Texte intégral
FRANCE SOIR : Quel regard portez vous sur la visite du colonel Kadhafi ?
FRANCOIS BAYROU : Deux rencontres avec le président, l'Assemblée Nationale, la Garde Républicaine... Tous les honneurs de la République lui ont été offerts. C'est très malsain. Il faut se souvenir de qui est Kadhafi: un dictateur qui a écrasé toute liberté d'expression dans son pauvre pays, n'hésitant pas à recourir aux massacres pour réprimer les tentatives de révolte. Il est l'auteur de certains des actes terroristes les plus horribles de ces dernières décennies: plus de 400 personnes sont mortes dans les avions abattus par Kadhafi, crimes où sa culpabilité a été reconnue officiellement. Il a exercé pendant 8 ans un ignoble chantage sur les infirmières bulgares et le médecin palestinien innocents, qui, bien que innocents, ont été torturés et condamnés à mort. Cette prise d'otage a été récompensée par la rançon la plus incroyable de tous les temps: 450 millions de dollars versés au nom de la France, en échange d'on ne sait quelle contrepartie.
FRANCE SOIR : Vous estimez que la France s'est fourvoyée dans cette affaire ?
FRANCOIS BAYROU : Nous venons tout simplement de conclure une vente d'armes qui offre au régime libyen une puissance de feu considérable, ainsi que des accords de défense qui font de la France l'allié de Tripoli! Dans le même temps, nous nous apprêtons à livrer une centrale nucléaire à celui qui a toujours voulu contrôler l'énergie atomique. Sans parler du brevet de respectabilité internationale fourni par Nicolas Sarkozy qui lui a déroulé tapis rouge dans nos palais. Tout cela, c'est la France des droits de l'homme qui le réalise, sous les yeux ébahis de la communauté internationale. Et ce, après que Nicolas Sarkozy ait promis, la main sur le coeur, pendant la campagne qu'il serait l'homme d'une diplomatie morale. On voit bien de quoi il s'agit aujourd'hui: honorer le carnet de chèque de Kadhafi, et qu'importent ses forfaits... S'il était pauvre, on n'aurait pas de mots assez durs pour stigmatiser son cynisme et sa cruauté. Mais il est riche, grâce aux mannes du gaz et du pétrole. Donc on le laisse planter sa tente sous les fenêtres de l'Elysée.
FRANCE SOIR : Les contrats signés ne justifient pas selon vous de tels honneurs ?
FRANCOIS BAYROU : D'abord, qu'y a-t-il de solide dans ces contrats ? On entend beaucoup de questions sur leur vraie nature. Car Kadhafi semble suffisamment bon commerçant pour réussir à ne vendre que du vent. Ces études qu'il a signées sont-elles de vrais contrats, ou bien n'engagent-elles à rien ou à pas grand chose ? C'est par ailleurs un leurre, une idée archaïque de croire que les contrats d'Etat peuvent redresser le commerce extérieur. L'Allemagne, qui possède un commerce extérieur florissant grâce à ses entreprises et à son tissu commercial, ne se livre en aucune façon à ce genre de compromissions. Et quand bien même cela nous rapporterait quelque chose, a-t-on le droit de vendre nos valeurs au nom de contrats commerciaux, aléatoires qui plus est ? Si on le fait, il n'y a pas de limites à la dérive. C'est en défendant ses principes sans crainte qu'un pays jouit d'un véritable rayonnement international. A qui la France pourra-t-elle désormais rappeler ses devoirs après avoir offert tous les honneurs de la République à Kadhafi ?
FRANCE SOIR : Comment jugez-vous la politique étrangère de Nicolas Sarkozy ?
FRANCOIS BAYROU : Cette politique, telle que le monde la découvre, semble n'avoir qu'une ligne directrice : nous mettre bien avec tous les puissants et les riches qui peuplent l'univers. Nous sommes finalement les seuls, en une semaine, à avoir déroulé le tapis rouge à Kadhafi et envoyer de chaudes félicitations à Poutine. De même, Nicolas Sarkozy s'est rendu en Chine pour dire une chose: « Au Tibet et à ta?an, vous pouvez faire ce que vous voulez. » Enfin, il a accouru aux Etats-Unis pour manifester à Bush les signes d'alignement les plus exubérants. Il compromet, un à un, tous les repères de ce qui faisait notre politique étrangère. La France, c'était un pays qui défendait son indépendance et savait rappeler, dans le cadre européen, un certain nombre de principes à des pays qui ne les respectaient pas. La politique de Nicolas Sarkozy contredit terme à terme cette ligne. Je ne suis même pas sûr qu'il en mesure aujourd'hui le risque: la banalisation et finalement l'affaiblissement de la France sur le plan européen et international.
FRANCE SOIR : Depuis son arrivée, le colonel Kadhafi multiplie les provocations. Se moque-t-il de nous ?
FRANCOIS BAYROU : C'est pire que cela. Il est très malin et il a compris tout l'avantage qu'il pouvait tirer de cette formidable arme de communication qui lui était livrée sur un plateau. Et il en profite! Il dispose à sa guise de cette tribune libre pour venir appuyer là où ça fait mal: en dénonçant la situation des immigrés frappés de discrimination et parfois, de misère. De façon scandaleusement provocante, il tient un discours auxquels ils sont sensibles. Cette déstabilisation, franchement, on aurait pu l'éviter.
FRANCE SOIR : En sautant sur le coup médiatique de la libération des infirmières, Nicolas Sarkozy s'est-il fait piéger par le colonel Kadhafi ?
FRANCOIS BAYROU : Franchement, qui pouvait ignorer la vraie nature de Kadhafi, son sinistre palmarès ? Je crois que Nicolas Sarkozy a voulu à tout prix montrer à l'opinion qu'il pouvait réussir là où d'autres échouaient, coiffer sur le poteau les efforts patients notamment des européens. Pour cela, il a suivi les enchères que Kadhafi exigeait. Maintenant, par cette visite, il apporte à Kadhafi le plus précieux de ses espoirs, une tribune et un brevet de reconnaissance internationale. Kadhafi peut se frotter les mains, sa prise d'otages a réussi au-delà de tous ses espoirs...
Propos recueillis par Thomas de Rochechouartsource http://www.mouvementdemocrate.fr, le 13 décembre 2007
FRANCOIS BAYROU : Deux rencontres avec le président, l'Assemblée Nationale, la Garde Républicaine... Tous les honneurs de la République lui ont été offerts. C'est très malsain. Il faut se souvenir de qui est Kadhafi: un dictateur qui a écrasé toute liberté d'expression dans son pauvre pays, n'hésitant pas à recourir aux massacres pour réprimer les tentatives de révolte. Il est l'auteur de certains des actes terroristes les plus horribles de ces dernières décennies: plus de 400 personnes sont mortes dans les avions abattus par Kadhafi, crimes où sa culpabilité a été reconnue officiellement. Il a exercé pendant 8 ans un ignoble chantage sur les infirmières bulgares et le médecin palestinien innocents, qui, bien que innocents, ont été torturés et condamnés à mort. Cette prise d'otage a été récompensée par la rançon la plus incroyable de tous les temps: 450 millions de dollars versés au nom de la France, en échange d'on ne sait quelle contrepartie.
FRANCE SOIR : Vous estimez que la France s'est fourvoyée dans cette affaire ?
FRANCOIS BAYROU : Nous venons tout simplement de conclure une vente d'armes qui offre au régime libyen une puissance de feu considérable, ainsi que des accords de défense qui font de la France l'allié de Tripoli! Dans le même temps, nous nous apprêtons à livrer une centrale nucléaire à celui qui a toujours voulu contrôler l'énergie atomique. Sans parler du brevet de respectabilité internationale fourni par Nicolas Sarkozy qui lui a déroulé tapis rouge dans nos palais. Tout cela, c'est la France des droits de l'homme qui le réalise, sous les yeux ébahis de la communauté internationale. Et ce, après que Nicolas Sarkozy ait promis, la main sur le coeur, pendant la campagne qu'il serait l'homme d'une diplomatie morale. On voit bien de quoi il s'agit aujourd'hui: honorer le carnet de chèque de Kadhafi, et qu'importent ses forfaits... S'il était pauvre, on n'aurait pas de mots assez durs pour stigmatiser son cynisme et sa cruauté. Mais il est riche, grâce aux mannes du gaz et du pétrole. Donc on le laisse planter sa tente sous les fenêtres de l'Elysée.
FRANCE SOIR : Les contrats signés ne justifient pas selon vous de tels honneurs ?
FRANCOIS BAYROU : D'abord, qu'y a-t-il de solide dans ces contrats ? On entend beaucoup de questions sur leur vraie nature. Car Kadhafi semble suffisamment bon commerçant pour réussir à ne vendre que du vent. Ces études qu'il a signées sont-elles de vrais contrats, ou bien n'engagent-elles à rien ou à pas grand chose ? C'est par ailleurs un leurre, une idée archaïque de croire que les contrats d'Etat peuvent redresser le commerce extérieur. L'Allemagne, qui possède un commerce extérieur florissant grâce à ses entreprises et à son tissu commercial, ne se livre en aucune façon à ce genre de compromissions. Et quand bien même cela nous rapporterait quelque chose, a-t-on le droit de vendre nos valeurs au nom de contrats commerciaux, aléatoires qui plus est ? Si on le fait, il n'y a pas de limites à la dérive. C'est en défendant ses principes sans crainte qu'un pays jouit d'un véritable rayonnement international. A qui la France pourra-t-elle désormais rappeler ses devoirs après avoir offert tous les honneurs de la République à Kadhafi ?
FRANCE SOIR : Comment jugez-vous la politique étrangère de Nicolas Sarkozy ?
FRANCOIS BAYROU : Cette politique, telle que le monde la découvre, semble n'avoir qu'une ligne directrice : nous mettre bien avec tous les puissants et les riches qui peuplent l'univers. Nous sommes finalement les seuls, en une semaine, à avoir déroulé le tapis rouge à Kadhafi et envoyer de chaudes félicitations à Poutine. De même, Nicolas Sarkozy s'est rendu en Chine pour dire une chose: « Au Tibet et à ta?an, vous pouvez faire ce que vous voulez. » Enfin, il a accouru aux Etats-Unis pour manifester à Bush les signes d'alignement les plus exubérants. Il compromet, un à un, tous les repères de ce qui faisait notre politique étrangère. La France, c'était un pays qui défendait son indépendance et savait rappeler, dans le cadre européen, un certain nombre de principes à des pays qui ne les respectaient pas. La politique de Nicolas Sarkozy contredit terme à terme cette ligne. Je ne suis même pas sûr qu'il en mesure aujourd'hui le risque: la banalisation et finalement l'affaiblissement de la France sur le plan européen et international.
FRANCE SOIR : Depuis son arrivée, le colonel Kadhafi multiplie les provocations. Se moque-t-il de nous ?
FRANCOIS BAYROU : C'est pire que cela. Il est très malin et il a compris tout l'avantage qu'il pouvait tirer de cette formidable arme de communication qui lui était livrée sur un plateau. Et il en profite! Il dispose à sa guise de cette tribune libre pour venir appuyer là où ça fait mal: en dénonçant la situation des immigrés frappés de discrimination et parfois, de misère. De façon scandaleusement provocante, il tient un discours auxquels ils sont sensibles. Cette déstabilisation, franchement, on aurait pu l'éviter.
FRANCE SOIR : En sautant sur le coup médiatique de la libération des infirmières, Nicolas Sarkozy s'est-il fait piéger par le colonel Kadhafi ?
FRANCOIS BAYROU : Franchement, qui pouvait ignorer la vraie nature de Kadhafi, son sinistre palmarès ? Je crois que Nicolas Sarkozy a voulu à tout prix montrer à l'opinion qu'il pouvait réussir là où d'autres échouaient, coiffer sur le poteau les efforts patients notamment des européens. Pour cela, il a suivi les enchères que Kadhafi exigeait. Maintenant, par cette visite, il apporte à Kadhafi le plus précieux de ses espoirs, une tribune et un brevet de reconnaissance internationale. Kadhafi peut se frotter les mains, sa prise d'otages a réussi au-delà de tous ses espoirs...
Propos recueillis par Thomas de Rochechouartsource http://www.mouvementdemocrate.fr, le 13 décembre 2007