Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à TV5 le 9 mars 1999, sur la situation en Irak et au Kosovo, les relations entre Israël et les pays arabes, la politique de coopération en Afrique et les relations avec l'Allemagne à propos de l'Agenda 2000.

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Média : Télévision - TV5

Texte intégral


Q - Premier thème que nous allons aborder, les rapports entre la diplomatie française et, disons au sens large, lAmérique. Nous allons donc vous interviewer notamment sur lIraq, nous allons parler du Kossovo. Mais je voudrais avoir une première réaction, Monsieur le Ministre : en ce moment-même, au moment où nous parlons, les frappes américaines se poursuivent sur lIraq, sur des sites militaires. On sait que la France sinterroge beaucoup, exprime des doutes sur cette politique.
R - Oui, jai eu loccasion de dire lors dun voyage dans le Golfe récemment, que ce nétait pas ainsi que nous posions le problème, que ces actions militaires récentes ne nous paraissaient pas aller dans le sens de la solution que nous souhaitions. On a donc une approche différente sur ce point que nous avons résumée et concrétisée dans des idées présentées au Conseil de sécurité en janvier. Je dis « idées » et non pas « plans » parce que cest ouvert à la discussion. On ne peut pas boucler un plan dans les moindres détails tout seul dans notre coin, si je puis dire, mais nous avons quand même des idées.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez une idée de sortie de crise basée sur un plan pour poursuivre les inspections, je crois, et un contrôle financier. Mais comment cela peut-il marcher ?
R - Le point de départ de notre constat, cest que le système qui a été mis en place avant, ne marche plus. Ce système de contrôle, qui a été mis en place par les résolutions de 1991 après la guerre du Golfe et qui se servait notamment de lUNSCOM, a remporté de grands résultats les premières années. LUNSCOM, dans ses quatre ou cinq premières années dexistence, a permis de détruire plus darmes prohibées en Iraq, armes , que ce qui avait été détruit pendant la guerre du Golfe. Mais on a bien vu, ces deux ou trois dernières années, quen fait, cela tournait en rond, et « patinait » pour des tas de raisons. Puis il y a eu des crises à répétition de lan dernier, et finalement les frappes anglo-américaines davant Noël. LUNSCOM est parti et ne revient pas.
Par réalisme, nous sommes partis de ce constat : le système de contrôle mis en place avant ne fonctionne plus, il en faut un nouveau. Nous avons proposé trois idées qui tournent autour de la sécurité dans la région : ce que nous appelons le contrôle continu de tout éventuel réarmement dangereux de lIraq, le « monitoring », un contrôle de lutilisation des revenus pour quils ne soient pas détournés à des fins militaires et nous pensons que cela permettrait de lever lembargo. Mais cela forme un tout, cest-à-dire quon ne peut pas prendre un des morceaux et pas le reste : on ne peut lever lembargo que si on a en place un système de contrôle financier. Dans tous les cas, cest compliqué mais ce qui avait été mis en place en 91, était compliqué aussi.
Q - Mais est-ce que les Américains ont répondu à vos propositions autrement que par une continuation des frappes ? On a le sentiment, pour répondre autrement, que, en gros, ce que peut dire lEurope ou la France, pèse peu. Il y a eu une critique forte de ces frappes ; elles se poursuivent en ce moment même.
R - Il sagit dun dispositif élaboré, non pas les frappes, mais la façon de traiter la question iraquienne. Depuis 91, cest le Conseil de sécurité. Donc, seul le Conseil de sécurité dans son entier - et chaque membre permanent dispose dun droit de veto - peut accepter quon adapte le dispositif. La discussion nest pas terminée, nos idées sont toujours sur la table, elles sont complètement dactualité par rapport à cela.
Jai noté que les Etats-Unis, même sils ont une autre approche du problème notamment en ce moment, nous en parlions il y a une minute, nont pas fermé la porte. Au Conseil de sécurité, nous avons des discussions les uns avec les autres et sur le plan bilatéral franco-américain, nous avons des discussions. Les positions ne sont pas aussi antagonistes quon pourrait limaginer parce que tout le monde est obligé de reconnaître que nos idées tournent autour de la sécurité régionale, ce qui est le souci de tout le monde, même si les méthodes peuvent différer.
Q - Monsieur Védrine, que pensez-vous du choix américain qui est pratiquement officiel
maintenant de nommer un ambassadeur, une structure pour faire tomber Saddam Hussein
?
R - Vous dites pratiquement. Le département dEtat a chargé un ambassadeur...
Q - On sait pratiquement le budget, les opposants, etc...
R - Dabord, ce nest pas notre méthode et deuxièmement je suis sceptique.
Q - Est-ce quon peut essayer daller au-delà de ce mot, sceptique, il y a bien sûr une prudence diplomatique. En gros, la France est contre cette affaire.
R - Pas de prudence diplomatique, vous avez souhaité des réponses courtes.
Q - Et est-ce que vous partagez lanalyse américaine comme quoi le noyau du problème, cest quand même Saddam au pouvoir ?
R - Naturellement, mais quelles conséquences en tirez-vous ?
Q - Il vaudrait mieux quil ne reste pas.
R - Tout le monde peut penser et constater historiquement que Saddam Hussein est le responsable des calamités diverses qui ont frappé son peuple et la région :a guerre Iraq-Iran, linvasion du Koweït et la situation pitoyable dans laquelle se trouve le peuple iraquien maintenant du fait de lembargo provoqué par tout cela. Tout le monde est daccord là-dessus, tout le monde, aussi bien les Européens, les Américains, pays de la région et même les Russes aujourdhui le pensent. Mais quest-ce quon en tire comme conséquence ?
Q - Est-ce quil y a une solution de rechange avec lopposition ?
R - Non, cest autre chose. Nous avons essayé de définir avec nos idées un dispositif de contrôle qui serait sérieux parce quen effet tant quon a affaire à ce régime, il est clair quil faut le contrôler dans la durée, sur le plan du réarmement et sur le plan financier. Cest la conséquence de la façon dont il sest comporté depuis des années et des années. Mais au moins cela permettrait de lever lembargo et donc darrêter ce désastre humanitaire que subit la société iraquienne. Ce sont nos idées, on peut en discuter mais je ne sais pas quelles sont les autres en réalité par rapport à cela.
Q - A propos de lembargo, on sait que vous êtes contre. Sil se produit, que va faire la France ?
R - On nest pas généralement pas très pour. Il y a des cas despèces où il faut passer par là. Dailleurs on la accepté en 91. Maintenant nous nous demandons quel est son véritable sens stratégique, dautant quil est détourné par des trafics multiples comme cest le cas dans tous les embargos, il est donc affaibli. Dautre part, il a été atténué par le système dit « pétrole contre nourriture », ce qui montre bien que ce système dembargo nest pas un absolu puisque le Conseil de sécurité, y compris les Etats-Unis, ont accepté les exceptions. Nous allons au bout du raisonnement.
Mais on ne peut pas simplement dire « levons lembargo » parce que cela génère des ressources qui pourraient être employées à des fins militaires. Il faut donc un système de sécurité autour. Il y a un traitement anglo-américain du problème dans limmédiat, mais, je le répète, la porte nest pas fermée à des discussions. Dans le Golfe, jai trouvé un vrai intérêt pour nos idées, tout à fait approuvées à Abou Dabi et à Qatar, considérées pour être honnêtes, avec plus de circonspection à Koweït, mais en même temps ils reconnaissent que nous traitons sérieusement le côté sécurité régionale. Donc la discussion est devant nous, ce nest pas une affaire close, étant donné que les autres méthodes nont pas lair dapporter non plus de résultats.
Q - Monsieur le Ministre, un autre dossier où vous allez retrouver la diplomatie américaine sous peu, il sagit du dossier du Kossovo. LUCK a fait savoir... donc, les indépendantistes du Kossovo ont fait savoir quils étaient prêts à accepter le plan de paix.
Avez-vous bon espoir quà Paris dans quelques jours, on parvienne à solder cette affaire
?
R - Vous savez, la complexité de laffaire est apparue à tout le monde à loccasion de la réunion de Rambouillet et notamment de ses conclusions. Donc, restons prudents. Chaque fois que jai été questionné là-dessus, jai toujours répondu que je navais pas despoir particulier ou que je nétais pas spécialement optimiste, mais que jétais déterminé et je le suis toujours.
Je voudrais dire une chose très courte sur la méthode : ce système du Groupe de contact est un système remarquable parce que nous avons pu, grâce à cela, faire travailler ensemble sur une position homogène et cohérente quatre pays européens importants directement concernés, en liaison permanente avec les autres Européens, les Etats-Unis et la Russie. Donc, au lieu davoir une série de politiques internationales discordantes comme cela avait été le cas malheureusement au début de laffaire de la Bosnie par exemple, nous avons une politique internationale où il y a des nuances que chacun peut observer, mais il y a un vrai accord sur lessentiel et des pressions des uns et des autres. Selon les jours, on se sert plutôt dun pays ou de lautre, selon quil est bien ou mal placé pour faire telle ou telle partie du travail, mais en réalité il y a un vrai ensemble. Là, il y a un travail franco-américain, euro-américain, qui est réel.
Est-ce que cela va suffire à régler le problème comme par miracle ? Je ne vais pas me lancer dans des prévisions optimistes sur ce plan. Ce que je peux vous dire, cest quon fera tout pour que cela marche.
Q - Vu de lextérieur, Monsieur le Ministre, on pourrait dire que les Américains ont quand même mené le jeu. Certains ont dit, avant Rambouillet, que cela serait la revanche des Européens pour Dayton où ils ont été mis à lécart. Vous avez donc coprésidé cette rencontre avec Robin Cook, et finalement on a vu à la fin Mme Albright et M. Christopher Hill qui avaient lair de mener le jeu. Est-ce quil y a un vrai rôle pour les Européens dans la gestion de ces crises quand on arrive au moment où il faut vraiment peser sur les négociations ?
R - Personnellement, je nai jamais parlé de revanche de Dayton. Je nai jamais dit que Rambouillet, cétait une diplomatie européenne qui simposait contre les Etats-Unis. Je nai jamais dit cela.
Q - Cétait dans la presse.
R - Peut-être, alors à ce moment-là, il faut interroger les auteurs des articles. Personnellement, je ne lai jamais dit parce que que ce nest pas ce que je pense et ce nest pas ce que je fais.
Ce qui me paraît important dans le Groupe de contact, cest quil y ait une vraie coopération entre les Etats-Unis, lEurope et la Russie pour quil ny ait pas une politique américaine, une politique européenne - ou plusieurs -, et les Russes. Cela, cest très important. Ce nest pas un problème de concurrence ou de rivalité.
Sur le fond, je peux vous dire que, dans le Groupe de contact, depuis mars 98, depuis quon sest saisi de laffaire du Kossovo, il y a une vraie discussion et il est arrivé que les Américains changent davis. Finalement, on sest mis daccord. Le mode dapproche, la négociation, quand M. Holbrooke a fait des missions, chaque fois cela a été en concertation au sein du Groupe de contact. Le projet de règlement intérimaire quon a mis au point sur trois ans, que lon négocie à la marge mais dont lessentiel ne change pas, cest un travail du Groupe de contact. Pendant Rambouillet, on sest servi des uns et des autres, comme je le disais à linstant, en fonction de leur potentiel respectif.
Quand Mme Albright était à Paris et on se téléphonait cinq fois par jour, comme tous les jours où elle était à Rambouillet et où je ny étais pas. Jy suis passé de très nombreuses fois, moi aussi. Jai vu sans arrêt les uns et les autres : M. Cook, M. Fischer, M. Ivanov et M. Dini. Quand Mme Albright est restée à Rambouillet, elle traitait un problème particulier pour lequel la diplomatie américaine était mieux placée et non pas pour coordonner lensemble ni pour conclure à la place des autres. Dailleurs, on a vu quelle sest heurtée aux mêmes difficultés. A dautres moments, cela aurait été les Russes, les Allemands, ou nous qui étions les mieux placés. Cela dépendait des moments. Il faut admettre lidée que pour une fois il y a eu un travail déquipe.
Q - Et vous navez pas mal pris le rôle prépondérant qua assumé Mme Albright vers la fin
?
R - Pas du tout. Mais ce nest pas un rôle prépondérant, était un rôle important parce que cest le secrétaire dEtat américain et elle essayait de traiter un problème que les Etats-Unis étaient seuls à pouvoir résoudre. Il sagissait damener la délégation kossovare à une approche plus réaliste - vous pensez bien que ce travail ne pouvait pas être fait par les Russes par exemple. Je trouve cela très bien, cest un bon emploi des compétences des uns et des autres. Je ne lai pas du tout vécu comme une sorte de compétition, et cest toujours comme cela aujourdhui.
Q - Est-ce quaujourdhui, pour montrer sa fermeté, la communauté internationale peut dire par exemple à Milosevic : « si cela ne marche pas, il peut y avoir des frappes aériennes » ? Est-ce quon va à nouveau faire peser cette menace ?
R - Ne parlez pas au futur, cest déjà le cas. Cest ce que nous disons par rapport aux engagements pris à lautomne, au moment où nous avons évité de justesse, justement grâce à notre bonne coopération, un désastre humanitaire. Des menaces sont là, le Groupe de contact sest prononcé. Le Conseil de sécurité a pris une résolution. LOTAN a pris des décisions techniques permettant dagir sil le faut, lAct Ord, et nous en sommes toujours là. Tout ce dispositif est parfaitement présent.
Q - Est-ce que vous souhaitez par exemple que, sil y a des troupes au sol, il y ait des militaires américains ?
R - Attendez ! Cest autre chose.
Q - Oui, cest autre chose, je sais.
R - Il y a des troupes au sol dans lhypothèse où il y a un accord...
Q - Tout à fait.
R - Tous les pays qui ont mis en place des troupes lont fait naturellement dans le cadre dun accord. Et dans le cadre dun accord, les Etats-Unis font partie des pays qui ont dit quils étaient prêts à envoyer des troupes. Je crois que cest tout à fait utile et cest tout à fait important quils soient présents, comme des troupes européennes et, je lespère, aussi des troupes russes.
Q - On peut se poser la question de lutilité éventuelle dune défense européenne ou dune politique étrangère européenne. Depuis 1994 on parle des forces séparables mais non séparées, qui permettraient aux Européens de mener des opérations militaires sans les Américains si les Américains ne souhaitaient pas participer. On pourrait dire quon a eu deux bonnes occasions, la Bosnie et le Kossovo. Je sais que ce sont des cas difficiles mais tous les cas sont difficiles, nest-ce pas ? A quand une vraie défense européenne qui puisse agir dans les crises ?
R - Sur ce plan, on revient de loin quand même parce que pendant des années et des années, la France mettait en avant des projets de défense européenne qui nétaient pas soutenus par ses alliés parce quils pensaient que cétait une vision purement française, de concurrence stérile avec lOTAN. Les Etats-Unis étaient absolument hostiles à la moindre expression, même la plus faible, de cohésion européenne par rapport à tout cela. Je crois que nous sommes en train de dépasser cette situation pour aller vers une approche plus complémentaire. Cest un très grand progrès. Cela ne se fait pas du jour au lendemain.
En matière de défense, il y a le système quest lOTAN qui est très puissant, qui est très organisé, mais on voit que - chez les pays européens et pas uniquement en France - lidée que lUnion européenne doit avoir une capacité à elle pour analyser les crises, pour proposer des actions, pour éventuellement mener des actions avec des moyens de lOTAN, en parfaite entente avec les Etats-Unis mais qui nont pas forcément besoin ni envie toujours dêtre en première ligne, chemine. Jai observé récemment, après la rencontre franco-britannique de Saint-Malo, quand nous avons fait cette déclaration qui ouvre la voie justement à une approche nouvelle, quon est en train de dépasser la quadrature du cercle sur le sujet. Jai noté une réaction américaine assez positive. En dautres temps, cela aurait été un « niet » immédiat. Là, ce nest pas le cas. On discute, on se pose des questions. Les Américains nous disent : « il ne faut pas faire double emploi avec ce qui existe déjà ». On est tout à fait daccord, on ne va pas se lancer dans deux systèmes ; de plus on ne pourrait pas les financer. Cest un simple exemple pour montrer que la discussion a lieu. Nous sommes en train de discuter, jai bon espoir que la discussion avance avec les autres Européens concernés, que le sommet de de lOTAN à Washington reconnaisse la légitimité et lutilité de cette démarche qui est une démarche complémentaire. On finira par voir que lAlliance en sera au total renforcée.
Q - Peut-on dire un mot de ce qui se passe actuellement à la réunion du commerce international à Genève sur un dossier difficile entre lAmérique et la France et lEurope sur un dossier très tactique, le dossier de la banane, où le poids économique, diplomatique - jallais dire politique - de lAmérique se pose de façon forte ? Vous intervenez dans ce dossier ?
R - Naturellement puisque toutes les négociations internationales, soit le ministère des Affaires étrangères les coordonne, soit il est un élément clef à côté de tel ou tel ministère spécialisé compétent.
Q - Cest une guerre économique avec lAmérique ?
R - Il ny a pas que lEurope et lAmérique parce quau sein de lOrganisation mondiale du commerce dont vous parlez, on gère les grands affrontements aussi avec lAsie ou avec dautres régions du monde. Cest un progrès que les affrontements économiques soient traités dans un cadre. Cest un progrès quil y ait une procédure de règlement des différends. Après il y a un débat entre le fait de savoir si chaque pays conserve le moyen de prendre des sanctions unilatérales sur sa propre décision ou non.
Dans le contentieux actuel sur laffaire de la banane, les Etats-Unis, enfin plutôt les entreprises américaines qui produisent de la banane en Amérique centrale, contestent les accords particuliers qui existent entre lEurope et les producteurs de bananes de la région dAmérique centrale, des DOM-TOM ou dautres îles dans la région. Il y a une contestation de front par rapport à cela. Ce qui révolte aujourdhui les Européens, cest que les Etats-Unis, face à une procédure quils contestent, disent : « nous gardons le droit de prendre des mesures unilatérales et des sanctions unilatérales ». Donc il y a un conflit sur le fond, il y a un conflit sur les méthodes.
Q - Vous dites que lEurope est derrière vous ?
R - La Commission. Les Européens nont pas tous les mêmes intérêts, ils ne sont pas tous en relation avec ce marché de la banane.
En gros sur la procédure, elle a une sorte de réaction contre ce que nous appelons lunilatéralisme américain, qui est très fort dans le cadre du Congrès souvent, mais quon trouve aussi dans la politique américaine. Là les Européens sont tout à fait daccord entre eux. Comme ils avaient contesté ensemble les lois dAmato et autres, cest-à-dire les lois proposées par des sénateurs américains, qui ne veulent pas les imposer uniquement aux entreprises américaines mais au monde entier. Là, il y a un débat sur multilatéralisme ou unilatéralisme. Ce débat est permanent, il est plus ou moins aigu. Là, il traverse une phase un peu tendue sur deux ou trois sujets, mais ce nest pas entièrement nouveau.
Q - Nous allons poursuivre notre entretien, cette fois sur la situation au Proche-Orient, le processus de paix. Revenons sur ce qui sest passé il y a quelques jours dans le Sud Liban, avec un attentat qui a coûté la vie à plusieurs militaires israéliens notamment un haut dirigeant.
Pensez-vous quIsraël peut être comme on le dit ici ou là sur le point dévacuer, de partir du Sud Liban, cette zone de sécurité mal nommée dailleurs ?
R - Sur le point dévacuer, je ne sais pas... Je nai pas dinformation secrète et cest toujours un débat assez compliqué. Ce que je vois, cest que les responsables de la défense en Israël, des chefs militaires ou des ministres de la Défense depuis un certain temps, ont parlé dans ce sens. Je crois que là, sincèrement, ils voudraient sortir de ce guêpier. Après, sur le plan politique, cest plus compliqué de décrypter les commentaires des uns et des autres et en plus tout dépend de la façon dont cest fait.
Q - Monsieur le Ministre, vous venez dentreprendre une tournée dans le Golfe et il est clair quil existe des divergences entre les points de vue français et koweïtien. Le ministre des Affaires étrangères koweïtien a parlé de malentendu...
R - De malentendu avant.
Q - De malentendu avant mais vous avez dit vous-même que pendant aussi, la position du Koweït... Il y a des divergences entre la France et le Koweït sur lIraq.
R - Il a parlé de malentendu avant, comme étant dissipé par ma visite et moi je nai pas parlé de divergence. Le terme est trop fort...
Q - Le terme est trop fort. Donc on va dire quil y a malentendu entre la France et le Koweït. Est-ce que vous lavez levé à travers votre visite ? Ce qui paraît paradoxal, cest que lIraq aussi nest pas daccord avec la politique de la France. Alors dans cette crise, vous êtes avec qui et contre qui ?
R - Nous sommes pour une solution qui permette de concilier la sécurité dans la région et de mettre fin au calvaire humanitaire du peuple iraquien. La question est de savoir comment on peut concilier tout cela.
Il y a un problème évident, qui est ce régime iraquien, responsable de toutes sortes de choses depuis des années, la guerre Iraq-Iran, linvasion du Koweït et, donc, mécaniquement, de la situation pitoyable dans laquelle est le peuple iraquien. Nous sommes dans une situation de blocage aujourdhui puisquon voit bien que lancien système de contrôle mis en place par le Conseil de sécurité, lUNSCOM, ne marche plus. Et personne ne peut imaginer quil va reprendre ses activités comme avant. En plus, déjà depuis un an ou deux, lUNSCOM napportait rien de nouveau en matière de contrôle.
Donc notre proposition, les idées françaises présentées devant le Conseil de sécurité puisque cest ce conseil qui a le pouvoir dadapter ou non son dispositif pour le rendre plus pertinent, disent : « mettons en place un contrôle à long terme, le monitoring, pour surveiller tout réarmement iraquien dangereux pour ses voisins, mettons en place un système de contrôle des revenus et cela devrait nous permettre de lever lembargo » et donc de traiter ce drame dont je parlais. Cela forme un tout. La dimension sécurité est importante dans cette approche. En plus, nous sommes ouverts à la discussion parce quon na pas représenté un plan en bonne et due forme mais des idées, justement pour en parler avec les Américains, pour en parler avec les autres Européens, en parler avec les pays de la région.
En allant dans les différents émirats ces jours-ci, jai rencontré un accueil très positif à Abou Dabi où les autorités ont dit quelles approuvaient les idées françaises, positifs et intéressés à Qatar. A Koweït ils mont dit sincèrement, « nous nous parlons entre amis, il y a une relation forte entre les deux pays, surtout depuis 1991 compte tenu du rôle qua joué la France dans la libération du Koweït ». Ils nous ont dit « on a des interrogations. On trouve cela intéressant mais sur certains points, on a des doutes. Est-ce quon peut faire un vrai contrôle du réarmement, le contrôle financier ? Comment est-ce que cela peut marcher ? ». Donc, le terme divergence me paraît trop fort par rapport à cela. Ce sont de légitimes interrogations. Et je trouve normal quils se posent ces questions. Jai répondu, on a discuté,
Q - Nous allons poursuivre notre entretien, cette fois sur la situation au Proche-Orient, le processus de paix. Revenons sur ce qui sest passé il y a quelques jours dans le Sud Liban, avec un attentat qui a coûté la vie à plusieurs militaires israéliens notamment un haut dirigeant.
Pensez-vous quIsraël peut être comme on le dit ici ou là sur le point dévacuer, de partir du Sud Liban, cette zone de sécurité mal nommée dailleurs ?
R - Sur le point dévacuer, je ne sais pas... Je nai pas dinformation secrète et cest toujours un débat assez compliqué. Ce que je vois, cest que les responsables de la défense en Israël, des chefs militaires ou des ministres de la Défense depuis un certain temps, ont parlé dans ce sens. Je crois que là, sincèrement, ils voudraient sortir de ce guêpier. Après, sur le plan politique, cest plus compliqué de décrypter les commentaires des uns et des autres et en plus tout dépend de la façon dont cest fait.
Q - Monsieur le Ministre, vous venez dentreprendre une tournée dans le Golfe et il est clair quil existe des divergences entre les points de vue français et koweïtien. Le ministre des Affaires étrangères koweïtien a parlé de malentendu...
R - De malentendu avant.
Q - De malentendu avant mais vous avez dit vous-même que pendant aussi, la position du Koweït... Il y a des divergences entre la France et le Koweït sur lIraq.
R - Il a parlé de malentendu avant, comme étant dissipé par ma visite et moi je nai pas parlé de divergence. Le terme est trop fort...
Q - Le terme est trop fort. Donc on va dire quil y a malentendu entre la France et le Koweït. Est-ce que vous lavez levé à travers votre visite ? Ce qui paraît paradoxal, cest que lIraq aussi nest pas daccord avec la politique de la France. Alors dans cette crise, vous êtes avec qui et contre qui ?
R - Nous sommes pour une solution qui permette de concilier la sécurité dans la région et de mettre fin au calvaire humanitaire du peuple iraquien. La question est de savoir comment on peut concilier tout cela.
Il y a un problème évident, qui est ce régime iraquien, responsable de toutes sortes de choses depuis des années, la guerre Iraq-Iran, linvasion du Koweït et, donc, mécaniquement, de la situation pitoyable dans laquelle est le peuple iraquien. Nous sommes dans une situation de blocage aujourdhui puisquon voit bien que lancien système de contrôle mis en place par le Conseil de sécurité, lUNSCOM, ne marche plus. Et personne ne peut imaginer quil va reprendre ses activités comme avant. En plus, déjà depuis un an ou deux, lUNSCOM napportait rien de nouveau en matière de contrôle.
Donc notre proposition, les idées françaises présentées devant le Conseil de sécurité puisque cest ce conseil qui a le pouvoir dadapter ou non son dispositif pour le rendre plus pertinent, disent : « mettons en place un contrôle à long terme, le monitoring, pour surveiller tout réarmement iraquien dangereux pour ses voisins, mettons en place un système de contrôle des revenus et cela devrait nous permettre de lever lembargo » et donc de traiter ce drame dont je parlais. Cela forme un tout. La dimension sécurité est importante dans cette approche. En plus, nous sommes ouverts à la discussion parce quon na pas représenté un plan en bonne et due forme mais des idées, justement pour en parler avec les Américains, pour en parler avec les autres Européens, en parler avec les pays de la région.
En allant dans les différents émirats ces jours-ci, jai rencontré un accueil très positif à Abou Dabi où les autorités ont dit quelles approuvaient les idées françaises, positifs et intéressés à Qatar. A Koweït ils mont dit sincèrement, « nous nous parlons entre amis, il y a une relation forte entre les deux pays, surtout depuis 1991 compte tenu du rôle qua joué la France dans la libération du Koweït ». Ils nous ont dit « on a des interrogations. On trouve cela intéressant mais sur certains points, on a des doutes. Est-ce quon peut faire un vrai contrôle du réarmement, le contrôle financier ? Comment est-ce que cela peut marcher ? ». Donc, le terme divergence me paraît trop fort par rapport à cela. Ce sont de légitimes interrogations. Et je trouve normal quils se posent ces questions. Jai répondu, on a discuté,la situation est claire entre nous.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué dans lentretien que nous avons eu, cette situation dans le Golfe. Je voudrais vous demander si vous avez le sentiment quau Proche-Orient quelque chose peut se produire actuellement ou que rien ne se fera avant les élections en Israël ?
R - Je ne crois pas quil puisse se passer des choses vraiment importantes avant les élections parce quil faut savoir à quel type de gouvernement israélien on aura affaire, comment il se positionnera par rapport au processus de paix, quelle sera sa position par rapport aux questions Israël - Liban - Syrie. Dici là, il peut y avoir une évolution politique. On peut assister à des interrogations. On peut observer comment en Israël, dans la campagne électorale - sans singérer, je parle dobservation -, comment les thèmes sont abordés, quel est le rapport de force dans lopinion. Cest donc une période importante, cruciale, dans laquelle ils sont peut-être en train de mûrir les évolutions suivantes qui vont se développer. Mais je ne crois pas quon puisse mener des actions véritablement nouvelles avant le mois de juin.
Q - Il y a un prochain rendez-vous, pourrait-on dire, celui qua fixé Yasser Arafat que vous avez rencontré : il vient de rappeler aujourdhui en rencontrant le président égyptien, quil comptait toujours annoncer la création de lEtat palestinien le 4 mai prochain. Vous pensez que cest de nature à faire avancer le processus de paix ou quau contraire, cest la rupture des ponts avec Israël ?
R - Nous pensons que cest le droit des Palestiniens de proclamer cet Etat. Nous ne contestons pas leur droit sur ce plan. Mais nous pensons quils doivent insérer leur droit à cette proclamation dans un processus constructif et que sil est possible de le faire dans des conditions négociées ou dans le cadre dun accord, ce sera encore mieux. Il faut quils réfléchissent eux-mêmes à la façon dont ils veulent le faire et à quel moment. Nous parlons avec eux mais ce nest pas à nous de leur dicter leur position.
Q - Vous ne pensez pas que la diplomatie américaine a été un peu, je dirais...indulgente envers Israël jusquà présent, évitant peut-être de faire preuve dune certaine fermeté lorsque les négociations étaient encore possible ?
R - Cela dépend sur quelle période vous parlez. Si on parle sur des décennies, il est clair que la diplomatie américaine est naturellement compréhensive par rapport à la politique israélienne. Si on parle sur la période récente, je trouve quil faut rendre hommage à lengagement personnel véritable, conséquent, énergique, de Mme Albright, puis du président Clinton et de ce qui sest fait dans la négociation de Wye River même si les conclusions sont elles-mêmes partielles par rapport au résultat.
Mais enfin, moi aussi je suis en négociation compliquée avec le Kossovo et je sais à quel point tout cela sinscrit dans les processus et il ny a aucun de ces problèmes qui puisse se régler par miracle. Il y a eu un engagement américain qui a été fait en relation avec nous, avec les Américains, je trouve cela très bien. Maintenant il est clair quon est dans une phase dattente par rapport à cela et je souhaite que le processus de paix puisse reprendre et que tous ceux qui veulent le faire avancer, puissent coopérer.
Q - Monsieur le Ministre, le président iranien qui se trouve actuellement en Italie, se rendra bientôt en France. Estimez-vous que lIran revient sur la scène proche-orientale. Quelle est la vision de la France en ce qui concerne limportance de lIran ? Téhéran redevient fréquentable si je puis dire ?
R - Notre vision, cest que lélection du président Khatami avait marqué un vrai changement. On la vu au pourcentage de participation ; on la vu à son score ; on la vu dans lanalyse de ceux qui lavaient soutenu, essentiellement des jeunes, beaucoup de femmes. Manifestement il y a eu un raz-de-marée électoral, une expression forte, profonde, encore confirmée récemment dailleurs lors des élections municipales. Cela étant dit, on sait très bien quil y a en Iran dautres tendances très fortement enracinées dans le système politique et administratif, qui sont hostiles à cette ouverture. Mais nous voyons ce président qui veut ouvrir, qui tend la main aux Etats-Unis, aux pays européens, qui essaie daméliorer ses relations avec ses voisins et nous pensons que ce serait une grave faute que de ne pas accompagner cette tentative. Naturellement on la fait en sachant quil y a encore des désaccords qui sont là, on le fait les yeux ouverts en parlant de tous les sujets...
Q - Par exemple, Salman Rushdie a demandé la levée de la fatwa ?
R - ...Tous les sujets. Quand je suis allée à Téhéran, en août, pour entamer cette ouverture, quand ensuite jai reçu mon homologue à Paris et puis quand le président Khatami viendra à Paris dans quelques jours, on aborde tous les sujets sans exception. Mais nous ne voulons pas, sous prétexte quil y a des désaccords parfois graves sur tel ou tel point, passer à côté dun mouvement qui est quand même porteur despérance pour les Iraniens...
Q - On voit dailleurs sur ces images le président Khatami arriver à Rome où il est actuellement...
R - Je pense quil y a un changement. Jai observé, en en parlant justement dans les émirats, dAbou Dabi à Koweït, que tous ces pays considéraient quil y avait un changement. Et même quand ils ont des problèmes avec lIran - il y a des îles contestées dans le Golfe, il y a dailleurs des manoeuvres iraniennes qui créaient une véritable tension pendant que jy étais - ils considèrent que cest très important de discuter et de négocier avec le président Khatami. Ils le font eux-mêmes et ils approuvent ses visites en Italie et en France. Cest un processus. Simplement il faut le faire en ne perdant pas de vue les points de souci ou de désaccord.
Q - Une question sur un pays de la région, la Libye. Actuellement, il y a le procès à Paris de lattentat qui avait coûté la vie à quelque 177 personnes. Est-ce quun jour vous pensez que la Libye peut revenir dans la communauté internationale ?
R - Oui, si elle remplit les conditions fixées...
Q - Actuellement, ce nest évidemment pas jouable.
R - Non, il se passe quelque chose avec ce procès naturellement ; il se passe quelque chose du côté des relations entre la Libye et les Américains et les Britanniques. Mais il faut que la Libye, pour revenir dans la vie internationale - comme ce serait souhaitable naturellement pour la Méditerranée, pour le Maghreb, pour le monde arabe -, remplisse les conditions fixées par les résolutions qui avaient été prises par le Conseil de sécurité après les attentats, lattentat du DC10 et après lattentat de Lockerby.
Q - Monsieur le Ministre, si vous le voulez bien, nous allons à présent parler des Affaires européennes, notamment de la Politique agricole commune. Revenons dabord sur la discussion des derniers jours en ce qui concerne les rapports parfois un peu tendus avec lAllemagne. Jai envie de vous demander après ce reportage, après ce sujet comme on dit : cest un peu le désamour entre la France et lAllemagne, le couple historique de lUnion européenne. On a le sentiment que diplomatiquement, vous êtes aujourdhui plus près de Robin Cook, de Londres, que de lAllemagne. Je me trompe ?
R - Je ne me suis jamais servi de ces métaphores « couple », donc « amour », « désamour », je ne suis pas sur ce terrain. Je pense que la France et lAllemagne sont des pays profondément différents, quils ont eu lintelligence historique de comprendre il y a un certain temps quils devaient travailler ensemble pour créer une approche commune et des convergences à partir des différences de départ qui sont bien naturelles. Il ne faut pas faire tout un drame : nous avons en permanence des tensions dans la relation franco-allemande, même dans les moments dont on a gardé le souvenir où on croyait que tout allait bien, il y a toujours deux ou trois sujets graves sur lesquels nous étions en désaccord complet. Il faut donc gérer cela calmement, sereinement.
Je ne crois pas que la relation franco-allemande - je préfère parler de moteur franco-allemand parce que ce que lon fait, cest pour lEurope - soit menacée. Je ne crois pas quelle soit remplaçable par autre chose. Si nous avons de très bons rapports par exemple comme avec les Britanniques en ce moment, si nous avons de très bons rapports avec beaucoup dautres pays en Europe, ce sont des relations qui sajoutent et qui ne viennent pas remplacer la relation franco-allemande. Je ne crois pas que ce soit possible ni souhaitable.
Q - Monsieur le Ministre, lAllemagne vient de retirer ses proposition de cofinancement de la Politique agricole commune. Peut-on dire, si on ne veut pas parler de couple, que le soleil brille de nouveau des deux côtés du Rhin et que nous avons une très belle saison en perspective ?
R - Le problème reste très compliqué. Dautre part, la discussion difficile qui a eu lieu sur lAgenda 2000 na jamais aigri les rapports. Les rapports entre le chancelier et le président, le chancelier et le Premier ministre, entre les ministres concernés, nont jamais été désagréables.
On avait un problème objectivement compliqué, tellement compliqué quon pouvait le prévoir. Cela fait un an et demi que je dis que nous aurons sur lAgenda 2000, en 1999, peut-être une crise, en tout cas un blocage. Il suffit de regarder les chiffres et la situation des différents pays. Il ne faut donc pas placer cela sur un mode sentimental ou tragique. On est dans une difficulté. Cest compliqué de prendre des décisions sur le financement de lEurope de 2000 à 2006. Cest compliqué de savoir comment on répartit largent de lEurope dans les différentes politiques. Les politiques nont pas tous les mêmes intérêts. LAllemagne qui contribue énormément, voudrait contribuer moins, on peut le comprendre, mais il sagit de savoir sous quelle forme, doù les discussions actuelles. Nous avons fait remarquer depuis le début que le cofinancement nétait pas une bonne méthode parce que cela veut dire refinancer nationalement une partie des politiques communes. Pour nous, cest un engrenage qui finirait par détruire toutes les politiques communes et tout le système de solidarité. Nous disons depuis le début - mais cest une remarque technique, cela na rien dun drame franco-allemand - : « cest un mauvais système pour régler un vrai problème ». Le problème, cest celui du financement. Donc la discussion repart.
A la réunion de Petersberg, on a vu que le chancelier Schröder a tiré les conclusions des premières semaines en disant « Bon, les solutions sur lesquelles on a travaillé, ne marchent pas, on va en trouver dautres ». Cela sest passé dans un très bon climat. Maintenant quil ny a plus la proposition de cofinancement sur la table, le problème reste compliqué quand même, on ne peut pas non plus passer brutalement à lautre interprétation. Ce nest pas réglé comme par miracle. Cela reste compliqué.
Q - Monsieur le Ministre, vous allez lancer une visite diplomatique en Afrique. Ce qui est intéressant, cest que vous la faites en compagnie de votre homologue britannique. Quest-ce que cela augure, cette diplomatie, jallais dire, jumelée ?
R - Cela sinscrit dans le cadre de la modernisation de la politique française qui est une combinaison de fidélité à nos amis et partenaires anciens et douverture sur le reste de lAfrique, de modernisation, dadaptation, une combinaison. Dans cette modernisation, il y a lidée quil est bien temps de surmonter les rivalités qui existent encore, et qui existaient encore dans les politiques africaines entre partenaires européens ou avec les Américains. Il faut travailler ensemble.
Alors voilà un exemple qui se présente : je vais avec M. Cook dans un pays anglophone et dans un pays francophone, nous allons au Ghana et en Côte-dIvoire. Nous réunissons les ambassadeurs, parce quil y a des pays anglophones et des pays francophones, donc ce nest pas un choix arbitraire : la Grande-Bretagne plutôt quun autre pays dEurope qui aurait été aussi bien là. Il y a une réalité liée à la Grande-Bretagne. Dans laffaire de la Guinée-Bissao, nous avons beaucoup travaillé pour que cette affaire ne dégénère pas en affrontements entre les francophones et les lusophones. Nous avons beaucoup travaillé avec le gouvernement portugais sur ce plan. Dans dautres cas, cest un travail à faire avec les Américains, comme pour la formation au maintien de la paix. Il y a des régions dAfrique où lAllemagne a une très forte coopération, par exemple dans le Sahel. Donc cest une idée générale de coordination et de combinaison des politiques européennes.
Q - Il y a une réforme de ce quon appelait la coopération, le champ français. Les Africains sétaient beaucoup inquiétés en disant : la France en gros, va nous laisser tomber...
R - Non !
Q - Si, si, ils lavaient dit dans la rencontre France - Afrique...
R - Lesquels ?
Q - Un certain nombre dentre eux.
R - Non, pas du tout. Jai participé à cette rencontre et ceux qui ont dit ça, ont été extraordinairement peu nombreux, très peu nombreux...
Q - Certes. Mais est-ce quaujourdhui, vous les avez rassurés ?
R - Pourquoi vous ne citez pas ceux beaucoup plus nombreux qui ont applaudi cette réforme à lépoque ?
Q - Mais est-ce que vous êtes parvenus à rassurer les quelques-uns qui sinquiétaient ?
R - Absolument, je crois. Je crois et dailleurs cest une réforme qui a été envisagée à plusieurs reprises depuis vingt ans. Cest tout le contraire dun abandon ; cest une modernisation des modalités de notre coopération. Elle a été longuement expliquée à tous les intéressés. Je crois que cest maintenant un fait acquis et quon travaille sur de bonnes bases.
Q - Vous avez en face de vous à Bonn depuis quelques mois une autre équipe qui manifeste un certain égoïsme sacré si on peut lappeler ainsi et le chancelier Schröder dailleurs sest plaint quon permette à tout le monde de poursuivre ses intérêts mais on ne le permet pas à lAllemagne. Est-ce que cela vous gêne, cette attitude ?
R - Pas du tout, je trouve cela normal. Je trouve que lAllemagne est un grand pays normal qui défend ses intérêts vigoureusement comme le fait la France, comme le fait la Grande-Bretagne, comme le fait lEspagne, comme le font tous les pays dEurope. Je trouve que ce nest absolument pas choquant. Cest une donnée de la situation actuelle. Il ny a aucune raison daccuser lAllemagne pour ce comportement normal, je le répète. Simplement il se trouve que nous sommes sur un sujet compliqué, cette affaire de financement. Il faudra faire des compromis. Nous narriverons au résultat que si tous les pays dEurope et toutes les politiques communes sont mises à contribution. On ne peut pas faire un accord uniquement sur le dos de la France ou de lAllemagne, on ne peut pas faire un accord uniquement au détriment de la Politique agricole commune ou uniquement des fonds de cohésion ou de la ristourne britannique :
il faudra que tout le monde participe. Mais je nai aucun problème avec cette politique. Je lai dit depuis longtemps, avant même le changement de gouvernement dailleurs.
Q - Monsieur le Ministre, leuro était parti tambour battant, vous navez pas le sentiment maintenant que les difficultés que rencontre cette monnaie par rapport au dollar, peuvent traduire la faiblesse de lunité réelle des Européens ?
R - Il ny a pas de difficulté particulière. Cest un positionnement qui est extrêmement favorable aux exportations européennes, cest très important aussi. De toute façon, chaque positionnement de monnaie a ses avantages et ses inconvénients qui peuvent dailleurs séquilibrer. On ne juge pas une affaire aussi considérable quune grande monnaie comme ça sur quelques semaines.
Q - Pour les questions de finances, il faut absolument arriver à un accord. Autrement le projet délargir la communauté tombe en panne. Comment voyez-vous les perspectives ?
R - De toute façon, la négociation délargissement prendra un certain temps. On ne souhaite pas quelle dure particulièrement longtemps mais, même dans le passé, quand vous regardez les élargissements de lEurope, quand elle est passée de six à neuf, de neuf à douze, de douze à quinze, même les négociations très très faciles - parce que cétait des pays à des niveaux à peu près comparables et avec des systèmes sociaux, politiques et juridiques comparables - ont pris un certain temps. Nous avons affaire à des pays qui sont beaucoup plus loin, qui sont beaucoup plus différents et qui ont un travail dadaptation énorme à faire. Les négociations ont commencé il y a à peine quelques mois, donc dans leur intérêt et dans le nôtre, nous avons du temps devant nous pour que ces négociations soient menées à bien . Il faut que, quand ils adhèrent, le choc ne détruise pas leur système social et politique et il faut que lUnion européenne puisse assumer ce choc. Nous avons du travail devant nous. Cest comme ça, on ne la pas inventé, personne na inventé cela pour compliquer les choses ni pour retarder quoi que ce soit. Il faut se mettre daccord sur le financement : cest compliqué mais on trouvera une solution. Bien sûr, je ne connais pas le jour exact mais enfin on finira par trouver une solution comme les autres fois.
Ensuite, on va sattaquer à la réforme institutionnelle parce quil est bien clair que, déjà à quinze, cest devenu extrêmement lourd et difficile dans des institutions prévues pour six. Si on va vers une Europe à vingt, vingt-cinq, un jour trente peut-être, il faut changer. On a le temps de le faire. Je ne crois pas que cela retarde en quoi que ce soit lélargissement aux pays qui ont besoin également de ce temps pour se préparer. Quand je vais en Europe centrale et orientale et que je leur dis : « le travail que nous faisons à lheure actuelle en Europe, est bon pour vous aussi parce que vous voulez entrer dans lEurope parce quelle marche, parce quelle fonctionne, parce quelle est riche, parce quelle a des politiques communes, vous ne voulez pas entrer dans une Europe qui ne se serait pas préparée et que votre entrée viendrait paralyser, ce serait un marché de dupes ». Ils me disent : « oui, nous voulons entrer dans une Europe qui fonctionne ». Donc je ne crois pas quil y ait divergence dintérêts à moyen terme entre les membres du lUnion européenne et les candidats.
Q - Monsieur le Ministre, nous arrivons au terme de cet entretien. Vous vous exprimez actuellement sur une chaîne francophone, mondiale, potentiellement un demi-milliard de téléspectateurs. Vous regardez cette chaîne quand vous voyagez ?
R - Oui, chaque fois que je le peux.
Q - Cest important pour une communauté francophone pourrait-on dire, davoir un outil de ce genre ?
R - Jai encore regardé quand jétais à Abou Dabi un bout de film avec Jean Gabin, il y a trois ou quatre jours.
Q - Quest-ce que vous cherchez sur une chaîne de ce genre ? Aussi un moyen pour quune communauté francophone sexprime ?
R - Je pense que dans le monde moderne et dans la bataille dinfluence moderne, cest dune importance évidente. Ce nest pas ici quil faut faire une longue démonstration pour le dire, quil y ait une chaîne francophone et que par ailleurs on véhicule des idées françaises, de la culture française dans toutes les langues ; les deux sont absolument complémentaires. Et puis tout cela doit aller vers une expression de culture européenne, cest un autre sujet pour un autre jour peut-être.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 1999)