Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à Europe 1 le 16 janvier 2008, sur la négociation sur les contrats de travail, notamment la signature d'accords avec les partenaires sociaux.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
J.-P. Elkabbach.- 2008, année du social avec du radicalement nouveau dans l'air et qui s'accélère. B. Thibault, bonjour.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- Aujourd'hui la réforme du contrat de travail négociée entre le patronat et les syndicats est acceptée par trois syndicats au moins. Demain, la CFDT sera le quatrième signataire - F. Chérèque le sous entendait dimanche - et la CGT ?
 
R.- La CGT consulte ses organisations. Mais dès hier, la direction confédérale a pris connaissance du compte-rendu de la délégation de la CGT qui a travaillé pendant plusieurs mois sur cette négociation, et ce matin, je confirme l'opinion négative de la direction confédérale. L'opinion des organisations adhérentes de la CGT sera formalisée à l'occasion d'un vote le 29 janvier.
 
Q.- La CGT a cependant consacré quatre mois à négocier, et M. Dumas qui vous représentait disait : "de manière constructive". La CGT n'a rien bloqué mais est-ce que ce n'était déjà pas un progrès que pendant quatre mois vous soyez là ?
 
R.- Ce n'est pas une première que nous participions à des négociations. C'est d'ailleurs régulièrement notre travail.
 
Q.- Mais de manière constructive et positive ?
 
R.- Lorsque l'on participe à des négociations, on fait des propositions, on essaye de faire avancer son point de vue. On a tendance à caricaturer l'activité, l'action de la CGT, à l'occasion des journées où il y a des drapeaux qui flottent dans les rues - j'espère d'ailleurs que notamment sur la question du pouvoir d'achat les drapeaux vont ressortir dans les rues au début du mois de février, parce que ça ne va pas sur le pouvoir d'achat...
 
Q.- Classique. Classique. Classique.
 
R.- Mais en même temps, l'activité de la CGT ne se limite pas à la mobilisation, à la protestation. Ça consiste aussi à essayer de faire avancer la situation des salariés dans chaque lieu où nous prétendons pouvoir le faire, dont des négociations avec le patronat, même si en l'occurrence et peut-être qu'il faut y revenir, elles ne débuchent pas à nos yeux sur des points positifs pour les salariés.
 
Q.- J'ai lu que R. Soubie, qui a le sens des formules, disait : c'est, de la part de la CGT, « une non signature non négative ».
 
Oui mais monsieur Soubie n'est adhérent de la CGT. Donc, on peut comprendre qu'il n'ait pas des formules qui correspondent tout à fait à notre état d'esprit. Si on ne signe pas, c'est que nous ne sommes pas satisfaits.
 
Q.- Attendez ! Il y a une négociation, elle dure quatre mois. Et trois heures avant la fin des négociations, la délégation CGT exprime son désaccord et elle sort au moment du compromis. Est-ce que par exemple, là, le mot flexi-sécurité est pour vous, la CGT, un gros mot, un vilain mot ?
 
R.- Mais là, on parle et moi j'invite, puisqu'on a que quelques secondes pour évoquer cette négociation très importante, vos auditeurs à aller sur le site de la CGT. Le site Internet de la CGT. Vous aurez l'analyse en détail des mesures qui sont dans ce texte avec une analyse d'une part syndicale mais aussi une analyse juridique. Nous montrons sur ces informations que les employeurs ont obtenu des modifications qui sont actées et qui précarisent davantage la situation des salariés. C'est une nouvelle procédure pour le licenciement, c'est un allongement des périodes d'essai, c'est un contrat de projet, une nouvelle forme de contrat de travail. Par contre...
 
Q.- C'est une portabilité des droits qui permet au salarié de quitter son entreprise en apportant avec lui les heures de formation acquises. C'est la prime accordée aux jeunes de moins de 25 ans privés d'emploi. Une prime qui est doublée.
 
R.- Par contre, permettez-moi d'y revenir, pour tout ce qui concerne les salariés, les mesures évoquées sont renvoyées à des discussions ultérieures. Vous parlez de la prime des moins de 25 ans par exemple, il s'agit... Beaucoup ont cru entendre qu'enfin pour les jeunes en quête d'emploi, il allait y avoir une allocation chômage même s'ils n'avaient pas eu suffisamment de périodes de cotisation leur donnant ce droit. Je dois préciser ce matin qu'il s'agit d'une prime pour les moins de 25 ans qui n'auraient pas suffisamment de droits acquis par leur cotisation mais une prime remboursable ! Une prime remboursable ça n'est pas la même chose qu'une allocation chômage pour des jeunes n'ayant pas suffisamment...
 
Q.- On ne peut pas refaire la négociation mais est-ce qu'il y a des avancées, là ?
 
R.- Attendez ! Permettez-moi d'insister sur le fait que pour ce qui nous concerne, c'est sur le contenu de l'accord que nous nous positionnons.
 
Q.- Alors la signature des quatre syndicats, est-ce que vous la traitez de trahison ?
 
R.- Non, non. Nous avons travaillé et, je le souligne ce matin, nous avons travaillé dans une entente intersyndicale que nous n'avons pas toujours connue dans des négociations de ce type. Et de ce point de vue-là, je pense que parmi les effets non négatifs de ce processus-là, nous avons très largement concentré les ambitions du patronat au début de cette négociation. Maintenant, à la conclusion, chacune des organisations fait sa propre analyse et assume sa position.
 
Q.- Deux questions, très vite : l'accord conclu il est majoritaire, donc il est légitime pour vous, il a une légitimité de l'accord majoritaire ?
 
R.- On ne peut pas avec les règles actuelles apprécier la règle majoritaire au sens démocratique du terme et c'est ce qui... Si on raisonne effectivement en nombre de syndicats, il y a cinq confédérations qui négocient autour de la table. Si on considère que chaque syndicat compte pour un, effectivement, quatre sur cinq, la démonstration est faite. Le problème du dialogue et de la négociation sociale en France, c'est qu'on se refuse pour l'instant - et j'espère que ça va être une réforme à l'ordre du jour - on se refuse pour l'instant à prendre en compte le poids réel, la représentativité réelle de chacun des syndicats.
 
Q.- Mais là, il y a un rendez-vous qui est pris le 24 janvier, une négociation qui commence, est-ce que vous êtes favorable vous, B. Thibault, à la création un jour de regroupements, de rapprochements des syndicats ou d'alliance entre eux ?
 
R.- C'est aux salariés de décider quel doit être le paysage syndical demain.
 
Q.- Non mais vous, les confédérations ?
 
R.- Nous ne sommes pas - et ce n'est pas un secret - nous ne sommes pas pour la multiplicité du nombre de syndicats surtout dans un pays qui a 10% de syndiqués. Je constate que plus il y a de syndicats dans notre pays...
 
Donc on peut dire, il peut y avoir des regroupements, des rapprochements ?
 
R.- Ce n'est pas des regroupements.
 
Q.- Je n'ai pas parlé de fusion, donc disparition de certains d'entre eux.
 
R.- Toute opération artificielle du paysage syndical est vouée à l'échec. Le paysage syndical évoluera suivant la volonté des salariés et pour ce faire, il faut permettre à tous les salariés de notre pays d'avoir des élections professionnelles et il faut avoir des règles qui permettent de tenir compte de ce que disent les salariés aux élections professionnelles et obtenir le principe de l'accord réellement majoritaire.
 
Q.- Vous en parlerez demain matin à 8 heures 15 avec X. Bertrand qui va vous recevoir pour un énième tête-à-tête. C'est d'ailleurs publié dans son agenda, c'est comme ça que je le sais. Est-ce que vous lui direz que la CGT participera ou non à d'autres négociations prévues qui s'annoncent ?
 
R.- Evidemment que la CGT participera aux négociations. Je pense que si nous sommes première confédération syndicale de notre pays, du fait du mandat que nous donnent les salariés, c'est aussi pour les représenter en toute occasion. Soit pour dire que nous sommes en désaccord avec un certain nombre de projets, soit pour essayer d'en améliorer le sens, les contours. Il est de notre responsabilité d'être présents encore une fois partout où se décide l'avenir de la situation des salariés.
 
Q.- Mais qu'est-ce qu'il faut pour que la CGT qui réclame souvent des négociations et qui y participe, vous venez de le dire, finisse un jour par signer des accords ?
 
R.- Mais on en a signés des accords.
 
Q.- Mais qu'elle signe réellement des accords. Quelle est, puisqu'on dit que vous voulez moderniser et faire évoluer la CGT, quelle est la culture du compromis ?
 
R.- Le modernisme syndical ne consiste pas, de notre point de vue, à signer tout texte que présentent les organisations patronales. Sinon c'est tout simplement la dépendance syndicale.
 
Q.- C'est évident.
 
R.- Je remarque qu'on a tendance à accoler "modernisation" à signature d'accord avec le patronat.
 
Q.- A négociation et signature.
 
R.- Tout dépend des contenus. Nous approuvons des accords, 82% des négociations dans lesquelles nous siégeons dans les entreprises débouchent sur un accord approuvé par la CGT. Au niveau des branches professionnelles, c'est 30%. Maintenant demain, si on nous propose des négociations salariales dans les branches avec des revalorisations de salaire qui correspondent à 3, 4, 5%, je peux vous dire qu'il y aura des signatures CGT. Mais comme nous n'avons pas ces négociations, c'est aussi ce qui nous incite à prôner des mobilisations dès début février sur le pouvoir d'achat.
 
Q.- Dans dix minutes... là, vous me faites penser et d'ailleurs F. Chérèque le disait dimanche sur Europe 1, le Gouvernement harcèle les syndicats à coups de pression, de délai - c'est ce que vous dites - est-ce que vous n'harcelez pas le Gouvernement à coups de grèves et de menaces de grève ?
 
R.- Il est de notre responsabilité de dire dans cette période, enfin on serait les seuls y compris à ne pas le porter. La première des préoccupations, c'est le niveau des salaires, c'est le pouvoir d'achat, c'est le niveau des retraites. Ca n'est pas satisfaisant. Demain, nous avons les voeux du président de la République. Moi, je ne me contente pas de la position du président de la République sur la question du pouvoir d'achat jusqu'à présent. J'espère que demain, par exemple, il va changer un peu la tonalité. Il va falloir...
 
Q.- Vous y serez ?
 
R.- Bien sûr que j'y serai. Il va falloir que nous allions nous-mêmes chercher les augmentations de salaire que nous n'obtenons pas pour l'instant.
 
Q.- Dans dix minutes, doivent être publiés les décrets sur la réforme des régimes spéciaux de retraite. Vous y avez contribué. La réforme, est-ce qu'on peut dire qu'elle est faite, et quelle leçon vous tirez de à la fois des négociations pour la CGT et pour les changements qui sont générés de plus en plus vite par la mondialisation ?
 
R.- La réforme n'est pas faite des régimes spéciaux. Des négociations sont encore en cours dans les trois branches professionnelles concernées. Il y a une nouvelle manifestation nationale à Paris le 22 janvier par ces trois fédérations. L'ensemble, je le remarque, quasiment l'ensemble des représentants syndicaux qui ont été consultés sur ces projets de décrets les ont rejetés parce qu'au passage, le Gouvernement a tenté d'accréditer un principe comme étant déjà acquis, de son point de vue : c'est que l'ensemble des salariés de notre pays, pour avoir les droits à la retraite à taux plein, à l'avenir, devraient accepter, selon le Gouvernement, un allongement, un nouvel allongement de la durée de cotisation puisqu'il serait à l'avenir, ce serait 41 années de cotisation qui seraient...
 
Q.- En Allemagne, c'est 42 avec accord même des syndicats et 67 ans, dans quelques années, la durée du travail.
 
R.- Il faut comparer tout ce qui est comparable. On ne peut pas extraire ce qui est pratiqué en matière de retraite sans parler temps de travail, intensité du travail.
 
Q.- Alors ça c'est pour avril.
 
R.- Non, ça c'est pour très prochainement et dans les... Nous avons fait deux propositions à nos homologues syndicaux : de se mobiliser ensemble sur la question du pouvoir d'achat, je viens de l'évoquer, pour début février. Mais nous avons aussi proposé que sur la question de l'avenir des retraites dans notre pays, les syndicats ne perdent pas de temps à se concerter pour voir quels sont les axes que nous allons défendre ensemble. Et nous savons que, de ce point de vue-là, c'est un sujet qui, entre nous, n'a pas toujours généré que du consensus entre les confédérations syndicales.
 
Q.- Donc entre le mois d'avril et le mois de juillet, il y a cent jours du social et ça va chauffer ?
 
R.- Ah ! Mais il y a du social et il faut qu'il y ait du social en permanence. Ceci étant, on comprend bien que dans l'agenda gouvernemental, il y a l'avant municipales et il y a l'après municipales. Je pense qu'avant les municipales, on est en train de préparer le terrain sur toute une série de sujets et que très rapidement, après les municipales, on va sans doute essayer sur une multitude de points - et c'est en ce sens que nous avons aussi un droit d'alerte des salariés - de multiplier les textes de loi pour lesquels nous n'aurons pas forcément le temps d'informer complètement les salariés.
 
Q.- Donc je le dis, les cent jours du social. Deux questions encore. En 2008, on voit bien que c'est une année de mouvement et de tension, en Corrèze la CGT a signé avec tous les syndicats, un accord pour que les magasins d'ameublement ouvrent le dimanche, bien sûr avec des volontaires et une rémunération multipliée par deux. Estce que la CGT, vous, B. Thibault, vous encouragez de telles initiatives ?
 
R.- Non, nous ne sommes pas favorables à une banalisation du travail du dimanche.
 
Q.- Même si la CGT le décide localement, sur des points ?
 
R.- Je ne pense pas que la CGT l'ait souhaité.
 
Q.- Sur l'ameublement, je l'ai lu.
 
R.- Qu'elle ait participé à négocier les conditions dans lesquelles les salariés travaillaient, étaient rémunérés le dimanche c'est une chose, ça ne veut pas dire pour autant que la CGT est favorable à une extension du travail du dimanche. Et de ce point de vue-là, nous ne sommes pas les seuls à être sur cette position-là.
 
Q.- E. Maire qui était le numéro un de la CFDT expliquait récemment qu'aujourd'hui, les dirigeants syndicaux ont vu personnellement N. Sarkozy en sept mois plus que lui avait vu les présidents de la République en deux septennats. Qu'est-ce qui a changé et qu'est-ce qui change dans les rapports sociaux ?
 
R.- Mais ça ne veut pas dire pour autant que l'on rencontre le président de la République, en même temps je veux faire remarquer que ce n'est quand même pas toutes les semaines.
 
Q.- Vous le regrettez ça ?
 
R.- Non, ce n'est pas ça mais qu'on ne laisse pas non plus entendre que le président de la République passe l'essentiel de son temps avec les représentants syndicaux.
 
Q.- Non mais ce qu'il veut dire E. Maire, c'est que cela se fait plus qu'avant, ça parle, ça parle, ça parle.
 
R.- Oui mais auparavant, il y avait un Gouvernement. Auparavant, il y avait un Gouvernement.
 
Q.- Pourquoi ? Il y a un Premier ministre et il monte, là. Il monte.
 
R.- Je veux dire par là que l'interlocuteur classique normal, régulier, quotidien pour les confédérations syndicales, c'était le Gouvernement. Ce n'est plus le cas ou de moins en moins le cas. C'est ainsi, c'est à ce titre-là que le président de la République reçoit un peu plus ou écoute un peu plus les organisations syndicales. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il partage leur point de vue. Il y a plusieurs exemples : les franchises médicales...
 
Q.- Vous ne partagez pas son point de vue, il ne partage pas le vôtre. C'est ça l'intérêt d'une discussion et éventuellement d'un compromis.
 
R.- Tous les syndicats ont dit leur opposition aux franchises médicales, le président de la République a quand même décidé de les mettre en oeuvre.
 
Q.- Bonne journée, nous nous reverrons cette année.
 
R.- Je le crois.
 
Q.- Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 janvier 2008