Texte intégral
R. Sicard.- Bonjour à tous. Bonjour F. Chérèque... Vous allez vous retrouver avec les partenaires sociaux - les syndicats et le patronat - autour de N. Sarkozy aujourd'hui, pour discuter du fameux agenda social de 2008. Ça commence plutôt mal puisque la première date fixée, c'est une grève : les fonctionnaires ont décidé de se mettre en grève le 24 janvier.
R.- Alors tout d'abord, l'agenda social, il ne concerne pas la Fonction publique, et je ferai la demande auprès...
Q.- Non, mais le climat social n'est pas forcément excellent...
R.- Le climat social n'est pas excellent en ce moment en France, ce n'est pas une nouvelle. On s'en rend compte. Il y a beaucoup de tensions sur le pouvoir d'achat. Et la CFDT aujourd'hui n'a encore pas appelé à la grève de la Fonction publique. C'est-à-dire que nous avons décidé d'étudier les propositions du ministre sur les salaires des fonctionnaires. On lui a écrit...
Q.- Vous aviez dit que vous étiez déçu par ses propositions...
R.- Oui, mais si je faisais grève à chaque fois que j'étais déçu, je serais souvent en grève actuellement. Donc nous, on a proposé au ministre de la Fonction publique qu'il nous réponde sur nos demandes, des explications sur ses propositions, et ça sera...
Q.- Qu'est-ce que vous demandez là-dessus ?
R.- Eh bien, on demande des explications sur son système, qui est une vraie usine à gaz, une nouvelle fois, où on n'augmente pas tout le monde mais on augmente une partie pour ceux qui perdent du pouvoir d'achat, et on fait un système de salaire au mérite. Qu'est-ce qu'il pense derrière ça, quels sont ses objectifs, quelles sont ses propositions ? Et c'est en fonction des éléments qui seront menés à la négociation que la CFDT décidera la grève. On ne décide pas une grève comme ça, d'une façon légère, il faut qu'on y réfléchisse, et qu'on voie vraiment s'il y a des possibilités de faire avancer nos dossiers.
Q.- Vous pensez que les autres syndicats ont décidé un peu légèrement ?
R.- On a tendance en France de décider comme ça une grève trop rapidement, et de ne pas donner assez la chance à la négociation. Donc nous, on veut donner la possibilité d'avoir des réponses, et puis, on décidera, on a le temps, après tout, c'est pour le mois de janvier, on n'est encore pas au mois de janvier.
Q.- Il y a une négociation qui est en cours, c'est celle autour du contrat de travail. Le patronat voudrait assouplir les conditions de licenciement. F. Fillon dit ce matin que la durée de cette négociation va être prolongée. Est-ce que ça, ça vous satisfait, ça devait se terminer fin décembre ?
R.- Ça tombe bien, parce qu'on n'avait pas attendu son avis pour décider. On avait déjà décidé de continuer cette négociation début janvier, 8 et 9 janvier ou 9 et 10 janvier. Donc, on n'a pas besoin de la permission du Premier ministre pour négocier, on le fait entre partenaires sociaux, c'est notre rôle. Notre objectif, c'est nous, la CFDT, de trouver des nouveaux droits pour les salariés. On a dans notre pays deux millions de personnes qui perdent leur emploi, sur des ruptures individuelles, en particulier ce fameux gré à gré, ils n'ont aucun droit derrière, aucun droit à l'assurance chômage, aucun droit au reclassement. Donc nous, on souhaite obtenir des droits en échange de cet assouplissement, mais on souhaite aussi qu'il y ait moins de précarité, moins d'utilisation des contrats à durée déterminée, et une meilleure indemnisation du chômage. Donc c'est ça le fond de la négociation.
Q.- Mais vous pensez que sur ce dossier du contrat de travail, il y a un accord possible ?
R.- Je le souhaite, parce que s'il n'y a pas d'accord possible qui amène de nouveaux droits aux salariés, qui fait baisser la précarité en échange d'un assouplissement du fonctionnement des entreprises, c'est le Gouvernement qui décidera tout seul. Et on sait que sur ces sujets-là, le Gouvernement est sur des positions radicales en terme de libéralisation du marché du travail, et la CFDT ne le souhaite pas.
Q.- Sur les 35 heures, là aussi, il va falloir engager la négociation. Le Gouvernement dit qu'au fond, c'est les 35 heures qui pénalisent le pouvoir d'achat. Est-ce que sur ce point, vous êtes d'accord ?
R.- On est sur une vision dogmatique de ce problème des 35 heures. D'abord, le Gouvernement amène des illusions aux salariés, on est en train de faire croire aux salariés que la seule façon d'augmenter le pouvoir d'achat, c'est d'augmenter le temps de travail. On donne l'impression que la faute sur le pouvoir d'achat, c'est les 35 heures. Or, on oublie que les entreprises ont eu 20 milliards d'allègements de charges pour financer les 35 heures. On oublie que les salariés français ont la productivité horaire - c'est-à-dire ce qu'ils produisent en une heure - plus élevée d'Europe, et plus élevée même qu'aux Etats-Unis. Donc au bout d'un moment, il faut tout mettre sur la table. Et là, on fait croire qu'en "monétarisant" les comptes épargne temps, ces fameux RTT, on va pouvoir donner du pouvoir d'achat. Or, il n'y a que moins de 40% des salariés qui ont des RTT, les autres font 35 heures dans la semaine, point. Ils n'ont pas de RTT. Et en plus, on a une petite minorité qui peut revendre ses RTT. Donc là, on est en train de vendre une illusion en quelque sorte.
Q.- Et pourtant, il y a un sondage qui montre ce matin que les Français sont favorables à cette idée, ils pensent que ça va augmenter le pouvoir d'achat.
R.- Oui, parce qu'on est en train de leur faire croire que c'est ça qui augmentera leur pouvoir d'achat. Mais ils sont favorables pour une mesure qui ne les concerne pas. Il y a moins d'un million de salariés en France qui ont actuellement un compte épargne temps. Mais combien d'employeurs vont accepter de les racheter ? Moi, j'entends ce qu'ils disent les employeurs : on n'a pas les moyens de racheter les comptes épargne temps. Donc en ce moment, le Gouvernement est en train de baser toute sa politique du pouvoir d'achat sur ces fameux comptes épargne temps, qui ne concernent même pas un salarié sur vingt. Donc on leur ment. Donc on voit bien que la solution n'est pas là.
Q.- Sur la durée du travail justement, il y a un accord qui a été passé dans une entreprise, Continental. Les salariés sont d'accord pour travailler 40 heures. Qu'est-ce que ça, ça vous inspire ?
R.- Quand on vous pose la question : "si vous ne passez pas à 40 heures, on fermera dans les cinq ans l'usine, parce qu'on a en Roumanie une entreprise qui fait 40 heures, et qu'on délocalisera une partie de votre production". Qu'est-ce que vous faites ? Vous défendez votre emploi. Donc la question, la vraie question qui était posée aux salariés, ce n'était pas de dire : est-ce que vous acceptez de travailler 40 heures ; c'est : est-ce que vous acceptez de travailler 40 heures pour protéger votre emploi ? Mais moi, je comprends que les salariés ont voté oui, parce que la question n'était pas celle que l'on fait croire aujourd'hui, c'est-à-dire une volonté des salariés de passer à 40 heures sans autre procès. Non, le procès c'est : si vous ne le faites pas, vous risquez de perdre votre emploi. Donc je comprends la réaction des salariés.
Q.- Sur le pouvoir d'achat, N. Sarkozy a fait une partie de sa campagne là-dessus. Six mois après, quel bilan vous faites ?
R.- Eh bien, six mois après, on voit bien que ces mesures, qui sont des illusions montrent l'échec du Gouvernement sur le pouvoir d'achat, parce que le Gouvernement n'a pas pris les choses dans le bon sens. Les décisions, les démarches qu'il faut faire dans ces cas-là, c'est de relancer l'économie. Et pour relancer l'économie, il faut investir dans la recherche, dans l'innovation, pour créer des nouveaux produits qu'on va produire dans notre pays, faire de la formation pour qu'on aie des salariés qualifiés, et c'est de cette façon-là, en relançant l'économie, qu'on créera du pouvoir d'achat. Or, on a fait croire qu'on allait relancer l'économie par la croissance, et on voit bien que ça ne marche pas.
Q.- Cette idée d'agenda social, fixé pour 2008, dont il sera question donc cet après-midi, ça vous parait en soi une bonne idée ?
R.- C'était une proposition que j'avais faite, qui est prévue d'ailleurs par la loi. Il est important de se retrouver devant toutes ces réformes pour décider quelles sont les réformes qu'on fait, quelles sont les priorités qu'on donne, et qu'est-ce que font les partenaires sociaux par la négociation, et qu'est-ce que fera le Gouvernement de son côté. C'est une façon d'organiser le travail pour essayer d'enlever le flou que veut donner le président de la République : on lance plein de réformes pour cacher peut-être certaines réformes que ne veulent pas les salariés.
Q.- Lesquelles par exemple ?
R.- En particulier celle du temps de travail, où on donne l'illusion qu'on va remettre en cause les 35 heures pour faire travailler plus pour gagner plus, alors que la vraie demande du patronat - écoutez bien madame Parisot - c'est supprimer les références sur le temps de travail, pour de toute façon faire travailler les gens 40 heures, sans les augmenter. Et je crois qu'il est important qu'on décide clairement : qu'est-ce qu'on fait et qui fait quoi.
Q.- Là-dessus, vous n'êtes évidemment pas d'accord ?
R.- La CFDT a toujours dit : les 35 heures, c'est la référence du temps de travail. Il n'est pas question de revenir là-dessus. Mais de donner la possibilité de négociation par des accords majoritaires, de revoir ce problème-là, et de l'utilisation des heures supplémentaires, pourquoi pas. Négociations d'entreprises, base des 35 heures, et accords majoritaires, c'est des éléments qu'on n'a encore pas gagnés de la part du Gouvernement.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 décembre 2007