Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Bonjour,
Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui, en compagnie de mon collègue Jean Max Bellerive, ministre de la Planification et de la Coopération externe.
Avant de répondre aux questions que vous souhaiterez me poser, permettez-moi de vous dire d'abord quelques mots, afin de vous expliquer la signification que j'attache à cette visite en Haïti.
Ma venue a lieu à une date importante, puisque comme vous le savez sans doute, j'assisterai demain aux Gonaïves aux cérémonies de la Fête nationale.
C'est évidemment un geste hautement symbolique, puisque le choix du premier janvier comme Fête nationale commémore la proclamation de l'indépendance et la fin de la colonisation française.
Je pense que le moment est venu d'une appréhension sereine de ces évènements, par delà les polémiques qui ne peuvent être que stériles.
Nous avons compris, nous autres Français, que la Révolution haïtienne ne s'est pas faite contre la France, mais contre la France coloniale, au nom même des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité qui étaient celles de la Révolution française.
Tel sera le sens de ma présence demain aux Gonaïves.
Cette présence témoignera également de l'espoir et de la conviction, qui est celle du président Sarkozy et que je partage avec tous les membres du gouvernement auquel j'appartiens, que la République d'Haïti renoue aujourd'hui avec son inspiration fondatrice et s'engage résolument dans la construction d'une démocratie enfin apaisée.
Oui, j'en suis convaincu, Haïti est entrée dans une phase nouvelle et dans une période décisive de sa déjà longue et très riche histoire.
Le président Préval, je crois le savoir, aime à dire qu'il lui appartient, qu'il appartient aux autorités issues des scrutins de février 2006, de concilier démocratie et stabilité.
Il est vrai que votre pays n'a trop souvent connu la stabilité que dans la dictature et que les tentatives pour instaurer la démocratie, parfois maladroites, toujours durement combattues, se sont, en quelque sorte, tout spécialement au cours de ces vingt dernières années, le plus souvent dissoutes dans l'instabilité.
J'en suis persuadé, ce cycle infernal touche à sa fin. Il n'y a pas - pourquoi y en aurait-il ? - de fatalité haïtienne de la violence et du sous-développement.
Ceux-ci sont les produits de l'Histoire. Une histoire singulière, assurément, qui fait la grandeur de votre peuple. Une histoire inaugurée par une longue et très dure guerre de libération, qui a eu pour conséquence la destruction de la quasi-totalité des infrastructures productives, l'histoire aussi d'un pays d'abord maintenu dans un certain isolement par les grandes puissances, l'histoire d'une société traversée par une "fracture sociale" particulièrement accusée - qui explique la fortune de la notion si fameuse de "pays d'en dehors" - et peu propice au consensus sans lequel il n'est pas de développement harmonieux.
Ce cycle s'achève, parce que les évènements dramatiques que vous avez vécus depuis des décennies ont joué le rôle à la fois de révélateur et de catalyseur.
Dans les luttes, une société civile puissante - je pense aux associations de défense, de promotion des Droits de l'Homme - s'est constituée, que nul ne peut plus ignorer.
Surtout, vous avez tiré collectivement les leçons de ces luttes et tous ensemble, vous voulez désormais que votre pays s'engage sur la voie de la stabilité et du développement.
Vous le savez : cela implique la démocratie, qui elle-même suppose le sens des responsabilités et la recherche par les différents groupes sociaux, au-delà de leurs divergences d'intérêts, d'un consensus qui ne peut être fondé que sur le plus grand commun dénominateur possible.
Je rends hommage au président Préval et au gouvernement, qui conduisent une politique d'apaisement ; je rends hommage à l'ensemble de la classe politique, à la société civile, aux milieux d'affaires, qui ont choisi d'adopter une attitude constructive, même lorsqu'ils ne sont pas pleinement convaincus du bien fondé des politiques mises en oeuvre ; je rends hommage à la maturité du peuple haïtien.
La communauté internationale, elle aussi, a tiré les leçons du passé - et c'est pour Haïti un autre motif d'espoir.
Elle a compris que, dans ce monde globalisé qui est désormais le nôtre, il ne peut y avoir de pays délaissé, comme à l'abandon, en déshérence.
Nous avons tous partie liée, nous sommes tous engagés dans une aventure collective et les malheurs des uns sont ceux de chacun d'entre nous.
Dans cet univers globalisé, l'instabilité prolongée dans un pays, aussi petit paraisse-t-il sur la carte du monde, ne demeure pas circonscrite à ce pays : elle a des effets au-delà de ses frontières.
Dans ce monde globalisé, nous avons besoin que tous les pays soient en mesure d'unir leurs efforts pour lutter contre les maux qui tous nous menacent : les grandes pandémies comme le sida, les trafics - drogues, blanchiment d'argent -, le terrorisme, etc.
C'est pourquoi la communauté internationale est résolue à aider Haïti dans la durée.
Elle aide Haïti, au travers de la Minustah, à assurer durablement sa stabilité.
Elle lui apporte une aide au développement, qu'elle maintiendra dans la durée.
Elle aide les autorités à créer les conditions nécessaires pour attirer les investissements privés, sans lesquels il n'y aura pas de solution aux problèmes de pauvreté, qui affectent gravement la société haïtienne.
Dans cette perspective, la France est résolue à jouer le rôle qui, elle en est consciente, lui revient.
Ce rôle lui revient de par l'Histoire.
Je mesure pleinement la densité et la signification de cette Histoire : je l'ai déjà dit, ma présence en Haïti en cette date symbolique du 1er janvier l'atteste.
Mais je voudrais aussi vous faire part de ma conviction que l'avenir nous réunit tout autant que l'Histoire et que celle-ci ne saurait être le seul déterminant des relations franco-haïtiennes.
Avoir une langue en partage, ce n'est pas seulement partager un héritage, c'est aussi partager des valeurs et, par conséquent, une conception de l'avenir de l'humanité.
Sans arrogance et sans prétention à l'exclusivité, la Francophonie est porteuse de "messages" de portée universelle : l'égale dignité des langues et des cultures, solennellement affirmée dans la Convention sur la diversité culturelle, dans l'adoption de laquelle la Francophonie a joué un rôle essentiel, le dialogue dans le respect des différences, les Droits de l'Homme.
Comment méconnaître l'importance de ces "messages", dans un monde que menace un "clash des civilisations".
Haïti retrouve sa place dans les organisations régionales, à l'ONU, sur la scène internationale, et, conformément à sa grande tradition, jouera au sein de ces instances, je n'en doute pas, un rôle croissant pour la promotion de ces valeurs qui nous sont également chères.
Et puis, nous sommes voisins, de par ces départements d'Amérique, comme nous disons : Guadeloupe, Martinique, et même Guyane, certes plus lointaine.
Le temps n'est plus où une France centralisée à l'excès entendait réserver aux seuls représentants de l'Etat l'expression des positions françaises sur la scène internationale. Nous souhaitons que nos départements d'Amérique, comme ceux de l'Océan indien ou nos territoires du Pacifique, s'insèrent aussi harmonieusement que possible dans leur environnement géographique.
C'est la condition de leur développement économique et cette insertion harmonieuse - pourquoi faudrait-il le cacher ? - contribuera au rayonnement de la France et de la Francophonie.
Les intérêts de nos départements d'Amérique et les intérêts d'Haïti, seul pays francophone pleinement souverain du vaste ensemble Amériques-Caraibes, sont donc convergents.
C'est pourquoi nous souhaitons intensifier les relations culturelles, économiques et sociales entre ces départements et Haïti.
Nous avons, en particulier, créé à cette fin les Fonds de coopération régionale, cofinancés et cogérés par l'Etat et les régions.
Vous estimez, je le sais, que la coopération française en Haïti n'est plus ce qu'elle a été.
Je vous invite, pourtant, à ne pas vous laisser aller aux impressions que vous avez pu retirer d'un passé récent.
Nos relations ont connu, au cours des vingt dernières années, des hauts et des bas, dont vous m'accorderez, je pense, qu'ils ont souvent reflété les soubresauts qui ont marqué votre propre histoire.
D'autres coopérations, par ailleurs, sont beaucoup plus présentes, ce qui est normal et souhaitable, et qui modifie probablement votre perception.
Quant à notre coopération, elle a évolué, prenant des formes nouvelles.
Pour me limiter à un exemple : le nombre des assistants techniques, qui conféraient une grande visibilité à notre action, a beaucoup baissé, ici comme ailleurs, mais trop souvent, pour reprendre une maxime célèbre, "ils pêchaient pour vous plutôt qu'ils ne vous apprenaient à pêcher" ; d'autres modalités de coopération ont gagné en importance, j'y reviendrai.
Le fait est, en tout cas, que, en moins de deux ans, le montant de la coopération française en Haïti a presque doublé, pour atteindre près de 25 millions d'euros (1,25 milliard de gourdes). En 2008, une légère augmentation devrait encore être enregistrée.
Nous avons réalisé, dans le domaine culturel, des opérations de prestige, le lancement à la Citadelle, en juin, du programme Caraïbes en créations, le Festival du livre "Etonnants voyageurs" il y a tout juste un mois, début décembre.
Ces grandes opérations - menées, je tiens à le souligner et à m'en féliciter publiquement, en complet partenariat, et en cofinancement paritaire, avec le ministère haïtien de la culture et deux ministres successifs - ont mis en évidence l'extraordinaire créativité haïtienne.
Grâce à la présence de nombreux journalistes, elles ont fortement contribué à changer l'image d'Haïti : les problèmes d'insécurité, au demeurant beaucoup moins aigus désormais, ne résument pas la réalité d'un pays aussi complexe et fascinant qu'Haïti - tel était le message, en dernière analyse de nature politique, dont ces manifestations étaient porteuses.
De grands projets sont lancés ou vont l'être : la route Hinche-Saint Raphaël, un nouvel Institut culturel sur le Champ de mars, grâce à un échange de terrains avec le gouvernement haïtien (nous lui donnons le "Bicentenaire", il nous offre une parcelle sur le "Champ de mars"), et un projet à Jacmel. Celui-ci est remarquable par la collaboration qu'il implique entre l'Etat (représenté en l'occurrence par l'AFD) et la ville de Strasbourg et la région Alsace.
L'Agence française de Développement va financer des mesures destinées à protéger Jacmel contre les risques d'inondations - qui menacent la ville aussi gravement qu'ils menaçaient Gonaives - et Strasbourg et la région Alsace vont aider la mairie à mieux se structurer, en apportant une assistance technique là où elle apparaîtra nécessaire, en finançant un poste d'ingénieur et un de gestionnaire, de manière dégressive au fil des années.
Ce grand programme pour Jacmel est exemplaire.
En parlant de nouvelles modalités de coopération, je pensais en particulier à la coopération décentralisée. L'ayant pratiquée comme maire de Mulhouse, j'en connais les potentialités.
Nos villes, départements, régions peuvent, si je puis dire, porter la coopération dans les régions les plus reculées et les plus défavorisées du pays.
La coopération décentralisée peut plus facilement que l'Etat agir dans la durée. Elle permet de tisser des liens humains irremplaçables et essentiels au développement, qui est avant tout affaire de ressources humaines. Elle est une école de la démocratie.
C'est pourquoi je me réjouis de constater que, depuis quelques mois, un souffle nouveau anime la coopération décentralisée entre la France et Haïti.
Encouragées par l'amélioration de la situation en Haïti, trois régions importantes s'y engagent (Ile de France, Aquitaine, Loire Atlantique), mais aussi des communes, moyennes (Ambès avec Anse d'Hainault) ou petites (Saint Lys - 8.000 habitants - avec Saint Louis du sud), tandis que les villes, départements et régions traditionnellement actifs en Haïti le sont plus que jamais : les Hauts de Seine, Suresnes, la Savoie, Nantes, et bien entendu la Guadeloupe et la Martinique, voire la Guyane.
Cette vitalité témoigne de l'intérêt que la société française porte à votre pays, et qu'atteste également le grand nombre des ONG françaises ou des jeunes Français employés par des ONG de pays tiers et qui effectuent dans toutes les provinces un travail de qualité, souvent de longue haleine, qui s'est généralement poursuivi dans les périodes les plus difficiles.
Les entreprises françaises commencent également à tourner de nouveau leurs regards vers Haïti.
Je les y encourage, même si, comme vous le savez, l'Etat ne peut plus intervenir comme il le faisait autrefois dans la vie des entreprises.
Deux de nos plus grandes sociétés, Total et Air France, qui n'ont jamais quitté Haïti, augmentent leur activité.
Depuis l'été, deux missions d'hommes d'affaires guadeloupéens et une mission martiniquaise sont venues s'informer sur place. De nombreux projets font l'objet de discussions. J'en évoquerai seulement deux, parce qu'ils arrivent à maturité et me paraissent particulièrement importants.
Il s'agit, d'une part de la proposition de créer pour gérer le Centre national de l'Equipement une société mixte associant le gouvernement haïtien et l'organisation des professionnels guadeloupéens du BTP, d'autre part de la proposition de la CCI de Pointe à Pitre, qui gère l'aéroport de Pointe à Pitre, de moderniser et gérer celui de Cap haïtien.
Je crois pouvoir dire qu'il s'agit là de projets particulièrement bien pensés ; ils peuvent être réalisés en synergie avec la région Guadeloupe, qui peut financer, en particulier, des programmes de formation professionnelle pour former des personnels techniques et administratifs haïtiens capables de mettre en oeuvre ces projets. Si ces projets aboutissent, je ne doute pas que de nombreux autres suivront.
Nous ne voulons pas seulement accroître notre coopération. Nous entendons aussi la rendre toujours plus efficace.
C'est pourquoi nous avons élaboré, en étroite concertation avec nos amis haïtiens, ce que nous appelons un DCP - Document-cadre de partenariat -, que nous proposons à nos partenaires les plus proches, ceux avec qui nous entretenons une coopération particulièrement active. Nous venons de signer cet accord avec le ministre Bellerive.
Il précise les grandes orientations de notre coopération pour les cinq années à venir et, afin d'éviter les dangers de la dispersion et d'atteindre, dans les secteurs d'intervention retenus, un "seuil critique" au dessous duquel il n'est pas d'efficacité, il retient un nombre limité de priorités : aide à la restauration de l'Etat (avec quatre volets principaux : déconcentration et décentralisation, police, justice, parlement), éducation, français, promotion de la diversité culturelle, infrastructures (route, eau, déchets urbains), sans s'interdire d'explorer de nouvelles problématiques essentielles (la lutte contre l'immigration clandestine, le co-développement) et sans négliger, bien entendu, les domaines d'excellence traditionnels de notre coopération tels que le développement rural ou la santé.
Voilà ce que je souhaitais vous dire. Je vous remercie de votre attention et cède maintenant la parole à mon collègue Bellerive.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2008