Texte intégral
Q - Qu'avez-vous ressenti à l'annonce de la mort de Benazir Bhutto ?
R - Ce sont toujours les mêmes mots : "horreur, choc, condamnation". Lorsque l'on connaît celui ou celle qui vient de mourir, il s'y ajoute un élément personnel. C'était une femme extrêmement déterminée, élégante, obstinée, d'une famille qui avait déjà beaucoup payé pour le pouvoir, pourrait-on dire, mais aussi, pour une part de démocratie au Pakistan. Son père a été exécuté, son frère a été assassiné... Oui, c'était une femme que l'on ne peut pas oublier. Je crois que le monde a perdu avec elle une très belle combattante.
Q - Vous dites que vous la connaissiez ; vous l'aviez rencontrée, encore, récemment ?
R - Oui, je l'avais rencontrée plusieurs fois, et la première fois, c'était avec François Mitterrand, lors d'une visite, alors qu'elle était Premier ministre du Pakistan. Puis je l'ai revue plusieurs fois, récemment encore.
Q - Elle vous avait fait part de ses craintes ? Redoutait-elle ce qui s'est passé ?
R - Elle n'en parlait pas souvent, mais elle m'avait dit en arrivant - vous savez qu'elle était revenue au Pakistan il y a seulement trois mois, en octobre.
Q - Après son exil...
R - ... Dans ce pays de violence, on lui avait dit : "ne craignez-vous pas de mourir ?" Elle avait dit qu'elle connaissait les risques, que dans sa famille, c'était des risques assumés. Elle ne se dissimulait pas quels étaient les dangers de sa tâche, mais cela ne la faisait pas renoncer, c'était une femme de fer. De fer et de charme. Charme et ténacité.
Q - Vous étiez dans la région, je crois, il y a très peu de temps.
R - Oui, nous étions en Afghanistan. C'est curieux, j'en parlais avec le président Karzaï, avec Nicolas Sarkozy, qui était là, et je lui demandais, comme il nous annonçait qu'il allait visiter - ce qu'il a fait d'ailleurs - le Pakistan : "Allez-vous rencontrer l'opposition ?". Il m'a dit : "Bien sûr, avec un sourire, je vais rencontrer Mme Benazir Bhutto et je vais rencontrer aussi M. Nawaz Sharif". Nous avions évoqué Mme Bhutto, avec l'admiration qu'on avait pour elle. Je sais qu'elle a été attaquée, mais il n'est plus temps de parler de cela. Ce qu'on peut savoir, c'est qu'un certain nombre de gens avait annoncé les attentats, qu'un certain nombre de gens avait déclaré qu'ils ne laisseraient pas Mme Bhutto vivante, et en particulier, les responsables extrémistes des zones tribales...
Q - A qui pensez-vous ?
R - Tous ceux qu'elle allait gêner si elle revenait.
Q - Et elle gênait beaucoup de monde ?
R - Il n'y a pas que des extrémistes parmi les religieux. Il y en a, bien sûr, qui participent du jeu de la démocratie, mais il y a aussi des extrémistes religieux. Ceux-là ne supportaient pas l'idée même du retour de Mme Bhutto : une femme, bien sûr, mais aussi une ouverture vers le monde moderne et vers la démocratie.
Q - Elle s'en était prise d'ailleurs, pas plus tard qu'avant-hier, aux islamistes qui étaient régulièrement sa cible verbale ?
R - Oui.
Q - Elle s'en prenait également au pouvoir en place, celui de M. Pervez Musharraf.
R - Bien sûr.
Q - Il l'avait assignée à résidence...
R - Il avait justifié l'état d'urgence par le danger de l'extrémisme et par les attentats qui pouvaient se produire. N'avait-il pas un peu raison ? Rien, ne justifie l'état d'urgence mais en tout cas, la violence était là, n'est-ce pas ? Il avait accepté de lever l'état d'urgence en annonçant les élections, qui sont toujours programmées et j'espère qu'elles pourront se tenir pour le 8 janvier.
Q - Nicolas Sarkozy a également jugé plus que jamais indispensable la tenue de ces élections le 8 janvier. Mais dans quel climat elles peuvent se tenir, quand on voit ce qui se passe ? Franchement, y a-t-il la sérénité nécessaire ?
R- Je parle quelques heures avant la diffusion de cet entretien. Je ne sais pas, mais pour le moment, il y a eu des attaques de postes de police et des troubles dans la rue. Les partisans de Mme Bhutto sont évidemment furieux, écoeurés, malades de tristesse et certains portent la responsabilité de cela à leurs yeux. Alors, j'espère que la situation sera calme. Le président Musharraf a demandé qu'elle soit calme. Il a accordé trois jours de deuil qui pourront peut-être calmer les esprits...
Q - Vous faites confiance au président Musharraf pour maintenir ce calme ?
R - Il faudrait que ce calme soit suffisant pour que les élections se tiennent. Ces élections sont essentielles pour la stabilité de ce pays qui est important pour le reste du monde, et pour nous en particulier qui sommes en Afghanistan avec nos soldats.
Q - Le Pakistan dispose, on le sait, officieusement de l'arme nucléaire. Très franchement, aujourd'hui, il y a de quoi s'inquiéter.
R - Ce qui rend, évidemment, le déséquilibre de cette région encore plus dangereux. Si par hasard, si cette bombe devait tomber dans la main d'extrémistes, vous pensez bien qu'ils en feraient un très mauvais usage. D'ailleurs, il ne faut pas en faire usage du tout. C'est pour ça que le Pakistan, cela nous regarde tous et que finalement, l'assassinat odieux de Mme Bhutto, c'est aussi, pour une part, un assassinat de la démocratie ou de ce qui aurait pu devenir. Nous ne devons pas le supporter. C'est une crise politique très grave qui menace l'équilibre de cette région sans aucun doute, et peut-être plus largement encore. Il ne faut pas qu'il y ait le chaos. Il faut qu'il y ait des élections et toutes les démocraties seront attentives à cela.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 janvier 2008
R - Ce sont toujours les mêmes mots : "horreur, choc, condamnation". Lorsque l'on connaît celui ou celle qui vient de mourir, il s'y ajoute un élément personnel. C'était une femme extrêmement déterminée, élégante, obstinée, d'une famille qui avait déjà beaucoup payé pour le pouvoir, pourrait-on dire, mais aussi, pour une part de démocratie au Pakistan. Son père a été exécuté, son frère a été assassiné... Oui, c'était une femme que l'on ne peut pas oublier. Je crois que le monde a perdu avec elle une très belle combattante.
Q - Vous dites que vous la connaissiez ; vous l'aviez rencontrée, encore, récemment ?
R - Oui, je l'avais rencontrée plusieurs fois, et la première fois, c'était avec François Mitterrand, lors d'une visite, alors qu'elle était Premier ministre du Pakistan. Puis je l'ai revue plusieurs fois, récemment encore.
Q - Elle vous avait fait part de ses craintes ? Redoutait-elle ce qui s'est passé ?
R - Elle n'en parlait pas souvent, mais elle m'avait dit en arrivant - vous savez qu'elle était revenue au Pakistan il y a seulement trois mois, en octobre.
Q - Après son exil...
R - ... Dans ce pays de violence, on lui avait dit : "ne craignez-vous pas de mourir ?" Elle avait dit qu'elle connaissait les risques, que dans sa famille, c'était des risques assumés. Elle ne se dissimulait pas quels étaient les dangers de sa tâche, mais cela ne la faisait pas renoncer, c'était une femme de fer. De fer et de charme. Charme et ténacité.
Q - Vous étiez dans la région, je crois, il y a très peu de temps.
R - Oui, nous étions en Afghanistan. C'est curieux, j'en parlais avec le président Karzaï, avec Nicolas Sarkozy, qui était là, et je lui demandais, comme il nous annonçait qu'il allait visiter - ce qu'il a fait d'ailleurs - le Pakistan : "Allez-vous rencontrer l'opposition ?". Il m'a dit : "Bien sûr, avec un sourire, je vais rencontrer Mme Benazir Bhutto et je vais rencontrer aussi M. Nawaz Sharif". Nous avions évoqué Mme Bhutto, avec l'admiration qu'on avait pour elle. Je sais qu'elle a été attaquée, mais il n'est plus temps de parler de cela. Ce qu'on peut savoir, c'est qu'un certain nombre de gens avait annoncé les attentats, qu'un certain nombre de gens avait déclaré qu'ils ne laisseraient pas Mme Bhutto vivante, et en particulier, les responsables extrémistes des zones tribales...
Q - A qui pensez-vous ?
R - Tous ceux qu'elle allait gêner si elle revenait.
Q - Et elle gênait beaucoup de monde ?
R - Il n'y a pas que des extrémistes parmi les religieux. Il y en a, bien sûr, qui participent du jeu de la démocratie, mais il y a aussi des extrémistes religieux. Ceux-là ne supportaient pas l'idée même du retour de Mme Bhutto : une femme, bien sûr, mais aussi une ouverture vers le monde moderne et vers la démocratie.
Q - Elle s'en était prise d'ailleurs, pas plus tard qu'avant-hier, aux islamistes qui étaient régulièrement sa cible verbale ?
R - Oui.
Q - Elle s'en prenait également au pouvoir en place, celui de M. Pervez Musharraf.
R - Bien sûr.
Q - Il l'avait assignée à résidence...
R - Il avait justifié l'état d'urgence par le danger de l'extrémisme et par les attentats qui pouvaient se produire. N'avait-il pas un peu raison ? Rien, ne justifie l'état d'urgence mais en tout cas, la violence était là, n'est-ce pas ? Il avait accepté de lever l'état d'urgence en annonçant les élections, qui sont toujours programmées et j'espère qu'elles pourront se tenir pour le 8 janvier.
Q - Nicolas Sarkozy a également jugé plus que jamais indispensable la tenue de ces élections le 8 janvier. Mais dans quel climat elles peuvent se tenir, quand on voit ce qui se passe ? Franchement, y a-t-il la sérénité nécessaire ?
R- Je parle quelques heures avant la diffusion de cet entretien. Je ne sais pas, mais pour le moment, il y a eu des attaques de postes de police et des troubles dans la rue. Les partisans de Mme Bhutto sont évidemment furieux, écoeurés, malades de tristesse et certains portent la responsabilité de cela à leurs yeux. Alors, j'espère que la situation sera calme. Le président Musharraf a demandé qu'elle soit calme. Il a accordé trois jours de deuil qui pourront peut-être calmer les esprits...
Q - Vous faites confiance au président Musharraf pour maintenir ce calme ?
R - Il faudrait que ce calme soit suffisant pour que les élections se tiennent. Ces élections sont essentielles pour la stabilité de ce pays qui est important pour le reste du monde, et pour nous en particulier qui sommes en Afghanistan avec nos soldats.
Q - Le Pakistan dispose, on le sait, officieusement de l'arme nucléaire. Très franchement, aujourd'hui, il y a de quoi s'inquiéter.
R - Ce qui rend, évidemment, le déséquilibre de cette région encore plus dangereux. Si par hasard, si cette bombe devait tomber dans la main d'extrémistes, vous pensez bien qu'ils en feraient un très mauvais usage. D'ailleurs, il ne faut pas en faire usage du tout. C'est pour ça que le Pakistan, cela nous regarde tous et que finalement, l'assassinat odieux de Mme Bhutto, c'est aussi, pour une part, un assassinat de la démocratie ou de ce qui aurait pu devenir. Nous ne devons pas le supporter. C'est une crise politique très grave qui menace l'équilibre de cette région sans aucun doute, et peut-être plus largement encore. Il ne faut pas qu'il y ait le chaos. Il faut qu'il y ait des élections et toutes les démocraties seront attentives à cela.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 janvier 2008