Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à France Inter le 14 janvier 2008, sur la modernisation du marché du travail, la flex-securité, les négociations engagées avec les syndicats sur le projet de nouveau contrat de travail et le bilan du nouveau régime d'heures supplémentaires.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.-  Après une négociation marathon, les partenaires sociaux sont donc  parvenus à un projet d'accord. C'est un projet pour l'instant sur la  modernisation du marché du travail, comme on dit. Quel mot  qualifie se projet, L. Parisot ? 
 
R.- Ce n'est pas un mot, c'est plusieurs mots. Si ce projet d'accord entre en  vigueur, il ouvre une ère nouvelle à la fois pour les relations sociales  dans notre pays, mais aussi pour notre économie et pour un meilleur  fonctionnement du marché du travail. Nous avions tous un objectif :  contribuer à faire baisser le chômage. 
 
Q.- C'est la première amorce de "flex-sécurité", comme on dit, à la  française ? 
 
R.- Oui, on peut le qualifier cet accord d'une installation de la flex-sécurité  française. Je ne dirais pas à la française. Je dirais d'une flex-sécurité  française. Car nous sommes partis d'un état des lieux, d'une situation  propre à la France. Et c'est à partir de cet état des lieux que nous avons  imaginé des formules nouvelles, des pistes qui n'existaient pas, qui  n'avaient pas été utilisées jusqu'alors. 
 
Q.- Les patrons sont contents d'après vous, vous qui les dirigez en  quelque sorte, ou les représentez ? 
 
R.- Je crois que nous serons tous contents si dans un an, deux ans  maximum, nous constatons, tous - chefs d'entreprises comme salariés,  jeunes étudiants qui s'apprêtent à entrer sur le marché du travail - si  nous constatons tous que le taux de chômage en France avoisine les 5  %. C'est un malheur et une honte pour notre pays que depuis vingt ans,  vingt-cinq ans, nous sommes enlisés dans des taux de chômage  avoisinant les 8 à 10 %. C'est un malheur pour notre pays de voir à quel  point il est difficile pour des jeunes, mêmes diplômés, d'entrer sur le  marché du travail. Ce que nous avons essayé de faire par ce projet  d'accord, c'est lever tous ces obstacles et vraiment faciliter les choses  pour tout le monde. 
 
Q.- Est-ce que les syndicats, d'après vous, vont rallier, signer ce texte ?  La CGT a d'ores et déjà dit "non". 
 
R.- La seule chose que je peux dire, c'est je l'espère que les syndicats vont  ratifier ce texte. Mais vous venez de parler de la CGT. La CGT, jusqu'à  la dernière minute, a contribué à l'élaboration de ce texte. La CGT a  beaucoup travaillé, comme nous tous, et il y a aussi la patte de la CGT  dans ce texte. 
 
Q.- Et pourquoi il ne le signe pas alors, d'après vous qui avez passé tant  de temps avec eux à négocier ? 
 
R.- Attendons, s'il vous plaît que cette semaine se passe. Et  qu'officiellement, toutes les organisations syndicales se prononcent. 
 
Q.- J.-P. Raffarin a dit que le texte était trop tiède en substance et sur la flexibilité et sur la sécurité, ce qui fait quand même beaucoup ! 
 
R.- Je pense qu'il n'a pas encore eu le temps de l'étudier. C'est un pas, un  premier pas très important. Et tous les négociateurs - syndicats, les  syndicaux et patronaux - ont travaillé depuis des mois. Chaque mot a  été pesé. Chaque mot et chaque concept est le fruit d'un véritable débat.  Je ne suis pas certaines que ceux qui découvrent tout juste le texte  soient capables en vingt quatre heures d'en mesurer toutes ces  conséquences, tous ces effets positifs qu'on peut espérer, tout son  potentiel. 
 
Q.- Premier pas, première étape, avez-vous dit. C'est quoi la suivante ?  C'est le contrat unique ? 
 
R.- Nous avons d'autres sujets en débat, voire en négociation avec les  organisations salariales. 
 
Q.- Et le contrat unique, dont il a été beaucoup question pendant la  campagne présidentielle ? 
 
R.- Personne n'a jamais été vraiment favorable au contrat unique. Que faut-il  faire aujourd'hui ? Il faut diminuer les risques pour l'entreprise à  l'embauche, d'un coté, et de l'autre coté pour les salariés, il faut  diminuer les risques que ceux-ci soient mis à l'écart du marché du  travail. C'est ce que nous avons fait avec cet accord. Par exemple, en  créant, en proposant la création d'un nouveau type de contrat de  travail : le contrat à objet définit. C'est un contrat qui...  Une mission !  Voilà. Cela correspond parfaitement à l'économie du monde  d'aujourd'hui. Par exemple, dans les services informatiques, vous  gagnez un contrat. Le contrat, il s'agit de faire quoi, pendant deux ans,  trois ans ? D'élaborer une nouvelle architecture informatique pour une  entreprise, pour une institution ? Eh bien, pouvoir embaucher des  ingénieurs, des cadres de talents juste pour cette mission, c'est donner  de l'air au marché du travail. Mais c'est donné aussi aux salariés, aux  ingénieurs, aux cadres auxquels je faisais allusion, des occasions  d'avoir des expériences, et ainsi de s'enrichir, puis de se cendre encore  plus chers à la prochaine expérience. 
 
Q.- Dans le cadre d'un certain nombre de modalités de séparation, il  faudra demander l'avis, l'aval du Directeur départemental du  Travail. Est-ce le retour, L. Parisot, de l'autorisation  administrative de licenciement contre laquelle le patronat a bataillé  pendant des années ? 
 
R.- De quoi s'agit-il ? Nous avons proposé et nous avons beaucoup travaillé  avec les organisations syndicales, à une nouvelle modalité de rupture,  qui est une option de plus. Quelles sont les modalités de rupture  aujourd'hui entre une entreprise et un salarié ? Soit le licenciement, soit  la démission. Nous allons proposer qu'il y ait une troisième modalité,  qui est la rupture d'un commun accord. Cette rupture d'un commun  accord, elle doit bien sûr suivre des processus précis, et notamment  qu'il n'y ait bien sûr aucun risque de vice du consentement. Pour qu'on  puisse être assuré que la procédure a été bien respectée, nous avons  proposé et choisi que ce soit la Direction du travail qui constate que  cette rupture s'est faite vraiment d'un commun accord. 
 
Q.- Et donc, retour de l'autorisation administrative de licenciement ? 
 
R.- Par définition non, parce que cette rupture n'est pas un licenciement.  Cela n'a rien à voir avec un licenciement. Vous avez soit la rupture par  le licenciement, soit la rupture par la démission, soit la rupture d'un  commun accord. Il s'agit tout simplement d'une constatation par une  autorité publique que la procédure a été bien respectée. Mais l'autorité  n'a pas à se prononcer sur le fond, ni même sur la volonté des parties. 
 
Q.- Sur quoi vous fondez-vous pour dire que ces nouveaux dispositifs  vont permettre de créer des emplois ? 
 
R.- Parce que ces nouveaux dispositifs vont corriger les  dysfonctionnements, qui sont nombreux sur le marché du travail  aujourd'hui. On sait très bien par exemple que des secteurs entiers ont  besoin d'embaucher et ne trouvent pas. Et on sait par ailleurs que... 
 
Q.- Mais est-ce vraiment lié aux formes même du contrat du travail ?  Parce que le CNE de D. de Villepin allait encore plus loin que tous  les dispositifs, là, qu'on est en train de décrire ce matin. Et  pourtant, cela n'a pas créé un raz de marée d'emplois ! 
 
R.- Ces dysfonctionnements sont au fait que du coté de l'entreprise, il y a  trop de risques aujourd'hui, au moment de l'embauche, et que du coté  du salarié, en cas d'accident de parcours professionnel, les difficultés  sont également très nombreuses et très difficiles à surmonter, et donc il  est très difficile de revenir sur le marché du travail ! 
 
Q.- Du coté des patrons, le CNE c'était encore mieux, le Contrat  nouvelle embauche ! 
 
R.- Ce projet d'accord, ce n'est pas un contrat de travail nouveau. Ce projet  d'accord, c'est un ensemble, c'est une nouvelle cohérence qui donne  plus de sécurité aux salariés, notamment, en cas de pépin. Est-ce que  vous savez que nous doublons... 
 
Q.- Permettez moi, juste, je vais vous redonner la parole mais  permettez-moi d'insister : le Contrat nouvelle embauche facilitait  grandement l'embauche. Or, il n'a pas conduit à tant de nouvelles  embauches que cela. Qu'est-ce qui vous permet de dire  aujourd'hui, que ces nouvelles dispositions favoriseront  l'embauche ? 
 
R.- C'est parce que vous vous trompez dans les chiffres ! Le Contrat  nouvelle embauche a déclanché près de 900.000 embauches dans les  petites entreprises. Et 10 % de ces 900.000 embauches n'auraient pas eu  lieu s'il n'y avait pas eu ce contrat nouvelle embauche. Donc, on voit  bien que par là même la direction qu'il fallait donner, c'est moins de  risques au moment de l'embauche pour l'entrepreneur, pour  l'employeur. Mais nous nous avons en plus apporté dans ce projet  d'accord, plus de sécurité pour le salarié. Rendez-vous compte ! Nous  inventons là, en France, la portabilité d'un certain nombre de droits,  notamment, le droit... 
 
Q.- A la formation, à la santé ! 
 
R.- Exactement, le droit à la formation et les bénéfices des  complémentaires santé, prévoyance. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela  veut dire, encore fois, si vous avez un accident de parcours  professionnel et si vous vous retrouvez pendant un certain temps au  chômage, eh bien, néanmoins, vous pourrez toujours bénéficier de vos  droits à la formation et des mutuelles complémentaires. Cela, c'est une  innovation absolument formidable ! 
 
Q.- Quel bilan d'étape faites-vous sur les nouveaux régimes d'heures  supplémentaires mis en place il y a quelque mois par le  Gouvernement ? Est-ce qu'il y a eu recours massif ? Quels sont les  chiffres ? 
 
R.- C'est un excellent bilan d'étape : 40 % des entreprises ont eu recours à  ce dispositif d'heures supplémentaires. Cela a été notamment très utilisé  par les toutes petites entreprises, et parfois, à la demande des salariés  eux mêmes. Donc, je crois que ça c'est un plus, une dynamique qui est  apportée à notre économie, qui est une excellente nouvelle. 
 
Q.- Et il y a une hausse moyenne, pour peu que cela soit calculable, du  pouvoir d'achat constatée ou pas ? 
 
R.- Je ne suis pas sûre qu'on soit déjà en mesure de le calculer. Mais il est  évident que plus on crée de la richesse nouvelle, plus les premiers à en  bénéficier sont les salariés. Il y a une corrélation directe, immédiate,  entre la croissance et les gains du pouvoir d'achat. 
 
Q.- Dernière question : deux prix Nobel, J. Stiglitz et A. Sen, vont  travailler à la demande de N. Sarkozy sur un nouvel outil de  mesure de la croissance. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les  travaux de ces deux prix Nobel ne sont pas sur la ligne idéologique  et intellectuelle que celle du Medef. Ce sont des penseurs de  l'altermondialisme, beaucoup lus dans ces milieux là... 
 
 
R.- Non, non, détrompez-vous ! Ce ne sont pas des altermondialistes. 
 
Q.- J. Stiglitz est best seller dans cet espace politique là ! 
 
R.- Peut-être. Peut-être que les altermondialistes aiment lire J. Stiglitz. Je  peux vous dire que la libérale que je suis adore J. Stiglitz et a même  invité A. Sen à l'université d'été du Medef. 
 
Q.- Donc, vous ne redoutez pas leurs travaux ? 
 
R.- Mais au contraire, je pense que c'est une excellente nouvelle. Je crois  que l'économie de marché et le capitalisme sont en train d'évoluer. Et  des théoriciens, des penseurs et praticiens, aussi comme J. Stiglitz de ce  haut niveau, peuvent apporter beaucoup à la réflexion. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 janvier 2008