Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à "Radio Classique" le 7 décembre 2007, sur la poursuite du mouvement étudiant contre le projet de loi sur l'autonomie universitaire, le vote du budget 2008 et les plans de rénovation des locaux universitaires consécutifs à la vente de 5 milliards d'EDF.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


 
O. Nahum, J.-M. Lech, D. Jeambar et E. le Boucher. O. Nahum : V. Pécresse, bonjour. Evidemment, vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Je dis "évidemment", parce qu'on vous a beaucoup vue dans l'actualité, donc je pense que les auditeurs vous ont vue.
 
R.- Entendu des slogans...
 
O. Nahum : Pas forcément de notre côté, mais en tout cas, on aura le temps d'aller au-delà des slogans... [...] Est-ce que vous êtes convoquée pour le 31 décembre, pour la photo de famille autour du Président ?
 
R.- Pour l'instant, nous n'avons pas d'information.
 
Pas de vacances de fin d'année ? [...] O. Nahum : V. Pécresse, évidemment, on a beaucoup parlé de vous à l'occasion de cette crise déclenchée par les contestations estudiantines. Est-ce qu'aujourd'hui, on a le sentiment que la crise est finie. Il y a encore effectivement une agitation. Mais on va vers une crise finissante ?
 
R.- Effectivement, aujourd'hui, les tentions décroissent très progressivement dans l'université. Le mouvement, aujourd'hui, c'est une minorité, une minorité qui est parfois ultra violente, comme on le voit dans certaines universités. Moi ce que je souhaite, c'est qu'évidemment la situation redevienne totalement normale dans les semaines qui viennent, les examens approchent. J'ai vu les présidents d'université encore hier. Ils m'ont dit que dans la totalité des universités, les cours avaient repris à peu près normalement, donc on est sur des sites perturbés à des degrés divers.
 
O. Nahum : Mais c'est une poignée d'ultras, à vous écouter.
 
R.- Poignée, non. Poignée cela dépend des universités. Je dis c'est un noyau dur qui malheureusement a recours à des méthodes très violentes, ce que je regrette, parce que je crois que la violence ça n'est jamais la solution. Je pense qu'on a beaucoup plus à gagner au dialogue, c'est ce qu'ont montré les organisations syndicales étudiantes tout au long de ce conflit.
 
D. Jeambar : Et vous diriez que ce noyau dur, c'est de l'extrême gauche d'une manière générale ?
 
R.- J'étais prévenue. O. Besancenot, le soir du premier tour des législatives, m'avait apostrophée en disant : de toutes les façons, la rue aura son troisième tour. Donc, j'étais prévenue qu'effectivement l'extrême gauche serait très mobilisée à la rentrée et profiterait de toutes les occasions pour susciter effectivement un mouvement anti-réforme. Mais je crois que résumer le mouvement à l'extrême gauche serait une erreur. Je crois que derrière il y a des craintes, il y a des préoccupations étudiantes qui viennent de l'état de l'université, qui viennent d'une sous dotation depuis vingt ans, qui viennent du fait que les diplômes universitaires, en tout cas pour les premiers cycles, n'ont pas la valeur qu'ils devraient avoir, qui viennent d'une absence d'encadrement, d'accompagnement et de personnalisation du suivi de l'étudiant qui a l'impression d'être laissé livré à lui-même dans l'université, et c'est tout ce à quoi nous allons remédier avec l'accélération du plan sur les bourses en janvier, et avec le dévoilement du plan licence jeudi prochain pour lutter contre tout l'échec en premier cycle, et pour donner à la licence, une véritable valeur d'un diplôme qualifiant, qui ouvre toutes les perspectives professionnelles.
 
J.-M. Lech : A partir de quand vous aurez le premier euro consécutif à la vente de 2,5 d'EDF ?
 
R.- Ces euros sont là. Maintenant, à quoi vont-ils servir ? Ils vont servir d'abord à accélérer les plans de rénovation universitaire, puisque vous savez que 28 % des locaux universitaires ne sont aujourd'hui pas aux normes, quand je dis au normes, c'est aux normes du XXIème siècle, c'est-à-dire avec des technologies de l'information, du Wi-Fi et parfois même aux normes de sécurité. Donc, cela va nous permettre d'accélérer ce plan de rénovation qui est prévu dans les contrats de projet Etat- Régions. Cela va nous permettre de restructurer et de rénover des campus qu'on connaît bien, qui sont les campus les plus dégradés qui attendent une rénovation qui est planifiée pour les cinq années qui viennent.
 
O. Nahum : Vous allez refaire Nanterre, alors ?
 
R.- Et cela nous permet... Nous procéderons par appel à projet, de façon à...
 
O. Nahum : C'est l'université qui ira vers vous pour dire...
 
R.- Les universités envers nous, mais on a déjà toute une série de projets qui sont à un état très avancé. Je pense à Toulouse II Le Mirail, avec cette histoire d'AZF qui a détruit une partie du campus. On a toute une série d'universités dont on sait déjà qu'il faut les restructurer très profondément. Et puis, il y a la question aussi de la création ex nihilo de campus qui devraient être aussi des vitrines internationales de la France, je pense au campus de Saclay, je pense aussi à la Cité des humanités et des sciences sociales d'Aubervilliers, qui est un magnifique projet et dont je veux faire une vitrine des sciences sociales et des humanités.
 
[...]
 
O. Nahum : Toujours en compagnie de V. Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Et à mes côtés, évidemment, D. Jeambar, J.-M. Lech et E. Le Boucher qui avait une question à poser, budgétaire, je crois. E. Le Boucher : Oui, c'est ça, je voulais revenir sur la question de l'argent, qui est centrale, qui a été centrale pendant les grèves est qui est évidemment réellement pour l'université. Alors, N. Sarkozy avait promis un milliard, par an, de plus, pour l'université, et d'ailleurs aussi un milliard pour la recherche, ce qui fait 5. Et puis là, il a dit : « je donne 5 milliards de vente d'EDF ». C'est bien 5 milliards en plus de celui promis ou c'est 5 milliards qui se substituent à la hausse prévue du budget ?
 
R.- C'est 5 milliards immédiatement disponibles pour l'immobilier universitaire, sachant qu'EDF... la vente d'un actif de l'Etat, donc, ne peut servir qu'à investir dans un autre actif de l'Etat.
 
E. Le Boucher : Et ça s'ajoute à la hausse normale prévue de votre budget.
 
R.- C'est des ressources qui sont garanties et pérennes, alors que les ressources budgétaires sont des ressources qui dépendront évidemment de la conjoncture.
 
O. Nahum : En gros, ce que vous demandait E. Le Boucher, c'est si c'est un milliard plus cinq milliards ? C'est ça ? E. Le Boucher : C'est ça, exactement.
 
R.-  L'engagement pluriannuel pris par l'Etat vis-à-vis de l'université, c'est une augmentation d'un milliard par an, pendant cinq ans, ça fait...
 
O. Nahum : Plus cinq milliards...
 
R.- Non, ça fait 15 milliards au total, parce que c'est + 1, + 2, + 3, + 4, + 5...
 
O. Nahum : Au fur et à mesure des années.
 
R.- 15 milliards, supplémentaires, qui vont aller à l'université. Dans ces 15 milliards, nous avons d'ores et déjà l'assurance d'avoir l'argent d'EDF qui...
 
E. Le Boucher : Ah, d'accord.
 
R.- Argent qui est disponible dès janvier.
 
E. Le Boucher : C'est 5 dans les 15.
 
R.- Non, ça sera peut-être plus, mais ce que je veux... L'engagement solennel qui a été pris par l'Etat, c'est de disposer de ces 15...
 
E. Le Boucher : Vous avez sécurisé 5 milliards.
 
R.- Nous avons 15 milliards d'engagement solennel de l'Etat, signé par le Premier ministre, vis-à-vis des présidents d'universités, 15 milliards. Et nous avons d'ores et déjà l'argent disponible de la vente d'EDF mais qui ne peut, je le rappelle, être utilisé que pour de l'investissement, c'est-à-dire on vend un actif pour investir dans un autre actif qui nous paraît être un actif d'avenir, qui sont les campus universitaires.
 
E. Le Boucher : Et par ailleurs, il y aura les 5 milliards pour la recherche.
 
R.- Et par ailleurs, il y a 4 milliards qui sont destinés effectivement à la recherche. C'est l'application du pacte pour la recherche de 2006, qui avait prévu d'augmenter lui aussi de 50 % le budget de la recherche.
 
O. Nahum : Mais, prosaïquement, quand vous avez négocié, finalement, cette sortie de crise, avec les organisations estudiantines, sur votre loi, la fameuse loi Pécresse, sur quoi vous avez, comment dirais-je, reculé, sur quel point s'est trouvé le consensus, concrètement ?
 
R.- Nous n'avons pas reculé, nous avons accéléré, parce qu'il n'y avait pas de marche arrière possible sur la loi. La loi elle est vitale pour l'avenir de l'université. Donc, moi, sur cette loi, j'étais d'une extrême fermeté, d'abord parce qu'elle a été concertée, elle a été débattue au Parlement, elle a été adoptée et elle est appliquée par 30 universités qui ont d'ores et déjà changé leur statut pour la mettre en oeuvre. Et j'ajoute que j'ai publié une liste de 30 universités, à leur demande, qui souhaitent être autonomes au 1er janvier 2009. Donc, cette loi elle est attendue par la communauté universitaire et c'est le préalable à toute réforme, parce qu'une université où on ne peut pas prendre de décision en moins de deux ans, une université qui n'est pas responsable de ses résultats, est une université dans laquelle on ne peut pas investir un euro. C'est d'ailleurs pour ça qu'on n'a jamais investi dans l'université. Donc, il faut faire l'autonomie d'abord et ensuite passer à la réforme. Mais ce que nous avons dit aux étudiants, l'engagement que nous avons pris visà- vis des étudiants, c'est accélérer le reste.
 
O. Nahum : C'est-à-dire l'argent.
 
R.- Accélérer le reste, c'est les bourses, les aides sociales, la condition de vie étudiante et c'est le plan « réussir en licence », qui sera présenté la semaine prochaine et sur lequel l'Etat prendra, j'allais dire, des engagements très forts, parce qu'il faut accompagner les étudiants, de la Terminale, jusqu'à la troisième année. Arrêter avec ces 52 % d'étudiants qui échouent à la fin de la première année et donner un contenu à la licence qui ne soit plus celui qu'on lui donne aujourd'hui, c'est-à-dire toute une série de connaissances à acquérir, mais passer sur une logique de compétentes.
 
O. Nahum : Mais, V. Pécresse, vous parlez beaucoup de ce plan licence, beaucoup de parents d'étudiants nous écoutent, ils vous entendent, vous dites : « Sécuriser en quelque sorte l'obtention des... ». Comment on évite l'échec en licence ? Cela paraît presque utopique tant on sait les difficultés des étudiants qui arrivent.
 
R.- D'abord, la première chose, c'est effectivement l'orientation active. L'orientation active, c'est quoi ? C'est partir de la Terminale et offrir à tous les lycéens, une vraie information sur les cursus universitaires.
 
O. Nahum : Ça, ce n'est pas du domaine de X. Darcos ? Parce que X. Darcos s'occupe des lycéens avant la Terminale, c'est ça, dans la répartition des ressorts ministériels ?
 
R.- Non, l'idée de l'orientation active, c'est d'associer le monde universitaire à l'orientation des lycéens. X. Darcos, lui, s'occupera de toute l'orientation dans les lycées, mais l'orientation à partir de la 5ème, parce qu'en réalité, si vous voulez bâtir un projet, un projet personnel, à partir d'un certain nombre d'acquis scolaires, vous le faites en réalité dès le collège. Mais en Terminale, il est absolument fondamental que les universitaires qui, eux, ont une vision des champs de métiers, qui ont une vision du contenu, qui ont une vision des pré-requis scolaires qu'il faut pour réussir, puissent avoir un contact avec les lycéens, qu'il y ait une rencontre, qu'il y ait un dossier, qu'il y ait un avis motivé, et que... Parce que, si vous voulez, qu'est-ce qui se passe en réalité, aujourd'hui ? Aujourd'hui, il y a les initiés et puis il y a les autres. Les initiés, c'est les familles qui connaissent les bonnes filières, qui connaissent les bonnes universités, qui sont capables de prévoir les débouchés. Et puis il y a les autres, et c'est ça la principale inégalité, la principale inégalité de destin.
 
O. Nahum : Denis, et après Eric. D. Jeambar : Concrètement, quelles sont les filières qui sont aujourd'hui des impasses ? E. Le Boucher : C'est-à-dire les nôtres. D. Jeambar : C'est-à-dire comment doit se faire la réorientation des lycéens quand ils entrent dans l'université ? O. Nahum : Vous voulez dire celles qui mènent au journalisme ?
 
R.- Alors, moi, je m'inscris totalement en faux vis-à-vis de cette vision. Je pense que le plan licence - et vous le verrez la semaine prochaine, puisqu'il sera annoncé le 13 décembre - le plan licence, c'est quoi ? C'est de dire qu'il n'y a aucune filière qui soit, par nature, une filière sans débouché. Le problème c'est qu'il faut complètement qu'on change notre vision de ce que l'on doit apprendre dans une licence. On doit, en sortant d'une licence, avoir un certain nombre de compétences qui ouvrent toutes les portes, je pense aux langues étrangères, il n'est pas admissible que dans une filière de licence on n'apprenne pas l'anglais et une deuxième langue, les technologies de l'information, un certain nombre de modules, j'allais dire, de compétences, d'expression écrite, d'expression orale.
 
O. Nahum : Et c'est un nouveau Bac général, la licence, alors ?
 
R.- Non, mais c'est un nouveau diplôme. C'est une licence rénovée et cette licence rénovée elle correspondra à, excusez-moi, au diplôme de premier cycle que l'on a dans tous les pays du monde. Je vous rappelle que les grands patrons, dans les pays qui nous entourent, ils ont fait des sciences humaines, ils ont fait des sciences sociales. On est dans une économie de services...
 
O. Nahum : Ils ont fait aussi les écoles de commerce.
 
R.-... on est dans une économie tertiaire. Les sciences humaines et sciences sociales, c'est ce qui ouvre sur le monde, c'est ce qui nous fait comprendre le monde dans lequel on existe. Le problème, c'est qu'il ne faut pas que l'on commence une licence de géographie en faisant 9 heures de géographie sur 15. L'hyper spécialisation, tout de suite, en terme de connaissances, n'est pas bonne. Il faut avoir beaucoup de méthode, il faut poser une année fondamentale, dans laquelle on apprendra beaucoup de choses, il faut avoir des stages, il faut avoir une ouverture, que l'on n'a aujourd'hui pas en premier cycle.
 
J.-M. Lech : Mais personne ne va vous blâmer d'augmenter le nombre de diplômés plutôt que d'augmenter la quantité de diplômes. Parce que ça, c'est ce que vos prédécesseurs ont fait, ils ont augmenté la gamme des diplômes possibles. Mais, est-ce qu'en augmentant la quantité de diplômés, vous augmentez l'emploi ou vous augmentez la quantité de frustrés ?
 
R.- Je n'augmente pas la quantité de diplômés, j'augmente la quantité et la qualité de diplômés. La question c'est la valeur du diplôme, c'est la formation qui est dispensée. Et moi, je vous le dis, à partir du moment où on estime, et je vais peut-être vous faire sourire, dans mon plan licence, je m'inspire notamment de la carte des formations de l'université de Rennes II, parce qu'à Rennes II, ils ont lancé une expérimentation que je trouve excellente...
 
O. Nahum : Université très mobilisée, il n'y pas longtemps, contre votre loi.
 
R.- Oui, mais avec un président qui a eu beaucoup de courage et notamment le courage physique de dire aux bloqueurs que leur démarche n'était pas la bonne. Et l'université de Rennes II, en sciences humaines et sciences sociales, demande aux étudiants de construire un projet personnel autour de champs de métiers qui les intéressent : le tourisme, la communication, l'administration. Je crois que c'est comme ça qu'il faut procéder, c'est-à-dire essayer de faire construire un projet personnel à l'étudiant, et ensuite le conduire, avec évidemment beaucoup de passerelles. Et je crois que ce qui tue aujourd'hui notre université, et notre système de grandes écoles, c'est que l'on est dans un système où il n'y a que des murs et des impasses. Moi, je veux une université des ponts, des passerelles et des perspectives. Quand on est en première année et que l'on s'est trompé, eh bien à la fin du premier semestre, il faut pouvoir se réorienter, mais pour ça, il faut une première année beaucoup plus généraliste, avec un certain nombre de crédits qui soient transférables dans d'autres formations, il faut faire des passerelles entre les filières courtes et les filières longues, parce que les IUT, les BTS, tout ça ce sont des filières qui conduisent à l'emploi, qui sont beaucoup plus concrètes, qui pour certains étudiants qui n'aiment pas l'abstraction, ce sont les bonnes filières, donc il faut les ouvrir davantage. Je crois qu'il faut tout repenser. C'est ça, c'est de la qualité que je veux faire, et du sur-mesure.
 
E. Le Boucher : Mais, quand même, c'est vous qui prononcez le mot "débouché" et le mot "métier", à deux reprises.
 
R.- Oui.
 
E. Le Boucher : On a bien compris qu'au cours de la licence, on doit apprendre aussi l'informatique et l'anglais, mais est-ce que quand même on doit apprendre des professions qui ont des débouchés ? Est-ce que quand même vous allez essayer de réorienter les étudiants vers des débouchés ?
 
R.- Mais, monsieur Le Boucher, là encore je vous le redis, dans une économie totalement tertiarisée, les débouchés c'est les services, et les services... un très bon diplômé de toutes les formes de filières doit pouvoir trouver des débouchés et un métier dans toutes les filières des services et je crois que ça serait vraiment... Regardez la formation des écoles, aujourd'hui, privées, dans lesquelles les parents mettent leurs enfants, ils paient des frais d'inscription qui sont affolants, pour avoir une qualité d'enseignement qui est inégale, très inégale, qui est d'ailleurs très peu contrôlée, parce que souvent c'est des écoles privées, donc les parents préfèrent ça. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces écoles, eh bien ces écoles se mettent dans une logique qui est une logique, d'abord de compétences. Quelles sont les compétences qui vont être demandées à ces jeunes, comment est-ce que je les forme ? Moi, je crois que l'université qui a les meilleurs professeurs, qui fait les meilleurs cours, qui en terme de connaissances donne aux étudiants, quand même, une ouverture sur l'abstraction, sur le monde qui nous entoure, qui est sans comparaison avec ces écoles-là, doit pouvoir faire beaucoup mieux.
 
O. Nahum : V. Pécresse, il y a une question d'un étudiant de Gironde, qui nous dit : vous voulez donner à la licence plusieurs champs de compétences, l'anglais, les nouvelles technologies. Et il se demande, cet étudiant, en substance, si vous n'allez pas vous exposer à une nouvelle fronde des étudiants qui vont vous dire : « on ne va pas en licence de géographie pour faire aussi de l'informatique et pour faire plein de choses, on veut d'abord faire de la géographie ». Vous ne craignez pas que ces étudiants ne soient pas prêts à accepter cette espèce de généralisme qu'ils ont déjà eu à l'époque du Bac, pour résumer la question de notre ami de Gironde ?
 
R.- Je crois qu'il ne faut pas qu'il s'inquiète, parce que nous ferons plus.
 
O. Nahum : Vous ferez plus ? C'est-à-dire, plus d'heures de cours ?
 
R.- Mais oui, donc nous donnerons plus de chance, nous leur permettrons d'avoir plus de compétences et de connaissances, donc nous ne retirerons pas leur place aux connaissances.
 
D. Jeambar : En vous écoutant, je crois que tout le monde est d'accord sur vos objectifs, mais au fond on se dit que l'on est d'accord comme on est d'accord sur le mot d'ordre de J.-P. Chevènement : 80 % de réussite au Bac. Et on voit bien avec le recul que ce n'était pas vraiment une très bonne idée de se donner des objectifs chiffrés comme ça. Alors, vous n'en donnez pas, mais, est-ce que, au fond, cette réussite à tout prix, ce n'est pas déplacer le problème ?
 
R.- Non, monsieur Jeambar, je m'en donne, parce que nous en avons un qui s'impose à nous, qui est l'objectif de Lisbonne, qui dit : 50 % d'une génération au niveau de la licence. Pourquoi ? Eh bien parce que face à l'Inde, face à la Chine, face à toutes les économies émergeantes, nous devons être le pays de l'innovation, nous devons élever le niveau de connaissance de nos enfants, mais quand je dis élever le niveau de connaissance, c'est une exigence...
 
D. Jeambar : Ça n'a pas été le cas avec les 80 % au Bac...
 
R.- Mais, monsieur Jeambar, on peut s'être trompé une fois, et ne pas faire les mêmes erreurs deux fois. Nous, notre objectif c'est de faire davantage, c'est d'élever vraiment le niveau de connaissance et quand je vous parle, je vous dis, c'est un exemple, parce que ne me dites pas que je ne veux faire que des langues étrangères, mais par exemple...
 
O. Nahum : Non, ce n'est pas moi, c'est notre ami de Gironde.
 
R.- Mais par exemple, typiquement, si - pour reprendre toujours cet exemple de la géographie, mais on pourrait prendre celui de la philosophie - si on fait de la géographie et que l'on a aussi un petit module d'économie, et qu'on a aussi un petit module de sociologie, eh bien on pourra faire toute une série d'autres choses qui seront liées à la géographie, mais qui peuvent être dans le domaine du paysage, dans le domaine du développement durable, etc. Donc, je veux dire, on ne sait pas, à 18 ans, ce que l'on va faire. L'important, c'est que l'université vous ouvre des portes.
 
O. Nahum : Mais, V. Pécresse - et après je vous donnerai la parole, Jean-Marc - V. Pécresse, on a bien compris que l'on est dans un nouveau contexte universitaire, avec l'autonomie, qui implique aussi, bon, certes, les étudiants, une nouvelle façon d'appréhender la licence et puis les entreprises, une nouvelle façon aussi de gérer elles-mêmes ces universités qui sont des lieux de savoir. Alors, les entreprises françaises, elles sont prêtes aussi à mettre la main à la poche pour subventionner ? Effectivement, on parle toujours de l'exemple de Dauphine avec certains groupes privés qui financent des chaires d'enseignement.
 
R.- Mais, la vérité c'est que les entreprises aujourd'hui ne sont pas prêtes, parce qu'elles ne voient pas bien quel est l'intérêt pour elles d'investir dans l'université. Mais, ce que je veux leur dire, et ce que je vais leur dire, c'est qu'elles ont tout intérêt, elles ne sont pas philanthropes, mais elles ont tout intérêt à investir dans l'augmentation de la qualité de la formation des jeunes.
 
O. Nahum : Mais investir à Dauphine, d'accord, mais investir par exemple à Saint-Denis ou à Epinay-Villetaneuse, dans des universités plus problématiques, on le voit mal, non ?
 
R.- Mais parce que vous croyez qu'il n'y a pas de sièges sociaux en Seine Saint-Denis ?
 
O. Nahum : Si, il y en a, mais...
 
R.- Parce que vous croyez qu'ils ne recrutent pas 40 % de leurs employés sur le bassin local d'emploi ? La vérité c'est que toutes les entreprises... La Seine Saint-Denis, en Ile de France, est le département où il y a le plus de sièges sociaux. Et c'est un département où il y a énormément de recrutement local, contrairement à ce que l'on croit, et vous savez bien que toutes les entreprises aujourd'hui se donnent des objectifs de diversité du recrutement. En plus, il y a un défi démographique : c'est que les cadres partent à la retraite, il va falloir en remplacer à peu près la moitié dans les dix ans qui viennent, il va falloir diversifier le vivier. En plus, vous le savez aussi, il y a une fuite des cerveaux, donc il y a un certain nombre de nos étudiants qui partent à l'étranger. Donc, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il va y avoir une vraie demande de diplômés universitaires dans l'entreprise et que l'entreprise a tout intérêt à ce qu'ils aient des belles salles informatiques, à ce qu'ils aient des beaux amphis et à ce qu'ils aient une bonne qualité de formation.
 
J.-M. Lech : Oui, est-ce que vous penchez qu'un jour la société française sera prête pour la sélection à l'entrée plutôt que la sélection par l'échec ?
 
R.- Mais, la sélection elle existe à l'entrée de l'université, ça s'appelle le baccalauréat et ensuite vous avez 52 %...
 
J.-M. Lech : La sélection avec 80 % de gens qui l'ont.
 
R.- Non, non, attendez, monsieur Lech, vous avez 52 % des étudiants qui échouent à la fin de la première année. Donc la sélection elle est partout. Il faut arrêter avec ce mythe de la sélection qui n'existe pas à l'université. Elle existe, simplement c'est une sélection, comme vous l'avez dit, par l'échec. Moi, je ne veux pas de sélection par l'échec, je veux une orientation avec de l'information. Si on dit à un bachelier L : « vous vous inscrivez - je vais prendre un exemple volontairement caricatural - vous vous inscrivez en première année de sciences, il faut être sacrément motivé, on va vous accompagner, vous aurez du tutorat, vous aurez des cours supplémentaires pour récupérer les pré-requis de mathématiques que vous n'avez pas, mais on vous prévient tout de suite, vous avez un taux de réussite d'à peu près 10 % à la fin de l'année ». Une fois que vous dites ça à un jeune, s'il est très motivé, eh bien il s'inscrit et il y arrive, mais il sait qu'il faudra qu'il s'accroche.
 
O. Nahum : On s'achemine vers la fin. Denis, une question rapide pour terminer. D. Jeambar : Depuis ces trente dernières années, on va vu se développer dans les villes moyennes, des petites universités. Est-ce qu'il n'y a pas aujourd'hui trop de petites universités comme il y a trop de petits hôpitaux ?
 
R.- Alors, c'est une question qui est excellente. L'autonomie doit aller de pair avec un regroupement universitaire mais pas seulement d'universités...
 
O. Nahum : Pas façon R. Dati dans les tribunaux.
 
R.- Mais moi j'ai une chance que n'a pas R. Dati, c'est que moi je veux augmenter le nombre de diplômés, donc je veux augmenter les capacités de formation de ce pays, donc ça me permet...
 
D. Jeambar : Mais vous pensez qu'il faut regrouper.
 
R.- Non, il faut regrouper dans un outil qui est très puissant, qui s'appelle le pôle de recherche d'enseignement supérieur, qui a été lancé par la loi de 2006. Moi, mon objectif, c'est que l'autonomie s'accompagne de ce regroupement. Aujourd'hui, à Lyon, toutes les grandes écoles et toutes les universités sont dans le pôle de Lyon, Grenoble c'est pareil, Toulouse c'est pareil, Bordeaux c'est pareil, et je voudrais que nos 85 universités et nos 225 écoles, in fine, d'ici deux ans, se regroupent dans 15 pôles de recherche d'enseignement supérieur, qui leur permette de mutualiser leurs forces, de faire des écoles doctorales communes. Parce qu'une université de ville moyenne n'a pas forcément vocation à faire une école doctorale seule. Mais en revanche, je veux qu'aucune université ne reste isolée, parce que l'autonomie, évidement, ça doit aller de pair avec le regroupement des forces universitaires.
 
O. Nahum : Et vous souhaitez bonne chance à B. Julliard pour sa nouvelle carrière politique ?
 
R.- Ecoutez, il n'est pas rare de retrouver des dirigeants de l'UNEF au Parti socialiste.
 
O. Nahum : Donc, vous lui souhaitez, d'une certaine manière, une bonne continuation de carrière ! Merci beaucoup, V. Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et merci aux camarades J.-M. Lech et Le Boucher d'être restés avec moi jusqu'au bout.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 décembre 2007