd'hui, ce matin, aux grévistes. C'est quelques centièmes de croissance en moins que nous sommes en train d'organiser cette semaine. Parce qu'évidemment la désorganisation générale coûte, la croissance c'est une quantité de travail, une quantité de richesses que nous sommes capables de produire.
Q.- Le nouveau pouvoir avait annoncé un choc de confiance, il est où ?
R.- Ah, vous savez, les entreprises depuis quelques mois, sont extrêmement enthousiastes et accompagnent. Et le Medef, vraiment, fait de son mieux pour accompagner un certain nombre de réformes. Regardez le dispositif heures supplémentaires. C'est un dispositif qui profite d'une manière très utile aux petites entreprises.
Q.- Vous avez des preuves ?
R.- Oui, il y a une enquête Fiducial qui dit, qu'environ un tiers des entreprises de moins de vingt salariés utilisent le dispositif. Un tiers des entreprises de moins de vingt salariés ! Il y a près de 2 millions d'entreprises de moins de 20 salariés. Cela veut dire que là on crée de la richesse en plus...
Q.- Vous pensez donc que cela va se sentir bientôt pour les salariés ?
R.- Je l'espère. Ceci dit, ce mouvement qui a été lancé n'est pas suffisant. Il est d'autant moins suffisant qu'il y a autour de nous, à l'échelle du monde, des signaux inquiétants sur la situation économique, et on doit en tenir compte. Cela rend les réformes structurelles françaises encore plus nécessaires.
Q.- L. Parisot, le président de la République avait promis une revue générale des politiques publiques. Où va l'argent dépensé ? Je  ne sais pas dans la Défense, les aides sociales, l'Education, etc. ? Quel secteur a trop d'argent, quel secteur en manque ? Est-ce que la lutte contre les gaspillages est un gisement de ressources et d'argent utile ?
R.- Je crois que ce mécanisme lancé par le président de la République, la revue générale des politiques publiques, est tout à fait essentiel. Et cela peut être le véritable levier pour justement aller chercher les points de croissance qui nous manquent aujourd'hui. Mais la question n'est pas tellement de dire à qui il faut retirer de l'argent, à qui il faut en donner plus. La question est de dire, grand secteur par grand secteur - donc Education, Défense, Santé - quel est l'objectif que nous nous donnons ? Et face à cet objectif défini, quels sont les moyens qu'il faut assigner, qu'il faut allouer à cet objectif ?
Q.- Donc, il y a là des ressources !
R.- Il y a certainement... vous savez, c'est comme dans les entreprises. Que faisons-nous dans les entreprises ? Régulièrement, nous rebattons les cartes, nous réexaminons, nous réallouons suivant...
Q.- Vous allez me montrer les cartes du Medef, je vais terminer, et puis après Jacques va vous faire interroger, vous allez dialoguer avec les auditeurs. Désormais, les comptes de chaque fédération professionnelle du Medef seront certifiés par un commissaire aux comptes, c'est vous qui venez de l'annoncer après le scandale de l'UIMM. D. Gautier-Sauvagnac va-t-il rester à la tête de l'UIMM et au sein du Medef ?
R.- Cette décision appartient à cette Fédération professionnelle, vous savez...
Q.- Non, non, vous souhaitez qu'elle décide quoi ?
R.- ...Une Fédération professionnelle n'est pas une filiale du Medef et je n'ai aucune autorité, aucun pouvoir de contrôle.
Q.- Mais vous souhaitez !
R.- J'ai souhaité nommer un autre chef de file pour la négociation au nom du Medef, c'est C. Kopp, on en a parlé. Eh bien je souhaite que la Fédération qui représente l'industrie - et c'est drôlement important l'industrie, il faut qu'elle puisse parler d'une manière visible, d'une manière...
Q.- Ce qui est drôle c'est que les patrons de la métallurgie gardent le silence !
R.- D. Gautier-Sauvagnac lui-même a annoncé, je trouve avec beaucoup de dignité et de courage, qu'il allait démissionner de cette Fédération.
Q.- Et à partir de là, il quitterait le Medef, il n'aurait plus de raison de rester au Medef, soyons clairs !
R.- D'ores et déjà, le rôle éminent qu'il occupait au Medef est d'ores et déjà occupé par Madame C. Kopp.
Q.- Est-ce que vous craignez que soit ouverte une enquête judiciaire, ou est-ce que vous la souhaitez ?
R.- Ceci ne relève absolument pas de ma compétence. C'est à la police ou à la justice de se prononcer. Ce n'est pas à moi.
Q.- Mais pourquoi on ne l'a pas encore engagée ?
R.- Je n'en sais rien. Encore une fois, je n'ai aucune compétence dans ce domaine.
Q.- Non, mais vous voulez, la clarté, la transparence financière du Medef et de toutes ses fédérations.
R.- Ce que je souhaite avant tout, c'est que le patronat soit un patronat du 21ème siècle et qu'il se concentre sur les entreprises, qu'il se mette à fonctionner, à travailler et à vivre comme des entreprises.
Q.- Le Medef aussi, un grand coup de balai. Vous annoncez pour janvier une nouvelle architecture du Medef. Qu'est-ce que cela veut dire ?
R.- Oh, cela veut dire que d'abord nous sommes en train de réfléchir d'une manière tout à fait collective et participative pour peut-être redéfinir nos missions. Repréciser nos valeurs, les moderniser, nous mettre franchement au goût du jour, mais plus que ça, être vraiment une avant garde pour l'ensemble de la société française.
Q.- Quel projet ! L. Parisot...Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2007