Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RTL le 10 janvier 2008, notamment sur l'accident d'un avion Rafale en Corrèze en décembre 2007 et sur le pouvoir d'achat des militaires français.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, H. Morin.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- Un avion Rafale de l'Armée de l'air française s'est écrasé au sol, le 6 décembre dernier à Neuvic en Corrèze. Il s'agissait du premier accident de ce genre concernant le Rafale. Et on ne savait pas jusqu'à présent qui du pilote ou de la machine était en cause dans ce drame. Vous êtes en possession, H. Morin, des premières conclusions du Bureau Enquêtes Accidents Défense. Alors, qu'en est-il ?
 
R.- D'abord, il s'agit de premières conclusions. L'enquête judiciaire et l'enquête du Bureau Enquêtes Accidents continuent puisque, bien entendu, ce sont des enquêtes où on examine très précisément l'ensemble des éléments. Mais à l'examen, notamment de la boîte noire, il y avait trois hypothèses possibles. La première c'était une défaillance de l'appareil, des moteurs ou des commandes de vol. De toute évidence, ça n'est pas le cas.
 
Q.- De toute évidence, ce n'est pas le cas ?
 
R.- Oui, il n'y avait pas de panne de moteur et il n'y avait pas de panne importante des commandes de vol. La seconde hypothèse c'était éventuellement qu'il y ait un malaise du pilote. C'était peu probable parce que ce pilote était un pilote exceptionnel. Il rentrait d'Afghanistan. C'était un militaire extrêmement chevronné, et de très grande valeur. Et donc, mais on n'est jamais à l'abri d'un problème de santé quelconque, et la réalité c'est qu'il a piloté l'avion jusqu'au bout. Donc, ça n'est pas cela. Et la troisième hypothèse, qui est celle que les pilotes connaissent bien - ça n'est pas une erreur humaine...
 
Q.- Christophe a dit ça tout à l'heure mais vous tenez à rectifier.
 
R.- Oui, c'est un danger et un risque inhérent au métier de pilote : c'est ce qu'on appelle la désorientation spatiale. C'est que lorsque vous êtes dans la nuit et dans le brouillard - et les conditions climatiques et météorologiques étaient mauvaises - vous ne vous rendez plus compte dans quelle position vous êtes ; et vous devez avoir en permanence - c'est une des leçons qu'on apprend à tous les pilotes - en permanence, l'idée que ça n'est pas votre corps qui doit vous dicter ce que vous devez faire, mais les instruments de bord. C'est-à-dire que les instruments de bord qui disent toujours la vérité. Or, tous les pilotes - j'ai eu l'occasion d'évoquer ce sujet avec le chef d'Etat major de l'Armée de l'Air, le général Abrial, etc. - tous les pilotes, un jour ou l'autre, ont connu cette contradiction fondamentale entre ce qu'ils ressentent et ce qui est. Et donc, chacun, au moins une fois dans sa vie, a eu cette espèce de contradiction et a refusé d'écouter les instruments de bord. Alors, souvent, ils s'en tirent, dieu merci !
 
Q.- Mais là !
 
R.- Et là, malheureusement, il semblerait que le capitaine Emmanuel Moriuser, voilà...
 
Q.- Si l'enquête n'est pas terminée, tout de même, vous avez l'air assez catégorique quant à ses conclusions ?
 
R.- Tant que les conclusions de l'enquête ne sont pas totalement terminées, conservons cette part d'incertitude. Mais tout semble le croire.
 
Q.- Vous avez, vous-même, ministre de la Défense, H. Morin, fait sensation il y a quelques mois en dénonçant la trop grande technicité du Rafale. Du coup, on se dit...
 
R.- Non, ça n'a absolument rien à voir avec le sujet. Non. Rien.
 
Q.- Rien du tout ?
 
R.- Rien.
 
Q.- Donc, pas de nécessité de s'inquiéter du fonctionnement du Rafale ?
 
R.- Le Rafale est un avion exceptionnel. Il est allé en Afghanistan. Les pilotes de l'Armée de l'air m'ont indiqué que c'était un avion ayant une capacité opérationnelle extraordinaire. Nous venons de faire des exercices avec un certain nombre d'armées de l'air de pays étrangers dans le Golfe, démontrant que le Rafale était largement supérieur à tous les avions avec lesquels il était confronté. Donc, ce n'est pas la question.
 
Q.- D'accord. C'est un avion qui est exceptionnel, vous le dites, qu'on a du mal à vendre. Le Colonel Kadhafi était en France en décembre. Il devait en acheter quatorze. Où en est-on dans ces négociations ?
 
R.- Ecoutez, on est dans cette phase où après ce qu'on appelle la décision de négociations exclusives signées entre la Libye et la France ; et maintenant il appartient à l'Industriel, à Dassault, de faire des propositions, de voir précisément ce que souhaitent les autorités libyennes. Quel est le contenu du contrat ? Jusqu'où on va ? Quelles sont les spécifications de l'avion souhaitées précisément ? Et après, espérons-le, la signature définitive du contrat.
 
Q.- Donc, toujours rien de fait. A quel horizon la signature définitive du contrat, à votre avis ?
 
R.- En général, c'est des négociations qui durent plusieurs mois. Si on pouvait conclure avant l'été, ce serait bien.
 
Q.- On espère que le Colonel Kadhafi n'est pas venu pour rien, qu'il va quand même acheter quelque chose !
 
R.- Il n'est pas venu pour rien.
 
Q.- On parle beaucoup de problèmes du pouvoir d'achat dans la société française. H. Morin, vous avez été vous-même destinataire début décembre, d'un avis du conseil de la Fonction militaire de l'armée de terre où des représentants de cette armée se plaignaient d'être notamment moins bien traités que les gendarmes qui sont, eux aussi, membres de l'armée de Terre.
 
R.- Ils ne sont pas membres de l'armée de terre, mais...
 
Q.- Qui ? Les gendarmes ?
 
R.- Non, les gendarmes sont gendarmes.
 
Q.- Ils sont gendarmes et ils ressortent de votre ministère.
 
R.- Ils ont le statut militaire.
 
Q.- Est-ce qu'il y a un problème de pouvoir d'achat chez les militaires français, H. Morin ?
 
R.- Il y avait eu un rapport rendu en février 2007 sur la commande de mon prédécesseur, M. Alliot-Marie, qui montrait qu'il y avait une disparité entre les militaires et les fonctionnaires en tenue, c'est-à-dire les policiers et les gardiens de prison. A partir de cela, il y avait eu un engagement du Gouvernement de faire en sorte qu'il y ait un rattrapage. Ce rattrapage, c'est à peu près 300 à 350 millions d'euros. Nous avons fait une première tranche dans le budget 2008 en supprimant, lorsque nous avons décidé de ne pas remplacer un militaire sur deux partant à la retraite, nous avons eu 6.000 suppressions d'emplois. Grâce à cet effort-là, nous avons pu faire un plan sans précédent depuis 10 ans de revalorisation de la condition militaire qui repose sur 102 millions d'euros de mesures nouvelles. Alors, on a fait la première tranche et on va faire les autres tranches pour faire en sorte que dans les années qui viennent, et le plus rapidement possible, nous puissions avoir un rattrapage de la condition militaire par rapport aux fonctionnaires en tenue.
 
Q.- Ça grogne dans les Armées ?
 
R.- Non, ça ne grogne pas. C'est assez logique que les militaires qui sont des hommes qui font leur métier avec enthousiasme, courage, estiment qu'ils soient reconnus par la Nation. Il y a une reconnaissance générale de ce que font les militaires. Ils font des choses formidables. J'étais à Birao en Centrafrique dernièrement. On voit des hommes et des femmes qui vivant dans des conditions extrêmement difficiles, en quelques mois assurent la paix et la sécurité de toute une région. Donc, il y a cette reconnaissance-là du pays, et il y a ensuite la reconnaissance individuelle, c'est-à-dire les rémunérations.
 
Q.- Mais il n' y a pas beaucoup d'argent dans les caisses. Le chef de l'Etat l'a dit.
 
R.- Eh bien, on va essayer grâce à la réforme considérable que nous effectuons dans le ministère, de faire en sorte que nous puissions dégager les marges de manoeuvre pour l'équipement des Forces et aussi pour la condition militaire.
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Q.- En un mot, vous allez être évalué bientôt comme ministre, comme tous les ministres donc, a-t-on appris. Sur quel critère vous allez être évalué, H. Morin ?
 
R.- Ecoutez, nous, nous sommes engagés dans une réforme colossale du ministère de la Défense. Le Président de la République m'a donné le feu vert sur un plan que je lui ai proposé début décembre. Donc, nous le mettons en oeuvre.
 
Q.- Mais sur quel critère, vous, vous allez être jugé ? Bon ou mauvais ministre ?
 
R.- Sur des dizaines et des dizaines de critères. Mais moi je n'attends que cela, l'évaluation, parce que compte tenu du boulot que nous avons effectué dans le ministère, je suis certain que les résultats seront bons.
 
Q.- On a appris, le mois dernier, H. Morin, que vous avez vendu votre cheval Literato, trois ans, un crack à l'Emir de Dubaï.
 
R.- Oui !
 
Q.- Et vous n'avez pas voulu dire le prix de vente. Pourquoi ?
 
R.- Parce que l'écurie Godolphin, dans son contrat, a une clause de confidentialité.
 
Q.- Ah c'est très secret. On parle de 6 millions d'euros, c'est vrai ?
 
R.- Ecoutez, je ne sais pas. Vous tenez le chiffre que vous voulez, ça m'est égal.
 
Q.- Je vous pose la question parce que le chef de l'Etat a dit : dans ce pays, on n'aime la réussite. Pourtant, il ne faut pas avoir honte de la réussite ! Il a dit ça mardi.
 
R.- Moi, je trouve assez fascinant...
 
Q.- Il faut cacher l'argent qu'on gagne ?
 
R.- Non, mais sur l'histoire de mon cheval, j'ai deux malheureux chevaux que j'achète aux ventes de Deauville.
 
Q.- "Malheureux", "malheureux" !
 
R.- Oui, oui, deux malheureux chevaux. J'ai cette chance extraordinaire... J'ai une passion. Dois-je la cacher ?
 
Q.- Non.
 
R.- Non. J'ai cette chance extraordinaire, en achetant un cheval et un yearling pas cher de tirer et de gagner un des meilleurs chevaux du monde, classé deuxième par le Jockey Club britannique.
 
Q.- Eh bien, il n'y a pas de problème ! Formidable !
 
R.- Et on doit grosso modo considérer que ça n'est pas normal qu'un homme politique ait des passions, et deuxièmement, que cet homme politique ait de la chance. Eh bien, moi je préfère un homme politique qui ait de la chance et qui ait des passions, qu'un homme politique qui soit fade et qui n'ait pas de chance !
 
Q.- H. Morin, un homme politique qui a de la chance !
 
Q.- C. Hondelate : Rhétorique très sarkozyste, ça !
 
R.- Ah non, mais écoutez, c'est parfois assez insupportable.
 
Q.- Merci. Eh bien, voilà, c'est fini.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 janvier 2008