Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la nécessité d'accroître le nombre de femmes au ministère des affaires étrangères et hommages à des personnalités étrangères, Paris le 8 mars 1999.

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  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Journée internationale des femmes le 8 mars 1999

Texte intégral

Après avoir hésité et en concertation avec M. Eric Danon qui a bien voulu m'assister dans ce moment difficile, je fais le choix de m'adresser à vous au début de ce repas, il nous faut bien parfois être héroïque.
J'ai un autre souvenir de situation presque aussi minoritaire mais il faut remonter dans ma petite enfance.
Dans le village breton où je suis né, il n'y avait d'école maternelle que chez les filles car c'était les religieuses qui sen occupaient. Mon père étant président de l'Association paroissiale, j'ai eu droit à une dérogation. Depuis, il faut convenir que c'est plus souvent avec des hommes que je me suis retrouvé sur le plan professionnel et c'est peut-être un peu plus vrai encore dans cette Maison qui, il faut bien le dire n'est pas encore très ouverte à la présence des femmes. Celles qui ont réussi, néanmoins à y exister et à s'y faire entendre n'en ont que plus de mérite et je voudrais déjà les en féliciter.
Lionel Jospin a voulu donner à cette journée du 8 mars, un retentissement particulier. L'an dernier, c'est autour de l'hôtel Matignon que, pour l'essentiel, cette journée avait été célébrée. Il a voulu que, cette année, l'ensemble des ministres mettent l'accent sur la place que les femmes occupent dans leur domaine. Il me revenait de souligner la place des femmes dans la vie internationale. Autour de nous, d'Eric Danon et de moi donc, des femmes, quelques unes spécialement invitées par le Premier ministre, je tiens à le rappeler - j'aurai l'occasion tout à l'heure de dire quelques unes des raisons de leur présence -, d'autres qui occupent des responsabilités d'ambassadeurs, d'autres qui ont des postes de responsabilités au sein du ministère des Affaires étrangères mais aussi des femmes qui, sans faire toujours de l'international leur spécialité, occupent dans l'univers des médias, des places d'influence.
Sur le principe-même dune journée des femmes, le débat reste ouvert. Je voudrais déjà faire observer qu'il y a quelques différences entre la Fête des femmes et la Fête de la musique - cette dernière na pratiquement jamais eu besoin d'être reconnue. C'est peut-être un peu plus du côté de la fête commémoration comme la Fête du travail qu'il faudrait sans doute chercher quelques références. Le Travail est d'autant plus célébré qu'il est souvent dévoyé et qu'il donne lieu, hélas encore trop souvent, à l'exploitation. Je crois qu'il s'agit de ces journées qui sont faites surtout pour mobiliser, pour motiver, pour rappeler que, ce combat-là en particulier, sil a une très longue histoire, est en réalité complètement contemporain. Mais l'exercice reste difficile. Le débat qui actuellement fait s'opposer, au-delà même des clivages politiques traditionnels, les partisans et les adversaires du concept de parité témoigne de cette difficulté.
On aimerait bien que la vertu suffise pour que les choses avancent. Mais, avons-nous le temps d'attendre encore tellement ? Eric Danon me faisait observer que les femmes ayant des postes de responsabilités importantes dans cette Maison devaient être trois ou quatre il y a une quinzaine d'années, elle seraient douze aujourd'hui. Ce qui veut dire que, pour atteindre la parité dans ce ministère des Affaires étrangères, il faudra attendre, si rien ne bouge, si c'est simplement la pente actuelle que se prolonge lan 2030 ou 2040 pour qu'il y ait par exemple, autant de femmes ambassadeurs que d'hommes.
Ma fille qui a 10 ans a des raisons de ne pas désespérer mais il en est d'autres qui sont probablement un peu plus pressées. Je crois plus fondamentalement que nous avons besoin que les femmes prennent une place plus importante. Certes, le gouvernement français offre aujourd'hui un exemple d'équilibre, pas tellement mathématique : le compte n'y est pas encore puisqu'il y a une femme pour trois hommes. Mais si j'observe l'importance des postes ministériels que les femmes occupent désormais, je crois que l'on peut considérer que l'équilibre est en passe d'être atteint. Il y a d'autres domaines, d'autres hémicycles - je pense à celui de l'Assemblée nationale sans parler du Sénat - où le compte ny est pas en France. Nous le savons bien. Même si le parlementaire que je suis depuis 25 ans mesure la différence dune Assemblée nationale avec 12% comme aujourd'hui et 5% hier. La présence plus soutenue des femmes, le fait quelles soient plus visibles en général compense déjà un peu cette insuffisance numérique. Mais, on ne peut bien sûr pas sen satisfaire et je sais que d'autre pays, de ce point de vue, nous donnent des leçons.
J'observe que les pays d'Amérique latine ou d'Afrique ont le choix de confier aux femmes, mieux que nous, l'heure des responsabilités diplomatiques importantes et j'ai plaisir à saluer à cette table, les ambassadrices d'Amérique latine ou d'Afrique qui sont plus nombreuses, incontestablement, que celles qui représentent les pays européens. C'est sans doute aussi une manière de rendre compte de la place considérable qu'occupe la femme dans le développement et le ministre de la Coopération que je suis et qui a vocation à rencontrer souvent les réalités du développement économique et social, sait à cet égard la place considérable qu'occupe la femme africaine ou latino-américaine.
Je voudrais dire aussi les raisons particulières que nous avions de vouloir accueillir, parmi nous, quelques-unes des ces femmes qui sont en train de bouger le monde et qui donnent des raisons de plus de souhaiter qu'il y aient davantage à sy employer :
Madame Estella B. Carloto, nous savons le travail patient et courageux que vous effectuez en Argentine à la tête de l'association « Les grand mères de la place de Mai » qui s'est maintes fois illustrée par sa rigueur dans la recherche des enfants disparus, sa capacité à mener un combat judiciaire efficace. Grâce à votre action, plus de 60 enfants victimes d'enlèvement sous la dictature ont pu être retrouver, permettant du même coup l'arrestation de certains des coupables.
Madame T. Nasrine, vous avez lutté avec détermination pour défendre vos idées à travers vos romans. La libération de la femme, les contraintes sociales et religieuses qui pèsent sur elle au Bangladesh, la critique de l'Islam lorsqu'il est utilisé comme un instrument d'oppression et la défense des minorités ethniques et religieuses, cette lutte vous a contrainte à quitter votre pays, et nous mesurons pleinement les difficultés qui ont été les vôtres au cours de ces dernières années. Permettez-moi, par ailleurs de m'associer à votre peine et de vous présenter mes condoléances pour la mort de votre mère.
Je veux saluer aussi Madame Sabina Belabiles, sénatrice, présidente du collectif « Les mères d'Algérie ». Nous connaissons votre engagement, sans relâche dans la vie associative de votre pays ainsi que votre combat pour la cause des femmes et de la famille en Algérie et au Maghreb. Comme vous le savez, le gouvernement français attache une importance particulière au développement des relations entre les sociétés civiles des deux côtés de la Méditerranée. Les associations, par leur travail de terrain y contribuent directement et efficacement.
Madame Salima Ghezali, vous êtes directrice de la publication au journal « La Nation », vous défendez la liberté d'expression et d'information, celle de la presse notamment à laquelle le gouvernement français est attaché, partout dans le monde. Les Français connaissent votre courage personnel, votre dévouement professionnel aussi, qui ont fait de vous, un symbole du combat mené par les femmes pour leur émancipation et la reconnaissance de leurs droits.
Je souhaite la bienvenue à Madame Dialo Soumaré, présidente et fondatrice du Comité d'action pour les Droits de 'Enfant et de la Femme au Mali. Madame Soumaré, présidente et fondatrice de ce comité, vous vous battez pour que soit adopté une norme juridique sur l'excision, je tiens en cette occasion à souligner l'importance que nous attachons au respect de l'intégrité des personnes et en particuliers des enfants.
Madame Jody Williams enfin, vous nous avez fait l'amitié d'assister à ce déjeuner en tant que coordinatrice de la campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel. Vous avez apporté une contribution déterminante à l'adoption de la Convention d'Ottawa que la France a été le premier Etat du Conseil de sécurité des Nations unies à ratifier en juillet 1998. Javais eu la chance et l'honneur de vous rencontrer à Ottawa puisque le gouvernement français m'avait demandé de le représenter lors de cette convention. Vous avez obtenu en 1997 le prix Nobel de la Paix, juste récompense de votre action en faveur de l'élimination de ce terrible fléau.
Je voudrais dire à toutes ces femmes que je viens de citer, d'évoquer l'estime que m'inspire leur engagement comme le courage et la détermination dont vous avez dû faire preuve pour faire entendre votre voix.
Pour d'autres femmes, le combat est moins spectaculaire. Il n'en reste pas moins d'actualité et il requiert une persévérance certaine. Lenjeu est toujours le même, occuper dans la collectivité la place qui vous revient de droit, sur la base de légalité d'accès à l'éducation et aux fonctions professionnelles. Nous le disions à l'instant, dans un nombre croissant de pays, cette place est par principe acquise mais nous savons que les pratiques en usage ne vous sont pas toujours favorables, notamment l'accès aux postes de responsabilités. Le Premier ministre Lionel Jospin, devant l'Assemblée nationale il y a quelques jours avait raison de rappeler que ces difficultés pratiques renvoient à l'organisation sociale, presque sociétale, qu'il faut que ce soit à chaque porte d'entrée dans la société que nous veillions à ce quelles soient ouvertes. Ce qui veut dire aussi, et les hommes doivent en prendre la mesure, le besoin de partage aussi dun certain nombre de tâches auxquelles nous ne sommes pas encore très habitués.
Je voudrais vous dire en tout cas ma conviction que si nous voulons des sociétés équilibrées, riches de diversités, d'échanges, si nous voulons des sociétés vivantes, il nous faut assurer aux femmes et aux hommes, toute leur place, dans le respect les uns des autres. Je voudrais vous remercier toutes pour votre action, votre détermination, votre lucidité, vous dire notre engagement pour faire réussir cet équilibre si difficile à trouver entre le besoin d'être reconnu comme égale mais aussi dans sa différence. J'étais ce matin au côté de Gabriel Garcia Marques pour ouvrir une importante semaine de coopération avec l'Amérique latine et celui-ci disait :
« N'attendez rien du 21ème siècle, c'est le 21ème siècle qui doit tout attendre de vous ».
J'espère que nous saurons, dans ce domaine-là aussi, donner au 21ème siècle, ce que les femmes sont en droit den attendre. Je vous remercie.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le10 mars 1999)