Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté auprès du Premier ministre, à LCI le 9 octobre 2007, sur l'hébergement des sans papiers, l'accueil d'urgence et de longue durée, le recours au test ADN pour l'immigration et le regroupement familial.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Vous êtes vous engagé, comme l'affirment les associations que vous avez reçues hier, dont Emmaüs et la "Fondation Abbé Pierre", à maintenir les conditions actuelles d'accueil des Sans-papiers dans le centres d'hébergement, et donc à obtenir de la commission mixte paritaire qui va se réunir dans une semaine, le mardi 16 octobre, l'abrogation de ce fameux article 21 de la loi sur l'immigration ?

R.- On s'est engagés, et pas moi tout seul, on s'est engagés au nom du Gouvernement, avec B. Hortefeux, avec C. Boutin, avec le cabinet du Premier ministre à maintenir les conditions actuelles d'accueil de l'ensemble des gens en situation de détresse, quelle que soit leur situation administrative, et y compris ceux qui n'ont pas de papier. On s'est engagés à faire en sorte que le rôle des centres d'hébergement puisse être maintenu exactement tel quel. On s'est engagés à ne pas bouger la ligne.

Q.- Alors vous allez devoir travailler au corps les députés et les sénateurs de la commission mixte paritaire pour qu'ils corrigent le texte ?

R.- Depuis trois jours, on travaille avec eux, je ne sais pas si c'est au corps, mais on est en contact avec les représentants des commissions des lois, et moi je les ai sentis tout à fait ouverts. Je n'ai pas senti chez les présidents de commission, chez les responsables parlementaires, la volonté de mettre à mal le Secours catholique, Emmaüs, l'Armée du salut, tous ces centres qui font un boulot qu'ils saluent par ailleurs. Donc, je pense qu'il n'y aura pas de difficulté pour faire respecter ce principe. Mais par respect pour le Parlement, je ne peux pas préjuger de ce qu'ils vont dire dans huit jours. Mais cela se passe en bonne entente.

Q.- Alors, cela c'est vrai pour l'accueil d'urgence, au jour le jour, en centres d'hébergement. Qu'en sera-t-il pour l'accueil de plus longue durée, l'accueil qu'on appelle de stabilisation, cela veut dire trois mois et plus ?

R.- En fait ce qu'on fait, c'est qu'on maintient la ligne qui était consensuelle avec les associations et avec les acteurs politiques il y a trois mois au moment du droit au logement opposable. Et c'est quoi la ligne de partage ? C'est dire il y a d'un côté le droit au logement opposable, qui lui, nécessite d'être en situation régulière ; il y a de l'autre ce qui se passe en amont, qui relève de l'urgence plus ou moins stabilisée, parce que l'urgence ce n'est pas vingt quatre heures, c'est la période qu'il faut, et pour lequel c'est inconditionnel. Et ce qui c'est passé hier... on a travaillé de manière très étroite avec les différents responsables concernés, moi, j'ai entendu B. Hortefeux. Ce qu'il disait sur le respect de l'accueil inconditionnel par les centres, je n'avais jamais entendu, au cours des dix dernières années quand j'étais responsable associatif, une aussi grande clarté sur le fait qu'on respecterait leur travail en matière d'accueil inconditionnel.


Q.- Donc, B. Hortefeux est avec vous dans ce dossier et non pas contre vous ?

R.- Ah oui. Alors là, on a été depuis le début, contrairement à ce que les uns et les autres ont pu sous-entendre... Quand j'ai vu monter cela, j'ai appelé B. Hortefeux en lui disant : est-ce qu'il y a derrière un problème, est-ce qu'on cherche à emmerder les centres, est-ce qu'on cherche à rendre leur travail plus difficile, est-ce qu'on cherche à en profiter pour faire quelque chose ? B. Hortefeux m'a dit : "absolument pas". Je lui ai dit : "est-ce que tu es d'accord qu'il faut maintenir tel que cela fonctionne ?". Il m'a dit : "absolument." Et ensuite, on a chacun notre travail pour y arriver.

Q.- Alors d'où est venu le problème ? Qui vous a débordé sur cette affaire ?

R.- C'est un amendement qui a été déposé par T. Mariani, je ne sais pas ce qui l'a inspiré de vouloir remettre en cause et agiter. Si vous voulez, le paradoxe - encore une fois, cela fait longtemps que j'ai présidé Emmaüs, avec des parlementaires de droite et de gauche, quelles que soient leurs opinions, qui ont toujours salué ce travail remarquable, qui consiste à accueillir sans conditions et à faire en sorte que les gens qui arrivent dans des conditions difficiles deviennent des acteurs de la solidarité formidables.

Q.- Vous ne savez pas qui a inspiré T. Mariani ou vous ne voulez pas le dire ? Non, je ne sais pas. Vous avez parlé avec le Premier ministre. Il vous soutient ?

R.- Oui, absolument. Je crois que là-dessus, on est tout à fait soutenus. Il y avait A. Klarsfeld, qui est au Cabinet du Premier ministre, qui était avec nous à la réunion. Il n'y a pas eu de difficulté.

Q.- Et le président de la République, il vous a fait passer un message ?

R.- Le président de la République, il ne nous a pas fait passer de message en particulier. Il m'a fait passer un message il y a quatre jours sur autre chose, je ne sais pas si vous avez remarqué ?

Q.- On va en parler.

R.- ...qu'il fallait avancer, qu'il fallait foncer quoi.

Q.- Alors on va en parler, mais dans cette loi, il y a aussi un autre amendement qui a fait coulé beaucoup d'encre : le recours au test ADN pour contrôler l'immigration par regroupement familial. Est-ce que c'est un "détail" pour vous, comme l'a dit le Premier ministre ?

R.- Moi, j'ai remarqué que ce mot avait quelque...

Q.- Soulevé quelques polémiques ?

R.-...Avait soulevé quelques polémiques, donc je ne rajouterai pas un gramme de polémique.

Q.- Pour vous c'est quand même plus essentiel, vous vous êtes battu aussi, vous êtes monté au créneau contre ce test ADN.

R.- J'ai fait- je ne sais pas si vous avez regardé comment je travaille, moi - j'essaie d'agir au moment où on peut influer et non pas de crier après ou de crier. Donc, au moment où c'est passé à l'Assemblée nationale, il y avait des gens qui disaient que la messe était dite, que c'était fini. Moi, je l'ai dit : "attendez, après l'Assemblée nationale, il y a le Sénat". Le Sénat, moi j'ai souvent travaillé avec eux, ils font du travail ciselé, précis et très respectueux des principes. Donc, ils trouveront certainement une solution respectueuse des principes.

Q.- F. Amara vient de déclarer qu'instrumentaliser l'immigration c'est dégueulasse. Elle est très en colère. Vous partagez ce sentiment ?

R.- Qu'instrumentaliser l'immigration ? Oui. Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Regardez, quand sur les Sans-papiers, on revient à une formule qui est une formule raisonnable.

Q.- Est-ce que ce n'est pas le cas d'une partie de la majorité UMP, les députés les plus à droite ?

R.- Quand certains vont jusqu'à dire que j'aurais été capable de même pas lire un texte de loi, j'imagine qu'il y a de l'instrumentalisation. C'était mon métier de lire les textes.

Q.- Si l'amendement ADN est adopté en l'état, si sur l'hébergement, vous n'obtenez pas ce que vous voulez, vous vous reporterez sur le Conseil constitutionnel ?

R.- Moi, je ne me reporte pas sur le Conseil constitutionnel...

Q.- Les parlementaires de l'opposition pourraient en appeler au Conseil ?

R.- Par ailleurs, je ne travaille pas avec des "si", en disant "si et si et si". Je suis en train de travailler pour. Donc, ce n'est pas si on ne va pas réussir sur l'accueil d'hébergement d'urgence, c'est on va réussir sur l'accueil d'hébergement d'urgence. Hier, c'était d'une clarté absolue.

Q.- F. Amara dit également : "Je dis ce que je veux et si cela devient insupportable, je partirai du Gouvernement". Vous aussi, vous vous dites, si de tels textes polémiques se répètent sans cesse dans cette vie parlementaire et gouvernementale, vous partirez ?

R.- Ce n'est pas dans ces termes là. Je ne suis pas en train de me poser la question tous les matins de savoir partir ou rester. Je suis en train de me dire : "Est-ce que je suis utile ? Est-ce que j'arrive à influencer les choses ? Est-ce que je suis soutenu ? Est-ce que ce pour quoi je me suis battu depuis des années pendant la campagne peut avancer ?". Et tant que la réponse est oui, je n'ai aucune question à me demander de ce que je vais faire. J'ai suffisamment de boulot avec ça pour me poser d'autres questions.

Q.- Alors, ce matin vous réunissez associations et partenaires sociaux pour signer un engagement commun contre la pauvreté. Oui, puis pour le beau temps aussi. Et voila cela va servir à rien. C'est une déclaration d'intention ?

R.- Vous plaisantez ? C'est la première fois que les plus hautes autorités publiques s'engagent sur un chiffre de réduction de la pauvreté. C'est la première fois. On s'est battus, j'allais dire comme des chiffonniers, mais on s'est battus depuis deux ans, en disant : on ne veut plus les plans, les uns après les autres dans lesquels on dit : "on va éradiquer la pauvreté demain matin". On a dit, maintenant, il faut prendre des engagements sérieux. Pourquoi est-ce qu'en matière économique, on prendrait des engagements sérieux : 3 % de chiffre de déficit budgétaire, 60 % d'endettement. Et en matière de pauvreté, on oublierait les choses. Au mois de juillet, j'ai rappelé que c'était quand même invraisemblable que quand les chiffres de la pauvreté paraissaient, personne ne s'en occupait. Personne ne s'en occupait ! Moi, membre du Gouvernement, c'est moi qui ai dit : "Attention ! Regardez, elle augmente, il faut peut-être faire quelque chose". Donc, on s'engage sur une réduction d'un tiers de la pauvreté. Il faut qu'on soit, tous, tous derrière cela. Il faut qu'on mette la pression maximale. Il faut que dans cinq ans il y ait un tiers de pauvres en moins. Voilà, tout le reste c'est de la littérature.

Q.- Alors que mettrez-vous dans l'indicateur nouveau de pauvreté que vous voulez bâtir ? On va vous accuser de vouloir biaiser les statistiques ?

R.- C'est exactement pour cela qu'on met tout le monde autour de la table. Je leur dis : pour que nous ne soyons pas accusés de biaiser les statistiques, mettons nous d'accord au moment du point de départ sur le thermomètre, sur la manière dont on le mesure, sur la manière dont on le suit année après année, qu'on ait un consensus sur ces instruments-là, plutôt qu'on les manipule. Donc, c'est cela ce qu'on est en train de faire, et c'est ce qu'on avait demandé tous ensemble il y a deux ans. Justement, moi je ne voudrais pas être dans la situation dans lequel on a pris un indicateur à un moment donné, puis ça va un peu plus mal et donc on en prend un autre au bout de deux ans etc., etc. C'est cette transparence-là et cette mutualisation-là qu'on est en train de faire.

Q.- Le Président vous demande un "Grenelle de l'insertion". Dites vous "banco" et qu'allez vous mettre dedans, et quand est-ce que vous allez le réunir ?

R.- Oui, là aussi, je n'allais pas dire "non merci". Au contraire. Le président de la République est allé dans des structures d'insertion, est allé voir un des départements qui va expérimenter nos programmes de revenu de solidarité active. Il est venu dire qu'il fallait mettre le paquet sur ces sujets-là. Donc, ce qui est de bon augure pour la suite, puisqu'on a une chose qui avance, pas par pas, programme par programme etc. Et puis, un "Grenelle de l'insertion" dont on va discuter avec les associations ce matin, dont j'ai discuté avec les acteurs de l'insertion économique. Qui a quoi comme objet ? Qui est de dire : il n'y a pas d'un côté des gens qu'on condamne à ne pas travailler sous prétexte qu'ils sont un peu plus en difficulté ; il y a une manière d'ouverture de la solidarité de la société, que ce soit les entreprises classiques, que ce soit les associations, pour essayer de réintroduire dans un circuit d'inclusion des gens en difficulté.

Q.- Avec un contrat unique d'insertion ou au contraire vous voulez préserver plusieurs contrats, parce qu'il y a des cas différents ?

R.- On ne veut plus foutre les gens dans les cases. C'est-à-dire, dire : "Ah ben, vous, vous avez le droit à ce truc-là, parce que vous êtes Rmiste depuis au moins un an" ; "vous, vous y avez droit parce que vous êtes chômeur de longue durée, depuis plus de deux ans". Alors la personne qui est à onze mois, on lui dit :"désolé". On ne veut plus mettre les gens dans les cases et les sortir des cases, parce que les contrats seraient prévus pour vingt quatre mois. Ce qui s'est passé quand le président de la République est venu, ce n'était pas qu'on lui a fait de la théorie. C'est qu'il y a une dame qui a dit : "Je ne veux pas passer Noël aux Assedic. J'ai 57 ans". Et le président de la République lui a dit : "Mais pourquoi vous passeriez Noël aux Assedic ?". "Mais parce que les textes actuels prévoient que les contrats auxquels j'ai le droit durent vingt-quatre mois et qu'on me remet à la case départ après". Il y en a une autre qui a dit : "Travailler plus pour gagner plus, alors que les contrats que l'Etat me fait sont maximum 26 heures". Le président de la République a dit : "Mais je croyais que déjà je me battais contre les 35 heures, et vous, on vous met les 26 heures ? Charger-moi tout ça !" Alors cela tombe bien, puisque c'est ce qu'on demande. Toutes les associations demandaient cela pendant la campagne électorale. On revient, on fera un contrat, un contrat j'allais dire sur mesure. C'est-à-dire en fonction des besoins de l'employeur d'un côté, de l'employé de l'autre pour les aider à travailler ensemble.

Q.- "Un brave garçon qui s'est fait embarquer dans une aventure. Cela ne durera pas beaucoup", c'est A. Montebourg qui dit cela de vous. Que lui répondez-vous ?

R.- D'abord, je ne prends pas cela pour une injure. Si "brave garçon" c'est quelqu'un qui est animé par des bons sentiments, je veux bien être un "brave garçon". Si c'est "un peu couillon", c'est à lui de juger. Et à vous.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2007