Déclaration de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, sur le rôle des agences de notation dans la gestion de la crise des "subprimes" et sur la circulation de l'information, enjeu crucial pour les marchés financiers, Paris le 12 décembre 2007.

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Circonstance : Colloque "Agences de notation et crise du crédit : faux procès et vrais débats" à Paris le 12 décembre 2007

Texte intégral

Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Gouverneur de la Banque de France,
Monsieur le Président de l'Autorité des Marchés Financiers,
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi d'ouvrir ce colloque, dans ce cadre prestigieux.
Lorsque les organisateurs de cette conférence ont souhaité mon intervention, il y déjà quelques mois, personne n'envisageait combien elle serait au centre de l'actualité. J'avais tout de suite donné mon accord et j'ai souhaité marquer mon soutien renouvelé à cette manifestation car elle me semble correspondre à ce qui devrait se développer plus souvent sur la Place de Paris.
A l'instigation d'un Think Tank, ou cercle de réflexion, académique et à partir de ses travaux, votre conférence réunit à un très haut niveau l'ensemble des acteurs d'un secteur pour discuter publiquement, avec les pouvoirs publics, de la situation et envisager des pistes d'évolution.
En introduction de vos travaux, je souhaiterais donc faire quelques remarques.
Une démarche innovante, partenariale et transparente Je voudrais tout d'abord saluer la démarche innovante qui a présidé à l'organisation de cette conférence.
Je crois savoir que c'est la première conférence publique sur le sujet des agences de notation depuis le début de la crise des subprimes, cet été.
Elle a été initiée par un cercle de réflexion académique (le Forum sur les Institutions, le droit, l'économie et la société - FIDES de l'Université Paris X Nanterre), à partir des travaux menés dans cette Université par différentes équipes pluridisciplinaires.
Cette manifestation, et ces travaux, montrent tout l'intérêt intellectuel, mais aussi tout l'enjeu politique, au sens plein et noble du terme, de ce mode de coopération entre les milieux universitaires, les décideurs privés et les pouvoirs publics. C'est d'ailleurs la mission de l'un des autres organisateurs, l'Institut Présaje, que de permettre un tel dialogue entre praticiens du droit et de l'économie. Cette conférence apporte une preuve supplémentaire du rôle très positif que peuvent jouer de véritables cercles de réflexion pour animer le débat public, comme nous le voyons bien dans certains pays de l'OCDE.
C'est en combinant ainsi réflexion, concertation et débat démocratique que l'on peut obtenir des réformes efficaces.
Sur le fond, enseignements puis action Le programme de cette manifestation le montre bien, l'ensemble des acteurs de la chaîne privée de production des placements financiers et d'évaluation des risques a montré quelques limites.
Il ne s'agit pas de "diaboliser" les agences, pas davantage d'ailleurs qu'aucun autre acteur en particulier.
Il faut faire porter notre réflexion non seulement sur les agences de notation et leurs responsabilités particulières, mais aussi sur les causes profondes du phénomène qu'on a observé cet été aux Etats-Unis.
A ce titre, nous devons nous interroger sur l'évolution d'une économie fondée sur l'endettement croissant des ménages (130 % du revenu aux Etats-Unis, contre 65 % en France).
Du moins faut-il se demander si cet endettement ne doit pas connaître des limites, ou des modalités plus sécurisantes.
Car, en l'occurrence, c'est la volonté de permettre un endettement toujours plus grand de ménages très peu solvables qui a conduit au développement, sans encadrement de la part du pouvoir politique américain, de ces produits à haut risque que sont les "subprimes".
Bref, il ne faudrait pas que les appels à la "responsabilisation des acteurs" nous dispensent d'une réflexion sur la nature des produits inventés par la finance.
On peut s'interroger ensuite sur les mécanismes financiers de couverture des risques qui, tout en diluant le risque, contribuent à le répandre dans toute l'économie. Je veux parler de la titrisation, qui a été inventée pour réduire les risques, mais qui peut aussi les diffuser, les disséminer, et les rendre parfois difficilement détectables.
Ces remarques générales étant faites, j'en viens aux acteurs mêmes du système.
Cette crise est, en effet, dans ses causes les plus immédiates, une crise de l'évaluation : de l'évaluation de la solvabilité des emprunteurs immobiliers américains, et plus généralement du risque financier.
Au niveau des agences de notation, plusieurs difficultés ont été mises en évidence :
- le financement de l'évaluateur par l'évalué et donc des conflits d'intérêt ;
- le manque de transparence dans le processus de création de la note ;
- le changement de rôle des agences, d'une évaluation qui était rétrospective (en notant des entreprises) à une évaluation préalable (le risque d'un produit).
La transparence et l'indépendance dans la production de l'information constituent un enjeu crucial pour les marchés financiers. Les trois dernières crises financières majeures - "bulle Internet", affaire Enron et crise des "subprimes" - sont issues de dysfonctionnements dans la production et la circulation de l'information.
Après les analystes financiers, les auditeurs et les conseils comptables, c'est maintenant le rôle des agences de notation qui est critiqué. La question se pose aujourd'hui avec d'autant plus d'acuité que les agences se sont vues conférer un rôle de quasi-régulateur avec la convention de "Bâle II" sur la régulation bancaire.
Le rôle de la puissance publique se pose à ce niveau.
Certes, l'enjeu que représente l'information est inhérent aux marchés financiers et la tâche des régulateurs est extrêmement complexe.
Mais l'"auto-régulation" que l'on invoque rituellement après chaque crise ne peut pas tout ! L'Etat se doit de prévenir, notamment pour les actionnaires individuels, ce type d'accident.
Dès le 10 septembre 2007, le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont rédigé une déclaration commune visant à encadrer l'activité des agences de notation.
Le gouvernement a fait connaître trois pistes de réflexions :
1/ Il convient de revoir le Code de bonne conduite international de l'OiCV applicable aux agences de notation - et cela en se fixant deux objectifs :
Durcir les règles relatives aux conflits d'intérêt ;
Imposer des standards plus exigeants en matière de contrôle de la fiabilité des informations utilisées par les agences.
2/ Ensuite, pour assurer l'application de règles plus strictes, on peut imaginer que les autorités de marché de l'Union européenne exercent une surveillance des agences de notation. A cet égard, les Etats-Unis se sont déjà engagés dans une politique de contrôle accru des agences par une loi de 2006.
3/ Enfin, les pouvoirs publics français souhaitent que les agences évaluent la liquidité des véhicules de titrisation. L'absence de liquidité de certains titres est en effet un des facteurs de risque pour les investisseurs.
Cette analyse et l'essentiel de ces propositions sont très largement partagés par nos partenaires aux niveaux international et européen :
Le G7 a donné mandat au Forum de stabilité financière sur ces sujets en vue de produire un rapport pour avril 2008 ;
Le Conseil Ecofin du 9 octobre dernier a validé une feuille de route sur les mêmes sujets, en mettant l'accent sur la gestion des risques dans le secteur bancaire. Cette feuille de route, qui a été communiquée au Conseil européen des 18 et 19 octobre, donnera lieu à un rapport intérimaire pour l'Ecofin d'avril 2008.
Comme le suggère le Professeur Michel Aglietta, on pourrait également envisager que les banques centrales envoient des signaux d'alarme plus tôt, lorsque les prix de tel ou tel actif sont devenus manifestement "irrationnels". Il est en effet possible, pour les principaux marchés qui ont des données historiques longues, de calculer de façon relativement fiable des valeurs fondamentales de long terme et d'identifier quand les marchés sortent de l'épure.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement est particulièrement attentif aux effets pouvant naître de la crise des "subprimes". Il est aussi très soucieux de placer la question de la régulation de la finance mondiale sur la place publique.
Son objectif est double :
* D'abord éviter que les difficultés, aujourd'hui circonscrites aux marchés financiers, n'aient d'influence sur le financement de l'économie, et notamment sur celui des PME.
* Ensuite, réfléchir activement à la mise en place d'une régulation qui évite la survenue régulière de ce genre de crises.
C'est dire si le Gouvernement suivra avec intérêt vos travaux, que je souhaite fructueux.
Je vous remercie.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 décembre 2007