Déclaration de M. Jean-François Trogrlic, secrétaire national de la CFDT, sur la charte européenne des droits fondamentaux, Nice le 6 décembre 2000.

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Circonstance : Euro-manifestation à Nice le 6 décembre 2000

Texte intégral

Est-ce que le pas que représente la Charte des droits fondamentaux vaut la peine d'être franchi ?
A l'évidence, ce texte ne sera pas un instrument juridique immédiatement contraignant. Les droits ne sont pas définis comme des droits transnationaux mais ils sont applicables dans tous les pays, dans le cadre national. Ce qui veut dire, par exemple, que la Charte ne permet pas un appel à la grève européen, mais un appel simultané dans chaque pays. Pour certains " anti ", tout cela est d'une affligeante timidité et ils revendiquent le rejet de la copie. Mais si on recommence, on recommencera à zéro et non plus du point de compromis que représente cette charte entre tous les pays. Or, certains d'entre eux, comme la Grande Bretagne, ne voulaient même pas entendre parler de l'introduction de droits sociaux dans la Charte. Ayant cédé sur le principe, ils se sont ensuite battus droit après droit. Et c'est la pression notamment de la CES, avec la mobilisation de Porto, qui les a fait bouger.
Rejeter ce texte, ce serait un retour en arrière !
Mais au final, quelle est la valeur de ce compromis ?
Encore une fois, ce n'est pas le texte dont nous pourrions rêver mais nous sommes des syndicalistes, pas des rêveurs. Mais le social dans cette charte, ce n'est pas un post scriptum qu'on aurait ajouté au bas du texte pour faire plaisir ! Les droits sociaux y sont insérés au même niveau que les droits civiques et politiques. C'est important. Toute l'Europe met ainsi le doigt dans un engrenage positif et c'est capital. Cette Charte est un premier résultat qui nous fera progresser. Bien sûr, il faudra continuer à améliorer son contenu et se battre pour qu'elle soit intégrée dans les tables de la loi européenne, le Traité de l'Union.
L'agenda social donnera du rythme à l'Europe. Ce sera berceuse ou rock-and-roll ?
Ca dépendra aussi de notre action. La CES ne va pas relâcher la pression pour accélérer le tempo de ce programme de cinq ans qui vise à faire avancer et aboutir des sujets sociaux. On pourra en revoir le rythme, puisque des rendez-vous annuels sont prévus pour dresser des bilans d'étape.
Qu'y a-t-il dans cet agenda ? Nous avons obtenu par exemple qu'il prévoit la création d'un Observatoire européen du changement, pour examiner les mutations économiques, technologiques... Il servira à prévoir, anticiper ces évolutions, pour éviter qu'elles ne se transforment en grandes crises dont l'emploi et les salariés font toujours les frais et à préconiser des solutions de prévention, de reconversion. Autre exemple, l'agenda prévoit la révision de la directive sur les comités d'entreprise européens. Il s'agit de mettre au goût du jour les possibilités d'intervention des salariés dans ces firmes européennes. Mais l'agenda social n'exonérera pas les gouvernements de la nécessité de coordonner leurs politiques économiques. Gardons le cap sur l'emploi, car il reste 8,3% de chômeurs et 70 millions d'exclus dans l'Union ! Il n'exonérera pas non plus la Commission de son rôle d'impulsion pour que le dialogue social puisse se nourrir de ses initiatives législatives.
Qu'est-ce qui différencie la stratégie de la CES et de la CFDT de celle des " anti sommet " qui revendiquent le rejet de la Charte ?
Dans un processus d'intégration qui a concerné successivement 6 pays, puis 9, 12, 15 et demain 20 ou 23 pays, on sait bien qu'on avance par pas successifs. C'est ainsi que s'est construite l'Europe économique, le marché puis la monnaie unique. Il en est de même pour le social. Les résultats sont toujours des compromis qu'il faut jauger à l'aune des progrès qu'ils apportent et de ceux qu'ils pourront engendrer à l'étape suivante. Autrement dit, ces avancées doivent être resituées dans une dynamique, et pas à un moment T de la construction européenne.
Tous ceux qui comparent le résultat obtenu à tel ou tel épisode de la construction communautaire, à la réalisation de leurs objectifs ne peuvent qu'être déçus par ce "provisoire" qu'ils regardent comme un absolu.
Au contraire, chaque progrès est pour nous une avancée qu'il faut capitaliser, une étape qui en appelle une autre. L'essentiel est d'avancer dans la bonne direction, vers la construction de l'Europe sociale et politique. Parce que c'est la bonne, la vraie réponse au libéralisme, celle qui fait de l'Union européenne et de son modèle social, un acteur essentiel dans la régulation de la mondialisation.
(Source http://www.cfdt.fr, le 18 décembre 2000).