Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 18 janvier 2008, sur la négociation avec les partenaires sociaux sur le contrat de travail, le licenciement et le pouvoir d'achat.

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Média : France 2

Texte intégral

 
 
 
F. Laborde.- Avec vous, nous allons revenir sur cet accord sur le marché du travail, qui a été longuement négocié avec les centrales syndicales et qu'un certain nombre d'autres syndicats ont signé, sauf la CGT. Pourquoi ?
 
R.- Parce que nous ne sommes pas satisfaits de son contenu. Nous avons négocié - et, de ce point de vue-là, je l'ai dit et je le répète - le travail entre les syndicats a été important. Cela n'a pas toujours été...
 
Q.- C'est vrai que cela a été une collaboration, si je puis dire, entre les grandes centrales syndicales, qu'on n'avait pas vue depuis longtemps.
 
R.- Et heureusement, et j'espère que sur d'autres sujets, ce sera encore le cas. Ceci dit, à l'arrivée, il y a une divergence d'appréciation entre nous sur le contenu. C'est ce qui justifie nos différences d'appréciation. Non, nous ne pouvons pas approuver un texte qui, selon nous, accroît la précarité pour les salariés. A l'issue de cette négociation, les entreprises obtiennent des modifications importantes sur le droit du travail, ils obtiennent les souplesses qu'ils revendiquaient dans le droit du travail, au nom de l'argument qu'ils ne cessent de répéter : c'est le code du travail qui est un frein à la création d'emplois, ce que rien ne permet pourtant de démontrer. Trop de protections, etc. Donc nouvelles procédures de licenciement, nouveaux types de contrat de travail : contrat de mission...
 
Q.- Justement, quand vous parlez de procédure de licenciement, on peut avoir un licenciement à l'amiable, et puis on va doubler les indemnités de licenciement, une fois et demi ?
 
R.- C'est une orientation qui n'est pas, pour l'instant, assurée et financée, puisque les modalités sont renvoyées à une négociation ultérieure.
 
Q.- Vous, vous vous basez sur les faits ?
 
R.- Oui, sur les textes. Il y a un texte. Pour ce qui relève des revendications patronales, c'est acté, c'est inscrit, c'est obtenu par la partie patronale. Pour ce qui est des demandes des organisations syndicales, beaucoup des réponses sont renvoyées à des discussions ultérieures. C'est donc un réel déséquilibre et, à entendre et à écouter les messages que nous recevons, il nous semble que notre position est aussi beaucoup partagée par les salariés qui craignent - et ils ont raison - une plus grande précarité de l'emploi dans notre pays.
 
Q.- Puisqu'on parle de l'avenir des entreprises, l'idée de supprimer le Lundi de Pentecôte qui avait posé tellement de débats - est-ce qu'il faut donner, jour férié, pas férié, etc. - là maintenant, c'est terminé ?
 
R.- Il y a une usine à gaz inventée par le Gouvernement précédent, pour ne pas avoir d'ailleurs... conséquence d'une non écoute des organisations syndicales à l'époque. Alors, il semblerait que le Gouvernement se rende à l'évidence qu'il faut sortir de cette espèce d'usine à gaz. Ceci dit, cela ne changera rien sur le temps qui a été prélevé sur les salariés, puisqu'il demeurera une journée de travail gratuite, même si cette journée sera en application répartie selon des minutes de travail supplémentaires, un jour de RTT en moins. Le principe demeurera que chacun travaillera l'équivalent d'une journée, au titre de la solidarité nationale.
 
Q.- Mais qui ne sera pas le Lundi de Pentecôte. Le pouvoir d'achat : le président de la République en avait fait un de ses grands thèmes de campagne. Il est revenu hier dans son discours sur "travailler plus pour gagner plus". Est-ce que vous avez le sentiment que son discours a évolué sur cette question ? Est-ce que les premières mesures qui sont annoncées sur l'intéressement, la participation, les heures supplémentaires, etc., vont dans le bon sens, ou pour vous, cela ne représente, là encore, pas assez de concret ?
 
R.- Le discours a évolué. Manifestement, le discours a évolué au fil des mois. On est sorti d'un discours de campagne pour être élu, et chacun a beaucoup remarqué, a noté, a cru comprendre ou entendre, ou a partagé des slogans qui ont fait du pouvoir d'achat une ligne d'horizon très importante...
 
Q.- Une priorité ?
 
R.-... dans la perspective gouvernementale du candidat de l'époque, s'il était élu. On a eu des premières mesures qui étaient censées accréditer cette orientation, cette idée : les heures supplémentaires. Débat très difficile avec le Gouvernement sur le bien fondé des dispositions qui ont été arrêtées. Et puis, manifestement, cela ne répond pas. La situation se dégrade de ce point de vue là. Les salariés constatent chaque jour, chaque semaine, l'écart qu'il y a entre ce qui se passe au niveau des dépenses - hausse de prix, hausse de ce que représente des postes importants et fixes pour le budget des ménages : transport, logement, énergie...
 
Q.- Produits d'une première nécessité : farine, etc.
 
R.- Santé : franchise médicale. Le Gouvernement ne nous a pas non plus entendu ! Il a pris des dispositions qui ont aggravé de ce point de vue là. Et par contre, pour ce sui concerne les ressources, donc, pour un salarié son salaire, pas d'évolution significative. Or, hier, j'ai entendu un discours culpabilisateur du président de la République à l'égard des salariés. Pour en revenir au leitmotiv : si vous êtes dans cette situation, c'est parce que vous ne travaillez pas davantage, que vous ne travaillez pas plus. Et là, je ne peux pas - nous ne pouvons pas - admettre ce genre de discours. C'est la raison pour laquelle depuis plusieurs semaines, nous avons dit : les augmentations de salaires il va falloir aller les chercher nous-mêmes. Et de ce point de vue là, la fonction publique a décidé de nouveau de se mobiliser le 24 janvier. Et nous incitons l'ensemble des salariés du privé, nous discutons avec les autres organisations syndicales. Elles ne sont pas toutes disponibles manifestement à aller immédiatement dans la rue. Nous, nous allons appeler les salariés à se mobiliser, pour avoir des augmentations de salaire qui ne sont pas consentis sans mobilisation jusqu'à présent.
 
Q.- On voit que la conjoncture internationale est quand même très très mauvaise. Aux Etats-Unis, le Président Bush se dit que peut-être il va falloir que je fasse un plan de relance. Pour la première fois, la Banque centrale américaine dit qu'il faut injecter 100 milliards de dollars dans l'économie, ce qui n'est quand même pas rien. Est-ce que cela vous préoccupe ? Est-ce que vous vous dites que l'orage va continuer ? Faudrait-il qu'on prenne des mesures comme cela en France ou en Europe ? Est-ce que ce n'est pas tout simplement cette conjoncture économique, qui fait, que le Président ne peut pas distribuer plus de pouvoir d'achat ou relancer les entreprises en tout cas ?
 
R.- En même temps, j'avais cru comprendre que tout était possible à l'avenir si jamais il était élu. Non, il y a des marges possibles, il y a des incitations possibles dans les entreprises. Il n'est pas vrai que toutes les entreprises soient en mauvaise santé financière. Il suffit de regarder ce qui s'est passé ces derniers mois, pas simplement en France, à l'échelle internationale. J'étais en réunion aux Etats-Unis avec l'ensemble des représentants syndicaux du monde, pour faire une analyse de la situation. Chaque syndicat dans son propre pays constate que les salariés sont aussi victime d'une financiarisation de l'économie. C'est-à-dire que ce capital qui exige des taux de rentabilité sans cesse plus importants se fait au détriment de la reconnaissance du travail. Le Président, hier, reconnaît que le travail n'est pas à sa juste place, mais il faut parler de la rémunération du travail. Et, de ce point de vue là, c'est vrai que nous ne sommes, non seulement pas à l'abri mais nous risquons d'être, pas simplement en France, victimes de cette financiarisation excessive, avec des organismes bancaires, financiers qui ne cessent, lorsqu'ils sont en difficulté, de faire reposer les efforts ou les sacrifices sur d'autres.
 
Q.- En vous écoutant, il y a une question qui me vient à l'esprit, qui n'a pas l'air directement liée, encore que... Comment avez-vous apprécié l'annonce de la suppression de la publicité à la télévision ? Trouvez-vous que cela va dan le bon sens ? En effet, la télévision publique n'a pas à vivre de la publicité ou au contraire vous avez à l'esprit que c'est une mauvaise décision ?
 
R.- La télévision publique a besoin de vivre ! C'est le premier point.
 
Q.- Oui, on est d'accord !
 
R.- Oui, mais c'est très important ! Dans certains pays, il n'y a pas forcément un paysage audiovisuel public. Je pense que par rapport à de grandes dérives, s'agissant des médias, l'existence d'un pôle public est encore un pilier et une garantie qu'il nous faut défendre. C'est à ce titre là que nous ne pouvons pas accepter que l'on change de scénario, si on ne montre pas en quoi et comment on assure la pérennité du service public dans l'audiovisuel. Et nous évoquions le pouvoir d'achat. Ce que nous entendons depuis hier, c'est la confirmation qu'à la disparition de la publicité dans l'audiovisuel public pourrait correspondre, ou pourrait s'en suivre l'instauration de taxes pour le consommateur. Voilà encore un type de décision qui pour les ménages n'est absolument pas neutre !
 
Q.- Dernière question : vous avez annoncé une journée d'action le 24 janvier. Le 22 janvier, il y a aussi une nouvelle action qui est prévue pour les régimes spéciaux de retraite.
 
R.- Manifestation des salariés concernés par la réforme des régimes spéciaux, parce que cette réforme est loin d'être achevée. Il y a encore des négociations, et puis, les préoccupations professionnelles. Je voudrais dire qu'à la SNCF, il est particulièrement scandaleux dans cette période, de s'entendre dire que nous allons vers un plan de suppression d'emplois de l'ordre de 6.000 personnels, s'agissant du transport de marchandises, quelques semaines après que l'Etat ait convoqué un "Grenelle de l'environnement" où l'on a affiché qu'il fallait promouvoir les transports, plus économes, plus sûres.
 
Q.- C'est le déroutage !
 
R.- Donc, voilà le genre d'incohérence politique auquel nous assistons. Il y a les conséquences sociales mais il y a aussi les conséquences économiques pour la collectivité qui nécessitent ces mobilisations.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 janvier 2008